Al m’avait suivie sans poser de questions jusqu’à la limite du territoire des Aigles, où là elle m’arrêta le temps de me demander où je comptais l’emmenée. Je lui répondis simplement de me faire confiance, lui prenant la main pour avancer rapidement. Nous n’étions clairement pas en sécurité à la frontière. Mais heureusement, je connaissais les coins de passage « faciles », et nous réussîmes à nous éloigner des frontières sans problèmes. Pourtant, plus nous avancions, plus mon estomac se serrait. Je fini par lâcher Al de peur de trop resserrer ma prise sur sa main. Nous nous dirigions vers les logements, qui se situaient dans un périmètre de quelques kilomètres du QG. Si j’avais réussi à retirer légèrement mon masque en retrouvant Alessandra, il était maintenant bien présent, et c’est avec difficulté que je restais à hauteur de la brune, évitant de presser le pas.

Nous étions restés un moment dans la ruine où Al avait trouvé refuge, aussi le soleil commençait à poindre à l’horizon. Cela faisait deux jours que je n’avais pas vraiment dormis, et cela n’aidait en rien à me préparer à la rencontre qui s’annonçait. Al m’avait redemandé à plusieurs reprises où nous allions, et je sentais la frustration qui montait en elle face à mon absence de réponse. Elle allait à nouveau m’arrêter pour me demander des comptes lorsque je me stoppais de moi-même face à une rue « d’habitations » de soumis. Vu l’heure matinale, il n’y avait encore personne dehors. Je pris une profonde inspiration et me tournais enfin vers la Jaguars.

« C’est là. Tu seras logée et nourrie le temps qu’il faudra, et personne ne viendra te trouver ici. »

Lui reprenant la main, je l’attirais vers la première bâtisse, une maison relativement entière, et frappais à la porte d’un geste que je voulus assuré, mais qui était loin de l’être. Un homme d’une quarantaine d’années ouvris, encore ensommeillé. Mais lorsqu’il m’aperçut, il devint livide et ses yeux me fusilières littéralement. Je n’eus pas le temps de dire quoi que ce soit qu’il m’envoya balader d’une voix froide.

« Comment oses-tu revenir encore ici ?! Depuis le temps je pensais que tu avais compris ! Dégage tout de suite ou je t’en fou une ! »

Il illustra ses paroles en levant la main. J’attrapai alors son bras et le forçais à se mettre à genoux en serrant ma prise. Je m’accroupi ensuite face à lui, stoppant le flot d’injures à mon intention d’une nouvelle pression, et pris la parole d’une voix neutre.

« Tu ne me verra pas longtemps rassures-toi. Je viens juste vous confier quelqu’un. »

Il me coupa pour répondre en serrant les dents.

« Et pourquoi ferions-nous ça ? Tu débarques comme une fleur et tu espères que l’on va recueillir une petite fille perdue qui va surement nous apporter des problèmes ? Va te faire foutre ! »

Si je m’attendais à des paroles blessantes à mon égard, j’étais loin de me douter qu’il s’en prendrait directement à Alessandra. La réaction fût rapide. Il se retrouva plaqué au sol, mais c’est toujours sur un ton calme que je repris.

« Essaye seulement de parler d’elle à qui que ce soit et tu auras des problèmes en effet. Je ne t’ai rien demandé depuis ce jour, aujourd’hui je ne te laisse pas le choix. Et je n’ai pas besoin de te détailler ce que tu risques si tu refuses, si tu essayes de la maltraiter ou si tu la vends. Compris ? »

L’homme remua un peu en pestant avant de s’immobiliser, fixant un point derrière moi. Je me retournais en comprenant où il regardait et le lâchais précipitamment pour faire face à une femme un peu plus jeune, qui me fixais avec de grands yeux écarquillés. Je voulus m’approcher mais me retins en pensant à la situation dans laquelle elle m’avait trouvé. Je me contentais donc de sortir un « Salut m’man… » pas très assuré. Si je me doutais qu’elle devait être à la maison, j’espérais ne pas rester suffisamment longtemps pour la croisée. Malheureusement, elle était là, partagée entre l’envie de me prendre dans ses bras et de se réfugier à l’intérieur. Pendant ce temps, mon père s’était relevé, silencieux, jetant un regard mi- apeuré, mi- rageur à Al et moi. Il y eu alors un moment de flottement, comme un arrête sur image. Cela faisait près de quatre ans que je ne l’avais plus vue, et maintenant je ne savais plus comment réagir face à elle. Je reculais donc simplement jusqu’à Al en m’adressant à mon père, prêt à partir.

