Shattered ϟ
PV ELI

L'Aigle cher à mon cœur était bien plus lourd que ce que j'avais imaginé au départ. Si je peinais à le soutenir, il avait autant, si pas plus, de difficultés à marcher. Son corps était comme engourdit, à cause d'une drogue inoculée par l'improbable duo pour qu'il se tienne tranquille durant le transport probablement. Sur le coup, j'aurais préféré qu'ils ne fassent pas preuve d'autant de prudence, ma tâche aurait été nettement plus simple. Heureusement, la maison était en vue. Baissant les yeux vers Eli, je lui adressais un sourire qui se voulait rassurant et encourageant, mais le cœur n'y était pas vraiment.  

Courage, on y est presque.

Il haletait sous le coup de l'effort, de la douleur aussi sûrement, mais il y avait trop de sang sur lui pour que je puisse vraiment définir l'étendue des dégâts. Plus quelques mètres. Avec un soulagement visible, je poussais la porte de la bâtisse et m'engageais franchement à l'intérieur. Rien avait changé, le lit était au fond de la pièce et je m'y dirigeais directement pour déposer le blond. Le propriétaire des lieux s'était levé brusquement, portant la main à sa lame, mais son faciès menaçant avait immédiatement changé pour une mine inquiète lorsqu'il m'avait reconnue.

Alessandra, qu'est-ce qu'il se passe ? Tu es blessée ?

Le rouge teintant mon t-shirt laissait en effet planer un doute, mais je le rassurais rapidement sur mon état. Techniquement, mon bras réclamait aussi des soins, mais ce n'était qu'une égratignure en comparaisons des plaies qui suintaient de sang sur le corps d'Eli.

Va chercher Charly. Vite !

L'homme ne se fit pas prier et partit sur les chapeaux de roue pour aller quérir l'infirmier de notre clan. Quand la porte claqua, je venais de terminer d'allonger l'Aigle sur le lit et je récupérais déjà une seau contenant un fond d'eau et un linge propre. Après avoir mouillé ce dernier, je le passais doucement sur son visage pour le soulager un peu en attendant Charly. Malgré cette attention, je restais silencieuse. Je ne savais pas quoi lui dire et c'était à peine si j'arrivais à le regarder dans les yeux. J'avais honte d'avoir laissé les choses s'envenimer de cette façon, tout ça était à mettre sur le dos de ma lâcheté...

Je serais les dents lorsque mes porteurs me laissèrent tomber. Mais la voix que j’entendis alors me fit me demander si je n’avais pas fini par m’évanouir à nouveau. Malgré un effort surhumain je ne réussis pas à tourner la tête pour vérifier si j’étais toujours conscient ou non et si Al était bien là. J’essayais de me concentrer sur la discussion qui se déroulait alors, mais les voix me parvenaient déformées et les paroles étaient incohérentes. Au bout d’un temps qui me semble interminable, je me sentis à nouveau porté, mais de façon moins assurée cette fois. C’était bien Alessandra, n’est-ce pas ? Malgré mes forces réduites à néant, une sorte d’instinct obligeait mes jambes à soutenir un minimum mon corps. Malgré la douleur qui irradiait et le sang qui battait à mes tempes, j’avais l’impression d’avoir cessé de respirer, pourtant chaque inspiration provoquait comme un coup de couteau dans ma poitrine, et j’avais le souffle court. Alessandra essayait de me rassurer et de m’encourager, mais mon esprit assimilait mal les informations, aussi me contentais-je de continuer à me maintenir appuyé sur elle. Je perçus vaguement la présence d’un homme dans le lieu où Al m’avait emmenée, mais il ne resta pas. La Jaguar m’allongea sur un lit, et le monde se stabilisa quelque peu. Une fraicheur agréable me fit ouvrir les yeux jusqu’alors fermés par la crispation, la douleur et des plaintes contenues. Al était bien là, penché au-dessus de moi. Je voulus prendre sa main, la rassurée, mais mon corps ne m’obéit pas. Je cherchais alors son regard, mais il était fuyant. Ma vue se brouilla alors, et je fermais à nouveau les yeux. J’avais envie de me tordre de douleur, mais heureusement le paralysant m’en empêcha. J’étais dans un piètre état… à nouveau, et une fois encore face à Al. J’avais lu la culpabilité sur son visage, et je ne pouvais pas lui dire que ce n’était pas sa faute. Une larme roula sur ma joue malgré moi, une larme de douleur, de rage, et de peur aussi. Si je ne saignais que du torse et de la jambe - tiens, cette douleur avait presqu’été effacée d’ailleurs… - j’avais l’impression que cette était la bonne, et que j’allais mourir vidé de mon sang. Mais peut-être n’était-ce qu’une impression, il m’était impossible d’évaluer les dégâts après tout. Le marteau dans ma tête m’en empêchait. Pitié que ce calvaire s’arrête…

