Cela faisait plusieurs jours maintenant que la rébellion chez les Jaguars avait eu lieu. Neufs jours pour être précis. Neufs jour que je dormais à peine, que je mangeais à peine, et que j’errais tel un fantôme dans les coins déserts du territoire, l’esprit en feu. Il s’en était passé des choses durant ce court laps de temps qui m’avait parut une éternité. Le coma de Kim, Eli qui avait prit la place de chef, les changements de grades, les entraînements, diverses visites,… Mais je n’avais pas pris part à tout ça. J’avais juste disparu, comme Eli l’avait fait après la Fête des Orages. J’avais besoin de temps, du temps pour réfléchir et pour souffrir à l’abris des regards. Parce que oui je souffrais. Mon esprit s’était emmêlé dans un décors de feu et de glace tranchante à travers lequel mes souvenirs tentaient de passer en forçant le passage. Des cauchemars horribles m’assaillaient dès que je fermais les yeux, des douleurs enfuies refaisaient surface et me faisaient mal à m’en rendre fiévreux, et cette conversation avec cette Vipère me revenait sans cesse en tête, à tel point que j’en perdais le fil régulièrement.

Mais récemment, les choses s’était pourtant un peu calmées. Mes idées se mettaient peu à peu en place et le brouillard qui me pompait mon énergie semblait se dissiper légèrement. Les flashs devenait plus précis, plus clairs, et la douleur moins acide. Mais je devais en avoir le cœur net une bonne fois pour toute. Je ne pouvais plus rester ainsi, torturer entre les souvenirs insistants et mon esprit fermé à double-tour. Je devais agir, me forcer à me souvenir en espérant que si cela serait difficile, ce serait tout de même moins douloureux que mon état actuel. J’avais donc prit une décision : me rendre sur les lieux où l’on m’avait trouvé quatre ans plus tôt.

Il me fallut insister longuement pour que mes parents adoptifs consentent à m’amener là où ils m’avaient ramasser, presque mort. Et une fois sur place, je faillis regretter ma décision. L’endroit n’avait pourtant rien de particulier, il ressemblaient à n’importe quelle rue en ruine de la ville, mais à peine quelques minutes après notre arrivée, je m’écroulais, assaillis par une énorme vague qui inonda mon esprit et me glaça les os. Je ne sais pas combien de temps je restais inconscient, mais cela fût suffisant pour que des souvenirs clairs apparaissent enfin : Une jeune fille blonde qui se tiens à mes côtés. Nous cherchons quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Je me vois m’éloigner d’elle, puis plus rien. Quand l’image revient, la jeune fille est de nouveau là, mais nous ne sommes plus seuls. Des gens nous insultes, ou plutôt m’insulte moi. La fille semble paniquée, ils la retiennent pour l’empêcher d’intervenir. J’ai mal à la tête, mais je ne sais pas pourquoi. Je me vois parler, les autres rigolent, ils n’ont pas l’air gentils. Je me sens bousculer et frapper. J’ai mal, mais je ne me défends pas. Et ils frappent et frappent encore. La fille est en pleure, elle semble hurler mais elle est toujours maintenue. Et moi je ne fais rien. Je prend juste les coups… jusqu’à ce que l’image disparaissent de nouveau. J’ai mal, horriblement mal…

Je revins à moi dans un cri, affolé. Mes parents essayèrent de me rassurer, mais leurs paroles n’arrivaient pas à calmer les tremblement qui me secouaient tout entier. Je me relevais sur des jambes flageolantes et partit en courant en ignorant les appels de mes parents. Je manquais de tomber à plusieurs reprises, je trébuchais même une ou deux fois et m’écorchais les genoux et les mains, mais je me relevais toujours et continuais de courir. Je courrais à en perdre haleine jusqu’au QG où je rentrais sans faire attention à personne. J’entendais de vagues protestations, des acclamations de surprise face à ma présence et des question sur où j’étais passé, mais je me fichais de tout ça. Je devais trouver Ash. Et heureusement pour moi, il comatait justement sur son lit. Sans prendre le temps de lui expliquer quoi que ce soit, je l’en tirais sans ménagement, et sans faire attention à ses protestations je l’entraînais sur la terrasse, là où nous pourrions être tranquille. Ce n’est qu’une fois à l’arrêt que je le lâchais et pris le temps de reprendre mon souffle. Je tremblais toujours et j’étais en sueur, et pas seulement à cause la course. Je du m’appuyer contre la rambarde pour éviter de tourner de l’œil et me concentrer sur Ash pour réussir à prendre la parole sans que ma voix ne vacille. Le jeune homme, d’abord surpris et un peu énervé d’avoir été traîné ainsi, gardait le silence au vue de mon état. Il posa un regard inquiet sur moi mais n’osa pas me demander si ça allait ou ce qu’il y avait. Finalement, je réussi à lui poser ma question d’une voix hachée.

« Est-ce que… Est-ce que tu pourrais… transmettre un message pour moi ? »

Le jeune homme me lança un regard perplexe et voulut me demander des explications, mais je l’en empêchais en levant une main et en reprenant la parole sur un ton un peu plus assuré, mais avec une voix toujours tremblante.

« Dalia. Trouve Dalia et dis lui de me rejoindre là où tout s’est fini. Ne parle qu’à elle, compris ? Et ne cherche pas à comprendre… par pitié.  »

Des larmes me montèrent aux yeux malgré moi et je les chassais du revers de la main. Ash restait silencieux, hésitant. Je lui lançais un regard suppliant et il acquiesça avant de tourner les talons. Je lui fus reconnaissant de ne pas poser de questions et j’espérais que le message soit bien transmit. Je restais un moment immobile, assis contre la rambarde contre laquelle je m’étais laisser glissé. Je pleurais en silence, repassant les images qui m’étaient apparues plus tôt en essayant de les éclaircires. Si elles m’avaient parues net sur le coup, elle m’apparaissaient maintenant floues, mais la douleur était bien présente malgré tout et je dus crisper tout mon corps pour ne pas crier de nouveau, à la fois de mal, de rage, et de doute aussi. Après un temps qui me parus interminable, je me relevais avec difficulté et essuyais mon visage pour chasser toute trace de larmes. Je sortit du QG en ignorant toujours les autres qui interpellaient. Je croisais même Eli, qui me laissa passer sans rien dire. A ma tête, il préférait attendre avant d’en savoir plus sur mon absence. De toute façon, il n’aurait rien tiré de moi…

Je retournais dans la rue déserte et m’asseyais en plein milieu, en tailleur, les coudes appuyés sur mes genoux et la tête calée dans mes mains. J’attendais qu’elle vienne, toujours secoué. Allait-elle seulement venir ? Voulais-je réellement être confronté à elle ? Je me souvenais de ce jour funeste qui avait faillit être celui de ma mort, mais je ne me souvenais encore de rien d’autre. Le reste état occulté par la souffrance qu’avait fait remonté ce souvenirs flou et imprécis. Je ne voulais pas me souvenir, et maintenant je comprenait pourquoi…

Depuis la rébellion quelque chose avait changé chez Dalia. Elle perdait souvent le contrôle d'elle-même et se laissait submerger par ses émotions. Les événements ne l'avaient visiblement pas laissée indemne, même si elle tentait de le cacher. Son bleu au ventre se résorbait tout doucement, mais les souvenirs, eux, continuaient à la poursuivre sans relâche. Elle ne dormait presque plus, et passait ses nuits à broyer du noir ou à pleurer. La perte d'Anna et la rencontre de cet inconnu qui ressemblait tellement à son frère avaient chamboulé sa vie. Et elle qui avait toujours été si sûre d'elle ne savait désormais plus où elle en était. Sa vie chez les Vipères lui avait toujours apporté une grande satisfaction, et elle avait toujours tracé sa route sans se poser de questions. Mais Dalia sentait que désormais, ce temps était révolu.

Après la rébellion, beaucoup de choses avaient changé. Nora avait repris les rennes du clan, ce qui n'était pas vraiment pour plaire à Dalia. Elle avait d'ailleurs perdu le contrôle de ses sentiments lors du discours officiel de l'ancienne. Dès ce moment, elle avait compris que quelque chose n'allait plus. Les autres Vipères qui n'étaient pas du genre à pardonner les faux pas, l'avaient aussitôt jugée pour cette bourde, et elle savait que sa réputation en avait pâti. Malgré tout, Nora semblait continuer à croire en elle, puisqu'elle lui avait confié l'entraînement d'Angelica, une jeune recrue prometteuse. Mais une fois de plus Dalia avait tout fait foirer. Faisant passer sa haine avant son devoir, elle avait saboté la leçon de cette fille qui n'avait rien fait pour ça. Passer ses nerfs sur cette gamine avait certes été plaisant, mais cela signifiait également que la Tireuse était tombée bien bas...

