Que celui qui a inventé les entraînements matinaux se tirent immédiatement une balle dans le crâne. Et non, je ne me chargerais pas de lui moi-même, il est trop tôt pour ça. Sérieusement, je ne comprenais pas cette obsession pour les exercices sous le soleil levant. Qu'est-ce que ça pouvait leur foutre de suer un peu plus tard ? Encore que, qu'importe l'heure, l'idée de passer sa vie à s'entraîner me semblait absurde. A croire que s'il sautait par malheur une session, ils pensaient tous que leurs muscles allaient fondre comme neige au soleil. J'en avais loupé un nombre incalculable et pourtant je ne m'en sortais pas si mal. Dans la vie, tout était une question de modération. D'ailleurs, c'était bien pour ça que je souhaitais dormir modérément jusqu'à ce que l'astre solaire ait atteint son zénith.

Snobant de façon éhontée la sirène qui hurlait dans les rues, je me retournais dans mon lit en baillant à l'attention du mur. Ce dernier ne s'était jamais plaint d'avoir une vue plongeante sur ma mâchoire alors je ne voyais aucune raison de placer poliment une main devant ma bouche. S'il n'était pas content, il n'avait qu'à le dire. Lâchant un petit rire suite à cette pensée stupide, je tirais un peu sur le drap qui me recouvrait pour cacher mes épaules et glissais ma tête sous l'oreiller pour ne plus être dérangée par les rayons provenant de l'extérieur qui rendait la pièce bien trop lumineuse à mon goût.

« Merde ! Cet enfoiré m'a dans le collimateur... »

Poussant un profond soupir, j'écoutais avec attention le bruit des pas de Jay qui s'approchait de ma chambre en faisant la moue. Il était un peu en retard par rapport à d'habitude aussi j'avais vainement cru qu'il m'avait par un miracle oublié. Il s'était néanmoins dérangé pour rien, aujourd'hui était jour de repos et il était hors de question que je mette le nez dehors.

La pensée que Lou soit déjà sur les lieux de l'entraînement quotidien ne m'avait même pas effleurée l'esprit. Le miracle étant qu'elle soit déjà levée ! Mais je n'étais pas naïf. Je savais pertinemment qu'elle devait paresser dans sa couche, au calme. Et je ne pouvais même pas compter sur cette alarme au cri strident car même cette dernière n'avait aucun effet sur elle. Elle était indécrottable ! Mais je ne comptais pas abandonner. Chaque jour, c'était le même cinéma mais contrairement à elle, j'étais infatigable. J'étais éveillé depuis longtemps parce que j'appréciais le calme que m'offrait les premières heures du jours. J'en profitais pour me plonger dans la lecture d'un livre...jusqu'à ce que l'alarme ne sonne et que je doive quitter le cocon de ma chambre, y laissant ma petite-sœur endormie. Alors pourquoi autant d'acharnement sur Loukas ? Parce qu'elle est membre ! En temps normal, je me ficherais bien qu'elle dorme jusqu'à midi ou non mais j'avais des plans qui demandaient un minimum de participation.

Les mains dans les poches, je marchai jusqu'à chez elle, dans la direction contraire à celle prise par les membres non-retardataires. Ces derniers ne prirent même plus le temps de me demander où j'allais...Ils savaient tous la réponse et ils devaient même penser que je profitais de la paresse de cette chère Loukas pour perdre du temps. Parce que oui, chaque matin, en relevant le défi de m'occuper d'elle, je me mettais automatiquement en retard. Est-ce que je lui en voulais de perdre ce temps précieux ? Pas vraiment, j'étais plutôt du même avis qu'elle sur ces entraînements. Mais encore une fois, moi, je pensais déjà au futur. Si je voulais évincer Chad de son poste, je devais me montrer irréprochable...et c'était loin d'être le cas.

Baillant à m'en décrocher la mâchoire, j'atteignis enfin le bâtiment qui abritait le repaire de ma complice et j'y entrai sans me faire prier. Sans surprise, je retrouvai le bordel organisé qui caractérisait Loukas. Désordonné mais pas trop...parce qu'en faire plus lui coûtait de l'énergie et qu'elle s'appliquait à l'économiser au maximum. Je ne fis même pas l'effort d'arriver discrètement, laissant mes pas résonner alors que la porte de sa chambre se dessinait devant moi. M'appuyant sur l'encadrement de sa porte, je pus constater sans surprise qu'elle était encore dans son lit, la tête sous l'oreiller. Cela me tira un sourire...le contraire m'aurait étonné, inquiété même. Je savais qu'elle avait conscience de ma présence alors je ne pris pas la peine d'aller jusqu'à elle.

Me force pas à venir te sortir de là.

La même réplique, chaque matin...Je me demandai même pourquoi je prenais encore la peine de lui donner ce léger répit avant de la sortir des bras de Morphée par la force...parce que comme d'habitude, je savais que Lou ne se lèverait pas aussi facilement.

