Nightmare, every night the same nightmare { FB - Abel

Je m'étais réveillée en sursaut ce matin-là. J'avais fait un cauchemar, un cauchemar de plus, un cauchemar avec toujours la même chose : lui fier, moi souillée. Mes mains étaient moites, des gouttes perlaient mon visage et je me retenais de crier. Malgré les années passées, je rêvais toujours de la même chose. Joshua avait beau être mort, je gardais dans mon esprit son être, son visage, ses rires, son cynisme. Il était cruel, il était violent. Il était surtout machiste et il avait aimé s'amuser avec mon corps comme si j'avais été pendant toutes ces années sa poupée, son jouet, jouet qu'il avait cassé bien trop tôt, alors que je n'étais encore qu'une enfant, même pas encore pubère. Rien de très glorieux mais pour lui, c'était tout simplement plaisant. Eux aussi, ses petits soldats, s'étaient amusés de la situation. Son visage me hantait, leurs rires me glaçaient encore le sang quand je tentais de dormir. J'avais encore parfois du mal quand un garçon me touchait. Oui, ils avaient littéralement détruit ma vie.

Abel était encore parmi les Jaguars, ainsi que d'autres complices et j'évitais toujours un maximum de les croiser dans le territoire. Aujourd'hui, c'était le jour où je devais les éviter à tout prix. Quand je me réveillais de cette manière, j'étais davantage victime aux sautes d'humeur et je n'avais aucunement envie de craquer devant des personnes qui ne connaissaient pas cette histoire. Je ne voulais pas craquer devant eux non plus, en fait. Alors, je faisais attention aux chemins que je prenais, aux rues et ruelles que je suivais. Le moindre bruit trop fort, le moindre son qui ressemblait à un rire hautain et je sursautais. J'avais dix-sept ans. Quatre années avaient passé depuis la mort de Joshua. Pourtant, rien ne semblait avoir changé. J'étais passée près du QG sans y entrer et sans trop m'approcher de la porte de celui-ci. En y repensant, j'avais l'âge pour passer le test. Pourquoi est-ce que je reportais chaque fois la date de celui-ci, alors ? J'en avais réellement envie. À cause de eux...

« Un jour... peut-être ? De toute manière, je ne voudrais pas avoir l'air d'une lâche en abandonnant en plein test à cause de ça... » dis-je pour moi-même. Malheureusement, il m'avait entendu. Cette silhouette, je la connaissais. Allait-il me reconnaître ? On change quand même pas mal en quatre ans. Néanmoins, je n'avais pas totalement changé. J'avais toujours les même mimiques. Mon cœur battait déjà rapidement. Pourvu qu'il ne me voit pas. Pourvu qu'il ne m'ait pas complètement entendue.

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Une journée de plus. Depuis la mort de Joshua, Abel comptait les jours, le cœur mort, en espérant que quelque chose se passe et vienne le sortir de cette apathie. Quatre ans. Quatre putains d'années sans que rien ne vienne jamais égayer son quotidien. Quatre ans aussi que cette garce était aux commandes du clan et faisait payer aux fidèles de l'ancien régime des actes qu'elle considérait comme des crimes. Crimes qui n'en étaient pourtant pas il y a quatre ans de cela, c'était à n'y rien comprendre. Si encore il avait pu jouir de son statut de Membre pour le temps qu'il lui restait jusqu'à la retraite... Mais non, cette putain avait profité d'une blessure qu'un ennemi lui avait infligé pour le jeter comme un déchet. Ancien Membre avant l'âge, une honte suprême aux yeux d'un homme dont la fierté avait été trop souvent blessée. Il était pourtant toujours capable de se battre, il lui aurait d'ailleurs bien prouver en lui infligeant une cuisante défaite, mais elle ne voulait rien entendre. Et, naturellement, elle n'avait pas jugé bon de lui offrir une place de Formateur. Sûrement craignait-elle qu'il insuffle la vérité dans les esprits vierges de toute perversion des nouvelles recrues.

Et s'il n'y avait que ça... Chaque jour, il devait aussi voir des gens que Joshua avait sorti de la misère minauder devant la blonde. Ils étaient nombreux à lui avoir tourner le dos lorsque le vent avait changé. Il aurait eu besoin de bien des mains pour pouvoir les compter. Lui n'aurait jamais pu faire preuve de tant de lâcheté. Il aurait suivi son Chef jusque dans la mort s'il l'avait pu. Mais on ne lui avait même pas laissé cette chance. Impuissant, il l'avait regardé mourir, le poison broyant son cœur. Quatre ans plus tard, il était donc toujours là. Là, mais peut-être aussi un peu absent parfois. Il avait véritablement perdu une partie de lui-même lorsque le corps de Josh était parti en fumée.

