Al se mit à trembler à son tour, et je serrais un peu plus ma prise sur sa main. Elle prit un moment avant de répondre, et je dus prendre sur moi pour ne pas avoir une nouvelle réaction brutale, pour ne pas reculer vivement et monter dans les tours. C’était plus que tentant, mais je réussi à me contrôler et à ravaler ce sentiment de colère qui n’avait pas de raison d’être. Lorsqu’elle recula en disant qu’il vaudrait mieux qu’elle y aille, d’une certaine façon, mon poing se serra malgré moi ainsi que ma gorge.
Je prit aussitôt la parole, mais ma voix sortit plus tendue que je ne l’aurais voulus. Pourtant je ne pouvais pas la laisser partir comme ça.

« Tu n’es pas stupide, et ce qui est arrivé n’est en aucun cas ta faute ! Aucun de nous deux ne savait à quoi s’attendre et les choses ont fini par nous échapper, mais si j’avais voulus que ça se termine tu ne crois pas que je serais partit il y a longtemps ? Je ne veux pas que… »

Mes mots s’étranglèrent alors que j’essayais d’évacuer la pression dans un soupir. Je voulus faire un pas vers elle mais mon corps ne bougea pas, et j’en serrais les dents de frustration. Quelques secondes passèrent avant que je ne reprenne, d’une voix plus douce malgré la tension qu’elle portait encore.

« Je ne veut pas que ça se finisse. Ce que j’ai fais, je l’ai fais parce que je t’aime et que je ne veux pas te perdre. Et si l’un de nous dois s’excuser auprès de l’autre c’est moi. Je dois m’excuser pour ce que je t’ai fais enduré, pour les inquiétudes que je t’ai causés, pour la situation dans laquelle je t’ai mise au sein de ton clan… »

Et bien d’autres choses encore, mais une fois encore le reste resta coincé et je fermais les yeux en me massant les tempes pour essayer d’éclaircir mes idées et atténuer le mal de tête qui venait de poindre. Retenant un « Et merde » enragé, je rouvris les yeux et les fixais sur Al. Si je n’avais pas encore un semblant de masque en ce moment, j’aurais presqu’eu l’air implorant, ce qui n’était pourtant pas ce que je ressentais. Je ne voulais juste pas qu’elle parte en laissant ce vide entre nous. Je ne voulais pas de ce sous-entendu sous prétexte qu’elle s’inquiétais, ou du moins c’est ainsi que j’interprétais les choses… La distance entre nous avait été trop forte ces dernier temps, et si l’attaque au lac nous avait quelque peu rapproché, c’est comme si ça avait été pour mieux nous séparer maintenant. Je ne pouvais pas laisser aller les choses ainsi…

« Ne part pas comme ça… »

Je t'ai fait du mal, Eli. Je t'ai fait du mal et tu es incapable de l'admettre !

Il ne comprenait pas. Mais comment l'aurait-il pu ? Le poing durement crispé, je le serrais contre mon front et baissais les yeux. Ses paroles nourrissaient mes doutes et dans mon esprit se créait une cacophonie de plus en plus assommante alors que mes pensées se fracassaient les une aux autres. Le sang pulsait douloureusement à mes tempes, mais le mal n'était rien en comparaison de la déchirure que je ressentais au niveau du cœur. La raison semblait ronger progressivement les bastions de l'amour et je me laissais pousser sans résister vers l'abysse. Pourquoi nier les faits ? Sans le savoir, ni le vouloir, je l'avais emprisonné dans un cercle vicieux et c'était ses chaînes qui le poussaient à charger mes fautes sur ses seules épaules. Cela ne changerait jamais. Il était bien trop aveuglé pour admettre que l'amour l'avait broyé et il ne pourrait que le traîner comme un boulet. Et la dernière chose que je souhaitais était bien de le voir détruit par ma faute. La meilleure décision n'était-il pas de libérer ? Amputer avant que la gangrène ne se propage dans la totalité du corps ? La douleur serait vive et brutale, mais elle finirait pas passer et la blessure serait nette. Me redressant, je pris une longue inspiration et chassais lentement l'air de mes poumons avant de m'exprimer.

Tu ne mérites pas tout ça.

Je m'avançais jusqu'à lui, glissant mes mains sur ses joues pour lui maintenir la tête et le forcer à me regarder dans les yeux. Soutenir son regard n'avait rien de facile, mais si je ne paraissais pas sûre de moi, tout cela ne servirait à rien. Au fond de moi, une petite voix me hurlait de ne pas faire ça, mais il était trop tard pour changer d'avis. J'avais trempé mes lèvres dans le vin et il me faudrait désormais boire la coupe jusqu'à la lie.