Maintenant qu'il était allongé, Eli me paraissait encore plus faible. Il gémissait entre ses dents, visiblement un peu perdu dans un délire provoqué par la douleur et la saloperie qu'on lui avait administré. Inquiète, je me penchais pour poser mon front sur le sien et constatait qu'il était brûlant. Paradoxalement, sa peau était couverte d'une sueur glacée. Il faisait de la fièvre, c'était à la fois bon et mauvais signe. Une mauvaise réaction au produit contre lequel son corps luttait ? Difficile à dire. Cela pouvait aussi simplement provenir des diverses blessures et des chocs reçus. Trempant le linge dans l'eau à température ambiante, je le repassais sur son visage, puis descendit dans son cou pour essuyer sa nuque. Je finis par laisser la compresse tiède sur son front et récupérait mon couteau que j'utilisais pour achever de ruiner son t-shirt. Un hématome se formait sur son épaule, mais le plus impressionnant était quand même la plaie sur son torse. Quelqu'un avait ré-ouvert la cicatrice que lui avait faite Kim et, si la coupure n'était pas profonde, cela n'en restait pas moins une plaie sérieuse.

J'espère que Charly sera vite là...

Lui saurait quoi faire, mais surtout il pourrait soulager le blond de la douleur. Glissant une main sur sa joue, je sentis quelque chose d'humide rouler contre mes doigts. Juste une larme perdue par un Eli complètement détruit. Cette constatation me fit sauter le cœur au bord des yeux. Les perles salées tendaient bien de quitter mes cils, mais je battais précipitamment des paupières pour les chasser. Où irions-nous si, même moi, je me mettais à pleurer ? Heureusement, la porte s'ouvrit et l'infirmier jaillit dans la pièce. Il m'écarta avec délicatesse, ordonnant à Aaron de vérifier mon bras pour nous avoir hors des pieds, et sortit son matériel d'un sac en cuir qu'il baladait partout avec lui.

Tu as bien besoin de sombrer dans les brumes, mon gars. Tu verras, dans une poignée de secondes, tu ne sentiras plus rien.

Une injection dans l'abdomen plus tard, Eli semblait plongé dans un sommeil qui avait éloigné les douleurs. Au moins, il aurait un moment de répit pendant que le brun s'occupait de ses blessures. Assise sur la table, je le surveillais avec attention alors que mon père nettoyait l'éraflure faite par la flèche avec un peu d'alcool. Si je serrais de temps en temps les mâchoires sous la morsure du désinfectant, je ne sentais la plupart du temps même pas la douleur, bien trop inquiète pour m'occuper de ma personne.

Dès qu'il eut fini avec l'Aigle, Charly vérifia que je n'avais pas besoin d'une suture, puis partit. Il n'avait pas posé de questions à propos de ma présence ici et n'avait même pas sourcillé en voyant son patient. C'était ce que j'aimais chez lui, il savait rester à sa place contrairement aux autres Jaguars qui se faisaient généralement un plaisir de se mêler des affaires des autres.