« Je vous demande juste de l'hébergée pendant quelques temps. Je ferais en sorte que vous obteniez une ration supplémentaire, et vous ne risquez rien tant que vous tenez votre langue. Elle ne vous causera aucun tore. »

Nouveau flottement. J’attendais leur réponse comme une sorte de signal de départ. Al allait surement me demander des explications, mais je ne pouvais pas encore lui en donner vraiment. Elle allait m’en vouloir de la planter là, mais je trouverai bien un moyen de me faire pardonner plus tard. Ce qui comptait à l’instant, c’était cette fichue réponse que mon père trainait à me donner, alors que je lui avais bien fait comprendre qu’il n’avait pas le choix. Et pour ma mère… je ne me sentais pas capable de lui fournir des explications non plus…

Alors que le silence s’éternisait, Al fini par m’attraper le bras en me demandant des explications. Voyant que mon père ne se décidait pas à donner une réponse, je détournais les yeux de mes parents pour me tourner vers elle. Il était normale qu’elle se pose des questions, mais je ne pouvais pas vraiment lui en donner pour le moment, ou du moins pas en détail. Je ne pouvais pas rester plus longtemps. Les Soumis allaient bientôt sortir pour aller travailler, et être vu en ces lieux était loin d’être une bonne idée, tant pour Al que pour moi. Je lui répondis donc juste par ce qui devait maintenant être une évidence pour elle…

« Al, je te présente mes parents… Jean et Emilie. Ils… »

Je fus coupé dans ma phrase par des bras qui m’enlacèrent avec un mélange de tendresse et de réticence. Ma mère avait fini par s’approchée et je sentais ses larmes coulées alors qu’elle murmurait des mots incompréhensibles. Surpris, je lui rendis son étreinte de façon maladroite avant de la repousser doucement et de reculer d’un pas, voulant lui sourire pour la rassurée mais n’y arrivant pas. Mon père fulminait derrière elle, mais il ne disait toujours pas un mot. J’allais donc m’adresser à ma mère, mais cette fois ce fût une petite voix endormie qui m’en empêcha. Tous les regards se tournèrent vers la porte, où un petit garçon se frottait les yeux en baillant.

« Pourquoi maman pleure ? »

Mon père lui enjoignit de rentrer tout de suite, affichant un sourire forcé et lui disant que tout allait bien. Ma mère eu un nouveau sanglot, quant à moi je restais figé, réussissant tout de même à m’adresser à Alessandra.

« Et voici… mon frère… »

Je ne pus lui donner un nom, ne le connaissant pas moi-même. Ma mère fini alors à ma place, avec un petit sourire triste.

« Elias… »

Le regard noir que me jeta mon père avant de rentrer avec Elias me fit redescendre sur terre. Je pris son silence pour un oui, et me préparais donc à partir, glissant un « Je suis désolé… » à ma mère dans un murmure et posant un rapide baissé sur les lèvres d’Al.

« Mon père se contentera de faire comme si tu n’existais pas, mais je suis sûr que tu t’entendra bien avec ma mère. Je dois y aller avant le départ pour le travail. Je reviendrai voir ce soir si tout va bien… et je te donnerai peut-être plus d’explications… »

Je pris enfin le temps de la regarder un peu depuis que nous nous étions mis en route, et elle semblait épuisée. C’est vrai qu’elle n’avait pas du manger ou boire depuis un moment, et si je n’aurai jamais osé lui dire, elle semblait presque fragile en cet instant. Au moins ici pourrait-elle se reposer. Posant un nouveau baisé sur son front, je réussi enfin à m’éloigner, laissant ma mère en larme et Al interloquée. J’avais besoin d’être seul, mais d’un autre côté je commençais également sérieusement à ressentir le manque d’eau et de nourriture, ainsi que la fatigue. Et puis Kim allait finir par lancer des recherches, ce qui n’était pas une bonne idée. J’optais donc pour rentrer au QG, d’un pas très, très lent…