Je n'étais pas trop inquiète quant à la suite. Jay avait ses habitudes en matière de réveil et même sans le voir, j'avais parfaitement en tête ses faits et gestes. Il entre dans la maison, traverse la pièce à vivre, ouvre la porte de la chambre, s’appuie sur le chambranle, sourit et enfin parle. Sans étonnement, je laissais donc les choses se dérouler jusqu'à sa pseudo-menace. Il usait sa salive de façon inutile, en connaissance de cause en plus, à croire que je ne lui avais jamais rien appris sur la manière la plus efficace d'économiser son énergie. Obtenir ce qu'on voulait en en faisant le moins possible, c'était ça la clé du succès. Même si techniquement, je ne savais toujours pas ce que j'allais faire de cette énergie mise de côté. Foutre le bordel ? Probablement. Car généralement, je finissais toujours par la dépenser en luttant contre l'invincible Jayden. Parfois, je me demandais sincèrement à quoi il se dopait pour être aussi énergique. Ah si, je sais : aux embrouilles. Que celui qui vient de penser que j'étais stupide de continuer à donner des raisons à Clyde de me botter le train prenne le fusil du type qui a inventé les entraînements matinaux et se tire aussi une balle de ma part. Ce que ces gens pouvaient être chiants !

« Va crever, raclure de lézard ! »

Ma réplique assassine résonna un peu étouffée à cause de l'oreiller, mais je ne doutais pas que mon partenaire avait tout entendu. Il ne serait pas non plus outré que je le traite de cette façon, c'était après tout une habitude. Si j'avais du me faire laver la bouche avec du savon chaque fois que j'avais insulté quelqu'un, je vomirais des bulles. Pour bien faire comprendre mon idée, je sortis un bras du drap et lui présentais mon majeur avant de me recouvrir. S'il voulait m'envoyer à l'entraînement, il pouvait toujours venir m'extraire de ma couche lui-même, mais je lui souhaitais bonne chance. J'étais d'humeur à mordre et à griffer comme un chat à qui on veut donner un bain.

Malgré tout ça, mon visage dissimulé par le coussin était éclairé d'un sourire lumineux. Ce petit jeu était complètement tordu et avait beau se dérouler chaque matin, je ne m'en lassais pas. C'était ça le soucis. Une part de moi aurait été ravie qu'il ne vienne pas me chercher, mais l'autre aurait trouvé cet oubli profondément ennuyant. Voir frustrant. Ce que la vie pouvait être une chienne...

Je fus accueilli par une belle injure sortie tout droit des grands crus de Loukas. Tout autre Dragon aurait été offensé par cette insulte. Les grands machos du clan le prendraient même plutôt très mal. Car même si elle détestait l'entendre dire, elle restait une fille. Sauf que dans le cas de Loukas, c'était différent...Je ne pense pas qu'il y ait une personne dans le clan qui la voit comme telle. Ils la voient surtout comme l'emmerdeuse de service, l'étrangeté en personne. Elle leur faisait même peur parfois. Mais moi, j'étais différent. Toujours appuyé sur le chambranle de sa porte, je pouffai de rire face au geste outrageux qu'elle m'adressa. Ne pouvant pas m'empêcher de penser que pour ça, elle concédait à dépenser un peu d'énergie.

T'as raté ta vocation. Si tu voulais dormir, t'aurais du être Jaguar.

Ou une paresseuse...mais malheureusement pour elle, ce clan n'existait pas. Lui laissant le temps d'encaisser ma petite pique, je me détachai lentement de l'encadrement de la porte, relevant doucement les manches de ma chemise. Comme chaque matin, Loukas ne se lèverait pas toute seule. Et le temps passait et j'allais inéluctablement être en retard. Je comptai jusqu'à cinq dans ma tête. Cinq, c'était le nombre de pas exacte qu'il me fallait pour combler la distance entre l'entrée de sa chambre et son lit. Une distance que je franchis tout évitant les quelques effets personnels qui traînaient à terre. Finalement, je parvins à atteindre mon but et d'un geste léger et prompt, je la dépouillai de son drap.

Par habitude, je reculai d'un pas, envoyant le drap à l'autre bout de la pièce, histoire qu'elle ne puisse pas me l'arracher des mains. Sans la lâcher du regard, je croisai mes bras, attendant une réaction qui ne tarderait pas à venir et me préparant déjà à entamer le second round.

Allez, lève-toi « raclure de lézard  ».

Le ton de ma voix restait toujours calme et légèrement plaisantin. Sortir Loukas de son entre, c'était un sport en soi...un sport qui pouvait aisément remplacer l'entraînement matinal. Malheureusement, ce n'était pas assez reconnu que pour que l'on me prenne au sérieux. Il fallait donc bien que je fasse acte de présence. Chose que je refusais de faire sans elle. Faire des exercices le matin était déjà une chose pénible mais si en plus, je n'avais pas Lou pour me divertir de ses remarques assassines alors je mourrais d'ennuie !

La répartie de Jayden me vola bien au dessus de la tête jusqu'à ce qu'elle s'imprime réellement dans mon esprit. Sérieux ? Ce fumier venait bien de me traiter de Jaguar ? Bon, je voulais bien concéder que ce clan n'était pas aussi pourri que le disait Samuel et les autres, mais pour une Dragonne, qu'on ose faire une comparaison avec l'un des membres du trio animalier était le pire des outrages. Putain, ce chien y allait fort ce matin ! Consciente qu'il cherchait à me faire réagir, je fis un énorme effort pour ne rien répliquer, me contentant de serrer les dents en songeant à ce qu'il allait prendre lorsqu'il aurait réussis à m'emmener à ce foutu entraînement. Voyant que j'encaissais sans broncher, il s'approcha finalement du lit et m'arracha le drap. J'étais tellement entrain de me retenir de lui cracher ma bile à la gueule que je n'avais même pas fait attention à l'importance de protéger mes arrières en maintenant mon rempart contre. Et dans un geste rodé par l'habitude, il l'envoya bien sûr voler au loin, ne me laissant aucune chance de le revoir avant la tombée de la nuit. C'était vil et cruel !