Les seuls moments où elle se sentait redevenir elle-même étaient les séances de tir privées qu'elle s'octroyait une à deux fois par jour. Alors elle oubliait tout : Jérémya, Anna, les autres membres qui avaient perdu foi en elle ... Mais ces moments restaient rares, et les souvenirs rejaillissaient dès qu'elle rangeait son revolver.

Les quelques premiers jours, elle avait espéré recevoir un message de son frère. Dalia savait que leur rencontre l'avait totalement chamboulé, mais elle s'était dit qu'il chercherait des réponses assez rapidement. Ensuite, elle avait abandonné cette idée, consciente qu'elle se faisait peut-être de faux espoirs. Il était un Aigle et elle une Vipère, qu'espérait-elle donc? Elle ne pouvait avoir des attentes envers un ennemi, quand bien même il était autrefois proche d'elle. L'amnésie de Jéremy ne faisait qu'entraver davantage les choses et ne lui laissait que très peu d'espoir.

C'est pour ça qu'elle fut on ne peut plus surprise lorsque le messager des Aigles, dont elle ignorait totalement le nom, lui remit un message en son nom. Il l'avait cherchée à travers tout le QG pour le lui transmettre en bonne et due forme.

Je viens de la part de Jéremy. Je ne sais pas ce qu'il a en ce moment, il est complètement dérangé. Il te demande de le retrouver "là où tout s'est terminé" ou un truc du genre... Il m'a dit que tu comprendrais.

Dalia resta songeuse. Assurément, il voulait parler de l'endroit où ils s'étaient fait surprendre par les Dragons il y a quatre ans. L'endroit qui les a définitivement séparés... Mais alors, avait-il enfin retrouvé la mémoire? Avant de poursuivre ses réflexions, Dalia devait en savoir un peu plus.

Il ne t'a rien dit d'autre? Une indication plus précise? Une date? ...

L'Aigle, visiblement agacé, haussa les épaules en soupirant

Non rien. Il faudra te débrouiller avec ça.

Dalia ne releva même pas son affront. Elle avait bien d'autres choses à penser. L'initiative de Jéremy la rendait à la fois heureuse et anxieuse... En tout cas, ce n'était pas un piège. Même si elle ne connaissait que très peu le Tireur hargneux qui lui avait fait face lors de la rébellion, elle sentait qu'il n'était pas du genre à élaborer ce type de stratégie. C'était quelqu'un de loyal et de direct, pas un traître qui tenterait de la piéger aussi sournoisement. Mais comment allait-il réagir en la voyant? Elle se souvenait que leur conversation à l'hôpital avait failli dégénérer, car le poids des souvenirs avait été très difficile à supporter pour le jeune homme. Parviendrait-il à garder son sang-froid, cette fois? Et surtout, oui surtout, est-ce qu'il se souviendrait d'elle? Les larmes faillirent perler dans ses yeux, tant ces questions l'angoissaient et lui rappelaient des souvenirs qu'elle aurait préféré oublier, mais elle se retint. Tout en les ravalant, elle congédia le messager et s'apprêta à partir.

Le jour commençait à baisser et la Vipère constata avec soulagement que l'entrée du QG n'était momentanément plus gardée. Elle en profita pour se glisser à l'extérieur, et, en s'assurant de ne pas être suivie, s'éloigna en catimini vers les ruines du Nord, là où tout avait pris fin entre elle et Jérémya. Dès que Dalia atteignit les ruines, elle sentit malgré tout une présence. Elle s'arrêta et lança vivement un regard par-dessus son épaule, nerveuse. Apparemment, ce n'était que son imagination. Elle poursuivit donc son chemin.

Lors de son cheminement, les images de son frère lui revinrent à l'esprit. Elle sourit à l'idée qu'elle allait enfin le retrouver, mais se ravisa. Il ne fallait pas qu'elle y aille dans un esprit trop positif. La déception n'en serait que plus grande. Elle atteignit enfin le lieux de rendez-vous. Il s'agissait d'une rue banale, sans caractéristique particulière. Dalia se souvenait cependant que l'un des pans était peint en bleu foncé. C'était l'un des détails qui l'avait marquée lors de l'attaque. Elle resta quelques secondes debout, à scruter l'endroit. C'est alors qu'elle l'aperçut, assis quelques mètres plus loin. Il était dos à elle, et complètement recroquevillé sur lui-même. Dalia n'osait avancer. Elle resta un moment à l'observer, hésitante. Ses jambes tremblaient. Mais pourquoi tremblaient-elles bon sang? Le coeur palpitant, elle s'avança lentement vers lui, ne sachant comment attirer son attention. Lorsqu'elle fut seulement à quelques mètres du jeune homme, elle s'arrêta. Il devait désormais avoir senti sa présence. La blonde ne savait quoi dire, et craignait que sa voix ne trahisse ses sentiments. Alors, elle murmura simplement et d'une petite voix.

Je suis là.

 

Depuis l'attaque contre les Jaguars, qui était apparemment une rébellion d'anciens membres, le clan était en effervescence. C'était Nora qui dirigeait à présent, et elle n'avait plus beaucoup de temps à consacrer à mes entrainements. J'avais l'impression de stagner. Surtout depuis qu'elle m'avait confiée à Dalia, la Tireuse d'élite. Si au départ cela me paraissait être une excellente idée de côtoyer celle dont je désirais la place, j'avais très vite déchanté. Dalia se montrait désagréable et méprisante, et j'avais du mal à me maîtriser. Je n'avais pas encore subi énormément d'entrainements avec elle, mais je me réjouissais d'en avoir fini.

D'ailleurs, j'avais rendez-vous avec elle dans quelques minutes pour notre prochain entrainement. J'y allais en trainant les pieds, détestant avoir à lui obéir. En passant devant le Q.G., je la vis justement en sortir avec un air étrange de conspiration. Avait-elle encore trouvé quelque chose d'autre pour me faire mal ? Mes poignets étaient douloureux jour et nuit à cause d'elle ! Et si elle avait dégoté une idée en plus sadique ? Mais je fus étonnée de la voir prendre un tout autre chemin que celui qu'elle était sensée suivre. Perplexe, je ne réfléchis pas longtemps avant de me décider à la suivre. Apparemment, elle avait décidé de zapper notre entrainement et donc de me zapper moi. Et je voulais savoir pourquoi.

Me faisant la plus discrète possible, je la suivis alors qu'elle quittait le territoire des Vipères. Mais qu'allait-elle donc faire si loin ? Que se passait-il ? Tous ces détails devenaient de plus en plus louches. Je commençais à m'imaginer tout un tas de choses : elle allait retrouver un amant ou participer à une exécution. Elle faisait peut-être des combats dans les ruines. Ou alors, elle s'amusait à torturer des gens loin des regards. Je la voyais bien faire ça d'ailleurs. Si ça se trouvait, elle avait enfermé plein d'innocents dans une vieille cave et s'en prenait à eux dans la plus grande impunité !

Dalia sembla se douter de ma filature car elle se retourna à un moment. Je me cachai rapidement pour ne pas me faire repérer, retenant mon souffle. Heureusement, elle ne me vit pas et continua son chemin. Elle finit par s'arrêter et par observer une rue en particulier. Sa cachette illégale était là, j'en étais sûre ! Je m'arrêtai moi aussi. Elle ne bougeait plus, que faisait-elle ? Elle se décida enfin à réagir et avança. Je ne voyais pas bien d'où j'étais, je me rapprochai donc discrètement pour découvrir un jeune homme. Elle venait voir son amant, alors... Sa tête ne me disait rien, il appartenait très certainement à un autre clan. Alors comme ça, Dalia avait des choses louches à cacher... J'avais bien fait de venir, ça allait sans aucun doute être trèèèès intéressant !

Je ne sais pas combien de temps je restais ainsi, sans bouger. Des larmes mouillaient par à coup mes joues sans que je n’y fasse vraiment attention. Je n’arrivais toujours pas à m’arrêter de trembler, cela en devenait douloureux, mais je m’en fichais. Je me repassais la scène floutée encore et encore, essayant de me concentrer sur certains détails sans y parvenir.