Eli était déjà repartit. Il avait disparu comme il était apparu, soudainement.... Laissant une jeune femme derrière lui. Sa mère avait du mal à retenir ses larmes, elle semblait ailleurs. Elle sursauta d'ailleurs lorsque la demoiselle prit la parole, comme si elle venait seulement de se rendre compte de sa présence... ce qui n'était pas tout à fait faut en soi. Elle s'excusait... de quoi ? Emilie sécha rapidement ses larmes et afficha un petit sourire un peu triste.

« Tu n'as pas à t'excuser, je devrais même plutôt te remercier. »

La jeune femme continua en se présentant et en la remerciant, et il fallut quelques secondes à Emi pour comprendre de quoi elle parlait, le temps de remettre ses idées en place et de leur donner un sens. Elle respira un grand coup pour reprendre contenance et afficha cette fois un sourire un peu plus franc.

« Enchantée Alessandra, je m'appelle Emilie. Viens, entre, tu as l'air fatiguée, et je vais justement préparer de quoi déjeuner. »

Joignant le geste à la parole, elle se dirigea vers la porte et attendis qu'Alessandra entre. La maison n'était pas très grande, mais encore entière au moins. Un petit hall avec un escalier menant à l'étage, une porte sur la gauche menant à un petit salon, une seconde sur la droite menant à une sorte de cuisine, et une toilette arrangée pour être utilisable. Emi montra la cuisine où se trouvait une table entourée de quatre chaises disparates, dont une qu'elle présenta à la Jaguar. Les mains tremblantes, elle lui versa un verre d'eau et s’assit en face d'elle.

« Jean est sûrement en haut avec le petit, il ne faudra pas faire attention à lui, il n'est pas vraiment méchant... »

Elle serra un peu ses mains en retenant un soupir et repris.

« Tu as l'air plutôt proche d'Eli, comment va-t-il ? »

Le verre d’eau ne fit pas long feu. Emilie en resservis donc un, et proposa un bocal de pommes au sirop en s’excusant de n’avoir que ça pour le moment. Les rations étant encore maigres, les repas étaient généralement composés de conserves, de bocaux et de viande séchée. Elle écouta la jeune femme et ne put s’empêcher de réagir, bien qu’elle se stoppa bien vite en voyant le trouble d’Alessandra.

« C’est à peu près cela oui… Mais… »

Elle allait lui demander d’où elle venait, mais se retins. Elle se doutait qu’elle n’était pas une Soumise des Aigles, car elle l’aurait vue au moins une fois, or elle ne la reconnaissait pas. Et si Eli l’avait laissée là au risque de mettre sa famille en danger, si elle avait bien tout suivi, c’est qu’elle devait avoir une histoire qui ne devait pas être facile. Aussi Emilie allait-elle attendre un peu avant d’essayer d’en savoir plus sur la Jaguar dans un premier temps.

Par contre, lorsqu’Alessandra répondit à la question sur Eli, Emilie se rembruni également et porta une main à sa bouche pour retenir un nouveau sanglot, qu’elle contint avec un profond soupire. La mère avait bien compris en voyant la cicatrice qui barrait le torse de son fils qu’il s’était passé quelque chose, mais se l’entendre dire restait douloureux. Eli était encore plus fermé que lorsqu’il était parti. Même son regard ne semblait plus rien refléter. Et apparemment, Alessandra y était pour quelque chose.
Gardant un moment le silence, le temps de calmer les tremblements qui le secouait, Emi fini par reprendre la parole d’une voix qu’elle voulut calme et rassurante.