« Qu'est-ce que tu aurais fait si j'avais été nue ? »

L'oreiller parlant, le retour. Je l'écartais pourtant un peu pour dégager mon visage et lui offrir mon air de pucelle effarouchée. Cette éventualité était plausible, même si je n'aurais sûrement pas jouer les mijaurées avec lui. Quoi que l'hypothèse que je dorme à poil était quand même mince. Le fait qu'il me retourne mon insulte n'avait pas non plus été pour me plaire, mais j'avais un stock bien rempli pour lui s'il voulait jouer à ça.

« Je t'emmerde, je ne bougerais pas de ce pieu. »

Allongé sur le dos, le coussin désormais entre mes bras croisés en une mimique, je le défiais du regard. Je n'avais ni peur de lui, ni de ses méthodes. Et il était bien sûr hors de question que je lui facilite la tâche. Déjà détendue, je rendais mon corps plus lourd, histoire de complexifier encore un peu les choses.

« Eh ben alors, il venait pas me chercher l'abruti d'pigeon ? »

J'avais encore une fois la preuve que Loukas était l'une des personnes, si pas LA personne, la plus imprévisible que je connaisse. Face à la pique que je lui avais lancée, elle ne pipa mot. Je devinai pourtant bien qu'elle n'avait pas digéré ma répartie mais je devais avouer être impressionné par l'effort incommensurable qu'elle faisait pour ne pas déverser le flot d'injures qu'elle mourrait d'envie de me lancer. J'aurais parié qu'elle répliquerait directement, vexée par l'immense affront que je lui faisais là.

Mais de quoi me plaignais-je ? J'aurais tout le temps de regretter mes mots. Elle trouverait forcément un autre moyen de se venger. En commençant par refuser de se lever, comme d'habitude. Quoiqu'il en soit, cet effort surhumain l'avait distraite et j'avais pu diminuer le confort de sa couche en lui retirant son précieux drap. Cette fois-ci, elle ne tarda pas à répliquer. Et j'éclatai d'un rire moqueur en voyant l'air de Sainte-nitouche qu'elle me lançait.

Pff, aucune chance ! T'es bien trop paresseuse pour prendre la peine de te déshabiller !

Je soutins son regard quelques secondes, jusqu'à sa prochaine réplique ; elle réaffirmait qu'elle ne bougerait pas de sa couche. Et à quoi d'autre pouvais-je m'attendre ? Soupirant doucement, je feignis le l'exaspération. Elle ne me laissait pas d'autres choix. Mais je ne comptais pas abandonner ! Et ça, elle le savait mieux que personne. L'étincelle de défis que je lisais dans ses yeux me fit sourire. J'encaissai silencieusement son attaque mais mes yeux lançaient des éclairs.

J'vois pas de quel pigeon, tu parles. La seule chose que je vois, c'est un majestueux Dragon qui s'apprête à déloger un ver de terre de son trou.

Je m'avançai alors énergiquement jusqu'à sa couche. Cette scène me rappelant celle de la veille, qui me rappelait elle-même celle de la veille...Je voyais bien à sa position qu'elle ne comptait pas du tout me faciliter la tâche mais ce n'était pas la première fois que j'avais à la porter jusqu'à l'extérieur ! Et quand bien même j'avais ri à sa remarque, cela m'aurait particulièrement dérangé qu'elle ait été nue. Non pas parce que j'étais pudique mais bien parce que l'habiller aurait été tout simplement impossible. Ricanant à cette idée, je l'attrapai enfin par les pieds, la tirant sans ménagement. Je pouvais m'estimer heureux. Lou n'était pas de celle qui pesait des tonnes. J'avais déjà du mal quand elle n'y mettait pas du sien alors si elle avait été plus lourde, je serais mort avant d'avoir passé le pas de la porte. L'attrapant finalement par la taille, je la soulevai brusquement pour la poser sur mon épaule.

T'aurais pas grossi, ma vieille ?

Merde ! Je devais bien avouer qu'il n'avait pas tort le bougre. Ma paresse me jouait parfois de bien vilains tours et je n'appréciais que trop peu qu'elle serve les intérêts de ce cher Jay. Grommelant un peu devant son rire, je jetais un bref regard à ma tenue. Bon, en revenant la veille, j'avais quand même pris la peine d'ôter mes chaussures et mon pantalon – ceux-ci traînant d'ailleurs au sol – et je n'étais à l'heure actuelle vêtue que d'un t-shirt et d'un shorty qui servait autant de bas de pyjama que de sous-vêtement, voir de short tout court en fait. On faisait mieux quand même, mais je restais néanmoins décente.

