Alors que je m'éloignais de notre petit refuge, Elan me rattrapa en me disant qu'il venait avec moi. Il se plaça à côté de moi et ajouta qu'il n'y avait personne dans le coin et qu'on pouvait donc faire la route à deux quelques temps si ça ne me dérangeait pas. C'était plutôt inattendu. La prudence aurait voulu que je refuse, mais il avait raison : personne ne traînait dans le coin, un bout de route ensemble ne devrait pas poser trop de problèmes.

- C'est d'accord, mais il faudra se séparer un peu avant le camp des Vipères, sinon on est sûrs de se faire repérer.

Puisque nous avions encore un peu de temps, je décidai de revenir sur sa révélation précédente : il avait attisé ma curiosité.

- Ça doit faire longtemps que tu n'as plus vu ta sœur... Comment se fait-il que vous ayez été séparés comme ça ?

J'avais levé les yeux vers lui, posant cette question tout à fait innocemment. Mais je me doutais bien qu'il ne devait pas l'avoir fait de gaîté de cœur, loin de là.

- Enfin, je comprendrais que tu ne veuilles pas en parler, surtout à une inconnue ! C'est juste que j'ai du mal à imaginer comment ça peut arriver...

Alors qu'Elan venait de rejoindre Ludivine et commençait la route à ses côtés, elle lui demanda plus de détails sur sa soeur, et sur la raison de leur séparation. Le jeune homme sourit pour masquer sa gêne. Il devait s'y attendre. Forcément, Ludivine tentait de creuser pour en savoir plus sur lui. S'il voulait passer plus de temps avec elle et ne pas la froisser, il faudrait bien lui en dire plus, quitte à mentir. Mais ce n'était pas nécessaire. La vérité n'était pas dangereuse à dévoiler, la Vipère en savait déjà beaucoup et cela ne changerait pas grand chose. Au moment où il s'apprêtait à parler, Ludivine se ravisa, en disant qu'il n'était pas obligé de se livrer. Mais Elan avait déjà pris sa décision, et cela lui ferait du bien de se confier, pour une fois.

Non, tu as le droit de savoir. Tu seras la seule.

Il tentait, par ces mots, de convaincre la jeune Vipère qu'il lui offrait un privilège. C'était peut-être un peu prétentieux de sa part, mais après tout, cela pouvait également flatter l'égo de Ludivine, et la rapprocher de lui. Alors, autant tenter le coup. Les souvenirs lui revinrent à l'esprit alors qu'il s'apprêtait à répondre. Ils restaient gravés au fer rouge malgré les années, et la douleur était toujours aussi intense. Elan tenta de se concentrer et parvint à mettre des mots sur ces images inhumaines.

On a été séparés il y a un peu plus de sept ans. Mon père était encore vivant à cette époque, et on était libres. On passait nos journées à voyager. On survivait. C'était même mieux que ça. On ne manquait de rien, on découvrait le monde, et j'étais entouré des gens que j'aimais. Cette période a été vraiment la plus belle de toutes. Mais une nuit, des cannibales nous ont attaqués. Et là j'ai tout perdu.

Il s'interrompit. Il tentait de garder une voix assez neutre, mais elle commençait à trembler. Et cela l'embêtait. Il reprit sa respiration et poursuivit.

Il s'en sont d'abord pris à mon père. Il n'avait aucune chance, ils ont débarqué de nulle part et ils étaient nombreux... Et Asha, elle s'est juste... il tentait de trouver les mots juste, mais un seul lui vint à l'esprit. Elle s'est enfuie... Oui. C'est ce qu'elle a fait, alors qu'on était assailli mon père et moi, qu'on allait crever...

Il tentait de se maîtriser, mais la rancœur prit le dessus. Il s'arrêta, les yeux perdus dans le vide. Il revoyait sa sœur courir, sans se retourner, sans les aider... Il avait l'impression de revivre cet instant et ressentit ce sentiment qu'il détestait, ce sentiment qu'il ne voulait plus jamais revivre une seule fois dans sa vie : celui de se sentir abandonné. Les larmes perlèrent dans ses yeux.

Elle s'est enfuie et ne s'est pas retournée. Elle m'a laissé là.

Il laissa planer un silence, oubliant presque que quelqu'un était là et l'écoutait. Il avait l'impression de se livrer à lui-même et de retrouver ces souvenirs si douloureux pour la première fois. Il parla un peu plus fort, perdant progressivement le contrôle.

