Des hommes stupides, des hommes qui se croient supérieurs, des hommes qui m'agacent en somme. C'est bien pour ça que je les avais pris pour cible. Enfin, ils pensaient m'avoir prise pour cible. C'était bien plus marrant comme ça. Ils étaient assez stupides que pour tomber dans mon jeu, alors à quoi bon. Ils n'auraient qu'à s'en prendre à eux-même le moment venu. D'autant plus que mes quatre compagnons n'étaient jamais bien loin de moi. Je les savais en train de guetter la situation, juste au cas où ils auraient le sentiment de devoir m'aider. Pourtant, là, je voulais avant tout me la jouer solo. S'ils étaient assez stupides pour me fixer depuis un moment et espérer m'avoir aussi facilement, ils allaient bien vite déchanter. Je devais me défendre par moi-même. Une question de fierté, sans aucun doute. Je suis quelqu'un de fier de nature, après tout. Sinon, je ne tiendrais pas tête à ces clans depuis le temps et j'aurais bêtement craqué. Si je faisais croire, par mon attitude, que je me sentais menacée et que je voulais m'échapper, j'espérais surtout les piéger. Ils allaient déguster, les pauvres. D'ailleurs, ils ne m'avaient remarqué que parce que j'avais traîné un peu trop près des usines alimentaires. Même pas capables de me voir arriver bien longtemps à l'avance. Enfin bon...

A leurs démarches et leurs attitudes plutôt grossières, je sentais bien qu'ils n'étaient pas franchement finauds. Plutôt même débiles, je dirais. Sinon, pourquoi crier de la sorte et attirer mon regard en plus de tous les autres. Ah ! Au moins l'un d'eux semblait avoir compris que j'avais tout entendu. Ils allaient passer à l'étape intermédiaire, alors ? Ou avaient-ils compris qu'il valait mieux pour leur survie de me laisser reprendre mon chemin tranquillement ? J'espérais, pour eux, que c'était la deuxième option mais apparemment, j'espérais bien trop. Que je suis naïve, quand je le veux. Drôle, vraiment drôle, oui. Ils me coincèrent dans une allée plutôt reculée et sombre. Grand-bien leur fasse. J'allais plus facilement pouvoir leur rendre la monnaie de leur pièce sans qu'on ne me remarque de trop.

« Alors, les porcs. On s'amuse ? Je vous l'annonce de but en blanc : si vous ne déguerpissez pas tout de suite, il se pourrait que du sang coule. »

Ils rigolèrent, toujours aussi... gracieusement, bien évidemment. Désespérants, en plus d'être pathétiques. Voyez-vous ça. Ils pensaient avoir le dessus ? C'est ce que je compris quand le plus gros et le plus dégueulasse vint me prendre le bras droit. Je souris, me laissant faire, pour finalement me pencher et lui donner un bon coup de coude dans le ventre, juste bien placé. Après quoi, je sortis ma dague. J'en entendis un jurer.

« Tu vas rester bien sage ou tu vas nous le payer, compris, ma jolie ? »

Ma jolie ? Qu'ils m'énervaient. Sans plus attendre, je tendis ma dague, juste devant moi, dans leur direction. Un bon coup dans l'épaule de l'un, l'autre ce fut le genou et le dernier, le grassouillet, je lui laissai comprendre qu'il valait mieux en finir.

« Alors, je compte jusqu'à trois. Si vous ne vous échappez pas d'ici-là, il se pourrait que je sois un peu plus méchante encore. »

« La garce ! »

Ils restèrent plantés, là, à se plaindre, à gémir et à pester. Pauvres petits...

J'étais prête à leur rendre la pareille, à me déchaîner sur ces gros dégueulasses quand un inconnu, un intrus de surcroît, vint nous interrompre. Pour qui se prenait-il, hein ? Apparemment, il voulait lui en coller une, au gros. Comme moi, juste avant. Avait-il fait quelque chose de déplacé à cet étranger aussi ? Allez savoir. De toute manière, je n'en avais que faire. C'était mon coup, là, tout de suite. Il n'avait donc rien à faire ici, juste entre moi et mes futures victimes. En plus, pour sauter aussi directement au bon endroit au bon moment, ce ne pouvait être un simple hasard, une simple coïncidence. Je voyais donc d'un très mauvais oeil le fait qu'il vienne se mêler d'affaires qui ne le regardaient en rien. Je n'avais nul besoin d'un preux chevalier pour venir à ma rescousse. Je ne suis pas une demoiselle en détresse !