« Joue pas les exaspérés, tu blufferais une gourde, mais sûrement pas moi. »

La coup du pigeon lui déplut visiblement beaucoup, il fallait dire que c'était aussi une sous-espèce en comparaison des Dragons. Ses yeux avaient virés à l'orage, mais en aucun cas je ne changeais d'attitude. Le jeu était le jeu. Sa réplique n'en resta pas moins cinglante et je l'encaissais avec bien plus de difficultés. Je n'eus pourtant même pas le temps de tirer une nouvelle salve, cet enfoiré m'avait attrapée par les pieds pour me tirer hors du lit. Lâchant un chapelet d'injures incompréhensibles, je tentais bien de me débattre, mais il avait déjà refermé le piège et je me retrouvais balancé sur son épaule avant même d'avoir dit ouf. Il asséna finalement le dernier coup : une remarque particulièrement basse que même l'absence de fille que j'étais n'aurait pu ignorer.

« Espère d'ordure ! C'est dégueulasse ! »

Malgré cette position peu glorieuse de sac à patates, il était hors de question que je rende les armes. Furieuse, je commençais à lui frapper le dos en gigotant, comme un ver de terre justement manque de bol, pour qu'il me lâche.

« Crapule, Tortionnaire ! Charogne ! Crétin des ruines ! Lame molle ! Béotien ! Babouin à la gomme ! Sale fils de chien, j'te jure que si tu ne me lâches pas tout de suite, je te fais la peau ! Que le diable te passe à la râpe à fromage ! »

Et j'avais du souffle, je pouvais continuer jusqu'à ce qu'il se décide à me poser...

A peine l'avais-je soulevée qu'elle s'égosillait déjà, me traitant de tous les noms. N'y comprenant rien dans un premier temps, je m'appliquai à m'éloigner le plus possible du lit pour ne pas qu'elle puisse s'y réfugier à nouveau. Je fis bien attention à ne pas trébucher sur les affaires qu'elle avait laissées traîner à terre, n'essayant même plus de lui faire ranger sa chambre...Je m'estimais déjà heureux que le sol soit encore visible.

Un léger sourire étira mes lèvres après qu'elle ait encaissé ma dernière attaque. Furieuse, elle prit soin de me le faire savoir, se mettant à ruer mon dos de coups...qui étaient douloureux, je devais bien l'avouer. A force de répéter ce rituel chaque matin, il m'était possible de dissimuler ce mal. Il me suffisait de penser que j'avais un sac à patates immobile sur le dos à la place de Loukas. C'était facile en théorie, plus difficile dans la pratique.

Allons Lou, je te croyais au-dessus de ça ! Ne me dis pas que t'as été contaminée par les vipères...

Première étape réussie, j'étais parvenu à passer le seuil de sa chambre ! Mais le combat était loin d'être gagné ! Il suffisait que je baisse ma garde une seconde pour qu'elle m'évince avec l'un des ces coups vicieux dont elle a le secret. Souriant à la diversité des injures dont elle me gratifiait, je raffermis ma prise sur sa taille ; il ne fallait pas qu'elle tombe, la connaissant elle en ferait tout un plat et il faudrait que je passe des heures à me racheter.

Tu t'épuises pour rien, chérie. Je te poserai quand on sera arrivé...Ah si tu pouvais être aussi énergique aux entraînements, ce serait le pied.

Je continuai à avancer alors que ses points martelaient toujours mon dos. Bientôt, elle devrait faire face à la lumière du jour et à l'air frais de la matinée, autant dire que dans sa tenue, elle ferait bien de bouger pour se réchauffer.

Tortionnaire...ça me va bien, je trouve.

Mais c'était à se demander qui était le réel tortionnaire de l'histoire. Moi, qui m'obstinais chaque matin à venir la tirer de son sommeil ou elle, qui chaque matin refusait de mettre le pied dehors ?

Grumblr. Ce type était un connard intergalactique ! En une poignée de minutes, nous avions faits le tour des clans, mais la façon dont il m'avait asséné le coup fatal, la comparaison avec la bande de nanas qui se croyaient surpuissantes, m'avait bluffée. Pouah la représentation de l'individu femelle que je détestais dans toute sa splendeur. Vipère Une était l'incarnation même de cet esprit et pourtant, ce macho en puissance qu'était Samuel la considérait avec une ébauche d'intérêt qu'il n'offrait pas aux deux autres. Enfin si, mais avec Jaguar Une, c'était une autre histoire. Dans tous les cas, ce rassemblement de filles avait quelque chose de malsain à mon goût alors qu'il ose soulever un tel élément était particulièrement cruel.

« Putain, mais t'es vraiment une ordure ! Dès que tu me déposes, je t'éclate la tête et j'te jure que plus personne te reconnaîtra ici ! »

Avec tout ça, il avait bel et bien réussi à me sortir de mon antre. Je la voyais s'éloigner avec tristesse, mais je lui promis de revenir la voir rapidement. Après la réplique de Jay, j'allais être encore plus chiante et qu'il ne vienne pas s'en plaindre par la suite, il l'avait bien cherché. Et la solution était toute trouvée. Ce coup-ci, je contais bien lui offrir le grand show. Bon si je me repérais bien, ce qui n'était forcément facile vu ma position, je pourrais bientôt me servir du mur comme tremplin pour m'enfuir. Tout en labourant son dos de mes poings, je tendis brusquement les jambes et donnais une grande impulsion pour le faire partir en arrière. C'était une grande première et même lui n'aurait pas pu prévoir une telle répartie. Je profitais du moment de battement dut à la surprise et la perte d'équilibre pour me dandiner jusqu'à m'extraire et effectuais une belle roulade pour sortir de son champ de chute et éviter de me faire mal. Immédiatement, je me mis à courir vers la chambre et j'allais récupérer mon drap que je nouais comme une cape autour de ma gorge avant de m'enrouler dedans. Un bond sur le matelas et je me retrouvais debout cette fois, le dos au mur et prête à combattre pour le bonheur de mon lit qui n'aurait su vivre sans moi.