Ce jour là, Abel était en miettes. Il avait passé une partie de la nuit à boire et le réveil avait été difficile. Il serait bien resté enfermé pour quelques jours, cherchant la paix dans l'isolement, mais ses réserves d'eau étaient à sec. Il avait donc été obligé de sortir et se trainait piteusement dans les rues pour rejoindre le point de rationnement. Ses rations à lui ne valaient d'ailleurs pas mieux que celles d'un Soumis, vestiges d'une punition qu'il avait reçu pour avoir trop ouvert sa gueule. Et dire que c'était Joshua qu'on avait traité de dictateur... Comme sortant de l'ombre, un fantôme du passé s'imprima soudainement sur sa rétine. Il connaissait ce visage. Les images défilèrent dans son esprit avec vivacité et un sourire narquois releva un coin de ses lèvres.

- Toi ? Membre ? Laisse-moi rire. Femme soumise se doit de rester Soumise. Du temps de Joshua, tu aurais eu tes chances, mais je doute fortement que cette putain soit intéressée par ce que tu as offrir. Il ne faut pas lui en vouloir, elle n'a aucun goût.

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Malheureusement, il m'avait bel et bien entendue. Malheureusement, il m'avait vue et il me fixait de ce même regard qui m'avait fait trembler plus d'une fois alors que je n'étais encore qu'une enfant. Certes, il avait déjà moins d'allure qu'à l'époque et il devait être bien moins fier et fort aussi, mais d'une certaine manière, il gardait cette emprise sur moi. Rien que le fait de le voir, de le savoir aussi près de moi me donnait froid dans le dos et m'obligeait à me remémorer des instants et des scènes qui m'avaient forcé des larmes et quelques fois des cris mais qui étaient toujours tombés dans les oreilles de sourds. Depuis le début ils s'étaient moqué de moi et celui-ci semblait prompt à continuer, même après sa déchéance, à cet instant-même où nos regards se croisèrent. Moi, j'avais, malgré nos nouvelles positions, baissé une nouvelle fois le regard. Cette soumission était trop forte. Son aura me forçait même maintenant encore à me sentir en état de faiblesse. Pourtant, j'aurais eu raison de le frapper. Noâ, sans savoir pour tout ça, n'aurait sûrement rien dit si je lui avais asséné l'un ou l'autre coup. Non seulement ce n'était pas dans ma nature mais en plus, je n'en avais toujours pas la force. Ce courage que j'avais eu à neuf ans, pour eux et surtout lui, ce n'était qu'une preuve de folie, ce n'était que l'action d'un stupide agneau se jetant dans la gueule du loup affamé et du reste de sa meute.

« Abel... » je parvins malgré tout à prononcer son nom, ce qui était déjà un réel exploit. D'ailleurs, ce nom m'écorcha la gorge ou presque. Tout me brûlait, mon corps entier me brûlait. Comme si les blessures du passé me rappelaient ce que j'avais subi pendant tout ce temps. Ces cauchemars que je faisais, forcée de dormir avec lui, alors que je craignais un coup supplémentaire ou l'une de ces inébranlables envies de s'occuper de mon cas. Lui, c'était un peu son bras droit, alors, forcément, je les avais vus aussi souvent l'un que l'autre. Joshua et Abel avait fait une belle paire de salauds. Au fond, tout justifiait que je lui en colle une mais même mon poing tremblait alors que je cherchais à le serrer le long du corps.

« Ne... Ne répète jamais plus ça. Les Membres du temps de Joshua n'avaient aucun mérite. Elle choisit parmi ceux qui sont solidaires et courageux... elle... elle ne choisit sûrement pas des... » lâches. Ce mot ne parvint pas à sortir, malheureusement. Je devais m'y attendre. J'avais beau le haïr, il m'avait détruite comme l'avait fait Joshua. C'était sans doute les deux plus grands spécialistes.

Abel se délectait de la peur qui semblait suinter de chaque pore de la peau d'Alice. Il se délectait du tremblement de ses bras. Et plus encore, il se délectait du délicieux frémissement qu'il avait perçu dans sa voix lorsqu'elle avait prononcé son nom. Malgré les années, malgré tout ce qu'il s'était passé, malgré la mort de Joshua même, elle était une constante dans son monde. Cette gamine n'avait rien oublié et le simple fait de la voir faisait renaître en lui des émotions qu'il n'avait plus connu depuis trop longtemps. Peut-être était-elle un cadeau que lui faisait la vie pour qu'il continue à tenir, pour qu'il ne se laisse pas mourir comme un chien alors qu'il avait été un loup dont la position frisait le sommet de la hiérarchie.

