Mon diplôme en poche, j'avais enfin pu accéder au métier que je désirais tant : architecte et décoratrice d'intérieure. C'était ce dont j'avais toujours rêvé. Et l'opportunité s'était présentée très vite, ayant terminée première de ma promotion. Une grande agence immobilière avait fait appel à moi quelques jours seulement après la cérémonie. Et cela faisait déjà un an que je travaillais pour eux et qu'ils étaient très contents de moi. C'est pour cela qu'ils m'avaient permis de prendre mes premières vacances depuis ma sortie de la fac !

Ah, enfin des vacances. Et j'allais les passer à l'autre bout du monde, à Paris, près de mon père et de mon frère. Depuis toute petite, je vivais avec ma mère et ma sœur, nos parents étant séparés. Mon père avait emmené mon petit frère avec lui à Paris tandis que ma mère nous gardaient aux USA. Je voyais donc rarement les deux hommes de la famille, ce qui me chagrinait beaucoup. Mais cette année, j'allais enfin les revoir, et ce pendant un mois entier. Et je comptais bien profiter de mes vacances pour visiter un peu mieux Paris et voir les nouveautés du côté design, évidemment.

Ayant dit au revoir à ma mère et ma sœur – ma sœur ne s'entendait pas très bien avec notre père et refusait d'y aller –, je pris l'avion jusqu'à Paris. Le trajet me parut interminablement long, et j'avais même l'impression de faire du surplace. Mais lorsque je touchai enfin le tarmac français du bout des pieds, je sentis que je n'étais plus à New-York. Le soleil étincelait dans le ciel et la foule des autres passagers se précipitait déjà pour récupérer les bagages convoités. Souriant, j'en fis de même et, armée de ma valise, je tentai de repérer dans la foule un visage connu.

Aujourd'hui était un grand jour. Un sourire niais ornant ses lèvres, Samuel vérifia une dernière fois son reflet dans la glace. Comme à chaque fois qu'il passait devant, il remit un peu d'ordre dans ses mèches brunes et glissa les doigts sur son début de barbe. Peut-être qu'il aurait dû se raser ? S'ils se faisaient la bise, elle trouverait peut-être désagréable le fait qu'il piquait et cela entacherait les retrouvailles. Non, c'était une idée idiote. De toute façon, il n'avait plus le temps de passer à la salle de bain ou il louperait l'arrivée de son avion. Attrapant son trousseau de clés, il sortit de l'appartement et dévala les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée, saluant au passage la gardienne d'un signe de la main. Cette immeuble du 8e arrondissement était sa maison depuis son arrivée des États-Unis, les habitants l'avaient vu grandirent et étaient donc particulièrement affectueux avec lui. Et bien sûr, ils étaient tous au courant de l'arrivée de Jude aujourd'hui et il entendit un "bonne chance" résonné avant que la porte ne claque. Au volant de sa Golf, il se mit en route pour l'aéroport de Roissy, espérant que le trafic ne serait pas trop dense.

Lorsqu'il arriva enfin, il eut toutes les peines du monde à trouver une place de parking et, avisant l'heure, il se mit immédiatement à courir. Il n'était pas encore en retard, mais il le serait s'il traînait un peu trop en route. Il fendit donc la foule comme il le pouvait, évitant de bousculer les voyageurs tout en s'imposant quand même - une chose bien difficile - et déboucha à proximité de l'entrée de la partie public de l'aérogare. Un peu essoufflé, il chercha sa sœur du regard sans la trouver dans un premier temps. Et puis, elle apparu finalement dans son champ de vision. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu ? Trop longtemps, c'était une certitude ! En lui faisant de grands signes de la main, il la rejoint à pas rapide, y mettant en dernier lieu de la voix.

Jude !