Si j'avais envie de le remettre à ma place, il s'était déjà occupé du gros et de ses deux acolytes qui avaient détalé sans plus attendre. Du coup, j'avais raté l'occasion de les remettre à leurs places, ces vieux dégueulasses qui s'étaient autorisés, je ne sais pourquoi, à m'observer et à espérer m'avoir comme d'autres filles beaucoup plus fragiles ou faciles. Non mais pour qui il se prenait ? J'étais dans une colère noire. Je fulminais. A cause de lui, je paraissais encore plus pour la fille faible qui ne sait se défendre face à trois lourdauds qui ne savent pas faire fonctionner leur cerveau. Malin... Vraiment malin, sa réaction à l'autre inconnu. En plus, il se permettait de s'installer, tranquillement, non loin de moi comme si rien ne s'était passé. Quel culot ! Je vous jure...

Je me tournai alors vers lui, rangeant ma dague, plus qu'énervée. Cela se voyait d'ailleurs sur mon visage : les sourcils froncés, l'énervement dans mon regard et en plus, j'avais les poings serrés. Il venait de toucher à ma fierté. Il n'allait pas repartir avec, de ma part, un simple « merci beaucoup ».

« Tu ne sais pas t'occuper de tes affaires ? Quelqu'un t'a demandé de venir t'en mêler, hein ? »

En même temps, je savais que je pouvais malgré tout le remercier, hein, mais c'était plus fort que moi. Il me renvoyait l'image de faiblesse alors que j'avais joué dans le jeu de ces abrutis pour leur en coller une, rien de plus, rien de moins. Je le fixai donc de la sorte, toujours debout, juste devant lui.

Il ne comprenait vraiment rien, cet imbécile. Avais-je seulement appeler au secours à en perdre la voix ? Avais-je demander que quelqu'un vienne me délivrer de ces brutes épaisses qui n'étaient, d'ailleurs, qu'épaisses physiquement, et encore, pas tous, mais qui n'avaient rien dans la tête ? Je ne pense pas. Alors pourquoi s'attendait-il à un « merci » en sachant qu'en aucun cas je n'avais voulu être aidée. Je savais me débrouiller comme une grande. Les garçons qui protègent une inconnue parce qu'il s'agit d'une « femme », c'est du pur machisme !

« Oh ? Une courbette, aussi ? Excuse-moi, je n'ai pas été très bien éduquée. Il faut dire que quand on vit seule, il est difficile de savoir comment survivre avec les autres. Mais tu dois savoir ça mieux que tout le monde, hein ? Un Membre ? Un Soumis ? En tout cas, tu dois être d'un clan, non ? »

Je pris une pause, soufflant entre mes différents reproches, m'asseyant à mon tour, ou plutôt, me laissant tomber à même le sol. J'étais encore beaucoup trop énervée. En plus, cet imbécile continuait de me tenir tête. Ce qu'il pouvait m'agacer. Au moins, il aurait pu s'en aller, me laisser tranquille, dans mon coin, toute seule. Stupide.

« Quoi que... Si tu étais d'un clan, tu saurais qu'il faut pas m'approcher. Je sais me défendre toute seule. Je ne suis plus une enfant, je pense que ça se voit, non ? J'étais à deux doigts de leur rendre la pareille et de leur faire oublier l'envie de venir me revoir un de ces quatre. Mais je suppose que je suis trop cruelle pour un homme qui, lui au moins, épargne les autres, hein ? »

Je lui relançais, par la même occasion, toute la colère que j'avais vis-à-vis des clans, sans même savoir s'il avait un lien avec eux. En fait, j'étais énervée de voir que ma façon d'agir dérangeait, une fois de plus, ceux qui ne me connaissaient pas. Il ne connaissait rien à mon parcours et à ma survie face à des imbéciles du genre de ceux qui viennent de fuir.