Son petit sourire s'agrandit alors que la jeune fille se lançait dans une vaine attaque. Le poison de sa voix n'agressa même pas sa peau et il se sentit d'autant plus fort alors qu'elle s'auto-détruisait. C'était trop facile. Ses paroles ne lui plurent pourtant pas, il avait toujours détesté faire face à des pro-Noâ et cette gamine semblait en être une. Il faudrait qu'il change ça, qu'il la fasse plier pour qu'elle revienne du côté des justes.

- Solidaires et courageux ? Tu es bien naïve ma pauvre ! Les Membres de Noâ ne valent rien à côté des fiers soldats recrutés par Joshua. Il avait l'art de trouver les guerriers et c'est peut-être ça qui a fait sa perte ! A choisir de trop bons guerriers, il a fait rentré des dominants dans le clan qui ont eu vite fait de chercher à le détrôner en profitant de sa faiblesse. Il s'épuisait à la tâche et malgré tout, on continue à le voir comme un mauvais Chef. Tout le monde est dupé par l'illusion qu'elle a crée, ça me dégoûte !

Sa voix était comme le tonnerre et Abel se surprit d'avoir encore cette force. Oui, la présence de cette fille l'aidait vraiment redevenir celui qu'il était avant. Satisfait de retrouver un peu de sa superbe, il déposa son chargement d'eau au sol et s'approcha d'Alice d'un démarche lente et mesuré. Comme un vulgaire vautour, il fit un cercle autour d'elle pour l'admirer. C'était bien mieux qu'avant, il émit d'ailleurs un sifflement satisfait avant de s'arrêter derrière elle. Sa main écarta doucement ses cheveux et il laissa ses doigts glisser sur sa gorge.

- Tu as bien grandi, mais je suis sûr qu'il aurait continué à t'adorer...

Il s'était penché pour glisser ces quelques mots à son oreille et en profita pour embrasser sa joue avant de s'écarter un peu pour apprécier les effets de ce rapprochement soudain.

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Il s'amusait toujours plus, je le voyais bien, je le lisais bien dans ses yeux de fauve toujours, oh oui toujours assoiffé. Abel n'avait apparemment pas changé d'un poil, ou plutôt, il semblait s'être réveillé d'un mauvais rêve depuis qu'il m'avait trouvée, malencontreusement, sur son chemin. Pour tout l'or du monde, je n'aurais jamais voulu le croiser. Il n'y avait qu'à voir mon état ; j'étais sur la défensive. Lui, il était de nouveau fier, tout sourire, un sourire que j'exécrais, un sourire que j'avais cherché à fuir mais qui refaisait toujours surface dans mes rêves. Je n'arrivais décidément pas à m'en débarrasser. Je n'arriverai peut-être même jamais. En tout cas, c'est ce que je me suis dit à cet instant précis quand je le voyais reprendre du poil de la bête. Le voir réagir de la sorte à mon comportement encore, malheureusement pour moi, de soumission me rendait nerveuse. J'aurais pu être agressive, j'aurais pu devenir le loup sanglant qu'il avait toujours été, mais en vain. Je n'avais pas cette force ou alors elle était tout simplement trop enfuie en moi. Je le haïssais... Je le hais...

Les mots qu'il utilisait n'arrangeaient évidemment rien. Cela se voyait, il était convaincu de ce qu'il disait. Cherchait-il réellement à me persuader qu'il avait raison ? Croyait-il possible de me faire croire que Joshua n'avait jamais été mauvais ? C'est bien ce que j'avais craint. C'était toujours ce Abel bien trop fidèle à cet ancien Chef. C'était un lâche accroché à un autre lâche. Comment les considérer autrement quand on savait ce qu'ils faisaient de leur temps ? Comment les voir autrement quand ils se jouaient des plus faibles, comme moi, à l'époque ? Je n'arrivais pourtant toujours pas à froncer les sourcils. Certes, je bouillonnais de l'intérieur, mais rien ne semblait pouvoir sortir de ma bouche ou de mon regard, si ce n'est de la peur, éternellement de la peur et du dégoût. La peur qu'il se remette à rire d'un rire cruel, qu'il ait cet éternel sourire carnassier. Un vrai monstre. Le diable en personne.

