Another World

Cette soirée ressemble à des dizaines d'autres. Dans les rues, l'agitation règne, la ville se réveillant doucement. Depuis ce que certains considèrent comme la fin du monde, il ne fait pas bon de circuler durant la journée alors les humains ne vivent que sous les rayons de la lune. Au début, c'était un peu contraignant mais l'habitude a vite été prise. L'Homme s'adapte à tout, c'est bien connu. Quand tu repenses aux croyances populaires du vingt et unième siècles, tu rigoles bien. Et dire qu'à une époque, tous les auteurs restaient persuadés qu'il faudrait craindre la nuit. Pourtant, c'est bien le jour qui est devenu votre ennemi, le soleil s'étant allié aux nouveaux prédateurs. Ces extraterrestres n'avaient aussi rien à voir avec ce que la science fiction avait engendrée de pire et de meilleur. Eux aussi sont des Hommes comme vous mais ils ne supportent que la chaleur. Dès le coucher du soleil, ils se terrent dans les villes qu'ils ont construites sous les ruines de l'ancienne civilisation. De votre civilisation. Comme des rats, ils habitent les souterrains. Ces humains venus d'ailleurs, tu en as déjà vu et le simple fait d'y repenser te donnent la nausée. Il y a quelque chose en eux qui te donne la sensation d'une mutation ratée. Leur peau est grisâtre et leurs yeux ne sont que des trous noirs étroits que la vie ne semble jamais avoir habité. Ils ne sont pas très grands mais leurs doigts sont longs et d'une telle finesse qu'on dirait des bâtons. Et puis il y a ce sourire dérangeant toujours présent sur leur visage. Tu ne sais pas vraiment ce qu'ils recherchent sur terre mais tu ne peux t'empêcher de les craindre. Cette pensée te pousse à effleurer l'arme cachée sous ton blouson. Dans les faits, elle ne peut rien contre eux mais il y a d'autres dangers sur cette terre désolée. Dans le chaos, il y en a toujours pour essayer de prendre le pouvoir et ceux qui ont réussis ont créer les clans, s'octroyant la gestion des quatre quartiers intacts de la ville. Comme en témoigne le tatouage sur ta gorge, tu en fais partie. En approchant du quartier sud, tu t'empresses d'ailleurs de rabattre ton capuchon, zippant ton sweartshirt de façon à cacher le dragon marquant ta peau. Tu as le droit de pénétrer dans cette zone de la ville mais cela n'est pas sûr pour autant. Les conflits entre le nord et le sud sont récurrents, tu le sais pour y avoir déjà laissé des plumes. Pourtant tu ne peux pas te permettre d'ignorer une commande, il y a beaucoup d'argent en jeu. D'ailleurs, tu te trouves à l'adresse indiquée sur le papier qu'on t'a remis. Sans autre forme de procès, tu t'adresses à la sentinelle qui garde l'immeuble.

ADRIAN -  Je viens de la part de Samuel.

Le nom du leader du nord semble fait écho dans la tête de l'homme et il se décale pour te laisser passer. Il t'indique au passage de prendre l’ascenseur jusqu'au dixième étage. En pénétrant dans le bâtiment, tu constates que le sud ne déroge pas à la règle. Le hall est richement décoré et une ambiance chaleureuse y règne. Des jeunes discutent à voix basse, occupant des canapés à l'allure moelleuse. Plus loin, tu aperçois même un couple échangeant de langoureux baisers. Tout ça est tellement différent de chez les Dragons... Tu te prends à rêver à ta vie si tu avais choisi les Jaguars. Ce mode de vie ne t'aurait pas correspondu, tu t'en rends compte et secoues vivement la tête pour chasser cette idée. Le temps passé dans l'ascenseur te permet de te remettre les idées au clair et lorsque les porte s'ouvrent sur un loft aux teintes chaudes tu as retrouvé tes esprits.

ADRIAN -  Il y a quelqu'un ? Je suis le coursier du nord.

Silence.

La nuit s'annonçait chargée. Poussant un profond soupir, je m'immergeais dans l'eau fumante du bain et appréciais durant quelques instants le sentiment de bien-être qui s'était emparé de moi. C'était un rituel immuable qui rythmait chacune de mes nuits et je n'avais jamais laissé personne me gâcher ce moment. Tout en barbotant, j'étudiais tranquillement les nouvelles transmises par mes informateurs, puis préparais mon emploi du temps en fonction. Quand on avait que huit heures pour exécuter ce qui aurait dû être fait en onze, on apprenait vite à bien organiser ses obligations. Durant la journée, les Jaguars étaient tombés comme des mouches. Il y avait eu quatre morts d'origine suspectes, suspectes voulant dire qu'ils avaient fait une overdose, mais qu'on ne savait pas encore à quoi. L'Ouest commercialisait tellement de saloperies que cela n'avait rien d'étonnant, c'était même assez régulier. Nous n'avions jamais été en bons termes avec les Vipères et, visiblement, elles refourguaient souvent des trucs louches aux nôtres. J'étais même intimement persuadée qu'elles nous utilisaient pour tester leurs nouveaux produits. Annabella était connue pour n'avoir aucun scrupule, je l'imaginais donc très bien abuser de l'esprit trop crédule des jeunes du Sud.

Blasée par toute cette histoire, je décidais d'arrêter ma lecture là, la remettant pour une fois à plus tard. Ce n'était pas très professionnel, mais même un leader avait besoin de faire un break de temps en temps. Le feuillet voleta donc jusqu'au sol alors que je m'enfonçais dans l'eau. Les yeux fermés, je me laissais bercée par le calme sous la surface, profitant de chaque seconde avant que mes poumons ne me réclament de l'oxygène. Je n'entendis donc pas l'appel de mon premier visiteur, mais lorsque je sortis la tête de l'eau, j'eus la certitude que quelqu'un était entré chez moi. Fronçant les sourcils, je récupérais le couteau posé sur le carrelage et le glissais au fond de la baignoire. Ce n'était qu'une mesure de précaution, il aurait fallu être fou pour attaquer un leader sur son propre territoire.