« Cet état 'neutre' date de bien avant la dernière Saison Aride… Mais l’absence de vie dans ses yeux, cela est plus récent si je comprends bien ce que tu me dis, ainsi que cette affreuse cicatrice… Que s’est-il passé ? Qu'y a-t-il entre vous et pourquoi te protège-t-il ainsi ? »

Pour ce qui était d’y aller en douceur, c’était perdu, mais il fallait qu’elle sache. Elle n’était pas du genre à brusquer les gens, loin de là, mais la jeune femme avait confirmé ses craintes, et il lui fallait des détails… Il fallait qu’elle sache qui avait participé à le descente aux enfers de son fils, parce que c’est ainsi qu’elle avait qualifié son comportement depuis le jour où il avait émis l’idée de devenir Membre, et où son père s’y était fortement opposé…

En tout cas, cela commençaient forts, mais mieux valait les choses au point tout de suite… non ?

Emilie avait écouté en silence, les mains jointes portées à sa bouche afin de dissimuler sa mâchoire serrée. Durant toute l’explication de la jeune femme, elle resta impassible, accusant le choc. Les informations peinaient à atteindre son cerveau tellement cela lui semblait improbable. Elle savait déjà que le fait d’être Membre avait contribué à maintenir Eli ainsi, un homme de glace, mais elle ne se doutait pas de jusqu’où pouvait aller la perversité de l’affaire. Et soudain, elle ressentit une haine féroce envers Kim Dong-Yul, la haine d’une mère envers celui qui avait blessé son fils. Puis une autre information passa, le fait qu’Alessandra était la seconde d’un autre clan. Noâ… il lui semblait que c’était la chef des Jaguars du Sud. Elle aurait dû lui en vouloir également d’avoir entrainé Eli dans cette histoire, de ne pas avoir réagi comme lorsqu’il le fallait, mais elle voyait bien que cela affectait fortement la Jaguars, et elle devait aussi en avoir bavé pour se retrouver là aujourd’hui. Et puis vint la première information, celle qui avait été occultée par toutes les autres : ils étaient amoureux… Elle était bien placée pour savoir que l’amour faisait faire des choses insensées, et le fait que les deux jeune gens se protègent ainsi de la sorte malgré les risques qu’ils couraient en était une, mais elle ne pouvait pas en vouloir à Alessandra pour ça, bien au contraire.

La jeune femme conclue sur une autre question, bien qu’elle ne fut pas présentée ainsi. Mais Emilie ne répondit pas tout de suite, digérant toujours ce qu’elle venait d’apprendre. Ne plus voir son fils pendant quatre ans, et s’entendre dire que tout va mal pour lui, elle prenait sacrément sur elle pour ne pas devenir hystérique… Et pour s’aider, elle décida de ne pas revenir tout de suite sur l’histoire qu’elle venait d’entendre, le temps de reprendre un peu son calme intérieur… Elle soupira profondément entre ses mains et releva les yeux, jusque-là fixés sur la table.

« Ne dits pas à Jean qui tu es, même s’il va se douter que tu n’es pas des Aigles… Et ne lui raconte jamais cette histoire… »

Elle prit une grande inspiration, et commença son propre récit, ou plutôt celui de son fils.

« Comme je te l’ai dit, cela fait déjà longtemps qu’Eli s’est forgé son armure. Mais il n’a pas toujours été comme ça… Quand il était petit, c’était un garçon joyeux, souriant, toujours prêt à aider. Son petit frère lui ressemble beaucoup, et c’est ce qui inquiète son père je crois…
Un jour, à ses onze ans, il parlé de devenir Membre. Cela lui semblait naturel, mais son père s’y fortement opposé, moi-même je ne sais toujours pas pourquoi… A partir de là, tout est parti en vrille. Eli s’est rebellé contre son père, et leur relation s’est rapidement détériorée. C’est là qu’il a commencée à porter ce masque d’indifférence, afin de dissimuler à son père la souffrance qu’il ressentait, mais moi je pouvais voir à quel point cela l’affectais et j’ai tout fait pour que les hostilités cesses, mais j’ai impuissante face à leur combat, et le fait de ne pas savoir pourquoi Jean réagissait de la sorte ni pourquoi Eli refusait de lui obéir n’aidait en rien… et n’aide toujours pas… »

Elle repris une inspiration un peu tremblante, et continua.