Me faisant un peu bousculer par les gens pressés, je cherchais du regard un visage familier dans toute cette foule. Mais je ne voyais rien. M'avançant un peu plus dans l'aéroport, je finis par apercevoir des bras se balancer dans les airs, puis mon frère émerger de la foule en criant mon nom. Il était tout essoufflé : comme à chaque fois, il avait sûrement dû se dépêcher pour ne pas arriver en retard – et il l'était de quelques minutes, mais cela n'avait pas d’importance à mes yeux. J'étais heureuse de le voir.

« Sam ! »

Il me rejoignit rapidement. Je lui fis la bise avant de le serrer dans mes bras.

« Tu m'as manqué ! » lui dis-je en m'écartant. Je regardai derrière lui avant de reposer mes yeux dans les siens.

« Papa n'est pas avec toi ? »

Le son de sa voix le fit frissonner. Un peu perturbé, il se fit la réflexion que l'entendre prononcer son surnom avait agrandit son sourire, mais chassa bien vite cette constatation pour se concentrer sur Jude. Elle venait de lui faire la bise et le serra dans ses bras, geste qu'il lui rendit. Simplement heureux, il respira son parfum et soupira légèrement d'aise dans ses mèches. Il se sentait profondément bien avec sa sœur dans les bras, c'était un peu comme s'il avait retrouvé un morceau de lui qui manquait depuis trop longtemps à son cœur.

Toi aussi !

Elle s'éloigna bien trop vite à son goût, mais il pouvait difficilement la retenir. De toute façon, il aurait tout le temps de profiter de sa présence durant les vacances. Ou du moins, il l'espérait.

Nop. Il a été appelé en urgence au boulot, il y avait visiblement un problème, mais il rentrera tôt.

En vérité, Samuel était plutôt content d'avoir pu aller l'accueillir sans son père. Au moins, il l'aurait pour lui tout seul durant ses premières heures en France. Toujours souriant, il attrapa la poignée de sa valise, et lui proposa son deuxième bras.

Du coup, on peut aller déposer tes affaires à la maison et après on fera un tour. Il y a pleins d'endroits que je veux te montrer. Mais avant la visite, un déjeuner s'impose non ?

Guilleret, il l'emmena à l'extérieur, progressant tranquillement jusqu'à sa voiture. Après avoir déverrouillé, il lui ouvrit la portière et mit son bagage dans le coffre pendant qu'elle s'installait. Une fois fait, il prit place derrière le volant, mais ne mit pas directement le contact.

Je suis vraiment content que tu sois là.

Il m'annonça que notre père avait été appelé en urgence à son travail à cause d'un problème, mais qu'il rentrerait certainement tôt. Je hochai la tête, j'avais hâte de le revoir aussi. Mais tant que maintenant, j'allais profiter de mon petit frère préféré ! Ce dernier prit ma valise et me proposa son deuxième bras, que je pris avec plaisir. Il me fit part d'un programme plein d'attraits auquel j'acquiesçai.

« D'accord, je te suis ! C'est la première fois que je pourrai autant profiter de toi, de papa et de Paris ! Et je meurs de faim, alors je ne dis pas non à un déjeuner !! »

Nous arrivâmes à sa voiture et je m'installai du côté passager tandis qu'il prenait le volant, après avoir déposé ma valise dans le coffre.

« Moi aussi je suis contente d'être là. C'est vraiment dommage qu'on ne puisse pas se voir plus souvent ! »

Je lui souris et et soupirai d'aise.

« Je suis vraiment contente d'être là. Un mois de vacances avec les deux hommes de ma vie, ça va me faire du bien ! » ajoutai-je ensuite.

L’enthousiasme de la jeune fille le fit sourire. Elle n'avait pas changée. Samuel avait toujours adoré cet aspect plein de vie de sa personnalité. Depuis tout petit, il était le plus réservé de la fratrie et nombreux étaient ceux qui le trouvaient hautain à cause de cela, mais pas Jude. Avec elle, il s'était toujours senti bien et pleinement accepté. Parfois même trop bien dans les faits. Certes, la distance avait été difficile à supporter, mais cela lui avait aussi permis d'enfouir très loin un sentiment qui avait commencé à se développer en lui au début de l'adolescence. Mais cette histoire était loin derrière lui et il ne pouvait même pas imaginer que sa joie n'était pas motivée que par le fait d'accueillir sa sœur. C'était aussi la femme qu'elle était devenue qu'il rencontrait pour la première fois. A milles lieux de cela, il démarra la voiture et se mit en route.