Plus tard, je m'installais au côté d'Eli pour veiller sur son sommeil que Aaron préparait un ragoût en prévision du réveil de notre invité. Bercée par la voix de mon père, je me laissais aller à un certain calme alors que je caressais les cheveux du jeune homme d'un geste régulier. Il irait bien après beaucoup de repos, Charly me l'avait promis.

Des images me revenaient en tête, des cauchemars que j’avais déjà du affrontés et dont, quoi que j’en dise, je ne m’étais jamais vraiment débarrassés. J’eu soudain l’impression de trembler de toute part, un tremblement incontrôlable que je n’arrivais pas à identifier comme réel ou non. Je sentais toujours l’eau fraiche qui se tiédissait rapidement sur ma peau, mais je n’osais plus ouvrir les yeux, espérant presque m’endormir en les gardant fermé. Il faut croire que mes prières silencieuses avaient été entendues. Une nouvelles voix, masculine également, se fît entendre. Elle me parlait ? Je rouvris les yeux furtivement et les fermais aussitôt afin de dissimuler la panique qui m’envahissait. C’était qui lui ? Ses paroles s’insinuaient en moi comme une menace, et je ne pouvais rien faire. « Tu ne sentiras plus rien… ». Comptaient-ils m’achever pour finir ? Je ne sentis même pas la piqure, mais je fini enfin par sombrer dans une sorte de sommeil sans rêves.

Je ne sais pas combien de temps j’ai dormis, ni même si j’avais vraiment dormis en fait… Ma conscience m’avait quittée pendant un long moment pour finir par revenir en douceur. D’abord une sensation agréable au niveau de la tête, comme une caresse, puis un mal plus sourd dans le crane et une douleur désagréable à l’épaule, une douleur plus aigüe, bien que plus supportable, au niveau du torse et enfin un léger tiraillement au niveau de la cuisse. Je pouvais bouger aussi, je le sentais, mais je n’en avais pas envie. Du moins pas encore. Mais il fallait croire que ma conscience en avait décidé autrement. Une image fugace me traversa l’esprit, un éclair rougeâtre suivit d’un trait de douleur, et je me redressais en sursaut avant de retomber allongé en grimaçant de douleur, le bras serré sur une blessure refermée, mais encore vive. Mon regard balaya la pièce, cherchant à comprendre où j’étais et à rassembler mes idées. Al… Al était là. Que faisait-elle là ? Et l’autre homme, je ne le connaissais pas… Où étions-nous ? J’avais soif, mais pourtant je n’eus pas comme premier réflexe de demander de l’eau. Attrapant la main d’Alessandra, je la serrais du peu de force que j’avais afin d’être certain qu’elle était bien là, et que je ne délirais pas. Calmant les battements paniqués de mon cœur, je fis un gros effort pour réussir à articuler quelques mots d’une façon la plus distincte possible.

« Que s’est-il passé ? Pourquoi es-tu là ? »

Je somnolais à moitié contre le lit, mes doigts caressant machinalement le front d'Eli, lorsque ce dernier se redressa en sursaut. Sous le coup de la surprise, je reculais brusquement, heurtant le mur derrière moi. Le blond retrouva rapidement sa position horizontale et, moi, je m'agenouillais à ses côtés, inquiète. Il souffrait, sûrement la fin des effets de l'antidouleur injecté par Charly. Je cherchais du regard la dose qu'il avait laissé en cas de réveil avant son prochain passage, mais le jeune homme m'en empêcha en saisissant ma main. Il tremblait et semblait toujours aussi faible, mais au moins il était conscient. Et son esprit était suffisamment clair pour qu'il pose des questions. Un peu mal à l'aise, j'entrepris de lui répondre. A vrai dire, j'avais espéré qu'il pourrait m'en dire plus.