Je pensais qu'elle reviendrait! Elle ne pouvait pas me laisser comme ça! J'étais tout pour elle! Elle avait BESOIN de moi, elle ne pouvait pas m'abandonner... Elle ne pouvait pas partir et faire comme si je n'existais plus, tirer un trait sur toute notre vie à deux, sur tout ce qu'on avait vécu... sa respiration s'emballait, et les larmes tombèrent d'un seul coup, comme des couperets. Il dit, un peu plus fort que ce qu'il n'aurait dû Mais non! Il fallait qu'elle parte et qu'elle m'oublie! J'ai failli crever et elle m'a laissé là, comme si elle s'en foutait, comme si j'étais RIEN pour elle! Elle m'a abandonné...

Il leva les yeux au ciel, tentant de trouver une aide, un réconfort qui ne viendrait pas, parce que tout simplement, personne sinon Asha ne pouvait l'aider en ce moment. Il aurait aimé qu'elle soit là, qu'elle l'entende hurler de rage, et qu'elle culpabilise pour ce qu'elle avait fait, qu'elle s'en veuille à en mourir, parce qu'elle ne méritait que ça, et que c'était tout ce qu'il lui souhaitait. Sa respiration se calma progressivement et il ravala ses larmes. Il poursuivit, d'une voix plus posée, mais toujours emplie de sanglots :

Je me suis battu contre les cannibales, seul. Je les ai tous tués. J'ai détruit leurs cadavres un à un, en les déchiquetant. Il fronça les sourcils, conscient de l'atrocité ce ce qu'il s'apprêtait à révéler. J'ai même failli me nourrir de leur chair pour survivre, et boire leur sang comme ils avaient bu celui de mon père. Il serra les poings et poursuivit, la mine de plus en plus sombre. Mais non, j'ai tenu. Et je suis resté le ventre ouvert à attendre qu'elle revienne. Elle n'est jamais revenue.

Il regarda Ludivine, conscient que sa réaction était sans doute loin de ce à quoi elle s'attendait. Il venait de se mettre à poil, et s'en rendait compte tout doucement. Qu'est-ce qu'il lui avait pris? Il avait l'impression d'être comme un gosse abandonné et sans défense devant la jeune Vipère... Qu'est-ce qu'il était con. Il ajouta, achevant de se calmer, pour conclure ce funeste récit et aussi pour rassurer Ludivine sur ses intentions vis-à-vis d'Asha:

Alors j'ai juste envie de la revoir... Pour comprendre... Et pour repartir avec elle, comme avant.

La dernière phrase était un peu moins sincère que le reste. Mais ça, lui seul le savait. Il baissa la tête, ne sachant comment la Vipère réagirait à cette confession pour le moins inattendue.

Elan voulut quand même m'en parler, en précisant que je serais la seule à le savoir. Je fus plutôt surprise : il n'en avait jamais parlé à personne avant et allait tout me raconter ? À moi ? Une fille qu'il venait à peine de rencontrer ? Il semblait avoir confiance en moi, et ce n'était pas plus mal, vu ce que nous prévoyions de faire prochainement ensemble. Mais peut-être était-ce justement le fait qu'il me connaissait à peine qui l'incitait à se confier. C'était peut-être plus facile pour lui...

Il commença alors à raconter leur séparation, sept ans plus tôt, alors que leur père était toujours vivant et qu'ils étaient tous les trois Libres. Le début de son histoire était plutôt positif : il voyageait avec ceux qu'il aimait, découvrait le monde et ne manquait de rien. Jusqu'à ce que des cannibales les attaquent... Ce n'était pas si rare que ça, les cannibales attaquaient plus souvent les Libres que les Membres et Soumis des clans, même si ça arrivait ici aussi. Il m'expliqua, tremblant, qu'ils s'en étaient pris à son père et lui, tandis qu'Asha s'était simplement enfuie. Ça m'étonnait d'elle ! Enfin, peut-être pas tant que ça, au final... Mais j'avais quand même du mal à y croire, malgré tout. Elle n'était pas méchante. Mais la peur faisait faire d'horribles choses aux gens...

Alors que je fixais Elan, ne sachant que dire en entendant sa tragique histoire, je vis qu'il était sur le point de pleurer. Il se livrait tout entier, il me racontait tout, et il allait rechercher ses souvenirs au plus profond de lui. À cause de ma demande, il avait mal. Il continua d'une voix plus forte, m'avouant qu'il pensait qu'elle reviendrait, car elle avait besoin de lui. Ses larmes se mirent à couler, il ne pouvait plus se retenir. La douleur que je lisais dans ses yeux me fit un pincement au cœur : je compatissais. Elle était partie sans lui, elle l'avait abandonné. Ça devait être horrible !