Par ici.

N'étant guère pudique, je restais dans l'eau, la mousse troublant un peu la clarté de la surface. Déjà qu'on me dérangeait, je n'allais pas en plus sortir précipitamment de mon bain !

Another World

Un instant, tu te demandes si tu ne t'es pas trompé d'étage. Tu as pourtant pressé le bouton marqué d'un dix et tu entends encore la sentinelle te dire de prendre l’ascenseur jusqu'au dixième étage. Tu t'étonnes aussi qu'on t'ait laissé rentrer de cette façon et atteindre le cœur même du bâtiment. A croire que les Jaguars sont vraiment très sûrs d'eux. Hésitant, tu t'avances de quelques pas dans l'appartement. Un clapotis vient jusqu'à tes oreilles, se faisant de plus en plus précis alors que tu marches. Pendant que tes oreilles sont aux aguets, tes yeux découvrent les lieux avec fascination. Tu as souvent entendu des rumeurs sur le Sud mais jamais tu n'aurais pu croire qu'autant étaient vraies. A côté de cet endroit, les habitations dragonnes font pâles figures.

NOÂ -  Par ici.

La voix te surprends tellement que tu sursautes. Tes observations t'ont faites oublier la raison de ta présence ici si bien que tu te sens comme un voyeur prit sur le fait. Mal à l'aise, tu cherches des yeux la personne qui vient de s'exprimer mais tu ne vois qu'une porte coulissante. Peux-tu vraiment entrer ? L'idée ne te plaît pas des masses pourtant tu te rends compte que tu n'as pas le choix. Une main calée dans ta nuque tu effleures la porte de l'autre et la fait lentement bouger. Si tôt à l'intérieur, tu es pris d'une torpeur étrange alors que les informations se fracassent comme des vagues dans ta tête. Un parfum d'agrumes vient flotter près de tes narines et tu prends une légère inspiration pour profiter un peu plus de cette douce odeur. L'air est moite, tu sens déjà un fin filet de transpiration partir de ta tempe pour continuer sa course vers ta mâchoire. Et puis, il y a cette fille. Depuis la baignoire où elle est installée, elle te toise avec quelque chose de royal. Cette constatation te pousse à détourner les yeux et tu entortilles tes doigts autour de tes mèches brunes. Voilà bien un accueil auquel tu ne t'attendais pas du tout.

Mon visiteur fit finalement son entrée dans la salle de bain et je pu constater que je ne l'avais jamais vu. Un minois pareil était difficilement oubliable et je n'avais de toute façon pas pour habitude de flirter avec des gars du Nord. A ce niveau là, l'Est était bien mieux pourvu et contrairement à la pensée populaire, il ne fallait pas forcément dégainer une liasse de billets pour en attirer un dans son lit. Contrairement à eux, le brun ne semblait pas à sa place ici. Il paraissait mal à l'aise et détourna les yeux. Je m'attendais presque à voir un rougissement teinter ses joues, mais il ne dépassa pas le stade de la gène passagère à mon grand regret. Si l'idée de passer un peignoir me vient à l'esprit, je l'ignorais sciemment, trop heureuse de pouvoir me divertir avec ce nouveau jouet.

Que me vaut l'honneur de la visite de l'un des toutous de mon frère ?

Théoriquement, je savais très bien qu'il était là pour me livrer un nouveau prototype que Samuel avait élaboré pour moi en échange d'un ravitaillement en eau, mais je ne voulais pas perdre l'occasion de le faire mariner un peu. Recueillant un peu de mousse dans ma paume, je m'amusais à la souffler vers lui, impatiente de le voir reprendre la parole.

Another World

Vivre dans le sud, c'est vivre dans un autre monde selon toi. L'attitude de la blonde te perturbe. Tu ne comprends même pas pourquoi elle agit de la sorte. Toi tu viens juste pour une livraison mais, l'histoire ne semble pas si claire dans son esprit. A l'aide de ta manche, tu essuies la sueur qui coule sur ton visage. Il fait vraiment trop chaud dans cette salle de bain. C'est à se demander comment elle tient.

NOÂ - Que me vaut l'honneur de la visite de l'un des toutous de mon frère ?

Tu n'aimes pas beaucoup sa façon de te désigner. D'ailleurs, une certaine hostilité se lit dans ton regard. D'accord, tu n'es qu'un coursier du nord mais cela ne t'empêche pas d'avoir ta fierté. Durant quelques secondes, tu te mures dans un silence buté. Tu ne résistes pas bien longtemps pourtant, tu as trop envie de l'ouvrir. Tu t'apprêtes d'ailleurs à lui cracher une remarque acide à la figure mais quelque chose qui te stupéfait survient. Avec amusement, elle t'a soufflé de la mousse dessus. Tu agites un peu la main dans l'air pour éviter d'en avoir dans les yeux, puis tu te dérides un peu. Elle est vraiment incompréhensible.

ADRIAN - J'ai un paquet.

Tu sors le dit paquet de ton sac et t'approches pour le lui tendre. Enfin ce n'est peut-être pas une bonne idée d'approcher ce petit bijou de technologie de l'eau. Encore que tu ne sais pas ce que la boîte contient, c'est peut-être waterproof.

ADRIAN - Euh je pourrais avoir un verre d'eau ?

Tu as la gorge sèche, la chaleur dans l'air te déshydrate complètement.