Ce n’est que lorsque je sentis vaguement une présence dans mon dos que je relevais un peu la tête et me rendis compte qu’il faisait nuit. J’avais réagis par réflexe, sans vraiment me rendre compte que quelqu’un était là. Aussi, quand un murmure parvint à mes oreilles, je me relevais dans un sursaut et me retournais. Elle était là. Il faisait noir, mais la lune suffisait pour éclairer son visage aussi désemparé que le miens. Mon cœur battait la chamade et nous restions un long moment silencieux, simplement à nous regarder. Finalement, je pris la parole d’une voix tremblante.

« Je me souviens de ce jour-là… Les rires mauvais,… la douleur,… et cette fille. Elle criait et se débattait en vain. Cette fille, c’était toi n’est-ce pas ? »

Je fis une pause alors que ma voix se brisait sur ma question. Je pris une grande inspiration pour calmer un peu les tremblements et repris dans un souffle.

« C’est encore flou… Et je ne me souviens pas d’avant… Je n’y arrive pas. Mais la douleur et les cris,… Tu pleurais, je m’en souviens… »

Ma voix se brisa de nouveau sans que je ne contrôle rien.

« Je ne voulais pas me souvenir de ça… »

Trop prit par mes sentiments, je ne remarquais pas que quelqu’un nous observait dans l’ombre. Et quand bien même je l’aurai remarqué, je n’aurai rien su faire…

L'Aigle sursauta pour ensuite lui faire face. À la lumière de la Lune, Dalia comprit qu'il avait pleuré en l'attendant. Le voir dans un tel état lui fit ressentir une douleur qu'elle n'avait encore jamais connue. Qu'était donc ce sentiment? Elle ne parvenait plus à raisonner ni à mettre des mots sur ce qu'elle ressentait. C'était un mélange confus de joie et de peine, de nostalgie et de peur. Le visage de Jérémya lui rappela avec violence ce qu'elle avait laissé derrière elle. C'était comme si elle venait de recevoir une gifle vieille de plusieurs années. Chancelante, elle tenta de s'approcher de lui. Mais se retint au bout de quelques pas. Il venait de parler, et elle voulait d'abord connaître ses sentiments et son ressenti avant de tenter quoi que ce soit.

Son visage son contracta, et elle porta sa main à sa bouche, sans trop savoir pourquoi. Il se souvenait. Les événements lui revenaient. Tous les doutes qui demeuraient dans l'esprit de la Vipère s'évaporèrent d'un seul coup. C'était bien lui. Jérémya. Elle aurait aimé le prendre dans ses bras et lui dire à quel point il lui avait manqué. Mais quelque chose l'en empêchait, quelque chose qui la heurtait plus que tout et qui la blessait encore davantage : il ne se souvenait pas d'elle. Du moins, pas totalement. Il semblait toujours éprouver des doutes quant à son identité et cela la remit immédiatement à sa place. Elle avala difficilement sa salive, luttant contre les sanglots qui voulaient sortir de sa gorge.

Oui. C'était moi. Est-ce que tu te souviens de moi, Jérémya?

Il fallait qu'elle lui pose cette question qui lui brûlait les lèvres. Elle devait savoir si elle existait de nouveau dans sa mémoire.

Les mots qu’il employa pour qualifier la scène lui rappelèrent l’attaque. Le souvenir de ce jour survint comme un haut-le-cœur, et elle ne put s’empêcher de revoir les visages de leurs agresseurs, celui de son frère qui hurlait et implorait la pitié de ces brutes immondes. Revoir son visage tuméfié et déformé par les coups. Tout ce qu’ils leur avaient fait subir…

C’était horrible... Je croyais qu’ils t’avaient tué. Elle laissa un blanc, consciente de la dureté de ses paroles. Je suis désolée que tu doives affronter la vérité. Mais il le faut.Elle s’avança vers lui et confessa Ce jour a été le pire de ma vie. Il a fait de moi ce que je suis maintenant. Et je donnerais tout pour l’oublier. Mais s’il-te-plaît, accepte-le. Accepte de recouvrer la mémoire. Il le faut si tu veux enfin savoir qui tu es.

Elle ne voulait pas le presser, ou minimiser sa douleur. Elle comprenait qu’il devait affronter des images horribles et remettre la totalité de son existence en question. Mais plus que tout, elle voulait qu’il se souvienne d’elle et de leur enfance. Il ne pouvait poursuivre sa vie dans l’ignorance la plus totale. Désormais, il faudrait qu’il apprenne à vivre avec le poids de ce passé .  

La Vipère esquissa quelques pas avant de s’arrêter pour m’écouter. Je faillit reculer à son approche, sans trop savoir pourquoi, mais tout comme la dernière fois que nous nous étions vu, mes jambes ne m’obéissaient de toute façon plus. Dalia fini par prendre la parole à son tour et me demanda si je me souvenais d’elle. Je baissais les yeux. Le ton de sa voix était tout aussi incertain que le miens, bien que mieux contrôlé tout de même… Je ne pu répondre tout de suite, et elle reprit alors, ajoutant que ce jour avait été horrible, qu’elle pensait qu’ils m’avaient tués. Je m’étais vu mort aussi, je n’aurai pas du survivre… Elle avança de nouveau en me demandant de me souvenir, même si cela faisait souffrir. Il le fallait si je voulais savoir qui j’étais. Mais si je ne le voulais pas ? Aucun souvenirs ne pouvaient encore me dire ce que j’avais vécu avant cet événement, qu’elle vie nous menions. Pourquoi ne pouvais-je pas me contenter de cette vie actuelle qui me convenait parfaitement ?

Je relevais les yeux pour les poser sur elle, évitant tout de même son regard où trop de choses transparaissaient. Et je me rendis alors compte de mon égoïsme. J’étais son frère, tout allait en ce sens. J’étais ce frère qu’elle croyait mort et qu’elle retrouve après tant d’années de souffrances. Si j’avais oublié, elle pas, et je ne pouvais pas me complaire dans cette absence de souvenirs alors qu’elle les subissaient chaque jour. Si je ne voulais pas me souvenir pour ne pas souffrir, je lui devais pourtant au moins ça… Mais comment faire ? Comment oublier à nouveau toute la souffrance de cette journée pour enfin pouvoir me souvenir du reste de mon enfance, de nôtre enfance ? Je baissais à nouveau les yeux et portais une main tremblante à mon front en sueur. J’avais soudain froid pourtant… Je pris quelques inspirations mal assurées avant de lui répondre.

« Je… Tu étais là mais… J’aimerai vraiment me souvenir de toi… de nous. Je… Ca ne veut pas revenir… Tout ça c’est… c’est trop… »

Beaucoup trop. Je me sentais étouffer, comme si on m’écrasais la poitrine. J’avais vraiment froid à présent, et si je voulais me mettre en mouvement pour me réchauffer j’en étais incapable. Le moindre pas m’aurait fait chavirer…

« Je suis désolé… Je sais qui tu es mais… mais tout est si sombre… »

Je me sentais faible, beaucoup trop faible. Vulnérable même. Cette sensation m’oppressa soudain et je dus me mordre le poing pour éviter de hurler. J’étais à la fois vidé et plein de rage, de tristesse et de je ne sais encore quoi comme sentiments étrange et douloureux. Je n’en pouvais plus, il fallait que ça s’arrête…

« Je veux juste que ça s’arrête… »

Je venais de murmurer ces derniers mots, pour moi-même. Toute énergie m’abandonna et je regrettait de ne pas avoir un soutiens pour m’aider à tenir debout. Je me serais bien laisser tomber là… mais je ne pouvais pas, pas comme ça… Les bras ballant, le regard fatigué et emplis de larmes, je détournais les yeux pour fixer un mur à peu à la droite de la Vipère. Si elle était ma sœur, pourquoi n’arrivais-je pas à me souvenir vraiment d’elle… ?