« Il s'épuisait à la tâche, tu dis ? La seule chose qui pouvait l'épuiser, c'était peut-être le fait de boire à longueur de temps et celui de se marrer en vous voyant... tuer... torturer tous ces gens qui n'avaient pourtant rien demandé. » je n'avais même pas eu la force de parler des horreurs qu'il me faisait subir au quotidien, Abel le savait mieux que quiconque, de toute façon.

J'aurais dû m'échapper. J'aurais dû le laisser dans sa misère et m'éviter de nouveaux mots ou gestes trop durs mais je n'en avais plus la force. Mes jambes semblaient avoir perdu toute l'énergie pour bouger, pour faire au moins un pas ou deux en arrière alors qu'il s'approchait comme cet éternel prédateur qu'il était en direction de la proie si facile et fragile que j'étais. Il se mit à me tourner tout autour, m'encerclant et créant une nouvelle bulle que je ne pouvais quitter. Cette scène de terreur recommençait. Crispée, je cherchais à tenir le coup mais il eut vite de me perturber et me faire perdre davantage tous mes moyens. L'entendre siffler de la sorte et le sentir glisser ses doigts sur ma gorge me pétrifia littéralement sur place. Mais le pire fut sûrement sa remarque. Elle finit de m'achever.

« Ne... Ne dis... » je n'eus pas l'occasion de dire quoi que ce soit. Je n'arrivais pas à sortir des mots. Je me revoyais petite, face à ce monstre de Joshua qui me souriait tout naturellement, alors qu'il s'apprêtait à me faire subir une nouvelle séance de torture. Alors, quand Abel m'embrassa la joue, je ne pus retenir une larme, me frottant la joue avec dégoût.

Cette petite n'était que naïveté aux yeux d'Abel. Une petite idiote se laissant duper par les mots des grands gradés qu'elle soutenait de façon servile comme tous les autres. Lui n'avait jamais été servile, il avait été fidèle à Joshua car il croyait en lui et en sa politique. Peut-être aussi parce qu'il l'aimait même s'il n'avait jamais voulu l'admettre devant personne. L'amour qu'il éprouvait pour lui était son plus précieux secret, c'était son petit trésor à lui. Alors voir qu'elle était incapable de faire preuve de fidélité envers Joshua après tout ce qu'il avait fait pour elle le dégoûtait. Et il ne supportait pas de l'entendre parler de lui de façon aussi peu respectueuse. Joshua était un ancien Chef, l'un des quatre qui avaient régné sur les Jaguars, et elle osait le traiter d'ivrogne et de tortionnaire ?! La colère se glissa vicieusement dans les veines d'Abel, mais il tenta de rester calme. Elle ne méritait pas sa colère. De plus, il savait très bien que ce n'était pas le lieu pour la laisser éclater.

Seulement, il y eut ce dégoût dans ses traits lorsqu'il posa un baiser sur sa joue. Elle exhalait des sentiments bien trop forts pour qu'il ne puisse pas les remarquer et se sentit soudain fort offensé qu'elle se montre aussi hautaine en sa présence. Se croyait-elle donc si importante pour effacer d'un geste la marque de son affection ?! Et soudain, sa vue lui devient insupportable et il la poussa avec brutalité. Une pression forte dans le dos qui n'avait pour but que de la déstabiliser pour qu'elle tombe. Il voulait la voir au sol, il voulait la voir ramper même ! Elle ne méritait que de raser la terre, elle n'était pas digne de se tenir debout à ses yeux.

- Ne te manque-t-il même pas un peu ?! Après tout ce qu'il a fait pour toi. C'est grâce à lui que tu as pu vivre mieux qu'une simple Soumise, s'il était encore en vie, il aurait fait de toi une reine parmi les souillons. Alors ne me fait pas croire que tu seras Membre, jamais tu n'en auras l'étoffe et les capacités. Tu es faible, tu n'es qu'une gamine assistée qui à l'audace de se croire forte. Il est temps de cesser les caprices, tu es condamnée à rester au bas de l'échelle comme la bonne poupée que tu es devenue. Vendre tes fesses, c'est sûrement la seule chose qui t'offrira le confort.

Et malgré le fait qu'elle ne l'avait jamais vraiment attirer, ses préférences étant ailleurs, il sentit soudainement une bouffée d’excitation l'envahir.

