Je suis dans ces quartiers depuis toujours. Je suis une soumise, après tout. Pas que cela me dérange plus que cela. Je n'aime pas forcément non plus l'idée de ne pas pouvoir faire mes preuves en tant que membre, néanmoins, je la ferme. A ce sujet, en tout cas. Quand il s'agit d'autres choses, un poil plus frivoles, je suis tout de suite moins... gentille petite fille bien sage. Vous voyez le genre, quoi. Beaucoup me voyaient comme une pimbêche de première. Je ne le suis pas vraiment, à vrai dire. J'aime surtout me montrer, faire mon cinéma mais je ne mens pratiquement jamais. Même lorsque je cherche à séduire un beau mâle, je mets un poing d'honneur sur ce qui doit être valorisé et je tais ce qui ne doit pas être dit. Ce n'est pas un mensonge, n'est-ce pas ? Peu me connaissaient réellement. Au fond, je ne suis pas méchante. Je suis même plutôt gentille et loyale avec mes proches. Disons simplement que jusqu'à maintenant, je me suis souvent amusée à jouer avec les garçons qui me plaisent. Et puisque je ne me sentais pas encore prête à me lier à quelqu'un, je décidais souvent, quand j'avais peur que ça aille trop loin, d'aller voir ailleurs.

Ce matin-là, j'étais de bonne humeur. J'étais debout depuis les aurores ou presque. Je ne trouvais plus le sommeil après m'être réveillée il y a de cela déjà trois heures. Alors, autant me dégourdir les jambes, n'est-ce pas ? C'est ce que j'avais fait toute la matinée. Je ne voulais pas rester dans mon quartier, le quartier des soumis. C'est pour cela que je m'étais aventurée jusqu'aux alentours de l'entrée de notre territoire, le territoire des Aigles, le territoire Est. Il y avait déjà un peu plus de monde que lorsque je m'étais levée. Pour une fois, je n'avais pas trop de boulot en tant que couturière. Bonne chose. Je pouvais enfin profiter d'un petit moment de répit. Pour combien de temps ? Allez savoir. D'autant qu'il n'y avait pas de garçon avec lequel je pouvais m'amuser, pour l'instant. Attendre ? Sans doute. Dans cette optique-là, je m'étais adossée contre un mur de l'enceinte délimitant ledit territoire. Je regardais vers le ciel sans un mot, semblant un peu rêveuse.

Alors que la journée s'annonçait péniblement ennuyante, Swann était toujours aux abords de la frontière du territoire des Aigles. Pas grand-chose à faire aujourd'hui niveau couture et elle n'allait pas certainement pas se proposer pour aider les autres. Autant observer les environs. C'était moins fatigant. Pourtant, tant qu'elle ne trouvait personne à ennuyer, c'était elle qui allait se prendre la tête à trop réfléchir. C'est connu, c'est mauvais de faire chauffer des neurones qui pourraient se permettre une légère pause. N'est-ce pas ? En tout cas, la jeune femme voyait les choses de cette manière. Un esprit sain dans un corps sain ? Aussi mais les efforts ce n'était pas trop son truc. Alors, elle faisait juste un peu attention à sa ligne. Rien de plus, rien de moins. De quoi palier ses lacunes.

Heureusement pour elle, quelqu'un allait arriver. Puisque cela faisait déjà plusieurs minutes, bien dix, qu'elle ne faisait rien et ne croisait personne qui venait clairement dans sa direction, elle avait fini par fermer les yeux. C'était donc les pas du jeune inconnu qui attira son attention. Rouvrant les yeux et redressant le regard, la belle blonde put remarquer qu'il s'agissait du beau et charmant, bien que moins pour l'instant, Jéremy. Un sermon ? Déjà. Pas question de le voir râler plus longtemps. Sans bouger, pour l'instant, elle posa son regard sur lui.

« Pour l'instant, je n'ai rien à faire. »

Elle se redressa, finalement, pour se poser à quelques centimètres seulement de lui. Hochant la tête, elle arborait déjà son sourire d'amusement, de folie, de défi, même. Il fallait lui rendre le sourire à ce beau jeune homme.

« Et toi, ô mon mignon ? »

Il était certain qu'il allait réagir. D'ailleurs, c'est bien ce qu'attendait Swann. Sinon, pourquoi le chercher de la sorte, surtout maintenant ? Elle, elle allait lui rendre la joie d'antan mais à sa façon, bien évidemment.

Ah ! Comme je l'avais prévu, le jeune homme réagissait au quart de tour. Il était comme on le décrivait en ce moment ; ronchon et extrêmement susceptible sur les bords. Ce n'est rien. J'adorais relever les défis. Et ce défi était sacrément grand, de quoi flatter mon égo. C'était sans doute lui le plus à plaindre dans la situation actuelle. Je n'étais pas de ses soumis discrets. Je préférais me montrer au meilleur de ma forme et taquiner de temps en temps les charmants jeunes hommes, comme Jéremy, qui venaient rôder tout près de moi.