La Vipère resta immobile, le regard droit. Elle tentait de soutenir la vision de ce frère qui semblait l'avoir oubliée. Mais c'était plus dur que ce qu'elle aurait imaginé. La jeune femme était tiraillée. D'un côté, elle voulait plus que tout consoler son petit frère qui semblait perdu et terrassé par tous ces sentiments paradoxaux. Mais surtout, elle voulait qu'il se souvienne d'elle. Il ne pouvait pas l'abandonner là, comme une stupide étrangère sans au moins faire l'effort de se rappeler. Elle l'écouta s'expliquer et la tension qu'elle éprouvait fit place à de l'inquiétude. Jérémya parut soudainement plus faible qu'avant. Sa voix tremblait davantage, il titubait et semblait chercher un appui pour rester debout. Son coeur fit un bond lorsqu'elle se rendit compte que son état se dégradait, et elle s'approcha encore un peu plus, tendant légèrement la main pour l'aider.

Est-ce que ça va? Tu veux t'asseoir?

N'importe qui aurait été ébahi à ces mots. La Tireuse n'avait pas la réputation de se soucier des autres, bien au contraire. Mais elle aurait tout fait pour ce frère retrouvé, même si pour ce dernier elle n'était rien de plus que l'ombre d'un souvenir. Elle s'avança et tenta de le soutenir, non sans redouter la réaction du jeune homme qu'elle savait aussi fier qu'elle. Mais qu'importe, il avait besoin d'elle. Alors, elle l'aiderait à se stabiliser même s'il l'insultait de tous les noms.

Les larmes perlèrent davantage lorsqu'elle se remémora les paroles de Jérémy. Oui, il la connaissait, mais tout était encore trop confus pour qu'il puisse se remémorer leur passé. Il le fallait pourtant. Elle voulait profiter de cette joie : celle de retrouver un être cher qu'elle croyait mort... C'était tellement frustrant.

Essaie de te rappeler... Ca t'aidera, j'en suis certaine!

Si les souvenirs ne venaient pas naturellement, peut-être pouvait-elle au moins essayer de l'aider. Lui parler de l'attaque n'aurait fait qu'aggraver son état et ce n'était pas le but. Il fallait plutôt qu'elle lui évoque leur vie d'avant, lorsqu'ils survivaient à deux. Ils étaient seuls contre tous, mais unis et libres. La Tireuse s'étonna d'éprouver presque de la nostalgie pour cette époque désormais révolue.

Nos parents sont morts et on survivait à deux. Je chassais avec des armes que tu me fabriquais. Surtout des arcs, tu te souviens? Je t'ai même appris à tirer... Et une fois tu t'es même blessé à la main... J'ai dû recoudre ton doigt et tu as pleuré toute la nuit tellement tu avais mal...Plus elle évoquait ces souvenirs et plus sa voix se noyait dans ses propres sanglots. Tu étais toujours joyeux. Quelqu'un de gentil et d'intelligent. Tu étais ma seule famille... S'il-te-plaît... Dis-moi que tu te souviens. J'ai vraiment besoin que la mémoire te revienne.

Qu'est-ce qu'elle devait avoir l'air cruche, à pleurer comme une faiblarde dans les bras d'un pigeon... Si Anna ou même les autres Vipères la voyaient, sa réputation en prendrait un sacré coup. Mais c'était bien la dernière des chose qui lui importaient, maintenant qu'elle avait retrouvé sa vraie famille.

Dalia s’approcha d’avantage en tendant une main et me proposa de m’assoir. Si ça allait ? Non ça n’allait pas, j’étais épuisé, et pas que physiquement…

La Vipère fini par me soutenir, et j’eu le reflexe d’essayer de l’éloignée par un mouvement vif du bras. C’était un pur reflexe, mais que je stoppais rapidement, lui agrippant le bras au passage. Je ne serrai pas fort, je n’en avais pas la force. Je voulus la regarder, mais je ne pu pas lever les yeux vers elle. Je fixais donc le sol, la tenants toujours. Elle repris la parole, me disant d’essayer de ma rappeler, que ça pourrait m’aider. Mais c’était tellement dur de se souvenir…

Dalia essaya de m’aider en me racontant notre vie d’avant : nos parents qui étaient morts, les armes que je fabriquais… Alors je savais faire des arcs ? Ma passion pour les armes à distance viendrait déjà de cette époque ? Je n’avais pourtant pas touché d’arc depuis mon arrivé chez les Aigles… seulement des armes à feu…

La blonde évoqua une blessure que je m’étais faite et qu’elle avait soigné. Je levais ma main devant mes yeux et l’examinais à la recherche d’une cicatrice dont je connaissais déjà l’existence, mais qui n’avait pas de sens pour moi jusque maintenant. La voix de Dalia tremblait maintenant, noyée dans les sanglots. Pour ma part, les larmes continuaient de couler toutes seules, sans que je ne contrôle plus rien. Des images me traversèrent l’esprit en un éclaire et je chancelais, m’agrippant plus fort à la Vipère pour éviter de tomber. J’avais gardé le silence jusque là. Reprenant un semblant d’équilibre, je réussi enfin à regarder ma sœur, mais il me fallut encore quelques instants avant de pouvoir reprendre la parole, levant légèrement ma main anciennement blessée.

« Je… Je sais maintenant d’où vient cette cicatrice… »

C’était idiot. Je n’arrivais pas à parler alors qu’elle faisait tout pour m’aider, et du coup je sortais quelque chose d’idiot. Je ne pouvais tout me rappeler d’un coup, c’était beaucoup dure, beaucoup trop fatiguant… et surtout beaucoup trop douloureux. Dans une sorte de sursaut, je fini par simplement prendre Dalia dans mes bras, la serrant du peu de force qu’il me restait. Cela me permettait d’éviter son regard, mais je tentais également de la réconforter d’une façon à travers ce geste. Je n’étais pas le seul à souffrir dans l’histoire, je devais en être conscient… Mais si je ne pouvais pas me souvenir, je pouvais au moins essayer de lui montrer que j’étais là malgré tout…

La tête enfuie dans le creux de son cou, je murmurais quelques mots étouffés en retenant difficilement un sanglot.

« Je crois qu’il va… falloir du temps… Je suis désolé… C’est tellement fatiguant… »

Lorsque le jeune homme se mit à parler, je ne compris hélas pas grand chose à ce qu'il disait. Je profitai donc de leur apparente concentration sur leur conversation pour me rapprocher discrètement. Dalia lui demandait alors de se forcer à recouvrer la mémoire afin qu'il sache qui il était vraiment. Mais qu'est-ce que c'était que ce charabia incompréhensible ? Ils avaient l'air de se connaître sans vraiment se connaître. Si je suivais bien, en fait, ils se connaissaient depuis longtemps mais lui ne se souvenait plus d'elle et elle le croyait mort. Je commençais à douter de ma théorie : était-il vraiment son amant ?

Dalia vint justement la balayer : elle évoqua leurs parents et leur survie à deux. Il était sa seule famille. Attendez, il était son frère ? J'étais surprise par cette révélation. La démone avait une famille ? C'était possible ? En tout cas, pas étonnant qu'il ne se souvenait pas d'elle ! Il avait sans doute tenté de l'oublier et je le comprenais parfaitement. Moi aussi je voulais l'oublier parfois...

Dans tous les cas, voir Dalia pleurer m'apportait autant de satisfaction que cela ne m'étonnait. Je n'aurais jamais cru ça d'elle. Se pourrait-il qu'elle ait un cœur finalement ? Jusqu'à laisser ce jeune homme enfouir sa tête dans son cou. Lui aussi pleurait. Mais je ne comprenais plus rien de ce qu'il disait. Il avait l'air bouleversé, en tout cas. Ça me faisait presque de la peine, il n'avait pas l'air méchant. Il ne ressemblait pas du tout à la Vipère !

Dalia ne fut pas étonnée de se heurter à un recul de son frère. Mais ce dernier manquait décidément de force. Jérémya eut à peine l'énergie de la repousser et s'agrippa à son bras. Elle le soutint tant bien que mal, n'osant approcher davantage. Voir son cadet perturbé de la sorte la désorientait. Elle ne savait comment réagir et avait peur que ses gestes ou ses paroles ne brisent à jamais leur chance de reformer la famille qu'ils étaient. Alors elle resta sur place, attendant la réaction de Jérémya avec anxiété.

Il leva sa main et l'observa, songeur. Il connaissait l'existence de cette cicatrice qui venait d'acquérir une signification nouvelle. Il en fut d'autant plus touché, et chancela. L'Aigle admit, la voix faible, que son explication l'aidait à se souvenir de l'origine de cette blessure. Dalia laissa un léger sourire illuminer son visage sillonné de pleurs. Ces paroles, faibles et presque inaudibles, lui redonnaient l'espoir qu'il retrouve ses souvenirs. Au moins il admettait qu'elle disait certainement la vérité. C'était une amélioration qu'elle aurait à peine espéré.