Comment pouvait-il me poser une question pareille ? À l’entendre, on réalisait qu’il n’avait aucune once de compassion, d’humanité… Pire, à l’entendre, on comprenait qu’il n’avait vécu que pour Joshua, pour le servir bêtement. Je ne comprenais évidemment pas qu’on puisse idolâtrer ou même apprécier cet ancien Chef et encore moins qu’on ait pu l’aider lors de son règne. Pourtant, face à moi, se tenait le pire de ses sbires : son éternel bras droit, que ce soit par le corps ou par l’esprit. Alors, forcément, l’entendre me demander si mon persécuteur ne me manquait pas même un minimum ne pouvait que me hérisser les poils et me donner envie de vomir. Abel avait cette chance : j’étais bien incapable de donner des coups en présence des alliés de celui qui m’avait entièrement brisée, corps et âme. Pourtant, qui sait, j’aurais pu le maîtriser vu qu’il n’était pratiquement plus qu’un corps physique qui se trimballe sans la moindre énergie. Sans la moindre ? Peut-être aurais-je dû me taire à ce sujet puisqu’il venait de m’envoyer à même le sol sans ménagement, bien entendu. Ils n’avaient pas pour habitude de se montre tendres, doux ou délicats les Membres du temps de Joshua, surtout pas lui. Aussi violent que son cher et tendre Chef. Je grimaçai mais ne me plaignis pas. J’avais appris à serrer les dents.

Comme lorsque j’étais plus jeune, j’étais traitée comme si j’étais faite pour subir et uniquement pour ça. Joshua était aussi… doux avec moi, surtout lorsqu’il avait bu. Je déglutis, ne lâchant pourtant pas son regard, cette fois-là. Pas question de faiblir totalement. Surtout que désormais j’avais l’avantage. Presque, en tout cas. Je n’étais plus cette gamine qui n’osait pas regarder son agresseur dans les yeux. Je ne voulais pas laisser ce plaisir à ce Membre qui me dégoûtait, qui m’oppressait, qui me rappelait toutes les blessures, les brûlures et les instants difficiles de notre passé bien trop commun. Je ne pris pas la peine de me relever, pas directement. Je continuais simplement de fixer son regard meurtrier et dominant. Je le scannais, pour chercher à comprendre ce qui l’animait actuellement.

« Tout ce qu’il a fait pour moi ? Comment… Comment peux-tu me dire ça ? Quatre années… quatre longues années à subir ses coups… ses hystéries… son esprit ravagé par l’alcool et la soif de domination… J’ai choisi cette vie uniquement pour sauver celles de mes amies… Jamais… Jamais je n’ai voulu ça… » J’aurais pu crier mais je n’en avais pas la force. À nouveau en sanglots, j’avais beau lui tenir tête, mon regard n’avait plus rien de sauvage… je n’étais qu’un chaton en pleurs à cause de ces cauchemars qui me bouffaient.

Finalement, il continuait, lui aussi, de me regarder de sa hauteur, hautain comme toujours. Pourtant, je pus remarquer dans son regard un changement, minime actuellement, mais un changement tout de même. Que lui arrivait-il ? Se serait-il même un peu calmé ? Dans ma naïveté éternelle, j’avais cru cela possible. Je l’espérais sincèrement. Allait-il me démontrer le contraire ?

Faible, elle était faible. Abel avait eu un sourire victorieux en la voyant rester au sol. Quoi que les autres puissent penser de lui, il était encore capable de maîtriser une gamine de sa trempe. Il savait bien comment les Membres le considéraient, il savait qu'on riait dans son dos, mais il s'en fichait. Lui au moins n'avait pas choisi de retourner sa veste au dernier moment de façon à bien se faire voir par la nouvelle hiérarchie. Lui était resté stable, sa fidélité allant toujours à Joshua qui s'était au final fait trahir de la pire des façons par la nouvelle Chef. Il avait toujours su qu'il devait se méfier d'elle, Noâ était bien trop trouble pour être honnête, mais il n'avait finalement rien pu faire car il n'était qu'un Membre alors qu'elle était déjà Seconde depuis trop longtemps.

Un nouveau rictus apparu sur les lèvres de l'Ancien lorsqu'il entendit la voix d'Alice. Il savait bien que son petit numéro de force de tout à l'heure n'était que du vent. Et dans ses yeux ne brûlaient que des flammèches minuscules qu'il lui était facile d'éteindre.

- Tu n'es qu'une pleurnicheuse. Tes amies n'avaient pas besoin d'être sauvées. Tu as joué les héroïnes et tu en as payé le prix. Elles le payent toutes. Si tu avais simplement obéis aux ordres, ta vie aurait été bien différente.