Tu ne vas sûrement pas comprendre, tu rejetteras en bloc tout ce que je vais te dire et tu chercheras à me retenir, mais cela ne peut plus durer. Eli, je t'aime et c'est justement parce que je t'aime que je veux que tout ça s'arrête. Je ne veux plus te voir blesser par ma faute, plus jamais.

J'approchais un peu plus mon visage du sien et effleurais doucement ses lèvres de mon souffle.

Cette fois, c'est terminé. Je veux que tu sois libre. Libre et vivant.

Ma détermination vacilla un peu, me poussant à écourter tout ça. L'embrassant une dernière fois, je laissais mes doigts glissés sur sa peau jusqu'à m'éloigner. J'avais l'impression de m'arracher à lui. Les larmes me picotèrent les yeux, mais je les empêchais de couler, quittant la pièce en courant. Je devais partir, vite, en profitant de son état pour qu'il ne puisse pas me rattraper. Une fois dehors, je fixais mon attention sur l'horizon. Soudain, je comprenais la signification du terme séparation...

Du mal ? Si elle m’en avait fait comme elle semblait vouloir le croire, ne lui avais-je pas rendu l’appareil sans le vouloir ? Mais nous nous pouvions pas en rester là, nous devions réparer les choses justement, nous soigner… Je voulais m’énerver, lui crier qu’elle avait tort, que quoi qu’elle en pense elle n’avait rien fait hormis faire renaître l’homme que j’étais vraiment, voir même l’enfant, puisque c’est là que tout à commencé… Je voulais faire sortir toute cette rage qui me bloquait la gorge et me clouait sur place alors qu’elle essayait de me faire comprendre que sa décision était prise sans que je ne sache pourquoi, ni comment nous en étions arrivé là. Je voulais beaucoup de chose, mais j’étais incapable de quoi que ce soit. J’avais l’impression de m’être transformé en statue de marbre, plus froide encore que le masque qu’elle avait brisé. Je ne sentais plus rien, plus de douleur, plus de tremblement. Je n’entendais qu’un bourdonnement dans mes oreilles et ne voyais que des tâches de couleurs brouillées…

Lorsqu’elle s’approcha, j’eus le réflexe de détourner le regard de peur de ce qu’elle y verrait… ou n’y verrait pas… Mais elle força mon regard à plonger dans le sien, et pour la première fois je fus soulager d’y voir flou. Je me forçais à ne pas distinguer ses traits, a ne pas lire dans ses yeux, et à allumer un semblant de quoi que ce soit dans les miens…

Je frémis lorsqu’elle approcha plus, ce qui suffis à délier mes membres, mais alors que je voulais la repousser et laisser les médicament guider mes actes, le baisser qu’elle posa sur mes lèvres m’immobilisa de nouveau. Je ne pouvais pas exploser maintenant… car si cela arrivait, je pourrais la blesser, et ça c’était hors de question. Mais je ne pouvais pas non plus la laisser partir… pourtant elle n’était déjà plus là. Et soudain, la douleur explosa. Ma jambe se déroba, et je me rattrapais de justesse. Une colère noire mêlée à une tristesse qui m’était jusque là inconnue m’envahit. Fouillant dans la poche de mon short, j’attrapais un médoc et l’avalais à sec. J’allais ensuite attraper la béquille et la balançais à l’autre bout de la pièce en laissant échapper un cri de frustration. Ce n’était pas terminé, ça ne pouvait pas se terminer ! Mettre à fin à notre relation n’était pas la solution. Elle abandonnait la partie, mais moi pas.

Arrachant l’attelle qui immobilisait mon poignet, j’allais frapper du poing contre le mur. La douleur fut fulgurante, mais au moins cela me calma, un peu. M’appuyant contre le mur en maintenant mon bras, je me laissais glisser au sol, me concentrant sur chaque ondes douloureuses qui irradiaient dans mon corps. Des larmes roulèrent sur mes joues, mais cela eu plus le don de m’énerver qu’autre chose. J’étais conscient de me défouler ainsi ne servait à rien, mais j’avais pu me rendre compte des effets secondaires des médocs, et j’espérais bien m’y perdre un moment, juste le temps de digérer ce qu’il venait de se passer. Après, je pourrais réfléchir. D’abord oublier, pour mieux y revenir. Ne pas trop y penser, et surtout ne pas lui en vouloir. Sortant un deuxième cachet de ma poche, je le tournais un instant entre mes doigts avant de l’avaler également. Je fermais ensuite les yeux et attendis qu’ils fassent effet.

Rien de tout ça ne s’était passé…