C'était ça qui devait me répugner instinctivement chez lui ! Je devais avoir senti qu'il traficotait avec les clans. Quelle horreur ! Enfin... J'avais beau pensé ça, rien ne m'avait prouvé qu'il était lié, de près ou de loin, aux clans. A nouveau, c'était ma fierté qui prenait le dessus. Et l'idée-même d'avoir pu être secourue, de force qui plus est, par un inconnu, je ne pouvais que davantage le lui reprocher s'il était lié à ces foutus clans. Enfin, à peu de choses près. Il disait ne pas être mécontent de ne pas faire partie, à part entière, d'un clan quel qu'il soit. En attendant, il était quand même de mèche avec ces incompétents et inhumains de Membres.

« Je comprends mieux pourquoi j'ai les poils qui sont hérissés rien qu'à la vue de ton visage. Les clans et moi, on est comme chien et chat. Et comme les chats, j'ai horreur de l'eau et je suis très impulsive. Et si tu veux te plaindre du nombre de morts, vas donc en discuter autour d'une tasse à café avec ces gentils petits redresseurs de tort. »

Tout ça pour lui faire comprendre que je ne me considérais pas comme étant en tort. Je ne faisais que chercher à survivre et encore plus face à des hommes qui se croient tout permis. Du coup, forcément, j'avais envie de montrer à ceux qui m'entouraient qu'il ne fallait pas me chercher, qu'au contraire, il valait mieux même m'éviter. Finalement, je pris sur moi. J'étais prête à m'excuser et lui faire comprendre que je pouvais faire la différence entre des abrutis finis et un homme juste assez stupide pour vouloir me défendre quand il ne le faut pas. Seulement, il a réagi comme il ne fallait pas.

« Parce que je suis une femme, hein ? Si tu doutes sincèrement de mon niveau, je t'en prie, vas voir les oiseaux et leur demander si je n'ai pas tenu assez longtemps sur leur territoire, monsieur je me crois mieux que tout le monde ! »

Je réagissais rarement aussi violemment et longtemps. D'habitude, je me serais déjà cassée et l'aurais laissé planté, là, en plein milieu de nulle part. Que m'arrivait-il ? Je devenais trop « gentille » envers ceux qui m'agaçaient ? Faible...

« Je n'ai même rien à te prouver ! Je voulais leur prouver qu'il ne fallait plus m'approcher, que je ne suis pas une proie facile, comme ils le pensaient. Et si tu étais plus souvent ici, tu saurais que c'est la seule façon de survivre à des crétins dans ce genre quand on est une femme, monsieur ! »

Je haussai les épaules à ses réponses. Dans un sens, il avait raison et je le savais très bien, mais c'était plus fort que moi, que voulez-vous. Si bien que, toujours posée à même le sol, comme lui, lui faisant face désormais, je cherchai à me dominer. Après tout, même si je refusais de l'admettre, il m'avait sauvé de ces imbéciles qui auraient pu me piéger d'une manière ou d'une autre. Je devais donc tenter de ravaler ma fierté, ce qui n'est pas toujours chose aisée pour moi mais voilà. Un véritable exploit que c'était.

« C'est bon. Je suis chiante, une véritable râleuse qui crise pour un rien. On a compris, non ? »

Ma manière de m'excuser... Pas géniale, n'est-ce pas ? Il ne pouvait pas espérer plus pour le moment. C'était être utopiste, sinon. Je savais que j'avais été un peu trop loin dans mes remarques, dans mes a priori rien que parce qu'il avait réagi sans que je m'y attende. Je devrais essayer de maîtriser cette maudite impulsivité, vous ne pensez pas ? Haussant alors les épaules, je m'approchai de lui, non pas pour le frapper, mais pour vérifier quelque chose. Me penchant, je vérifiai sa plaie bien que couverte mais par des vêtements qui venaient de traîner dans ce sable dégueulasse. Je sortis de mon sac un vêtement un poil plus propre, en tout cas, qui n'avait pas traîné dans du sable. Je changeai les deux bouts de tissus et reculai à nouveau.