« Abruti de Jay ! »

Bon techniquement, maintenant que je n'étais plus sur son épaule, j'aurais du l'éclater comme je lui avais promis, mais c'était décidément bien trop fatiguant. Encore un élément à ajouter sur la liste des choses à faire lorsque j'aurais un semblant de motivation.

Malgré toute ma bonne volonté, je ne parvins pas à prendre au sérieux ses nouvelles menaces. Elle, me défigurer, moi ? Pour ça, il fallait qu'elle mette ses intimidations en pratique ; la connaissant, ce n'était pas prêt d'arriver. Trop fatiguant, elle devait déjà lutter contre cet entraînement matinal...mais j'entrai tout de même dans son jeu.

Tu oserais défigurer mon merveilleux visage ? Tu en ferais des déçues.

La traiter de vipères sembla la toucher profondément. Que pouvais-je trouver de pire comme insulte ? Un clan constitué uniquement par des femmes...Et tout le monde savait la grande histoire d'amour qui liait Loukas et la gente féminine. Souriant à sa réaction, je continuai à avancer, ne me doutant pas que le prochain foireux de la jeune femme allait arriver bientôt. Oui, parfois j'étais trop présomptueux...enfin uniquement lorsque j'étais en présence de cette peste.

Je me sentis partir en arrière, le corps de mon otage se libérant de mon emprise. La chute fut inévitable, j'eus à peine le temps de minimiser la casse. Cette fois, je dus bien avouer qu'elle l'avait joué finement. C'était la première fois qu'elle avait eu cette idée. Encore à terre, je contemplai la fuite de cette flemmarde, passant une main dans ma chevelure blonde afin de me recoiffer. Je ne tardai cependant pas à me relever, m'époussetant légèrement avant de me diriger vers la chambre où Loukas m'attendait drapée dans sa couverture. A la vue de ce spectacle, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire, me tenant au chambranle de la porte. Si je pouvais immortaliser le moment, je n'hésiterais pas une seule seconde. Entre deux fous rire, je tentai tout de même de lui parler.

D-descends de là....

Inutile, je le savais. Je cherchais simplement à gagner du temps, de me remettre de mon fou rire. Et finalement, je m'élance tel un joueur de football américain, sautant sur son lit et la plaquant sur le matelas de son lit.

Des déçues ? Je n'avais pas songé à cette conséquence. Esquissant un sourire carnassier, je ricanais un peu. Si en lui foutant mon poing dans la gueule je pouvais ennuyer une flopée de nanas, c'était encore mieux. Et puis, si Jayden était défiguré, ces grognasses arrêteraient peut-être de lui tourner autour. Je comprenais qu'elles soient attirées à par lui, mais je n'aimais pas vraiment voir des chiennes en chaleur dans son périmètre. Depuis le temps, elles auraient dû comprendre que c'était une chasse gardée. Même si nous n'étions théoriquement pas ensemble et que je n'éprouvais pas ce genre d'amour pour lui, cela me dérangeait profondément de le voir traîner avec d'autres filles.

Clyde ne resta pas bien longtemps au sol. Ce n'était pas son genre de se rouler dans la poussière. Soucieux de son apparence, il se recoiffa comme une chochotte ce qui agrandit mon sourire. Parfois, je le trouvais aussi précieux qu'une Vipère, à croire qu'il avait du sang de ver de terre dans les veines...

« Pourquoi tu te marres ? »

Le blond se gondolait de rire, accroché au chambranle de la porte qui l'empêchait sûrement de se casser la figure. Campant sur mes positions, j'écartais un peu ma cape pour la repousser héroïquement derrière mes épaules.

« Dans tes rêves ! »

J'eu à peine le temps de lui répondre que déjà il fondait sur moi, m'emportant sur le matelas de tout son poids. Le chien, il n'y allait pas de main morte aujourd'hui ! Poussant un grognement mécontent, je remerciais néanmoins mon meilleur ami le lit d'avoir rendu ma chute agréable. Ainsi étendue sous le jeune homme, je pris une poignée de secondes pour l'observer. C'est vrai qu'il était diablement sexy. Mais il ne serait plus un mâle pour très longtemps.

« Crétin. »

Et d'un geste leste, je lui enfonçais mon genou dans l'entrejambe...

Ah ce que ma vie manquerait de saveurs sans Loukas pour l'égayer. Elle m'en faisait voir de toutes les couleurs tous les jours de l'année mais son absence provoquerait un vide immense dans mon existence. Un vide que toutes les femmes du monde n'arriveraient pas à combler. Certes, je m'amusais avec les soumises du clan...mais ça n'était que ça, un jeu. Elles finissaient souvent avec le cœur brisé et il suffisait que je leur souris pour qu'elles en redemandent. Et je devais avouer qu'il m'arrivait souvent d'en jouer pour énerver ma coéquipière.  Cependant, elle ne perdait pas son temps pour me rendre la pareille. Le petit cirque matinal quotidien en était la preuve.