« Me trouver de quoi m'occuper ? Même si notre grand chef m'a autorisé à rester au repos pour le moment ? »

Bon, ce n'était pas tout à fait exact. Je n'avais pas été demandé si je devais faire quelque chose. Rien n'était demandé non plus et je profitais donc simplement de cette occasion pour souffler. Ou pour draguer, dans ce cas. Ou plutôt, aguicher ? C'est déjà moins présomptueux. Enfin, presque. D'ailleurs, j'étais bien tentée de rajouter un petit grain de sel.

« Mais nous pourrions rapidement trouver de quoi nous occuper tous les deux, non ? Un peu d'entraide et de solidarité ne fait jamais de mal ! »

Je rigolai doucement à ma propre insinuation. C'était plaisant. Son regard qui me fixait me plaisait davantage. Je passai ma langue sur mes lèvres avant de sourire, tout simplement.

« Mon nom ? Swann ! Un signe parmi les aigles, n'est-ce pas magique ? »

Je ne pouvais pas m'empêcher de faire ce genre de remarques. Cela n'allait certainement pas plaire à monsieur boudu, mais tant pis. Je restais fidèle à moi-même, surtout face à un beau garçon dans son genre. Il pouvait aisément prendre cela pour un compliment. Dans le cas contraire, c'est dommage mais je n'allais pas en rester là.

Ce n'est pas le moment, hein ? Qu'il est mignon. Après tout, j'étais décidée à le faire changer, même momentanément, d'attitude. Il faisait fuir tout le monde à force et j'avais bien envie de m'amuser un peu. Alors, il pourrait, lui aussi, dire ce qu'il voulait, il n'arrivera jamais à me faire changer d'idée. Je suis très têtue, très bornée. Pas question de fléchir devant un garçon avec lequel je veux jouer, qu'il soit d'abord d'accord ou non.

« C'est dommage. J'ai tendance à être extrêmement déterminée. Et là, j'ai franchement envie de m'occuper. Puisque tu n'as rien à faire non plus, ce serait plus intéressant de s'occuper ensemble. Il parait que c'est utile de resserrer les liens entre membres d'un même clan. »

S'il augmentait déjà la distance entre nous deux, je faisais un nouveau pas dans sa direction. Je n'allais pas lâcher l'oiseau de si tôt. L'aigle a beau être un rapace assez doué pour la chasse, je le suis tout autant. Oui, même moi, un simple cygne. Quand je m'agrippe à l'aide de mon long cou, je tiens très longtemps. Il était, en tout cas, très répondant. Au moins, il n'avait pas perdu la parole, au contraire de son sourire et de sa sympathie.

« Ah bon ? Et tu ne connais pas la magie des sentiments ? A moins que les aigles n'en soient complètement démunis ? Pas moi, en tout cas. Ah mais oui ! Je ne suis qu'une soumise, ça doit être ça ! »

Je rigolai ensuite à sa réflexion par rapport à mon nom. Il n'était pas en manque d'arc, le jeune aigle. Et c'est connu, les arc-à-flèches ne fait pas bon ménage avec un cygne. Vous n'avez jamais entendu parler du lac des cygnes ? Eh bien voilà.

« Pourtant, on m'a déjà dit que des chats savent vivre avec des chiens. Des souris savent vivre avec des chats. Est-ce donc impossible qu'un aigle, même râleur, puisse s'entendre avec un cygne ? »

Je hochai la tête, tout sourire. J'espérais qu'il comprendrait rapidement l'allusion. Dans un premier sens, c'était surtout pour voir s'il avait autant d'aversion pour la compagnie que ces derniers jours.

Pathétiques. Si c'était là la façon de penser des Aigles, j'étais tombée bien bas en restant dans ce clan. Pourtant, je ne perdais pas à l'esprit que je devais leur prouver qu'ils se trompaient. Mais si attaquer de front ne servait à rien, j'allais agir en squattant en dehors du clan. Peut-être se rendraient-ils compte que je mettais un peu d'animation. Si non, tant pis. On ne peut pas toujours forcer les choses, n'est-ce pas ? Et puisque je ne voulais pas mourir, je préférai m'écarter et laisser monsieur le sans coeur dans son coin. Qu'il me voit comme une faible, puisque j'avais des sentiments, même s'ils sont plus de revanche en ce moment qu'autres.