« Quand Eli à seize ans et qu’il partit pour passer le test d’admission, son père lui hurler que s’il le réussissait, ce n’était pas la peine de revenir. Et c’est ce qu’il s’est passé. Bien sûr Eli à essayer de reprendre contact à plusieurs reprises au-début, mais son père à tout fait pour l’éviter, et je crois qu’il a fini par laisser tomber, simplement. Elias est né quelques semaines après… Il ne sait même pas qu’Eli existe… »

Une larme roula sur sa joue, qu’elle essaya rapidement. Sa voix s’était brisée sur ses derniers mots, mais elle ne voulait pas fondre en larme, pas maintenant.

« Je n’ai pas su l’aider alors que je suis sa propre mère… Et maintenant les choses sont encore pires… Si tu veux vraiment l’aider, ne fait pas comme moi, ne l’abandonne pas… »

Cette discussion me mettait profondément mal à l'aise. Je ne connaissais pas Eli depuis si longtemps que ça, alors devoir parler de lui à sa mère n'était pas forcément aisé. Rencontrer sa famille, tout court, était même franchement difficile. Je savais que le jeune homme avait fait au mieux, mais franchement j'aurais préféré me trouver ailleurs en cet instant. Hochant légèrement la tête suite à la mise en garde d'Emilie, je tirais un peu sur la manche de mon dessus pour être sûr que ma marque était bien cachée. J'avais déjà conscience de devoir faire particulièrement attention, mais je ne voulais pas mettre cette femme plus dans l'embarras qu'elle ne l'était déjà.

Emilie ne tarda pas à tout me révéler. Elle n'avait pas pris de gant, luttant contre son chagrin et ne cessant de rejeter la faute sur elle-même. Malgré tout ce qu'elle me disait, je ne pu m'empêcher de trouver Eli chanceux d'une certaine façon. Même si elle n'avait rien pu faire, sa mère l'aimait et pensait à lui. Il était son fils chéri et il lui manquait visiblement terriblement. Après une brève hésitation, je tendis le bras au dessus de la table et allais serrer la main de la blonde, cherchant à lui témoigner mon soutien. Je n'avais jamais été très douée pour ça, mais je voulais qu'elle sache que tout cela me touchait.

Jamais. Depuis le moment où j'ai vu l'homme qu'il était vraiment, je suis tombée amoureuse de lui. Notre situation n'est peut-être pas optimale, mais je serrais toujours là pour lui. D'une façon ou d'une autre.

Laissant planer un court silence, je ne pu m'empêcher d'ajouter quelque chose.

Malgré son ressentiment, il est quand même revenu à la maison pour demander de l'aide. Je suis certaine que la prochaine fois, même si ce n'est pas tout de suite, il reviendra ici juste pour voir sa famille. Enfin je l'espère pour lui. Malgré ma fierté et ma peine, c'est ce que je ferais si j'en avais encore la possibilité.

Relâchant sa prise sur la main de la Soumise, je me redressais, calais son talon sur le bord de la chaise, et entourais mon genou de mes bras. J'y posais ensuite son menton, poussant un soupir. Si l'occasion s'était présentée, j'aurais tout jeté aux orties pour revoir mes parents même si je ne me souvenais pas vraiment d'eux. Depuis longtemps, Noâ, Reed et Aaron étaient ma famille, mais j'avais toujours eu une pensée pour ceux qui m'avaient vu naître.

Lorsqu’Emilie eut fini son récit, le Jaguar lui serra la main par-dessus la table pour essayer de la réconforter, ce qui arracha un petit sourire reconnaissant à la Soumise. Alessandra lui assura alors qu’elle ne laisserait jamais tomber Eli, pas depuis qu’elle avait qui il était vraiment. Emi retint un sanglot à cette remarque. Elle-même n’avait plus vraiment vu son fils depuis bien plus de quatre ans… et savoir qu’il pouvait redevenir lui-même en présence de cette jeune femme était à la fois rassurant et blessant d’une certaine manière. La Jaguar repris alors la parole, essayant de rassurer la mère en pleure qui se trouvait face à elle. Lorsqu’elle lui lâcha la main, Emilie attrapa un bout de tissu et essuya les larmes qui coulaient malgré elle sur ses joues. Elle se rendait bien compte que cela ne devait pas être facile pour la seconde de se retrouver dans ce genre de situation. L’une comme l’autre venaient de recevoir un boulet d’informations en pleine figure, mais Emi se devait de se montrer forte, de se montrer en tant que mère et non en tant que femme faible. Ravalant ses sanglots et prenant une grande inspiration pour affirmer sa voix, elle se redressa également et afficha un sourire.