La voir drapée dans sa couverture telle une héroïne d'histoires pour enfants m'ôtait littéralement l'air des poumons. Je riais à en mourir, commençant à avoir mal au ventre. Si j'en finissais pas rapidement avec elle, c'en serait fini de moi. Je fonçai donc sur elle, la plaquant sur son lit tel un jouer de rugby. Nul doute qu'un regard de l'extérieur aurait accentuer les rumeurs courant à notre sujet. Notre relation si spéciale. Pas définie mais exclusive. Cette proximité ne m'avait jamais dérangée et je n'y prêtai même pas attention. L'unique but de ma manœuvre était d'immobiliser Bonnie ce qui n'était pas une mince affaire. En attestait la nouvelle fourberie qu'elle me réservait...un coup à l'entre-jambe ni plus ni moins. Heureusement pour moi, je le sentis venir et je roulai sur le côté m'évitant de peu la pire douleur que l'on pouvait infliger à un homme. Cette esquive me valut de retrouver le sol à nouveau, non sans un grognement mécontent.

Alors ça...une bassesse digne des vers de terre. Je te tire mon chapeau, Bonnie.

Me relevant rapidement, je l'attrapai à nouveau par la taille, la soulevant comme un sac de pomme de terre...retour à la case départ. Je ne comptai plus me faire avoir de la même manière cette fois-ci. Par contre, je ne me faisais plus d'illusions. L'entraînement matinale devait déjà être entamé. Et...je changeai subitement d'avis, la déposant à nouveau dans son lit.

Fais-moi une place ver de terre.

Sans vraiment attendre sa réaction, je m'attribuai une moitié de sa couche, fixant le plafond. Il était hors de question que je me farcisse les remarques sans fin de Violette. Et si Michael voulait me voir à l'entraînement, il faudrait qu'il ait le courage de venir nous chercher tous les deux.

Rah ce petit crétin m'agaçait. Alors que je me faisais un plaisir de mettre l'entrejambe de mon acolyte au repos pour quelques jours - un coup double vu que les nanas qu'il fréquentait auraient sûrement été en pleurs en apprenant la nouveau à propos de ce malheureux "accident" -, il esquiva adroitement en roulant sur le côté. Pff, loupé ! Comment avait-il deviné ? Il me connaissait décidément beaucoup trop bien ! Il tomba néanmoins au sol et, restant tranquillement allongée sur le matelas, j'esquissais un sourire en entendant son gémissement. Ce n'était pas la finalité prévue, mais c'était mieux que rien.

« Bassesse ? Voyons mon chéri, aucune règle ne m'a jamais interdit de te les faire remonter jusqu'aux yeux. »

Je n'aurais quand même pas été jusque là, c'était quand même Jayden que j'avais en face de moi. Par contre, je n'aurais pas hésité à shooter un grand coup chez un autre mec. Quoi que, maintenant qu'il s'était relevé pour m'attraper façon sac à patates, je me dis que mon assaut aurait dû être plus efficace. Au moins, il aurait été à terre pour un moment et l'entraînement matinal aurait eu le temps de se finir. C'aurait été cool, mais il était trop tard. Encore que j'avais plus d'un tour dans mon sac. Seulement, avant que je n'ai le temps d'esquisser un nouveau coup bas, il me déposa sur le lit et m'intima de lui faire une place. Genre il abandonnait ? Sceptique, je m'écartais un peu et le laissais s'allonger. Est-ce qu'il préparait un plan à long terme ou est-ce qu'il jetait vraiment l'éponge ? Difficile à dire. M'installant sur le dos, je fixais à mon tour le plafond avant d'oser glisser quelque chose.

« Dis, tu mijotes un truc ? Non, mais parce qu'on pourrait peut-être arrêter de s'insulter, on est vicieux comme des Dragons, puis c'est tout. »

Je lui jetais un bref regard avant de me mettre à rigoler sous le coup d'une pensée fugace.

« Ahah j'imagine même pas sa tronche si un gars venait à nous trouver ici. Tu peux être sûr que cela ferait le tour du camp en moins d'une journée. »

Loukas pouvait vraiment se comporter de la pire des façons. Je n'aurais pas donné cher de ma peau si son coup m'avait atteint. Je pus néanmoins compter sur mes réflexes et le minimum de connaissances que j'avais accumulées à force de fréquenter Bonnie. D'une autre façon que Violette, Loukas avait toujours su m'atteindre, ne s'épargnant aucune bassesse. Elle n'avait pas peur de me malmener là où tous les filles du clan se plaisaient à me brosser dans le bon sens du poil. Attentionné, plaisant, oui...mais d'un profond ennui. J'avais toujours préféré le caractère difficile de ma camarade à la docilité des Soumises. Cela faisait-il de moi un fou ? Probablement mais je n'échangerai ma place contre aucune autre. Enfin, je ne tardai tout de même pas à quitter le sol, grognant toujours. Et bien que l'envie de ramener Loukas à l'entraînement me démangeait, je finis bien vite par la reposer sur son lit, m'octroyant une place à ses côtés.