« Ce sera toujours mieux que de risquer de plus gros soucis avec le sable. »

Après quoi je ne dis plus un mot, regardant sur le côté. Je n'avais rien à ajouter et je n'avais pas forcément envie de le regarder dans les yeux, maintenant.

Finalement, l'inconnu semblait bien plus compréhensif que je ne l'avais imaginé. Une incroyable imbécile, voilà ce que j'étais mais il ne faut surtout pas le répéter, n'est-ce pas ? Les membres pourraient voir cela comme une opportunité pour m'affaiblir ! Je soupirai, comprenant que j'étais celle qui avait créé tout cet énervement bien inutilement, évidemment. J'étais une spécialiste, dans ce genre de cas.

« Il faut dire qu'à force, on s'endurcit, même malgré nous. J'imagine que tant qu'on n'est pas seuls, c'est déjà un plus. Pourtant, je suis assez d'accord sur le fait qu'un peu plus de règles, même entre Libres, ne serait pas de trop. »

Voilà que je me laissais découvrir. J'étais tombée sur la tête ? D'habitude, j'étais un tout petit peu plus sur la défensive... Est-ce que, étrangement, je lui faisais vraiment confiance ? Je secouai la tête pendant quelques secondes, deux ou trois, avant de me reprendre. Quand bien même ce serait le cas, si je le sentais, c'était sans doute parce que, d'une certaine façon, je le sentais au fond de moi. D'ailleurs, il me fit, lui aussi, confiance. Il me laissa l'approcher et le soigner même partiellement. Bizarre... Je souris même si j'étais légèrement gênée à sa remarque. Il était optimiste et prenait ça à la rigolade. Sans doute une très bonne attitude.

« Oui, une Libre. Mais je suis rarement seule. J'ai des compagnons de voyage. »

Même si pour l'instant, ils n'étaient pas avec moi. Mais ce n'était rien. Je n'étais pas seule non plus puisque ce jeune homme était avec moi.

« Akiko... Si tu veux savoir. Et toi ? »

Je ne connaissais pas bien la troupe protégée. Quoi de plus normal vu que je n'avais même pas entendu dire que qui que ce soit, de Libre, était protégé par les clans. Alors, comment pouvais-je savoir de quelle troupe il faisait partie ? Mais soit. Ça ne changerait rien, en soi. Je voulais faire en sorte de le voir comme un Libre comme un autre puisque j'avais fait l'erreur de faire l'inverse, avant et que j'avais réalisé que c'était mal.

« Non, je ne connais pas de troupe particulière en soi. Je ne connais que ceux que je rencontre, donc quelques autres Libres qui se baladent en groupe pour survivre, comme moi. »

Voilà qu'il se permettait de juger ses camarades. Je ne le prenais pas mal du tout, pas le moins du monde. En soi, je savais qu'ils n'étaient pas loin et qui sait, peut-être avaient-ils leurs propres ennuis en ce moment-même. Je haussai les épaules, plutôt calme, toujours pour l'instant.

« Je leur avais demandé d'attendre un peu plus loin. Je ne voulais pas les impliquer dans ma recherche nocturne. Du coup, ils sont sans doute quelque part dans le coin. C'est moi qui ai décidé, Jared. »

Je pus terminer là-dessus puisqu'il s'était présenté juste avant que je ne commence à lui répondre au sujet de mes quatre compagnons de voyage, les quatre autres Libres qui traînaient avec moi de leur gré. Lorsqu'il se proposa de me raccompagner, je secouai négativement la tête. Il n'avait pas à en faire autant surtout après mon attitude désagréable et sa blessure.

« Je ne sais même pas où nous allons nous poser pour la soirée. Nous n'avons pas de camp définitif sinon, on risquerait de nous repérer trop vite. Alors, tu devrais y aller, ne t'en fais pas pour moi. »

Dès lors, je lui souris, à mon tour.