« Tu sembles être une jeune femme forte et déterminée. Eli ne t’as pas choisie au hasard, et je te remercie d’être là pour lui. Mais si je t’ai demandé de ne pas l’abandonner, ne porte pas non plus le poids de son armure à sa place… Vous pouvez vous aider l’un l’autre, mais faites attention que cela ne vous détruise pas… »

Ses paroles étaient un peu en contradiction avec sa demande précédente, mais elles étaient surtout plus réfléchies. Mais ne voulant pas s’attarder là-dessus, elle enchaina rapidement.

« Merci en tout cas. Tu m’écoute me plaindre alors que ton histoire ne semble pas toute rose non plus ? Je te souhaite de pouvoir la surmonter d’une façon ou d’une autre, en attendant considère cette maison comme la tienne le temps qu’il faudra. »

Alors qu’elle finissait de parler, la porte s’ouvrit et un petit garçon entra dans la pièce. Il fixa Alessandra un moment avant de se tourner vers sa mère.

Papa te rappel qu’il faut aller travailler. Il est déjà partit.

Emilie pinça les lèvres et se tourna vers Alessandra.

« Il faut que j’y aille. Elias te montrera tout ce dont tu auras besoin, demandes lui simplement. Désolé de devoir te laisser ainsi, et désolé pour cette discussion… je crois qu’il vaut mieux que tu restes un peu seule pour digérer tout ça en fait… »

Sur ces mots, elle se pencha vers le garçon et lui murmura quelques mots à l’oreille. Elias hocha la tête en tournant les yeux vers la Jaguar. Sans un mot de plus, n’ayant plus le courage de parler, Emilie quitta à son tour la bâtisse. Le petit blond resta immobile et silencieux un moment avec d’afficher un petit sourire.

Je serai en haut si tu as besoin de quelque chose. Ils ne reviendront pas avant ce soir, alors lâche toi.

Cela faisait très précoce pour un gamin de quatre ans, mais il avait de qui tenir après tout. Donnant une tape maladroite sur le bras de la jeune femme en signe de réconfort il sortit à son tour, la laissant seule un moment. Mais il ne put s’empêcher de se demander qui était cette fille alors qu’il montait lentement l’escalier. Son père n’avait rien voulut lui dire, ni sur elle, ni sur l’homme qu’il avait aperçu dehors, et sa curiosité de petit garçon avait été piquée au vif par toutes ses cachoteries…

Je n'étais pas vraiment sûre du fait que Eli m'avait réellement choisie. Les choses s'étaient faites comme ça et le hasard avait justement beaucoup joué dans notre histoire. D'une certaine façon, nous avions été aimantés l'un vers l'autre et avant de savoir ce qu'il se passait, l'amour était là. Tout ça était décidément un vaste mystère pour moi et je me demandais parfois si j'arriverais un jour à y voir plus clair. A l'instar de cette facette, je ne comprenais pas plus où elle avait voulu en venir. Ne pas porter le poids de son armure à sa place ? Je ne me sentais pas d'affronter une nouvelle réflexion aussi je chassais rapidement tout ça de mon esprit pour un temps.

Merci pour tout. Cela me touche beaucoup.

Emilie paraissait vraiment gentille et j'enviais d'une certaine façon Eli de l'avoir eu à ses côtés durant l'enfance même si la suite avait été plus chaotique. Encore que je n'avais pas trop à me plaindre, j'avais été heureuse avec Aaron et Noâ, mais cela ne m'empêchait pas de ressentir un pincement au cœur lorsque je faisais face à une vraie maman comme elle. Cette dernière partit d'ailleurs très vite en me confiant aux bons soins de l'enfant. Incrédule, je scrutais d'ailleurs le blondinet. Je n'avais jamais été à l'aise avec les enfants, en fait je ne savais jamais trop quoi dire ou comment réagir face à eux. Même lorsque j'étais une enfant, j'étais plus solitaire qu'autre chose. Je fus d'autant plus désarçonnée lorsqu'il parla, me suggérant de me "lâcher". Que sous-entendait-il par là ? Avant que je n'ais eu le temps d'approfondir, il me donna une espèce de tape sur le bras et partit comme il était venu. Il me fallut quelques instants pour réagir, avalant d'abord tout ce qui venait de se produire. J'étais épuisée et dormir un peu me tentait bien, mais je ne me sentais pas encore assez à l'aise ici pour réussir à fermer l’œil. J'étais quand même en territoire ennemi !