Son discours s'embrouillait. N'avait-il pas dit tout à l'heure qu'Alice avait eu la chance d'être choisie par Joshua. Si ! Et il le pensait. La fatigue et l'alcool lui jouaient de biens vilains tours. Mal à l'aise, il porta la main à sa tête qui tournait légèrement et s'appuya au mur. La brûlure dans son bas-ventre s'était éteinte et il se sentit soudainement glacé. Glacé et vide.

- C'est de votre faute... S'il n'y avait pas eu des filles comme vous, jamais il ne serait mort.

Ces donzelles tentatrices l'avaient entraîné vers la chute. C'était pour ça qu'il haïssait Alice. Car malgré sa faiblesse, elle avait contribué à le mettre à terre.

Pleurnicheuse ? Abel savait trouver de biens meilleurs mots pour me toucher. J’avais subi bien pire. Être traitée de pleurnicheuse n’allait pas changer fondamentalement mon comportement, pour le coup. De toute manière, j’étais déjà au sol, à avouer que j’étais faible et malheureuse. Il le savait. J’aurais pu me vexer, réagir violemment à cette insulte, mais il n’en fut rien. Je n’avais pas la force nécessaire pour cela. Ce qui me fit réellement réagir, c’est sa remarque au sujet de mes anciennes amies, celles que j’avais grassement sauvées et qui, comme moi, avaient dû garder le silence au sujet de tout cela. Comment pouvait-il tenir un tel discours ? Je ne les avais pas sauvées pour faire mon héroïne. Ce n’était pas un geste égoïste, loin de là. J’avais fait cela pour les sauver, voilà tout ! Peut-être n’avaient-elles pas eu plus de rations mais elles n’avaient pas eu non plus à supporter ce que, moi, j’avais subi pendant tant d’années. Devais-je me taire ? Non, pas cette fois. Je ne comptais pas me satisfaire de si peu.

Je me levai de tout mon long, me tenant droite, mais toujours un peu écrasée mentalement. Je devais lui rappeler que cet Enfer je l’avais choisi uniquement pour le bien de mes paires et non pour l’entendre dire que je l’avais mérité. Il était dégueulasse ! Il était comme ce stupide Joshua ! Si ce n’est qu’il était parfois plus malin. Il faut dire que l’alcool avait pas mal ravagé leur ancien Chef. Sinon, peut-être serait-il resté cet homme rusé plus longtemps. « Elles avaient besoin d’être sauvées ! Personne ne méritait un tel sort, pas même moi ! », lui criais-je, encore trop touchée par ses mots. Rien d’anormal jusque-là, alors. « Si j’avais obéis, ma vie n’aurait pas été franchement différente de celle que j’ai connue, je te signale. Elles, par contre, auraient pleuré autant que moi parce que ce genre de choses n’est pas fait pour des filles de cet âge. », je disais tout haut ce que tant d’autres pensaient tout bas, au fond.

Une chose me choquait ; je tenais tête à Abel, ce qui ne devait certainement pas lui plaire. « Des filles comme moi ? Je te signale que je n’ai jamais choisi d’être l’une de celles qui lui plaisent. Aucune de nous ne le voulait ! À part, peut-être, des cinglées. », je restais face à lui, debout, pourtant encore vacillante. « Et je te signale que ce n’est pas moi qui l’ai tué ! Je n’aurais jamais pu le faire. J’étais trop petite, trop jeune et je subissais simplement ses coups de trop ! », j’étais franche, comme depuis le début de notre malencontreuse conversation.

Abel regrettait ses années glorieuses. Il regrettait de ne plus être fort, de ne plus être armé, et d'avoir perdu son autorité sur les autres. La mort de Joshua lui avait arraché le cœur, mais on avait contribué à lui prendre tout le reste. Il n'était pas de ces Anciens que l'on respectait et qui avaient tourné la page avec simplicité. Il n'avait pas eu droit aux honneurs en partant. Il vivait dans une petite maison fort éloigné du QG et ne pouvait même plus compter sur sa lame. Pour les autres, il était un paria. Certains de ses compagnons avaient été mis à mort lorsqu'ils n'avaient pas accepté le nouveau régime et l'avaient crié haut et fort, mais lui n'avait pas eu cette chance. On le gardait en vie, probablement pour servir d'exemple. Il avait tout eu et maintenant il n'avait plus rien, la roue pouvait tourner à tout moment et il en était la preuve vivante.

Alice s'était finalement redressée. Quelque chose dans le discours de l'Ancien avait du finir par venir piquer sa fierté. Les propos qu'elle tenait ne le surprirent même pas. Elle restait dans sa vision idéaliste de la situation. Mais pourquoi n'avait-elle simplement pas pu être égoïste ? Tout le monde l'était à cette époque. Personne ne pouvait se permettre de faire un geste pour les autres. C'était d'ailleurs le but même de la tyrannie de Joshua. Isoler pour mieux dominer.