Papa a eut une drôle d'idée le jour où il m'a emmené au bout du monde, pourtant je ne me verrais pas vivre autre part désormais.

Un détail de son discours le frappa particulièrement. Les deux hommes de sa vie ? Cela signifiait-il qu'il n'y en avait pas d'autres ? Presque timidement, Sam décida de soulever la question.

Tu... Tu n'as personne en ce moment ?

Samuel démarra la voiture en disant que notre père avait eu une drôle d'idée de l'emmener au bout du monde, bien qu'il ne se verrait plus vivre ailleurs aujourd'hui. J'avais toujours pensé la même chose, j'aurais préféré avoir toute ma famille autour de moi. Enfin, c'était peut-être égoïste de penser ça, au final. Si notre père avait déménagé, c'était pour une bonne raison. Il fallait le croire.

« Oui, une drôle d'idée. Enfin, il faut voir le côté positif des choses : ça me permet de venir passer mes vacances à Paris et d'avoir un guide personnel en plus ! » dis-je en souriant. C'était mieux que de se morfondre sur la distance qui nous séparait presque 365 jours par an.

Samuel me demanda alors si j'avais quelqu'un en ce moment. Je baissai un instant les yeux avant de les poser sur la fenêtre pour voir défiler les rues de Paris.

« Non, j'ai rompu avec Josh il y a trois mois, et depuis je suis libre comme l'air. »

Je me tournai vers Samuel, de nouveau plus enjouée.

« Et toi ? Je suis certaine que toutes les filles se battent pour sortir avec toi ! Tu es devenu tellement beau que ça ne m'étonnerait même pas ! » ajoutai-je en rigolant à la fin de ma phrase. « Je dis ça, mais tu étais déjà terriblement mignon quand tu étais petit. Je me souviens que tu m'avais parlé d'une certaine Lou qui te collait tout le temps ! Est-ce que tu as toujours autant de succès ? »

Je posais la question, mais j'étais certaine que c'était le cas.

Je devrais profiter plus souvent d'avoir un point de chute aux USA. Surtout que je peux bosser de n'importe où, d'un point de vue théorique.

C'était l'une des joies de son métier même s'il ne jouissait que très rarement du fait de pouvoir faire des voyages sans avoir à poser un congé.

Enfin, ça me ferait sûrement un joli supplément bagage.

Il lui fallait quand même un minimum de matériel pour travailler correctement. De plus, il n'était pas vraiment friand de voyage. Allez voir Jude, oui, mais il n'était pas spécialement intéressé par le fait de découvrir le monde, il était bien trop casanier pour ça.

Un léger changement dans l'atmosphère lui fit comprendre qu'il avait posé une question douloureuse. Aie. S'il se sentait étrangement ravi qu'elle ne soit plus avec ce type - encore que c'était peut-être un homme très bien -, il ressentit aussi un pincement. Trois mois, ça ne guérissait pas une véritable peine de cœur. Il voulut dire quelque chose, mais elle ne lui en laissa pas le temps, dirigeant directement la conversation sur lui.

Euh, je suppose.

Samuel n'était pas très à l'aise avec ce sujet. Oui, il avait du succès, mais cela en devenait vite agaçant. Disons qu'il peinait à comprendre les femmes et leur acharnement par moment.

Lou a mal grandit, c'est une foutue peste maintenant. Mignonne, mais trop chiante pour moi. Et pour la majeure partie de la population parisienne je crois. Elle a dû arnaquer la moitié de la ville, ça aide aussi.

Affichant un petit sourire, il continua néanmoins.