Alors, sans trop savoir pourquoi, je me levais et passais la porte. L'enfant avait dit qu'il se trouverait en haut, je n'avais donc qu'à monter. Un peu maladroite, je l'appelais en grimpant les marches.

Euh petit ? Elias, c'est ça ?

Pas à l'aise pour un sou, je m'installais sur la dernière marche, continuant à parler d'une voix hésitante.

Tu restes souvent tout seul comme ça ?

Du point de vue d’Elias, petit frère d’Eli – 4 ans.


Il ne fallut pas attendre longtemps au garçonnet pour entendre la voix de la jeune femme dans les escaliers. Il sortit de sa chambre et la rejoint alors qu’elle s’installait sur la dernière marche. Elle n’avait visiblement pas de questions particulières, aussi s’appuya-t-il sur la rambarde à côté d’elle. Elle lui demanda alors s’il restait souvent tout seul. Le petit garçon haussa les épaules avant de répondre.

J’ai Nana qui vient me voir deux ou trois fois sur la journée. Y a des voisins qui passent aussi de temps en temps, ou alors je sors, mais sinon papa et maman travaillent beaucoup en ce moment.

Cela ne répondait pas explicitement à la question, mais pour lui c’était une réponse correcte. Il se retenait de ne pas trop fixer la brune, voyant qu’elle semblait déjà suffisamment mal à l’aise, mais cela ne l’empêcha pas de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

Au fait, t’es qui toi ?

Le gamin avait émergé d'une pièce pour venir se poster à mes côtés. J'étais plutôt étonnée de voir la taille de la maison et l'état dans lequel elle se trouvait. Il y avait un monde différence avec le territoire des Jaguars, mais surtout ma propre maison qui n'était composée que d'une seule grande pièce. Avoir un étage comme au QG, c'était carrément du luxe. Rien d'étonnant d'un autre côté, l'Est étant connu pour le bon état de ses bâtiments. Une autre différence me fut confirmé par Elias, il était bien seul la plupart du temps même s'il y avait quand même des gens qui y regardaient. C'était le genre de truc qui ne se passait quasiment jamais chez nous, nos lois étant très clairs à propos des enfants. La plupart du temps, on pouvait voir d'anciens Membres gérer des troupes de jeunes bambins pendant que leurs parents travaillaient. A partir de la soumission, ils étaient plus autonomes et arpentaient le territoire en bande, mais avant ils étaient toujours sous la surveillance de quelques adultes.

Oh je vois. Ça doit pas être marrant tous les jours.

Enfin, je n'étais pas la mieux placée pour parler de ça dans les faits. La suite ne me surprit par contre pas du tout, il est vrai que nous n'avions pas vraiment fait les présentations. Seulement, j'hésitais un instant avant de répondre. Un gosse s'était bavard, il aurait très bien pu aller parler de ça à quelqu'un sans se rendre compte des ennuis que cela causeraient. Et pourtant, je finis par lui répondre avec une étonnante honnêteté.

Je m'appelle Alessandra, je viens des Jaguars. Je ne sais pas si tu connais, c'est le territoire à côté de celui des Aigles.

Non, je ne le prenais pas pour un con, mais mes connaissances en jeune Soumis Aigle n'était pas vraiment pointue...

Du point de vue d’Elias, petit frère d’Eli – 4 ans.


Le petit haussa de nouveau les épaules lorsque la Jaguar affirma que ça ne devait pas être drôle tous les jours. Il avait l’habitude, cela ne le dérangeait pas tellement, et puis il y avait les autres enfants aussi.