Elle sursauta lorsqu'il la prit dans ses bras. La blonde ne s'attendait pas à ça. Les réactions de son frère étaient vagues et imprévisibles. Mais elle laissa la joie prendre le pas sur la surprise et enlaça son frère. Le sentir contre elle lui rappela des tas de souvenirs et la fit passer par une palette d'émotions qu'elle n'éprouvait que rarement : joie, nostalgie, peine ... Elle accentua son étreinte dans l'espoir stupide que cet instant ne s'arrête jamais et laissa échapper un sanglot lorsque Jérémy s'excusa en murmurant.

Je m'en fous. Prends le temps qu'il te faudra. Elle attendit quelques secondes et ne put s'empêcher de contracter son visage sous l'assaut des larmes Je serai là. Tu pourras toujours compter sur moi.

Elle se dégagea de son étreinte sentant que la faiblesse de Jérémy se faisait de plus en plus présente. Elle observa ses traits tirés. Il était éreinté c'était évident. Elle n'imaginait tout de même pas que cette épreuve serait si éprouvante pour le jeune homme. Pourvu que les souvenirs lui reviennent rapidement...

Est-ce que ça va? Elle désigna ensuite du chef une vieille dalle qui se trouvait juste à côté d'eux.On peut s'asseoir si tu veux.

Dalia sursauta ensuite et dirigea son regard par-dessus son épaule. Quelque chose avait bougé un peu plus loin, derrière le mur qui se trouvait à proximité... Mais ce devait être un rat, ou un animal quelconque. Et puis elle avait d'autres choses à penser que de chasser les Libres qui vagabondaient dans les ruines. La blonde choisit donc de ne plus se soucier de cette potentielle menace pour se tourner à nouveau vers son frère et attendre sa réponse.

Dalia me prit dans ses bras en retour, me serrant contre elle. Ce geste me réchauffa un peu, ainsi que les paroles qu’elles prononça. Au moins n’étais-je pas seul face au assauts des souvenirs. Au bout d’un moment, elle se dégagea et me demanda si ça allait tout en me proposant de nous asseoir. Suivant son regard, j’acquiesçais à sa proposition et allait me laisser tomber sur la dalle. La position assise était déjà plus confortable, plus stable… Prenant plusieurs inspirations, je fini par lui répondre, la tête appuyée dans les mains.

« Ca fait des jours… que je dors et que je mange à peine. J’ai… J’ai l’impression que ma tête va exploser, à tel point que j’ai parfois envie de ma la taper au mur pour que ça s’arrête… »

Je ne remarquais même pas le sursaut de Dalia alors que quelques chose semblait avoir attiré son attention. En temps normale, j’aurai aussi du réagir, mais j’en était juste incapable en ce moment…

« Je dois donner un bien piètre spectacle… »

Une série d’images me traversèrent l’esprit, mais plus récentes cette fois. La chasse aux Libres où j’avais encore faillit y laisser ma vie, le combat contre Dalia aux frontières sud, et Annabella… Dalia m’avait accusé d’avoir tiré sur Annabella devant le Centre Hospitalier. Sans l’avoir démentit, je n’avais pas avoué non plus. Laissant échapper un long soupir, je tournais légèrement la tête vers la Vipère.

« Il est loin ton frère joyeux et souriant… J’ai l’impression de ne plus être grand-chose aujourd’hui… »

Le fait d’être assis me permettait de mieux contenir la douleur. J’avais pu arrêter mes larmes et je contrôlais un peu mieux mes sanglots, ce qui me permettait de parler plus facilement également. Me redressant, je fixais un regard fatigué sur Dalia.

« Tu avais raison de m’accuser d’avoir tiré sur Annabella, et elle n’est pas la première sur qui je tire… Je ne suis pas gentil, pas quand je suis armé… et pas quand il s’agit de mon clan… »

Je ne sais pas pourquoi je lui confiait ça soudainement. Peut-être parce que le fait de parler de ma vie actuelle me faisait du bien. Arrêter d’essayer de me souvenir pendant quelques instants pour lui avouer qui j’étais devenu. Même si je me souvenais, elle ne retrouverait pas son frère d’autrefois. Et ça elle devait le savoir…

Jérémya accepta de s'asseoir pour reprendre ses esprits. Son état était tel qu'il pouvait à peine tenir sur ses jambes. Il avait besoin de se poser pour avoir les idées plus claires et retrouver un peu de lucidité. Il était totalement perdu et cela se voyait. Dalia souffrait de voir son frère dans cet état, mais ne pouvait que tenter de le soutenir du mieux qu'elle le pouvait. Autant le dire sans détours : la tireuse n'était absolument pas habituée à ce genre de situation. D'ordinaire, elle se chargeait de démolir les gens, pas de les réconforter. Et pourtant certains gestes, certaines paroles venaient tout naturellement. On aurait dit que face à cet homme, tous ses vices s'envolaient pour laisser une petit place à la fille qu'elle était avant d'être admise chez les Vipères. Pourtant elle commençait à manquer d'idées, et son frère ne se portait toujours pas mieux, même s'il s'était quelque peu apaisé.

Elle passa un bras consolateur autour du cou de son cadet et pencha légèrement la tête sur son épaule. Même si elle ne parlait pas, elle pouvait au moins lui montrer qu'elle était là, à ses côtés pour l'écouter. Si seulement c'était suffisant.

Mais ce fut Jérémy qui brisa le silence. Il lui confia sa détresse et c'était bien pire que ce que la blonde imaginait. Entendre toutes ces choses la faisaient presque regretter d'avoir retrouvé Jérémya. S'ils ne s'étaient pas croisés le jour de la rébellion, il ne souffrirait pas autant aujourd'hui. Sa vie chez les Aigles n'aurait pas été chamboulée et il pourrait continuer à servir son clan comme il le faisait depuis plusieurs années maintenant.

Désolée de t'avoir causé autant de mal... Peut-être que sans notre rencontre, tu n'aurais pas tant de mal à vivre au quotidien.

La culpabilité rongeait Dalia. Elle qui, il y a encore quelques minutes, espérait que son frère recouvre la mémoire sur le champs se rendait compte que l'entreprise serait bien plus malaisée que prévu. Elle l'écouta à nouveau lorsqu'il prit la parole. Oui, il donnait un bien piètre spectacle, en effet. Il était faible, perdu, bousillé psychologiquement et parvenait à peine à s'exprimer clairement, mais pour Dalia il était la plus belle chose qui lui soit arrivée. Elle ne dit mot à sa remarque, mais resserra son étreinte, toujours pour lui témoigner son soutien.

Jéremy se redressa et parla d'une voix soudainement plus sereine et posée. Il semblait se remettre progressivement du choc. Il affirma avoir tiré sur Annabella. Dalia le savait au fond d'elle depuis la rébellion. Mais l'entendre de la bouche de son frère la blessa à nouveau et elle se redressa, lâchant Jéremy. Elle tenta de se raisonner : son frère faisait partie d'un autre clan. Il était normal qu'il défende son chef à tout prix, tout comme elle défendait Anna. Il ne faisait qu'accomplir son devoir. Mais Dalia ne put s'empêcher de tourner un regard dur vers lui.

Je sais que tu as changé. Je l'ai vu dès que nos routes se sont croisées ce jour-là. Déjà à l'hôpital tu étais hargneux et brutal à cause de l'état de Kim. Mais tu restes mon petit frère. Son regard s'était adouci à ces mots. Mais bien vite, elle reprit d'un ton plus dur, cette fois. Anna est la seule personne que j'aime dans ce clan. Je sais que beaucoup la détestent, mais elle nous est supérieure, à nous tous. J'étais effondrée quand j'ai compris qu'elle allait peut-être mourir... Et encore maintenant j'ai peur qu'elle ne revienne jamais. Sa voix tremblait légèrement. Mais je ne peut pas te rejeter. Pas pour ça. Elle se leva et se plaça devant son frère, qu'elle surplombait désormais de toute sa hauteur. À mes yeux, tu vaux bien plus qu'elle, même si tu as changé. Tu es la personne qui compte le plus pour moi. Cette fois, Dalia ne put retenir ses larmes. Tant pis si tu appartiens aux Aigles. Nous sommes liés. Et ce ne sont pas les clans qui nous sépareront.