Je suis sorti avec une fille vers Noël, mais ça n'a pas duré. Trop... Trop. Il fallait toujours que je sois dans les parages quand elle claquait des doigts, ça m'a saoulé. Et puis, elle n'aimait pas trop ce que je faisais. Mon mode de vie était malsain selon elle. Je crois que je ne suis pas fait pour être en couple.

Je hochai la tête lorsqu'il me dit qu'il devrait venir plus souvent aux USA : je n'arrêtais pas de le lui dire. Mais je le connaissais, il aimait bien rester chez lui, dans un univers connu. Mais bon, un jour je parviendrais à le faire changer d'avis, j'en étais sûre !

Il me parla ensuite de cette fameuse Lou, qui avait apparemment mal tourné. C'était dommage. Il était également sorti avec une autre fille vers Noël, mais cette fille ne lui convenait pas, elle était semble-t-il trop exigeante. Ou peut-être que lui l'était ?

« Ne te laisse pas faire. Chacun a son propre mode de vie. Si ça ne lui convient pas, tant pis pour elle. Elle ne sait pas ce qu'elle rate ! »

Je ne pus réprimer un bâillement et m'excusai aussitôt.

« Désolée, je crois que j'ai un peu de mal avec le décalage horaire. »

Mais qu'à cela ne tienne, j'avais tellement de choses à rattraper, je me reposerais plus tard !

« En parlant de ton boulot, ça se passe bien ? Tu n'es pas trop surchargé ? »

La remarque de Jude le fit sourire. Elle était bien la seule à lui dire ça. Avec leur père bien entendu. Il serait probablement tout perdu le jour où Samuel lui annoncerait qu'il quittait la maison pour aller s'installer ailleurs. Ce n'était pas encore pour tout de suite, il se sentait parfaitement à son aise dans l'appartement familial et l'espace était suffisamment grand et cloisonné pour leur permettre d'avoir chacun leur vie par moment. Depuis le divorce, ils vivaient tous les deux, ils avaient donc su comment se créer un cocon leur correspondant. Et Sam se fichait bien d'être un fils à papa, il aimait même beaucoup ça.

- Ah, je vois que je vais devoir sortir les grands moyens pour te garder éveillée jusqu'à ce soir. Tu sais quoi ? Changement de programme. Je connais un endroit pas loin qui fait un café excellent et des petites restaurations délicieuses.

Au rond point, il changea donc de direction. Après tout, elle aurait tout le temps de découvrir l'appartement plus tard, leur père serait peut-être même là à ce moment là comme ça.

- Ça roule. On a toujours besoin de gens comme moi, c'est l'avantage. Je me suis dépêché de tout terminé avant ton arrivée. Sauf urgence, je serais donc libre comme l'air. J'aurais été bien bête de passer mon temps collé à l'écran alors que tu es là. Et de ton côté ? Quelles sont les tendances aux states cet été en matière de décoration ?

Alors que je m'excusais d'être fatiguée, il décida de changer le programme que nous avions prévu. Direction un endroit qui avait l'air plutôt sympathique.

« Je te suis ! »

Il continua en me parlant de son travail et en me révélant qu'il avait tout terminé avant mon arrivée, histoire de pouvoir passer un peu de temps ensemble. Cette révélation me toucha, nous nous voyions si rarement à cause de la distance.

« Tu sais que tu es le meilleur petit frère du monde ? » lui dis-je avec entrain.

« Eh bien, les gens aiment le minimalisme pour l'instant. Il leur faut des courbes pures ou des meubles très carrés. C'est souvent du monochrome. Ce n'est pas ce que je préfère, je trouve que ça manque un peu de vie. Mais c'est vrai que c'est très élégant et raffiné. »

Je préférais les tendances de la saison dernière, avec de belles décorations plus personnelles. Mais je me devais d'être à la pointe de la décoration pour mon travail, et j'étais plutôt douée !

« Au fait, tu m'avais parlé d'aller voir « La Flûte Enchantée » à l'opéra, ça tient toujours ? »