- Et que sont donc devenues tes précieuses amies ? Ont-elles une belle vie ? Celle que tu n'auras jamais car tu l'as sacrifié sur l'autel de leurs innocences...

Un rire gras ponctua sa réplique. Il reprenait doucement du poil de la bête.

- Tu n'as pas idée du nombre de personnes que cela arrangeait de faire affaire avec lui. Du nombre de mères qui amenaient leurs filles pour obtenir des rations. Ce sont elles, les monstres. Pas lui.

Sa dernière remarque laissa Abel silencieux durant quelques secondes. Pourquoi avait-elle dit cela ? Cette tournure de phrase ne pouvait être innocente, ou du moins il s'en persuada. La colère ranimé, il cria.

- Je le sais très bien pauvre idiote ! C'est cette garce de...
- Hé ! Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

La porte du QG s'ouvrit à la volée, révélant Roxanne, qui avait coupé Abel au moment même où il allait enfin livrer le fond de sa pensée à quelqu'un. Il se glaça en la voyant s'approcher et tenta de se reconstruire un masque arrogant comme à son habitude. Au fond, il n'était pas mécontent de la voir arriver car il avait bien faillit révéler sa meilleure carte dans le feu de l'action.

Il n’avait pas besoin de me rappeler que j’avais raté ma chance de goûter à l’enfance, à l’innocence. Pourtant, Abel s’en sentait obligé. C’était un véritable jeu pour lui. Je le savais. Cela ne m’empêcha pas de me crisper, de serrer les poings. Je voyais encore ce visage, cette silhouette qui m’avait semblé bien plus imposante quand j’étais plus petite, que Joshua m’appelait et que je le voyais, parmi tous les autres, souriant, saoul et effrayant. Les proportions changent avec le temps. Désormais, il me semblait bien moins grand, bien moins imposant mais il m’était toujours effrayant. Il avait encore ce pouvoir malsain sur moi. Je pouvais encore voir dans son regard les situations qui me faisaient froid dans le dos, qui me répugnaient, qui me hérissaient les poils. Rien de bon, dans tout ça. Pourquoi Joshua me hantait-il encore à travers son parfait petit toutou ? Pourquoi fallait-il qu’il soit encore en vie ? Je pouvais comprendre la décision de Noâ mais peut-être pas l’accepter pour ma santé mentale. La Chef n’était au courant de rien. Je ne le criais pas sur tous les toits. Elle n’avait pas besoin de le savoir. Pour quoi, sinon ? Pour qu’elle s’en veuille de je ne sais quelle bêtise ? C’est sans doute pour ça que même au moment où mes forces m’animaient, je préférais éviter son regard. Un regard vicieux qui laissait présager ce qu’abritait son âme. De la noirceur…

« Tu ne peux pas et tu ne pourras jamais comprendre pourquoi j’ai fait tout ça. Aucun de vous n’a jamais été capable de le comprendre. Joshua se moquait bien de savoir pourquoi j’étais aussi courageuse, naïve ou folle comme vous le disiez. », je respirais un bon coup pour ne pas être à nouveau tétanisée par l’angoisse. « Tout ce qui l’amusait, c’était mon impétuosité, mon assurance. », je secouai ma tête instinctivement, comme pour couper court à une quelconque réaction de sa part. « Vous adoriez, tous, l’idée de casser cette assurance, cette soif de justice, c’est pour ça qu’il a accepté tout de suite et que vous avez rigolé. Je ne suis pas naïve, Abel. », j’étais claire. Je refusais les malentendus stupides, surtout à ce moment précis.

Roxanne nous interrompit à un moment crucial. Mes lèvres s’étaient entrouvertes, formant un « o » plutôt grand. Je me mordis les lèvres la seconde d’après, quand la jeune femme ouvrit la porte, dans un tel vacarme. Elle avait un bien mauvais timing pour le coup. Elle débarquait tel un cheveu dans la soupe. Pour une fois, je ne supportais pas l’idée qu’on me coupe alors que je discutais avec l’un de mes bourreaux. Peut-être parce que je ne voulais pas qu’elle me voit dans tous mes états aussi, mais surtout parce que je voulais savoir le fin mot. « Qui ? Qui était-ce ? Réponds ! », j’étais capable de tout pour qu’il me réponde. D’ailleurs, je m’étais approchée si près que j’en sentais sa raideur. Jamais plus je ne l’avais supplié depuis des années. Je n’en avais que faire. Il pouvait voir ça comme une nouvelle occasion de se moquer de moi en ne prononçant le moindre mot.