Je ne sais pas trop. Comme tu n'es pas revenu, je suis partie à ta recherche et un type de mon clan m'a dit qu'il t'avait vu près du QG. J'y ai été et je t'ai trouvé avec Zayne et Roxanne. Ils t'ont mis dans un sale état... Il fallait te soigner donc je suis retourné chez mon père et il a été cherché notre Infirmier. Ne t'inquiète pas, ici tu es en sécurité.

Du moins, je l'espérais.

Alessandra me répondit d’une voix peu assurée. Le QG de son clan… oui, je me souvenais maintenant. Noâ m’avait capturé pour une raison qui n’était pas encore très claire, et je m’en était pris plein la figure. Zayne et Roxanne, c’est donc ainsi que s’appelaient les deux autres. Al n’avait pas mentionné Noâ, et je me retint de prononcer son nom. Une autre information s’insinua alors en moi : son père ?! Fouillant à nouveau la pièce du regard, je tombais sur un homme, relativement jeune pour être son père… en fait. Je fronçais les sourcilles en me demandant si c’était bien lui, mais j’avais un peu du mal à regrouper les informations à cause de ‘impression de fatigue qui m’engourdissait l’esprit. Enfin ce n’était peut-être pas qu’un impression en fait…

J’essayais de prendre une grande inspiration, mais me coupais net dans ma lancée, vidant aussitôt l’air de mes poumons. Respirer trop profondément me faisait mal, je me contentais donc d’essayer de respirer calmement par petits coups avant de reprendre la parole.

« Je me suis fais avoir… comme un bleu… Ton père,… ce n’est pas lui, si ? »

Les informations se bousculaient dans ma tête, et j’avais du mal à articuler mes propos tout en leur donnant du sens. Je passais d’une pensée à l’autre sans aucune cohérence, et je devais me concentrer pour poser une questions qui me semblait pertinente sans sortir d’autres idées parasites. Et surtout, je devais me concentrer pour ne pas aborder le sujet de Noâ. Al ne semblait pas être au courant de sa présence à l’interrogatoire, et je si je devais le lui dire, mieux valait que je puisse y réfléchir à tête reposée avant…

Tu as fait face à deux pointures aussi. D'ailleurs, je m'étonne que Zayne ait été si...calme...avec toi. Ce type est un vrai malade quand il s'y met. Roxanne a sûrement dû le modérer.

La suite me surprit un peu. L'esprit d'Eli devait être bien embrouillé pour qu'il passe de cette façon du coq à l'âne. Un sourire amusé flottant sur mes lèvres, je suivis son regard et observais un instant mon père qui remuait doucement son ragoût. En sentant qu'il était le centre de l'attention, il se tourna et nous adressa un petit signe de la main.

Il s'occupe de moi depuis que Noâ m'a trouvée. Eli, je te présente Aaron. Il était Membre des Jaguars avant.

Une fois qu'il eut terminé ce qu'il était en train de faire, l'homme nous rejoint et adressa un sympathique sourire au blond. C'était un bon vivant, très ouvert et qui se liait facilement aux autres, tout le contraire de moi en somme.

J'aurais préféré faire la connaissance du petit ami de ma fille autrement, mais ravi de rencontrer enfin le dénommé Eli.

Je détournais les yeux vers le mur lorsqu’Al remarqua que le dénommé Zayne n’y avait pas été aussi fort qu’il l’aurait pu, et que cela était surement dû au fait que la fille l’avait modéré. Si Roxanne y était aussi pour quelque chose dans le fait que le mec ne m’ait pas mis en pièce, elle n’était pas la seule… Mais je me retins bien de relever la chose. Heureusement pour moi, l’attention fût vite détournée vers l’homme qui préparait à manger. Alessandra me le présenta alors qu’il nous adressait un signe de la main en guise de salut. Alors ce n’était pas son vrai père… ce qui expliquait l’âge… Il finit par s’approcher en souriant, ce qui me détendit un peu. Il n’avait vraiment pas la tête à vouloir m’étriper sur place, et Al semblait détendue en sa présence, je pouvais donc baisser ma garde… si garde il y avait vu mon état d’esprit actuel… Je voulus me redresser mais me ravivais bien vite en grimaçant et serrant les dents. Mon esprit commençait à s’éclaircir, et si je me sentais vidé, je luttais pour ne tomber comme une masse. Je posais les yeux sur Aaron avant de prendre la parole, avec difficulté mais déjà plus de clarté..