Son discours l'étonnait elle-même. Depuis qu'elle avait atterri chez les Vipères, Dalia s'était raccrochée aux clans. Elle avait fait des Vipères sa bannière, son identité. Mais aujourd'hui tout avait changé. Elle se rendait compte que même si ce clan avait de l'importance pour elle, elle ne pouvait pas laisser son passé derrière elle. Pas totalement. Elle lui confia, ensuite

Tu sais, moi aussi j'ai beaucoup changé. Je ne suis plus la même. J'ai compris, après t'avoir perdu, que ce monde était dominé par les brutes. Les faibles n'ont aucune chance. Alors, je me suis dit qu'en devenant plus cruelle que quiconque, je trouverais ma place. Et puis, j'y ai pris goût.

Elle ne s'attendait pas à ce que Jéremy soit surpris par cette révélation. Il devait bien se douter qu'elle aussi avait évolué depuis tout ce temps. Mais il n'imaginait pas à quel point.

Dalia avait gardé le silence jusqu'à ce que je prenne la parole, se contentant de faire ressentir sa présence par des gestes de proximité qui ne me semblaient pas si inconnus. Le corps toujours tremblant, j'essayais de me détendre à son contact et cherchais dans les méandres du bordel qui me servait actuellement de cerveau quelque chose qui s'y apparentait. Mais tout semblait vain et j'essayais donc de me concentrer sur ma position plus que sur mes souvenirs. Je devais essayer de me calmer, de me reprendre et sans que je ne m'en rende vraiment compte, la présence de Dalia semblait m'y aider. Si ma tête me lançait toujours et mon coeur battait encore à cent à l'heure, mes idées semblaient s'éclaircir un peu ou du moins suffisamment pour que je puisse m'exprimer. M'exprimer et comprendre. Dalia s'excusait et cette réaction me crispa sans que je ne sache pourquoi. Est-ce que je faisais vraiment pitié au point qu'elle rejette la faute sur elle ? Mais cette question fut balayée par le fait qu'elle resserre son étreinte et cette sensation de réconfort que je connaissais, ou du moins qu'il me semblait connaitre, me traversa de nouveau. Je voulus lui dire qu'elle n'avait pas à s'excuser, qu'il fallait bien que ces souvenirs reviennent un jour ou l'autre, mais la souffrance que j'endurais depuis des jours m'en empêcha. Non, elle n'était pas coupable, elle n'y pouvait rien, mais inconsciemment, je rejetais la faute sur elle, ainsi que sur moi. L'excuser revenait en fait au même que de m'accuser moi-même et ça je n'étais actuellement pas en état de l'encaisser. Je gardais donc le silence sur ce point.

A ma révélation à propos d'Annabella, Dalia me lâcha et me fixa un instant. Un froid soudain m'envahit alors que nous n'étions plus en contact, mais je me forçais à me concentrer sur les paroles qu'elle prononçait. Alors j'avais vraiment changer à ce point ? Ce petit garçon gentil et souriant dont elle me parlait attisa soudain ma curiosité. Ce n'était tellement pas...plus moi. Enfin...peut-être était-ce moi non-armé. Mes réflexions furent coupées alors qu'elle fixait à nouveau un regard dur sur moi et reprenait la parole. Elle défendait Annabella comme je pouvais défendre Kim, mais malgré ça, elle ne semblait pas m'en vouloir pour ce que j'avais fait. Je retiens de répondre que pour ma défense, elle allait tuer mon Chef, me disant que ça ne servait à rien de remuer le couteau dans la plaie. Et puis de toute façon, elle ne me laissa pas le temps de parler. Elle se leva pour me faire face et ce qu'elle me dit me laissa pantois. Je n'arrivais pas à m'imaginer ce lien qu'elle avait tissé entre nous ou plutôt qui avait toujours été là, mais dont je ne me souvenais pas. J'avais du mal à comprendre. Si la situation avait été inversée, aurais-je pu agir comme elle le faisait ? J'essayais de retrouver cette sœur perdue au fond de ma mémoire aveugle afin de pouvoir lui rendre ce qu'elle me donnait, mais le simple fait d'essayer de forcer la brume me donnait le tournis. Je pris ma tête dans mes mains et entendis sa voix qui me parvint lointaine. Elle aussi avait changée, cela ne m'étonnait pas, mais ma mâchoire se serra de fureur alors que je me rendais compte que je ne pouvais pas comparer. Je ne connaissais actuellement que la nouvelle Dalia, la Vipère. L'ancienne, ma sœur, n'avait pas encore refait surface parmi mes souvenirs. Je gardais longtemps le silence et finis par me relever en chancelant afin de pouvoir lui faire face. Je ne savais pas quoi dire. Elle faisait tout pour me réconforter et pour m'assurer qu'elle serait là pour moi, et moi tout ce que j'avais à lui répondre c'était que je ne me souvenais de rien. De rien hormis de ce jour. Pourquoi juste ce jour ? Pourquoi ne pouvais-je pas me souvenir des bons moments ? Pourquoi ne pouvais-je pas me souvenir de cette sœur avec qui nous avions été apparemment si proches. Et surtout, comment allions-nous faire pour combler ce fossé qui s'était creusé entre nous ? Nos caractères, nos clans, nos idées, nos façons de penser,... Presque tout semblait désormais nous séparer. Du moins selon ses dires.

Tout en se confiant, la blonde observait les diverses réactions de son frère. Il restait interdit, les yeux perdus dans le vide ou la regardait de façon hagarde. Il était complètement perdu. L'espace d'un instant, l'étonnement illumina son visage. Le lien qu'ils entretenaient auparavant semblait le surprendre par sa force. L'aigle devait avoir tout oublié à ce sujet. Lui qui ne vivait que pour son clan et qui ne connaissait rien de son passé ne pouvait qu'être pantois devant cette révélation. Oui, Dalia l'aimait plus que les Vipères et elle voulait qu'il le sache, qu'il comprenne l'importance de leur relation. C'était primordial. Il devait savoir.

Jéremy resta silencieux. Dalia savait qu'il l'écoutait mais sans doute n'avait-il simplement rien à ajouter. Le jeune homme se contenta de se relever, toujours chancelant et lui fit face. La Vipère le regarda sans se départir de son air compatissant et l'enlaça. Elle non plus n'avait plus rien à dire. De simples gestes suffiraient, pour l'instant.

Le temps s'écoula sans que les deux membres ne s'en rendent compte. Dalia finit par se redresser. La Tireuse venait de réaliser que son absence commençait à se faire longue. On finirait par le remarquer au QG où elle avait certainement des entraînements à donner. La blonde, alors, s'éloigna à regret de son frère.

Je dois y aller. On va remarquer mon absence... Désolée.

Elle pensa alors qu'elle devrait l'inviter à se revoir prochainement. Elle ne voulait surtout pas le laisser seul face à cette épreuve et souhaitait le soutenir aussi souvent que possible.

Il faudra qu'on se revoie ici ou ailleurs si tu préfères... Je me débrouillerai pour te faire parvenir le message.

Puisqu'il s'était arrangé pour qu'ils se retrouvent en ce moment-même, elle pourrait bien faire ça pour la prochaine fois.

La Vipère m’enlaça de nouveau, sans rien ajouter. Je lui rendis son geste, enfouissant mon visage dans ses cheveux. Je remarquais alors que j’étais plus grand qu’elle, cela me fit bizarre sans que je ne ache dire pourquoi…

Après un temps indéterminé, Dalia fini par s’écarter, et je me surpris à resserrer brièvement ma pris sur elle avant de la laisser. Ce n’est que lorsqu’elle me lâcha que je me rendis compte a quel point cette proximité me faisait de bien. Mon cœur s’était calmé, et mes tremblements aussi…

La blonde s’excusa comme quoi elle devait y aller de peur que son absence ne se remarque. Une peur étrange me saisi, mais elle s’éteint comme elle était venue alors qu’elle ajouta qu’il fallait qu’on se revoit. J’affichais un faible sourire, soulagé. C’était étrange, je ne me souvenais de rien, et pourtant son contacte m’avais calmé, rassuré… aussi brève fut-il.