Fixant le plafond, je comprenais bien qu'il n'y avait rien de réjouissant à se dépenser à l'entraînement matinal. D'autant plus lorsque je devais me farcir les réactions sanguines de Violette à chaque mot qui sortait de ma bouche. Je devais avoir ce talent en moi. Et je comprenais d'autant plus le manque total de motivation de Loukas à y mettre les pieds...même s'il fallait parfois se forcer, y mettre du sien pour parvenir à ses fins. Des fins bien plus ambitieuses que ce que je laisse entendre aux autres. Toutefois, je pouvais déroger aux règles que je m'étais fixées, pour une fois. Une matinée sans entendre Michael me hurler dans les oreilles, sans avoir à rire aux blagues vaseuses de tel ou tel membre uniquement pour préserver l'image qu'ils ont de moi, une matinée sans tout ça n'était jamais de refus. D'autant plus que j'estimai que la bataille que je menais contre la paresse de Loukas était un entraînement suffisant. La question de Loukas me sortit de mes pensées et j'esquissai un sourire moqueur. Il était vrai que me voir renoncer de la sorte pouvait paraître louche. Et en soi, ça l'était. Mais cette fois-ci, je comptai bien ne pas m'épuiser plus que ce qu'il n'en fallait.

Moi ? Comment oserais-je ?, répondis-je sur un ton moqueur avant de rependre. Ouais, vicieux comme des Dragons, c'est le cas de le dire.

Je n'avais pas pris la peine de me tourner vers elle pour répondre, me contentant toujours de fixer le plafond comme si j'admirais là une oeuvre d'art. Je ricanai cependant à la remarque qu'elle venait de lancer. Tout un tas de rumeurs courraient à notre sujet. Il était vrai que notre relation n'avait rien de conventionnel mais les idées qu'ils se faisaient tous de nous ne pouvaient pas plus être éloignées de la vérité. Parce qu'il n'y avait rien entre Loukas et moi. Ou du moins pas ce qu'ils sous-entendaient à longueur de journée. Je n'avais jamais vu Loukas comme une femme. Elle était juste Loukas et c'était bien mieux. J'appréciais sa présence au point de ne pas me sentir complet lorsque nous étions éloignés trop longtemps mais tout demeurait on-ne-peut-plus platonique entre nous. Quand bien même je tuerai quiconque toucherait à un de ses cheveux.

Laissons-les croire ce qu'ils veulent. Ils penseront qu'on aura fait nos exercices à notre manière, c'est pas plus mal. Ça passera l'envie à ce crétin d'Olaf de te dévorer des yeux à chaque fois que tu passes.

Jaloux ? Non, possessif, oui. Je l'admettais sans mal. Si je ne convoitais pas Loukas, personne n'en avait le droit. Et ceux qui se plaisaient à le faire se retrouvaient bien vite avec un énorme problème à gérer sans jamais le voir venir.

Mais faudra faire des efforts, si on veut que Sammy nous ait à la bonne. Et bien que j'ai une confiance totale en ton potentiel de séduction, je ne pense pas que ce bon vieux Sam soit réceptif à autre chose qu'à son ego.

Sa réponse était soufflée de façon moqueuse et une part de moi ne pouvait s'empêcher d'attendre le coup bas, mais je devais me rendre à l'évidence qu'il avait bel et bien abandonné. C'était une bonne chose pour moi, mais je trouvais cela étrange. Enfin, même lui avait le droit de faire un break de temps en temps. J'admettais être une chieuse de première ordre et me gérer ne devait pas être de tout repos. Seulement, même si j'en avais conscience, cela ne signifiait pas forcément que j'allais faire changer les choses. Et puis, si je changeais d'attitude de façon trop flagrante, ce pauvre Jay allait être tout perdu. Sa remarque me fit bien rire et j'oubliais toutes pensées, une main sur le ventre et l'autre écartant mes mèches brunes. Le pire, c'était que cet andouille avait probablement raison. Malgré leurs airs, les Dragons étaient très friands de rumeurs et nous les abreuvions depuis la soumission du jeune homme. Et puis, je percutais sur un détail qui m'avait jusqu'ici échappé. Surprise, je me redressais un peu pour observer mon compagnon de lit.

« Olaf ? »

Ce nom ne me disait strictement rien. Et la description qu'il en avait fait ne me disait rien non plus. Il était rare qu'un mec s'intéresse à moi pour autre chose que mes frasques. Le plus surprenant dans l'histoire, c'était que je n'avais absolument pas senti brûler sur moi un tel regard. Lourdement, je me laissais retomber sur le matelas et plaçais mon avant-bras sur mes yeux. Si tout ça était vrai, je devais être bien aveuglée par Ezea qui se faisait de plus en plus présente dans mon paysage. Je ne savais d'ailleurs pas ce qu'elle me voulait, c'était d'ailleurs parfaitement frustrant de ne rien savoir sur ses intentions.

« Je devrais peut-être flirter avec lui... »

Le murmure avait dépassé mes lèvres sans que je ne m'en rende compte et je me repris aussitôt. Quelle idée stupide. Ezy se fichait bien des personnes avec qui je traînais et elle ne serait sûrement pas touchée de me voir aussi proche de quelqu'un. J'avais bien essayé d'utiliser Jayden pour la rendre jalouse, mais elle devait bien être la seule qui n'était pas dupe.