« Je vois que… vous êtes mieux informé… que moi. Merci pour votre… accueil, et désolé. »

J’étais plutôt content qu’Alessandra lui ai déjà parlé de moi, même si elle lui avait surement exposé rapidement la situation alors que je… « dormais ». Enfin bon, tout ce que j’avais à savoir pour le moment, c’était que j’en avais de nouveau pour des semaines avant de récupérer, mais la présence d’Al durant ma convalescence me rassura. Je fermais les yeux un moment et tentais de nouveau de me redresser, en vain. Je soupirai et changeai le sujet de mes pensées en parlant de tout autre chose.

« Ca sent bon… »

Mon père avait raison, les conditions étaient loin d'être idéales pour une première rencontre. Eli devait sûrement détester se montrer aussi faible devant un inconnu, peut-être même ne se sentirait-il pas assez à l'aise pour se détendre et se reposer. Heureusement, il y avait les médicaments donnés par Charly, mais ce n'était qu'une façon d'endormir le mal et sa conscience, ce n'était donc pas optimal non plus. Il tenta de se redresser, mais s'arrêta au milieu de son geste en grimaçant ce qui faillit me faire réagir avec inquiétude. Pourtant, je réussis à me contrôler et n'esquissais qu'une moue peu rassurée. Après tout, les mecs n'aimaient pas vraiment qu'on souligne leurs faiblesses devant un autre mâle.

Alessandra m'a un peu parlé de toi la dernière fois que nous nous sommes vus. Je crois qu'elle avait besoin de confier à quelqu'un ce qu'elle ressentait.
P'pa !

Il rit en constatant la rougeur sur mes joues et dériva discrètement sur un autre sujet, jugeant que le moment n'était pas forcément adapté pour me taquiner.

Tu seras en sécurité ici, Charly gardera le secret.

Suite à la remarque d'Eli à propos de l'odeur qui émanait de la marmite, Aaron se mit à sourire. Il retourna d'ailleurs devant les fourneaux et servit trois bols qu'il laissa sur la table le temps que le ragoût refroidisse un peu.

Manger devrait te faire du bien. Je dirais même vous faire du bien. Vous avez tous les deux besoins d'être remplumés !

La remarque d’Aaron et la réaction d’Al me firent sourire. Son père semblait être un bon vivant, et j’étais rassuré du fait qu’elle put parler avec quelqu’un en qui elle avait confiance. J’adressais un regard reconnaissant à l’homme alors qu’il me confirmait que j’étais en sécurité en ces lieux. Je me rendis alors compte de ma situation, qui me sauta violement à la gorge. J’étais dans un état tellement pitoyable que j’en étais réduit à me réfugier en territoire ennemi, sous la coupe d’un inconnu, et en présence de celle que j’étais sensé protégé alors que je ne savais même pas me protéger moi-même. Mon égo et ma fierté en prirent un sacré coup. Serrant les dents, j’entrepris une nouvelle fois de me redresser, prenant appuis sur le mur et essayant de rester le plus droit possible. Je me retrouvais donc assis sur le lit, les yeux rivés sur les bols fumants posés sur une table. J’avais faim… c’était plutôt rassurant en soi. Même si j’avais l’estomac et la gorge noué, je n’avais pas perdu l’appétit, et cela m’aiderait certainement à récupérer plus vite, pas comme la dernière fois…

J’essayais de bouger lentement les parties douloureuses de mon corps, mais si la douleur était désormais supportable, je devais me rendre à l’évidence : J’étais bel et bien bloqué ici pour un moment… Me tournant de nouveau vers Aaron, je m’éclairci un peu la gorge avant de prendre la parole, d’une voix encore enrouée, mais plus sûr.