Elan leva les yeux au ciel puis tenta de ravaler ses larmes avec difficulté. Il continua son histoire : il avait tué tous les cannibales qui avaient assassiné son père. Il avait détruit leurs cadavres, et avait même failli faire comme eux. Mais il avait résisté : il n'était pas devenu un monstre, pas comme Noâ et tous les autres cannibales qui couraient les rues. Il avait attendu qu'Asha revienne, ce qu'elle n'avait jamais fait. Elle l'avait laissé là, mourant.

Il avait gardé ce récit bien trop longtemps enfoui en lui, sans jamais en parler. Je le sentais dans la manière dont il me le déroulait, du début à la fin, submergé par ses émotions. En le voyant comme ça, j'avais envie de pleurer moi aussi. C'était tellement triste ! Tellement horrible ! Je le plaignais. Mais je ne savais pas comment réagir. Il s'était confié à moi, et j'avais à présent l'impression de connaître toute son histoire, de savoir qui il était.

Il finit par reposer ses yeux sur moi. Il ajouta, avant de baisser la tête, qu'il voulait la revoir pour comprendre, et pour la retrouver. C'était tout à fait louable. Hésitante, je ne savais trop que faire. Il était mal, et je me sentais coupable de l'avoir mis dans cet état avec mes questions. Je me sentais mal pour lui, je ressentais sa douleur. Finalement, je m'approchai timidement de lui, me mis sur la pointe des pieds et passai mes bras autour de son cou, le serrant contre moi.

- Je t'aiderai à la retrouver. Je te le promets.

Je restai là, à la serrer dans mes bras, espérant ainsi apaiser un tant soit peu sa peine, même si c'était chose futile : je ne pourrais jamais apaiser une douleur si fulgurante et si lointaine !

Elan espérait une réaction positive de la jeune Vipère. Il gardait la tête baissée, craignant que Ludivine le rejette. Il avait peur que sa réaction, si violente et inattendue, effraie la jeune femme et laisse transparaître ses sentiments plus qu'ambigus pour Asha. Ludivine aurait pu comprendre que tout ce qu'Elan voulait, c'était de régler ses comptes une bonne fois pour toute avec sa soeur, même si cela devait se terminer tragiquement. Et il aurait compris qu'elle refuse de l'aider. Cela aurait été cruel, après tout ce qu'il venait de lui dire, mais c'était certainement la façon dont il aurait réagi lui-même. Demander à Ludivine de se joindre à son projet, c'était cautionner ces sentiments de rancoeur et de haine, ainsi que ce qui risquait d'en découler. Mais Ludivine n'était pas comme lui...

Il reçut comme un électrochoc quand elle s'approcha pour l'enlacer. Il ne s'attendait pas du tout à une telle réaction et sursauta légèrement, surpris. Le contact le troubla. C'était la première fois que quelqu'un le prenait dans ses bras depuis longtemps... Et il savoura cette sensation étrange qui commençait tout doucement à le griser. Il laissa ses bras ballants, car il n'osait répondre au geste de Ludivine avec assurance, mais il enfouit malgré tout son visage dans les cheveux de la jeune femme. Tout cela semblait l'apaiser, et il voulait profiter de ce moment.

Ses paroles le réconfortèrent, et il comprit qu'il avait atteint l'objectif qu'il s'était fixé en décidant de la suivre quelques minutes auparavant. Malgré ce sentiment de satisfaction, il ne pouvait écarter toutes ces émotions qui se bousculaient toujours dans sa tête. En se livrant de la sorte, il était parvenu à se rapprocher d'elle, mais à quel prix? Il ne pensait pas que ces souvenirs auraient un tel impact sur lui, et eut peur de la réaction qu'il aurait s'il venait à recroiser sa soeur. Il se sentait blessé, et avait l'impression d'avoir rouvert une vieille cicatrice. Son visage restait fermé, ses yeux plissés, et sa respiration saccadée.

Merci dit-il. Simplement. Il ne savait pas s'il devait ajouter quelque chose, aussi décida-t-il de se taire. Il ne voulait pas tomber dans le ridicule, et se dit que le silence serait une réponse assez éloquente pour la Vipère.