Après un moment de silence, Al finit par répondre à la question d’Elias. Une Jaguar ? Il connaissait le nom des quatre clans, mais de là à les situer… Et il ne savait pas encore non plus les règles de chacun. En soi, elle lui aurait sorti qu’elle venait de l’extérieur de Paris, ça aurait été pareil pour lui. Mais il hocha malgré tout la tête, ne voulant pas passer pour un ignorant. Il repris ensuite la parole, posant une nouvelle question, puisqu’elle semblait encline à lui répondre, contrairement à son père.

Et qu’est-ce que tu fais ici ? C’est rare que des inconnus viennent nous voir…

J'avais de plus en plus l'étrange impression de me voir à son âge. Enfin d'une certaine façon. Mais pas vraiment celle que j'avais été depuis ma rencontre avec Noâ, mais plutôt la gamine d'avant l'événement au lac. C'était une drôle de sensation, presque douloureuse, aussi préférais-je faire comme si je n'y avais jamais pensé.

J'ai eu des problèmes avec mon clan. A force de faire des bêtises, j'ai attiré les foudres de ma Chef et j'ai été punie. Du coup, j'ai été mise dehors pour une certaine période. Et comme Eli ne voulait pas que j'y reste toute seule, il m'a amené ici pour que je sois en sécurité.

Du point de vue d’Elias, petit frère d’Eli – 4 ans.


Quel genre de bêtises ? Et c’est qui Eli ? C’est lui qui était avec toi tout à l’heure ?

La curiosité est un vilain défaut, surtout à cette âge-là, mais si Elias avait appris à ne pas poser de questions, ou plutôt à ne ce qu’on ne réponde pas à ses questions, il était tombé ici sur quelqu’un qui ne semblait pas vouloir lui cacher des choses, et il comptait en profiter tant que ça durait…

On pouvait dire que ce gosse était curieux. En plus, il ne prenait décidément pas de gants pour poser ses questions. Celles-ci me désarçonnèrent d'ailleurs, mais je ne pouvais pas vraiment les ignorer. Il était sympa comme môme et il serait probablement mon contact le plus fréquent tant que je me trouverais ici donc il valait mieux que je me le mette dans la poche. Enfin si j'y arrivais vraiment car je n'avais jamais été une professionnelle en relations humaines.

J'ai manqué de respect à ma Chef. D'une certaine façon, je lui ai désobéit quoi.

Pour la suite, je séchais un peu par contre. Qui était Eli ? Sur le coup, je me voyais mal tout lui raconter, ce n'était pas à moi de lui annoncer une telle chose. Et puis, une idée me vint. Après tout, je pouvais présenter les choses de façon à ce que ce soit la vérité, tout en ne parlant pas du sujet sensible.

Oui, c'est lui. C'est un homme très important pour moi. Et ta maman tient aussi beaucoup à lui.

Du point de vue d’Elias, petit frère d’Eli – 4 ans.


Si le petit garçon ne connaissait pas encore grand-chose aux clans, on lui avait déjà appris que le chef était tout et qu’on lui devait le respect, aussi pinça-t-il les lèvres lorsque la jeune femme lui expliqua, sans détails tout de même, les bêtises qu’elle avait commises. Elle sembla ensuite réfléchir avant de répondre à la deuxième question, et lui annonça qu’Eli était un homme très important pour elle ainsi que pour sa maman. Elias se fit la remarque qu’elle ne lui avait jamais parlée de lui, mais se retint d’exposer tout haut ce qu’il pensait tout bas. Soupirant, il se redressa et lança un regard vers sa chambre avant de revenir sur la brune.

Cette histoire n’est pas nette. Mais je comprends que tu ne veuille pas en parler. Je serai dans ma chambre si tu as besoin de quelque chose. Si tu veux te reposer la pièce ici est toute à toi.

Il désigna une porte close et lui tendis une clé que sa mère lui avait confiée voilà bien des années et qu’elle lui avait demandé de transmettre à la Jaguar pour quelques temps. Il gardait cette clé comme un joyau, mais il savait qu’il la récupèrerait rapidement, aussi n’eut il pas trop de mal à la lui laisser.

Merci pour cette discussion.

Sur un dernier sourire, il retourna dans sa chambre et referma la porte derrière lui, laissant la Jaguar à nouveau seule.