« Je ne veux pas abuser de vôtre hospitalité… Vous risquez gros en me gardant ici. Je retournerais chez les Aigles dès que possible… »

Je serais bien partit à l’instant si j’avais pu me lever. J’espérais pouvoir marcher le lendemain, même si j’en doutais, mais je ne pouvais pas rester là et les mettre tous les deux en danger. Et puis je donnais un spectacle déjà suffisamment minable que pour en plus jouer les parasites blessés… Je devais partir, même si rentrer au QG signifiait de nouvelles réprimandes pour absence prolongée… Mais je préférais encore ça que de passer pour un homme faible aux yeux d’inconnus, ou pire encore, aux yeux d’Alessandra…

Non...

Les paroles d'Eli me pincèrent légèrement le cœur. Quelle idiote, bien sûr qu'il allait repartir ! Naïvement, j'aimais le savoir ici, comme si le fait de l'avoir sous les yeux me rassurait. Pourtant, sa présence n'avait rien de rassurante, il était en danger et Aaron aussi, même si je le connaissais suffisamment pour savoir qu'il s'en sortirait toujours. Mon père était un roublard doublé d'un vil charmeur, il savait donc parfaitement comment passer entre les mailles du filet. Ce n'était après tout pas pour rien que je lui avais été confiée.

Enfin, il faut que tu récupères. Si tu rentres chez les Aigles dans cet état, tu auras encore plus de problèmes.

Dieu que j'étais stupide. Je me comportais comme une petite gourde de Soumise cherchant à retenir un Membre de peur qu'il soit blessé au combat. Pourtant, j'étais la première à savoir que résister à l'appel du clan était difficile, voir impossible.

Vous devriez manger. Un estomac vide n'aide pas à fortifier le moral.

Sourire léger aux lèvres, Aaron tendit un bol au blond avant de m'en donner un, me poussant d'un coup de menton à manger. Je n'avais pourtant pas très faim, mon estomac restant douloureusement noué depuis l'annonce du jeune homme.

La réponse d’Alessandra ne se fit pas attendre : un « non » hésitant, mais catégorique. Mais elle se rendit rapidement compte de ce qu’elle venait de dire et enchaina pour justifier sa réponse. Malheureusement, elle ne fit que confirmer ce à quoi j’avais déjà penser, et si j’aurai pu être touché par son inquiétude, je pinçais plutôt les lèvres et me forçais à ne pas répliquer, détournant les yeux pour dissimuler mon trouble. Aaron repris alors la parole, nous proposant de manger tout en me tendent un bol. Je le remerciais d’un signe de tête et respirais la bonne odeur émanant de la préparation. Il avait raison, manger me ferait du bien. Portant la cuillère à ma bouche, je profitais du goût quelques secondes avant d’avaler avec plaisir et d’affirmer au cuisinier que c’était délicieux. Cela faisait longtemps que je n’avais plus mangé un repas chaud. Depuis la Fête des Orages en fait… Je repris deux trois bouchées avant de me tourner à nouveau vers Al.