Il redressa la tête une fois qu'il se fut calmé, et plongea ses yeux dans ceux de Ludivine. Plusieurs pensées traversèrent son esprit, mais il les chassa, et se dégagea de l'étreinte de la jeune femme. Il ne voulait pas précipiter les choses et le tout, pour l'instant, était qu'il reprenne ses esprits.

Désolé pour tout ça, je ne pensais pas que ce serait si violent... Mais ça m'a fait du bien d'en parler.

Il conclut ces paroles maladroites par un sourire, même s'il était toujours sous le choc de ce qui venait de se passer. D'ailleurs, il avait du mal à le cacher, ce qui était plutôt rare.

Elan enfouit son visage dans mes cheveux et me remercia, tout simplement. Lorsqu'il se fut un peu calmé, il se redressa et me regarda à nouveau dans les yeux. Il s'excusa pour tout ce qui venait de se passer, arguant qu'il ne pensait pas que ça serait si violent, et ajoutant que cela lui avait fait du bien d'en parler. Je répondis à son sourire : s'il était un tant soit peu soulagé, je ne pouvais que m'en réjouir, même si j'avais sans doute fait resurgir des souvenirs qu'il aurait préféré garder cachés de longues années encore.

- Ne t'excuse pas, c'est normal.

Je ne comptais pas lui faire la morale sur le fait que parler de ses problèmes et de ses chagrins était souvent bénéfique. Non, ça ne servirait à rien. Et puis, qui étais-je pour lui dire ça ? Il était encore sous le choc, je le voyais bien, je n'allais pas en rajouter une couche.

- Je suis contente d'avoir pu t'aider, même si je n'ai pas fait grand chose.

Après tout, je lui avais juste posé une question, et j'avais ensuite écouté sa réponse. Je n'avais rien su dire, car aucun mot n'aurait pu le soulager. Ça n'aurait servi à rien, ils auraient été inutiles.

Ludivine lui rendit son sourire. Elle ne semblait plus aussi surprise et tentait maintenant de le réconforter. Les inquiétudes d'Elan quant à la réaction de la Vipère étaient donc vaines, heureusement. Il eut peur, un moment, que Ludivine ne fasse des chichis et tente de le rassurer en lui faisant la morale, par exemple. Ca lui aurait déplu, mais il aurait pu le supporter, et faire semblant de rien. Après tous ses efforts, acquiescer des propos moralisateurs ne devrait pas être trop difficile, mais la jeune femme ne tomba pas dans ce travers, au contraire. Tout comme lui, elle garda le silence un instant, et ne parut absolument pas gênée de le faire. Cela rassura Elan, qui se surpris à l'apprécier encore davantage pour cette rare qualité. Il détestait les personnes qui se sentaient obligées de parler pour exister aux yeux des autres, et qui ne supportaient pas le silence. Elan pour sa part, pensait que les meilleures personnes étaient celles qui l'appréciaient et le partagaient, tout comme d'autres partagent des banalités. Cet instant lui permit de chasser toutes ces émotions envahissantes, et de se ressaisir pleinement après ce moment intense.

Ludivine, selon elle-même, n'avait pas fait grand chose et ne méritait pas de remerciements. L'adolescent répondit presque aussitôt

Au contraire, tu as fait bien plus pour moi que beaucoup d'autres personnes.

Et il le pensait. L'espace d'un instant, il s'en voulut. Pourquoi traiter cette fille comme le simple instrument de sa vengeance? Toute son approche envers elle, son comportement, ses paroles, ses actes, étaient calculés. Ni plus ni moins. Mais pourquoi? Elle méritait mieux que ça... Mais l'adolescent chassa ces pensées qu'il jugea puériles. Oui il se servait d'elle, et il comptait bien aller au bout des choses, maintenant qu'il avait un tant soi peu d'influence sur elle.

Il se remit en route, sachant que Ludivine le suivrait. Il continua à se taire, mais cette fois-ci ce n'était plus trop pour apprécier le silence, mais plutôt pour réfléchir à ce qu'il ferait d'elle par la suite. Il évita de la regarder durant ce moment, craignant d'être assailli de nouveau par le doute.

Il m'avoua, à ma plus grande surprise, que j'avais fait plus pour lui que beaucoup d'autres personnes. Je ne m'y attendais pas. Nous nous connaissions à peine, c'était si étrange. Mais en y réfléchissant, il était vrai que s'il ne parlait jamais de son ressenti à personne, le fait de l'avoir fait maintenant l'avait sans aucun doute soulagé. Je hochai la tête, ne sachant quoi rajouter. Je ne connaissais pas ceux avec qui il vivait, je ne pouvais pas les juger. Et je ne pouvais pas le juger lui non plus, j'étais moi-même une personne plutôt renfermée. Mais il y avait des gens qui comptaient pour moi et à qui je pouvais me confier lorsque cela n'allait vraiment pas. Ariane était une de ces personnes avant sa mort prématurée...