« Ici, ce sera parfait. »

C’était ici que j’avais le plus de souvenirs, mes seuls souvenirs actuellement en fait. Cela pourrait peut-être m’aider à se souvenir du reste, qui sait. Avant de la laisser partir, j’ajoutais :

« Au fait, j’ai cru comprendre que tu es tireuse d’élite, ça nous fait quelque chose  en commun. »

Je souriais toujours, voulant la rassurer inconsciemment. J’avais perdu la notion du temps mais la nuit devait être déjà bien avancée en fait. En tout cas, il faisait noir… Prenant une grande inspiration, je conclus dans un souffle.

« A bientôt alors… et merci… »

HJ:

Dalia remarqua la réticence de son cadet à la laisser partir, aussi bien physiquement qu'expressivement. Cela la rassura : apparemment, Jéremy commençait à se souvenir d'elle ou du moins de son contact. Il semblait apprécier ce moment et regrettait d'y mettre un terme, c'était déjà une progression. Elle se contenta de lui lancer un sourire qui se voulait rassurant mais qui trahissait également sa tristesse.

Jéremy lui proposa de se retrouver ici même. Apparemment, ce lieu lui convenait. Peut-être pensait-il que cet endroit lui ramènerait certains souvenirs éteints. Ça valait toujours la peine d'essayer en tout cas et la Vipère acquiesça. Elle se chargerait de lui transmettre une date ainsi qu'une heure de rendez-vous. Cela ne serait pas évident mais c'était loin d'être infaisable.

Juste avant que la blonde ne le quitte, il évoqua cette incroyable aptitude qu'ils partageaient : le tir. Dalia acquiesça une fois de plus et son sourire s'étira.

Oui. C'est quelque chose que nous avons toujours eu en commun. Je pense que le tir nous lie l'un à l'autre.

En prononçant ces quelques mots, elle se rappela leurs entraînements alors que Jéremya n'était encore qu'un enfant. Il était déjà tellement doué. Et elle avait pu voir lors de la rébellion qu'il n'avait rien perdu de son talent, loin de là. Peut-être la surpassait-il, désormais. Sans en dire davantage, elle décida de tourner les talons et continua à s'éloigner de son frère. C'était peut-être une séparation brutale et la Tireuse ne pouvait s'empêcher d'être encore inquiète quant à l'état de Jéremy mais elle ne voulait pas prendre davantage de risques et il fallait dire qu'elle était très mauvaise pour les adieux...

Oui à très vite. Et merci à toi.

Enfin, elle tourna la tête. Rompant le contact visuel. Le dernier qui la retenait à lui. Elle prit une grande respiration alors qu'elle s'éloignait. L'émotion lui bloquait toujours la gorge et elle retint tant bien que mal ces larmes qui ne demandaient qu'à sortir. Elle devait redevenir celle qu'elle était... Ne plus pleurer et avancer, jusqu'à leur prochaine rencontre.

Spoiler:

Ils finirent par s'asseoir et continuèrent de discuter. Le jeune homme – Jérémya si j'avais bien compris – avoua avoir tiré sur Annabella. J'avais presque envie de l'en féliciter : il avait accompli un acte nécessaire ! Dommage qu'il ait raté son coup, par contre. Dalia, quant à elle, affirma aimer Annabella. Je n'avais qu'une seule chose en tête en entendant ces paroles : beurk. Mais ça ne m'étonnait même pas, en fait. Pour ma part, je préférais qu'elle reste là où elle était et qu'elle ne revienne jamais. Nora était bien plus compétente qu'elle !

J'appris bientôt qu'il appartenait aux Aigles. Il était peut-être leur Tireur d'élite, comme Dalia l'était pour les Vipères. Après tout, ils étaient frère et sœur. Il l'avoua bientôt : j'avais raison ! En tout cas, c'était bien compromettant pour Dalia ! J'étais presque impatiente de notre prochaine rencontre. Mais je ne devais pas m'emporter ! Angie, tu dois réfléchir. Ça serait peut-être mieux de garder ça pour plus tard... Enfin, j'avais encore un peu de temps pour penser à ce que j'allais faire de cette information.

Dalia devait s'en aller avant qu'on ne remarque son absence. Trop tard, j'avais envie de dire. Tu n'avais qu'à venir à notre entrainement ! Tu croyais quoi ? J'étais presque sur le point de lui tirer la langue, mais ça aurait fait trop enfantin alors je me retins. En plus, elle ne le méritait pas.

Elle lui dit alors qu'il faudrait qu'ils se revoient. Elle lui ferait parvenir un message. Intéressant tout ça, je pourrais même la dénoncer. Mais non, je n'en avais pas l'intention pour l'instant. D'ailleurs, quelle était mon intention pour l'instant ? La Vipère s'éloignait du jeune homme, qui resta encore quelques secondes à la regarder s'éloigner. Ma petite tête fulminait sous la réflexion. Est-ce que je pourrais me servir de la situation ? Oui, en faisant chanter Dalia. Mais en même temps, elle n'était pas si bon professeur que ça, et un autre Tireur d'élite, fusse-t-il d'un clan adverse, pourrait peut-être m'en apprendre un peu plus. Enfin, en espérant qu'il ne soit pas comme sa sœur. Si c'était le cas, il ne me servirait à rien. Mais j'avais envie d'apprendre. Et entrer en contact avec le frère de la harpie pourrait m'être utile par la suite. Bon, qu'est-ce que j'allais faire ? Il s'éloignait...

Me levant d'un coup (après avoir vérifié qu'il n'y avait plus personne dans les parages), je marchai rapidement pour le rejoindre, le contournant par les ruines. Après avoir repris mon souffle, je me mis à marcher dans la direction de notre territoire, regardant le ciel noir où les étoiles étaient bien visibles. J'essayais d'avoir l'air le plus naturel possible, la tête perdue dans les étoiles. Jusqu'à la collision. Il était un peu à côté de ses pompes aussi, ce qui avait servi mes intérêts. Même si je n'avais pas prévu de foncer carrément sur lui, juste de le frôler. Mais bon, ce sont les risques du métier. Les quatre fers en l'air, je lui jetai un regard qui se voulait noir, histoire d'avoir l'air un peu fâchée par la situation.

- Regarde un peu où...

Puis, d'un air innocent, je fis mine de le reconnaître.

- Eh mais tu es Je... euh... Jérôme ? Jérémy ? Enfin, tu es le Tireur d'élite des Aigles, non ?

Je me redressai en époussetant la poussière qui s'était déposée sur mes vêtements lors de ma chute et me massai l'épaule qu'il avait touchée et qui avait surtout le plus morflé avec Dalia ces derniers jours. Mon regard était posé sur lui, attendant sa réponse.

- Ça va ? T'as pas l'air dans ton assiette...

A ma réplique, la Vipère sourit de plus belle. Elle précisa que le tir nous avait toujours lié, ce qui m’arracha un léger sourire également. Dalia fini par se détourner et s’éloigna. Le froid m’envahit de nouveau et un frisson me parcourus. Un dernier mot, et puis elle part pour de bon. Pour ma part, je restais quelques instant immobile, les bras ballant, la tête soudain vide. Oui, je me sentais vide, et en même temps rassuré. Je savais que je n’en avais pas fini avec les cauchemars et les douleurs, mais en cette instant j’avais enfin une sorte de répit…

Après un temps indéterminé, quelques minutes tout au plus, je me mis en marche à mon tour, mécaniquement. Mais alors que j’étais perdu dans le vide, quelqu’un me rentra dedans. Le choc éjecta la fille et me secoua pas mal, mais bizarrement je réussi à tenir debout malgré le déséquilibre. A terre, la fille me fusilla du regard sans que je ne m’en rende compte et prit la parole sans que je n’arrive vraiment à saisir ses mots. Tiens, elle me connaissait ? Etrange, à première vue elle ne me disait rien. Elle se releva en se massant l’épaule et me demanda si ça allait. Est-ce que ça allait ? C’était une très bonne question… A laquelle je devais lui répondre… non ? Le regard dans le vide, j’ouvris la bouche pour parler avant de la refermer. Puis je tournais soudainement le regard vers elle, comme si je venais de me rendre compte de sa présence… ce qui était à peu prêt le cas en fait.