« Tout comme tu savais que tu ne resterai pas éternellement chez mes parents, tu sais que je ne pourrai pas rester éternellement ici, n’est-ce pas ? »

Elle le savait, je n’en doutais pas, mais sa réaction me faisait dire qu’elle espérait quelque chose malgré tout, et mieux valait mettre les choses au claire directement. Même si je la voulais en sécurité chez mes parents, elle était en danger malgré tout, et eux aussi. La situation était aujourd’hui inversée, mais exactement pareille…

Je me sentais particulièrement idiote. Comment avais-je pu lui dire ça ? Des problèmes, il en aurait de toute façon. Et puis, on parlait quand même de son clan. Pourtant, j'étais heureuse de passer du temps avec lui même si les conditions étaient chaotiques. Est-ce que c'était anormal ? L'idée devait dans tous les cas lui passer loin au dessus de la tête. Un peu penaude, je baissais les yeux vers mon bol et observais les légumes qui flottaient à la surface. Parfois, j'avais la sensation d'être une toute autre personne depuis que j'avais fait sa connaissance. Il m'était difficile de dire si c'était un bien ou un mal, mais dans tous les cas ce n'était pas forcément agréable tous les jours.

En constatant mon trouble, mon père s'approcha et me toucha légèrement l'épaule, ses yeux passant de mon visage au bol.

Mange ! Tu as vraiment besoin de reprendre des force et personne ne sait de quoi demain sera fait.

Bien sûr. Durant un temps, j'avais oublié que mon retour sur le territoire aurait certainement des conséquences. J'avais bafoué l'autorité de ma Chef comme jamais et je doutais sincèrement du fait qu'elle laisserait passer un tel acte. Sûrement l'avais-je même une nouvelle fois déçue. Comme si je ne lui avais pas déjà donné assez de raisons de m'en vouloir...

En réponse à cette pensée, on frappa soudainement à la porte. Trois coups puissants et sans appels, cela n'avait rien à voir avec une visite de courtoisie. J'en eu la confirmation si tôt que la voix de Grey se fit entendre.

Aaron, ouvres !

La panique me submergea et je restais tétanisée. Pourquoi Grey ? Tâchant de réfléchir, j'en viens à la conclusion que le fait que ce soit lui était un indicateur plutôt positif. Il était l'un des principales suiveurs de Noâ et elle avait toute confiance en lui, cela ne pouvait être un hasard. Alors, plutôt que de chercher à me cacher, je regardais sans laisser transparaître une once d'émotions mon père qui allait ouvrir la porte au jeune homme. Ce dernier parut soulagé de me voir et il pénétra dans la maison après avoir jeté un regard prudent à l'extérieur, craignant visiblement d'être suivi.

Noâ veut te voir. Elle a lancé un contrôle du territoire, mais bien sûr, personne ne te trouvera. Les autres Membres sont à l'autre bout du quartier, il faut que tu me suives au QG. Maintenant.

Alors elle avait encore décidé de me couvrir ? Incrédule, je fixais le brun avant de prendre ma décision. Si Noâ m'offrait une chance, je ne pouvais pas la refuser. Je me levais donc et posais le bol intact sur la table pour rejoindre Grey qui feignait de ne pas faire attention à la présence du blond qu'il connaissait pourtant parfaitement. Décidément, ma dette envers lui devenait énorme...

Ma question troubla Alessandra, qui ne me répondit d’ailleurs pas. Heureusement, son père intervint, lui disant de manger. Je gardais les yeux rivé sur ma propre ration, avalant gorgées après gorgées avec une certaine lenteur. C’est alors que des coups retentirent à la porte et qu’une voix d’homme se fit entendre. Al se figea sur place, et moi je me redressais par réflexe, manquant de renverser le bol et retenant une grimace de douleur. Aaron alla ouvrir sans qu’aucun de nous ne bouge, et un jeune homme d’à peu près mon âge, à première vue, entra. Il s’adressa directement à Al, sans me jeter un regard. Pour ma part, je ne bougeais pas, comme si le moindre mouvement pourrait affirmer ma présence dans la pièce. Pourtant, lorsqu’il « imposa » à la Jaguar de le suivre, je dû faire tous les efforts du monde pour ne pas me lever d’un bon et emmener Al loin d’ici… Enfin de toute façon je n’en aurai pas été capable, mais bon… La brune se leva après un temps de silence et rejoint le Membre. Ni Aaron, ni moi ne pipions mot. Lorsque la porte se referma derrière eux, je relâchais la pression et déposais vivement le bol afin qu’il ne finisse pas en éclat. Je me relevais avec difficulté et clopinais jusqu’à la porte en prenant appui sur tout ce qui était possible. Je ne pouvais pas définitivement pas rester là, surtout pas si cela entrainait plus de problèmes pour Alessandra…