Elan se remit en route et je lui emboîtai le pas. Il resta silencieux et moi aussi. Je finis cependant par briser le silence :

- Combien de temps comptez-vous rester ici, la Troupe et toi ? demandai-je, curieuse.

Je savais que la Troupe voyageait beaucoup et revenait de temps en temps à Paris. Mais ils ne restaient jamais bien longtemps, à ce qu'on m'avait dit. Cependant, étant donné la situation, peut-être resteraient-ils plus longtemps que d'habitude. Virgo irait sans doute offrir son aide aux Jaguars, j'avais entendu dire qu'il était très serviable.

Ludivine gardait un air compatissant, ne semblant pas réaliser qu'Elan était déjà passé à autre chose. Il poursuivait sa réflexion quant à l'avenir de leur relation. Si les choses devenaient plus sérieuses entre eux, cela pouvait devenir dangereux. Mais d'un autre côté, cela lui offrirait l'assurance d'avoir la Vipère à ses côtés. Il n'avait jamais poussé la manipulation jusqu'à ce point. Et une partie de lui même voulait faire marche arrière. Cette petite voix, qui le poussait à la raison, devait être une lointaine réminiscence de ce qu'il était avant. Mais non, les choses avaient changé, et il connaissait à peine cette fille. Il décida d'aller jusqu'au bout, sans précipiter les choses pour autant.

La question de Ludivine le sortit de sa torpeur. Il ne savait si elle avait pris la parole pour briser le silence dans lequel il se complaisait, ou si son intérêt pour la Troupe était réel. Le fait qu'elle se soucie de la durée de son séjour ici lui donna l'impression qu'elle tenait à ce qu'il reste, mais peut-être interprétait-il un peu trop ses intentions.

Eh bien, ça dépend. En temps normal, on bouge beaucoup. Mais vu ce qu'il s'est passé récemment, je pense qu'on devrait rester un peu plus longtemps que prévu.

Virgo tenait à comprendre les événements et à apporter son aide aux clans. Et ce n'était rien de dire qu'il faudrait du temps pour que le calme soit restauré. Dans un sens, cela l'arrangeait. Il comptait quitter la Troupe prochainement afin de poursuivre son propre chemin, mais ne voulait pas  précipiter les choses, et le fait que Virgo demeure à Paris l'arrangeait, au fond.

Il aurait voulu poursuivre la conversation, mais ne voyait pas ce qu'il pouvait ajouter, alors il se replia une fois de plus dans le silence. Bientôt, ils arrivèrent aux frontières des clans. Ils devaient à présent se séparer. Il se tourna vers Ludivine, se demandant comment il devait se comporter avec elle après tout ce qu'il lui avait dit. Il choisit de rester amical, sans tomber dans la familiarité pour autant.

Je pense qu'il faut qu'on se sépare ici. Merci d'être venue. J'espère que tu parviendras à obtenir quelques infos sur Noâ. Je me charge d'interroger les personnes de la Troupe.

Il s'attendait à ce qu'elle opine avant de partir de son côté, comme prévu.

Je t'attendrai ici ...

Au moins, il lui avait rappelé sa mission, ainsi que leur prochain rendez-vous. Mais bizarrement, ses derniers mots sonnaient comme une promesse.

Elan me répondit qu'en temps normal ils bougeaient beaucoup mais que vu la situation, ils resteraient sans doute lus longtemps que prévu. C'était bien ce que je pensais, d'ailleurs. Il redevint silencieux et je ne rompis par ce silence jusqu'à ce qu'il faille nous séparer. Je hochai la tête lorsqu'il me remercia d'être venue et qu'il m'affirma qu'il m'attendrait ici.

- Je vais faire tout mon possible pour obtenir les informations dont nous avons besoin. Nora ne devrait pas tarder à me renvoyer chez les Jaguars, il y a beaucoup de messages à faire passer aux autres clans pour l'instant.

Je jetai un œil aux alentours : oui, c'était un bon point de rendez-vous.

- Je te rejoindrai ici. Bonne chance ! lui dis-je sincèrement.

Je n'attendis pas plus longtemps pour tourner les talons et m'éloigner, rejoignant ainsi le Q.G. des Vipères.