Abel renifla dédaigneusement. Ce n'était pas qu'il ne pouvait pas comprendre, c'était qu'il ne le voulait pas. Il se fichait bien du point de vue d'une victime. Jamais il ne voudrait l'adopter. Il n'occupait pas ce rôle, lui était un prédateur. Il le croyait du moins. Dans la réalité, c'était un peu plus complexe. Il était peut-être prédateur au temps de Joshua, mais aujourd'hui il était la proie de tous. Quand la porte s'ouvrit en fracas, il sursauta et accueillit de bien mauvais gré la Seconde. Il ne manquait plus que le chien de Noâ pour compléter le tableau. La présence de Roxanne lui donnait juste envie de déguerpir et c'était bien ce qu'il comptait faire. Il se fichait bien de s'attirer des ennuis, mais il appréciait moins d'avoir à supporter un cafard appartenant à la nouvelle vague. Perturbée par son soudain silence, Alice se montra un peu plus entreprenante. Tiens, la gamine brûlait donc de connaître le nom de son héros ? Profitant que Roxanne n'était pas encore à portée d'oreilles, il plongea le regard dans celui de la Soumise et rit.

- Tu ne sauras jamais. J'emporterais ce secret dans ma tombe. Considère ça comme le dernier cadeau de Joshua.

Son rire prit plus d'ampleur au point de secouer ses épaules. Roxanne lui imposa pourtant le silence d'une bourrade forte. Abel trébucha un peu, mais se rattrapa au dernier moment, l'air mécontent.

- Déguerpis, Abel !

Après un dernier sourire goguenard à l'adresse d'Alice, il ne se fit pas prier et partit rapidement pour rentrer chez lui. De son côté, la Seconde se montra plus concernée par la Soumise qui semblait bouleversée. Elle chercha une quelconque trace de blessure physique, mais supposa assez naturellement que si elle avait été blessée, c'était plutôt sur un plan psychologique.

- Il ne t'a pas fait de mal ? Désolée que tu ais dû subir sa présence. Il a la fâcheuse manie de se croire tout permis.

Cet homme était un monstre. Un véritable monstre. Mais dans les faits, il avait encore le rôle de croc-mitaine pour moi. C'était sans doute ce qui me dérangeait le plus. Il avait une telle emprise sur moi, quatre ans après la fin d'un long calvaire. Il me faisait peur. Il me dégoûtait aussi. J'étais toujours tiraillée entre l'envie de lui en coller une et de me montrer enfin courageuse et la peur paralysante. C'est très simple ; à chaque fois que l'idée me venait de me rebeller, alors même que je n'étais plus officiellement sous son emprise, je me rétractais tout aussi vite pour courber l'échine. C'était humiliant. J'étais humiliée. Sacrément humiliée. Et il était toujours prompt à en rajouter des couches et des couches. Véritablement... horripilant. Cette fois encore, j'avais offert un si piteux spectacle dont il semblait se délecter sans le cacher. Même quand elle arriva, Roxanne, notre Seconde, il profita des dernières minute. Nos regards se croisèrent et ce ne fut pas sans un frisson et un malaise général que je ressentis. Sa remarque n'aida évidemment pas. Joshua. Ce que je pouvais détester et pourtant craindre ce nom. Il s'était tellement joué de moi que j'en devenais véritablement bouffée de l'intérieur. Je me demandais combien de temps il me faudrait encore pour l'oublier, cet ancien Chef aux mœurs plus que discutables. « Monstre... », voilà tout ce que je pus prononcer. Pas certaine qu'il l'ait entendu, tout au plus Roxanne quand elle s'approcha. Je n'étais pas franche. J'étais peureuse, voilà tout.

D'ailleurs, je repris conscience du temps qui faisait son œuvre quand la Seconde s'approcha de moi, sereinement. Je cherchai à reprendre contenance mais c'était plutôt mal parti. Elle avait du voir clair dans mon jeu. Fort heureusement, elle ne sembla pas prête à insister. C'était déjà ça. Alors, je me tournai totalement vers elle, effaçant soigneusement les grimaces de mon visage pour sourire faussement. Ce devait être visible que ce n'était pas sincère mais je n'avais pas énormément de force à ce moment précis. « Je... Je crois que ça va. », dis-je péniblement. Après s'être assurée de mon état général et m'avoir simplement rappelé que je pouvais aller voir l'Infirmier si j'en sentais le besoin, elle partit de son côté et moi du mien.