« Je suis… je… Le tireur des Aigles oui… »

Elle venait de me poser une colle en me demandant qui j’étais, une colle qui tombait très mal. Par automatisme, j’avais donc répondu par une certitude : je suis le tireur d’élite des Aigles de l’Est. Si j’avais été en état de raisonner, je me serais demander qui elle pouvait bien être et ce qu’elle faisait en ces lieux perdus en pleine nuit. Mais je n’étais pas en état de raisonner. Je n’étais même pas en état de m’excuser pour la bousculade ou de lui demander si ça allait. A si, ça je savais apparemment encore le faire… Et puis c’était une façon d’éluder sa question…

« Ca va… Ton épaule ? »

Pitoyable. Ah il était loin le tireur émérite. Une chose était certaine, c’est que si je n’étais capable de rien en ce moment, je n’étais pas non plus capable de narcissisme. Je pouvais prendre ça comme une bonne chose, non ?

Il était vraiment dans un état bizarre. Il me voyait à peine alors qu'on venait de se rentrer dedans. Il était ailleurs. Peut-être encore avec Dalia, qui sait. Le Tireur me répondit enfin et confirma mes paroles. Il me demanda également si mon épaule et moi allions bien. Je hochai la tête mais continuai à la masser encore un peu.

- Ça va, j'ai connu pire. Ou pas. Enfin un peu. Je suis impressionnée de tomber sur le Tireur d'élite des Aigles ! continuai-je avec excitation. J'ai entendu dire que tu étais vraiment doué avec une arme à feu !

Et ce n'était pas un mensonge, j'avais vraiment entendu parler de lui. Beaucoup disaient qu'il devenait incontrôlable lorsqu'il tenait un revolver ou autre entre ses mains. Il faisait un massacre, au sens propre comme au figuré. Et ça pourrait très bien servir mes intérêts s'il acceptait ne serait-ce que de me montrer ses talents...

- J'aimerais beaucoup voir ça de mes propres yeux !

Bon, c'était un peu lancé comme si je n'y croyais pas vraiment, ce qui était un peu le cas. Dalia était douée mais il était plus jeune qu'elle, peut-être avait-il moins d'expérience. Ou peut-être était-il un petit prodige comme j'espérais bien l'être moi aussi.

La fille affirma que ça allait, qu’elle avait connu pire. Elle continua en disant qu’elle était impressionnée de tomber sur le Tireur des Aigles et ma complimenta avec des « on dit ». Je restais un instant bouché bé, ne sachant quoi répondre. J’avais juste besoin de rester seul, et cette fille sortant de nulle part en pleine nuit venait me demander une démonstration de mes sois disant talents. Tirer dans mon état… Ce n’était pas pour rien que j’avais fuit les armes jusqu’à maintenant, j’aurai été capable de me tirer une balle dans la tête…

Bredouillant, essayant de redescendre sur terre alors que je ne demandais qu’à rester dans la néant, je dû m’y reprendre à deux fois pour réussir à parler.

« Je… Ce n’est pas vraiment le moment. Je ne sais pas… Je ne sais pas ce que tu as entendu sur moi mais… Il ne vaut mieux pas que je tire pour le moment… Et puis de toute façon je n’ai pas d’arme. »

Cette fille me déstabilisait. Enfin déstabilisé je l’étais déjà depuis un moment, mais elle venait me secouer sans que je ne sache pourquoi. La question que j’aurai du poser dès le départ franchit alors enfin mes lèvres, dans un soupir, et pas de la façon la plus diplomate qui soit… mais je m’en fichais..

« Tu es qui toi ? »

Bégayant, il me dit que ce n'était pas le moment pour une démonstration. Il ne savait pas ce que j'avais entendu sur lui mais il ne valait apparemment mieux pas qu'il tire pour l'instant. Il avait en effet l'air d'être dans un sale état, pire que ce que je pensais en l'observait de loin. Mais ce qui empêchait le plus la démonstration était le fait qu'il n'avait pas d'arme sur lui. Il avait pris le risque de se balader sans arme ? Même moi j'avais eu la bonne idée de prendre une petite dague, au cas où. Et puis, j'étais censée m'entrainer, il fallait bien que je prenne une arme pour ce faire.

- Vraiment ? C'est dommage !

J'étais déçue, beaucoup. Mais je n'allais pas le lâcher pour autant. Et heureusement, il me demanda qui j'étais. C'était l'occasion.

- Je m'appelle Angelica ! Enchantée de te rencontrer.

Je ne lui révélai pas mon clan tout de suite. J'hésitais encore à lui dire que je venais des Vipères. Il ferait peut-être le lien avec Dalia, ce qui ne m'arrangerait pas. Mais d'un autre côté, je pouvais très bien me balader dans le coin et revenir du centre neutre.

La fille sembla déçue de ne pas pouvoir assister à une démonstration de ma part. Elle finit par se présenter sous le nom d’Angelica et ajouta qu’elle était enchantée de me connaitre. Je hochais la tête, essayant de réfléchir un minimum. Elle me connaissait, de réputation du moins, mais moi je ne savais rien d’elle. Agençant mes idées, j’essayais de retrouver les questions d’usage en cas de rencontre avec une personne d’un autre clan, ou du moins il me semblait qu’elle n’était pas une Soumise des Aigles. Portant une main à mon front en soupirant, je laissais échapper une nouvelle question.

« Quel clan ? »

Cette fille me donnait à nouveau mal au crâne… Sans le vouloir surement, mais tout de même. Qu’elle idée de se balader ici en pleine nuit déjà ?

Il soupira en posant une main sur son front. Il n'allait vraiment pas bien, et j'en aurais presque culpabiliser de l'ennuyer si tard dans la journée. Mais j'avais un objectif et je voulais au moins avancer un peu. Dalia ne m’entraînait pas assez, elle oubliait nos entraînements et me laissait en plan. Comment allais-je apprendre à tirer correctement sans elle ?

Il me demanda dans quel clan j'étais. Question délicate. Un instant, j'avais espéré qu'il ne la pose pas. Mais je ne devais pas me faire d'illusions non plus. Et je n'étais pas trop douée pour mentir alors je ne le fis pas. Enfin, pas entièrement.

- Vipères de l'Ouest. J'ai passé mon test il y a peu et on m'envoie parfois faire des missions le soir. C'est flippant, on ne sait jamais sur qui on peut tomber !

Je n'étais pas en mission, mais c'était vrai que parfois c'était plutôt flippant de sortir le soir, surtout depuis la rébellion ratée chez les Jaguars.

- Je veux devenir Tireuse d'élite, comme ma mère !

Angelica me répondit qu’elle venait des Vipères. Je grimaçais en détournant le regard, ne faisant pas vraiment attention à la suite de ses paroles. Une Vipère, évidemment. J’aurais dus tiquer sur la coïncidence, mais j’étais loin de pouvoir me concentrer sur ce genre de détails. Pourtant, je redressais la tête lorsqu’elle annonça vouloir devenir Tireuse d’élite. Je le fixais un instant avec suspicion puis détournais à nouveau les yeux en soupirant.

« Ecoute… Je n’ai pas vraiment envie de tailler une bavette la tout de suite. Il est tard, et en plus t’es en mission donc… On va en rester là, ok ? »

Je m’étonnais moi-même d’avoir pu aligner autant de mots sans ciller. J’avais besoin d’être seul, j’étais épuiser et je ne me sentais pas vraiment très bien, et si l’énergie de cette fille aurait pu être bénéfique, elle me fatiguait encore plus… Surtout que je n’arrivais pas à me concentrer sur elle, ce qui était d’autant plus éreintant…

Jéremy sembla devenir suspicieux. Il me rétorqua qu'il n'avait pas envie de parler. Il était tard et j'étais en mission. Oui, mon mensonge me retombait dessus. Je finis par hocher la tête, je devais rester dans la même ligne de conduite.

- Tu as raison, si je suis trop en retard on va se poser des questions. On risque de s'inquiéter pour moi si je ne rentre pas à l'heure.

J'étais déçue et je cherchais un moyen pour prolonger malgré tout la conversation. J'étais tout de même face au Tireur d'élite des Aigles.

- Mais c'est pas tous les jours qu'une jeune Membre a la chance de tomber sur le Tireur d'élite d'un autre clan !

Un instant, je voulus lui parler de Dalia, mais je préférai ne pas le faire. Il ne valait mieux pas remuer le couteau dans la plaie au risque de me faire tuer sur place. J'étais ambitieuse, mais tout de même pas suicidaire.

- Enfin je comprends, il est tard, on est fatigués, j'ai ma mission, tu dois rentrer chez toi. énumérai-je, montrant ma déception. Tu crois qu'on va se revoir ? lui demandai-je à nouveau avec entrain.