« Bien, bien, si monsieur le veut, monsieur aura. »

Je me moquais encore une fois de lui, mais indirectement, pour le coup. S'il était assez intelligent, il le comprendrait mais me foutrait la paix puisque je le laissais tranquille. Sinon, encore une fois, tant pis. Je m'écartai donc, allant rejoindre le mur sur lequel j'étais appuyée jusqu'au moment où je l'avais vu venir. Je m'y assis, sans un mot de plus, le regardant, attendant sa réaction. Qu'il s'en aille ou non, il était maître de ses choix. Pas question de mourir pour un garçon qui se moquait bien des autres.

Il s'excusait ? Je rêve. Je ne comprenais décidément rien à ce Membre, à ce Jéremy. Si les garçons de mon clan restent un mystère pour moi, là, c'était encore pire. Je l'agaçais, je l'avais remarqué. Et c'était mon attitude qui l'avait mis hors de lui. En même temps, cette attitude servait à les titiller, donc, en soi, rien d'illogique. Alors pourquoi était-ce à lui de s'excuser ? Pas que je me sentais mal de ne pas m'excuser, loin de là. Enfin, disons que oui, au fond de moi, il y a bien quelque chose qui me ruminait et me sapait le moral et l'envie de l'envoyer se balader. Ce n'était pas tous les jours que je ressentais un tant soi peu de remord vis-à-vis de mon attitude que j'avais délibérément choisi d'exagérer. Relevant alors la tête vers le jeune homme, Jéremy de son prénom, je haussai alors les épaules.

« C'est pas comme si je ne l'avais pas cherché. Alors, on peut dire qu'on est quittes. »

Parce que je m'excusais, j'espérais que ça lui suffirait. J'avais horreur de me montrer comme ça devant les « mecs » et devant tout le monde, en fait. Ma carapace de séduction et de fierté ne pouvait pas être détruite sans que je ne veuille m'éclipser. Sinon, je perdais à nouveau en crédibilité alors que je voulais prouver que j'étais capable de bien plus qu'on ne le pensait, juste parce que j'étais une femme.

Voilà qu'il voulait jouer les nounous... Il ne savait décidément pas ce qu'il voulait, le pauvre petit Membre. Je n'avais clairement pas besoin de quelqu'un pour me surveiller, surtout pas maintenant. J'avais pas envie de voir qui que ce soit alors que je m'étais excusée, chose que je faisais rarement. Fallait-il lui dire clairement que je préférerais être seule ? Je ne voulais pas être humiliée davantage face à ce garçon qui changeait d'idée comme de chemise.

« Si c'est pour jouer les nounous ou les gardes, je pense qu'on est assez entourés que pour que je ne recommence ce petit cinéma. Et je n'ai pas de jeux en tête, si c'est ce que tu veux savoir. Ou en tout cas, pas de jeux qui pourrait amuser un mâle, et encore plus un Membre. Tu m'en vois désolée. »

J'étais sans doute violente et un poil trop abusive dans ma façon de m'exprimer, mais c'était ma façon de me protéger, surtout quand je comprenais qu'il risquait de voir ma face plus douce et un peu plus... blessée que je cachais derrière ce charme abusif. Si je l'agaçais à ce point, cela ne lui plairait pas non plus, et alors il partirait sans que je n'ai à l'en prier. Et de cette façon, je n'avais pas à justifier mon attitude abusive de tout à l'heure face à ce changement radical. Je ne réalisais pas qu'il voulait sincèrement parler pour reprendre à zéro, sur de bonnes bases. Foutue têtue. Peut-être allait-il me faire entendre raison.

Particulier et pas très courant ? Mais quelle imagination pour lancer un débat... Je haussai les épaules, détournant légèrement la tête. J'avais cru comprendre qu'il était resté pour me surveiller, pour éviter que je n'aille en embêter un autre. Est-ce que ça me donnait l'envie de lui parler du coup ? Absolument pas. Je n'avais pas envie qu'on me surveille comme on surveille un prisonnier ou, au choix, un enfant. C'était humiliant, vexant. En plus, après notre discussion très houleuse, même s'il m'avait expliqué son attitude précédente, je n'en avais que faire. Il voulait me montrer sa véritable personnalité ? J'avais, de mon côté, uniquement envie de me terrer pour qu'il ne cherche pas à en connaître plus sur moi. Il n'avait pas l'air de le comprendre ou juste pas l'envie.

« Jéremy, ça l'est plus. J'en suis ravie. Ça change quelque chose ? »

Ce qu'il pouvait être agaçant à me coller de la sorte. Je refusais que quiconque apprenne ce que j'avais au fond de moi. Pas question de me dévoiler à qui que ce soit. N'est-ce pas assez clair ? Mon petit jeu ne suffisait pas ? Ni même celui-ci ? Alors, j'étais perdue. Il fallait qu'il s'ennuie à son tour pour avoir la chance qu'il me laisse, j'imagine.