Grey se décala un peu pour me laisser passer, puis il m'emboîta le pas alors que je me dirigeais vers le QG. Il semblait avoir confiance, ne pensant pas à un seul instant que je pourrais lui faire un sale coup pour lui échapper. C'était logique, j'aurais eu tellement plus à perdre en refusant de me présenter suite à cette convocation urgente. Et puis, je n'étais pas vraiment du genre à balancer des coups vicieux et ça il le savait très bien. Seulement, alors que nous ne nous étions que très peu éloignés, le brun s'adaptant à ma vitesse assez lente il fallait bien l'avouer, j'entendis la voix de mon père. Surprise, je fis volte-face et constatais qu'il suivait Eli qui se tenait sur le seuil de la porte. Dans son état, c'était un miracle qu'il puisse tenir debout et il n'irait pas bien loin avant de s'écrouler, c'était justement tout le problème.

Une seconde, Grey.

Le jeune homme poussa un soupir blasé, mais il ne chercha pas à s'interposer, se contentant de me regarder revenir sur mes pas. Sûrement espérait-il que je ne traînerais pas trop et cela tombait bien, je n'avais pas dans l'idée de le faire poireauter.

Mais qu'est-ce que tu fous, Eli ?!

Le voir faire le con de cette façon m'avait redonné un peu de vigueur et je me plantais devant lui, bien décidée à lui faire comprendre qu'il n'irait pas plus loin. Seulement cette intervention ne lui plut pas beaucoup et il chercha à me dépasser. Mauvais idée. Après une brève inspiration, je lui envoyais un coup de poing en pleine pommette, brisant son fragile équilibre.

Tu fais chier, bordel ! Toi, tu peux te poser en défenseur, mais accepter l'aide de quelqu'un d'autre, tu connais pas ça hein ! Est-ce que tu peux seulement comprendre ce que cela fait lorsque la personne que tu aimes rejette la main que tu lui tends ?!

Lui lâchant une œillade furieuse, bien qu'un chouïa blessée, je retournais auprès de Grey qui s'abstient de faire toute remarque et me suivit à un mètre de distance dans un silence qui ne le connaissait que trop bien.

Alors que j’étais sur le point de sortir, Aaron réagit enfin et voulut me retenir, attirant ainsi l’attention d’Alessandra qui revint vers moi pour me barrer la route. Serrant les dents, je me retins de nouveau de prononcer une quelconque parole et essayais de passer à côté d’elle d’un pas mal assuré. Le coup arriva alors sans que je ne le sente venir, me mettant à terre et m’assommant à moitié. Une chose était sûr, elle ne manquait pas de force…

Ce qu’elle me lança alors à la figure me figea littéralement sur place, c’est-à-dire à terre, appuyé sur un coude pour me redresser et une main portée à ma pommette douloureuse. Al s’éloigna après m’avoir lancé un regard furieux, et voyant que je ne bougeais toujours pas, son père vint m’aider à me relever. Si mon premier réflexe fût de le repousser, je stoppais mon geste et attrapais la main qu’il me tendait. Il m’aida à rentrer et à marcher jusqu’au lit où je m’allongeais avec soulagement. J’étais sous le choc, et heureusement Aaron ne chercha pas à relancer une discussion, me disant simplement de me reposer. Pourtant, je ne réussis pas à fermer l’œil malgré la fatigue, ne pouvant m’empêcher de repenser aux paroles de la Jaguar. Et sur le coup, je me sentit vraiment con…