« Sam ne me supporte pas, c'est pas pour rien que c'est toujours toi qui traite avec lui. Jamais vu un gars aussi machiste, il fait chier à toujours me comparer à une gonzesse. On a vraiment besoin de lui pour tout ça ? »

Oui, Olaf...ce crétin, même pas capable de toucher une cible à moins de cinq mètres...ferait mieux de viser sa cible à la place de..., maugréai-je en grossissant le tableau sans cacher ma mauvaise foi.

Étrangement, Loukas sembla surprise par ma remarque. Si Olaf était intéressé, elle aurait bien du être la première au courant. Elle était toujours au courant de ce qui se tramait chez les autres, parfois avant même qu'ils le soient eux-mêmes. C'en était effrayant. Aussi surpris qu'elle, je levai un regard perplexe sur son visage alors qu'elle s'était redressée. Il y avait de quoi être inquiet. Je ne pus m'empêcher de me demander si tout allait bien pour elle ces derniers temps. Si tout allait vraiment bien, en dehors des entraînements matinaux, en dehors des rumeurs qui courraient sur elle, si quelque chose la tracassait, je préférais être mis au courant. Je ne supportais pas de la savoir en proie aux doutes ni de la voir mal tout court. Ce fut donc mon tour de me redresser sur un bras, plongeant un regard soucieux dans le sien.

T'es sûre que ça va ? T'es la première à voir ce genre de truc d'habitude...Tu nous couverais pas quelque chose ?

Je m'apprêtai à poser ma main sur son front quand elle laissa échapper une remarque qui était loin de me plaire. Fronçant les sourcils, je ne cherchai même pas à cacher mon désaccord face à cette idée et je me laissai retomber lourdement sur le lit, fixant le plafond d'un air furieux, croisant les bras sur mon torse. Elle devait réellement couver quelque chose pour avoir ce genre d'idée...Loukas n'avait jamais été friande de ce genre de jeux aux dernières nouvelles...

N'y compte même pas, la prochaine fois que ce cloporte pose les yeux sur toi sera aussi la dernière fois qu'il aura des yeux, lâchai-je le plus sérieusement possible.

Et j'étais réellement capable de m'en prendre à ce gringalet sans la moindre once de pitié. Je m'arrangerai juste pour que le méfait ne me soit pas imputé (peut-être même pourrais-je faire d'une pierre deux coups en faisant accuser cette garce d'Ezea à ma place)...ce qui serait facile au vu de mon don pour la manipulation. Déjà plongé dans mes plans assassins, il me fallut quelques secondes pour comprendre que Loukas avait repris la parole. Elle avait raison sur Samuel. De tous les Dragons, il devait bien être l'un des plus machistes et misogynes mais nous avions besoin de lui pour avancer.

Ouais, on a besoin de faire un bout de chemin avec lui. Tu pourras décider de son sort après si tu veux.

Décidément, cet Olaf mettait Clyde dans tous ses états. Je n'étais pas vraiment étonnée, il avait toujours été particulièrement jaloux, mais il devait vraiment sentir une menace provenir de ce type pour être aussi virulent à son égard. Encore que je n'arrangeais pas les choses en le provoquant à ce sujet... Ce détail me passa rapidement au dessus de la tête, ce n'était qu'un détail justement, je n'allais donc pas m'attarder dessus inutilement. De plus, les mouvements de mon partenaire m'avaient poussés à me tourner vers lui, l'observant alors qu'il se redressait. Il était inquiet. Cela se sentait dans sa façon d'être, se voyait dans ses yeux et s'entendait dans sa voix. Un peu confuse, je penchais légèrement la tête sur le côté et cherchais à en apprendre plus, sans réel succès. Ne sachant pas vraiment quoi répondre, je détournais à nouveau l'histoire sur Olaf en envisageant le fait de lui donner ce qu'il semblait rechercher. Jay partit aussitôt au quart de tour ce qui me fit rire un peu.

« Oh ses yeux ne sont pas d'une utilité primordiale pour flirter. »

Le sort du fameux cloporte m'importait peu, mais il valait mieux que j'arrête de provoquer le Dragon si je ne voulais pas provoquer la mort d'un innocent. Encore qu'il n'était peut-être pas si innocent que ça après tout.

« Son pote aussi ? Ce misérable rat me sort par les trous de nez. Sérieux, non mais pour qui il se prends à diriger le clan comme s'il était le Chef ? Heureusement qu'on va arranger les choses, t'imagines si on devait le supporter jusqu'à la retraite ? L'horreur ! »

La retraite. S'il n'y avait pas eu Jay, je l'aurais sûrement attendue avec impatience en espérant me blesser suffisamment gravement pour être mise au repos. Je n'avais voulu de cette vie de Membre que pour Ezy, alors lorsqu'elle n'avait plus été là, cette existence n'avait plus eu de sens. Heureusement, elle en avait désormais un. Du moins, si nous réussissions notre coup. L'humeur assombrie, je ramenais mes jambes contre moi et posais ma tête dans le creux formé par mes genoux. Il avait raison, quelque chose n'allait pas.

« J'en ai marre d'être un chiffon que l'on prends et que l'on jette. Et aussi de ne pas avoir suffisamment de couilles pour leur faire payer le fait de s'être foutu de ma gueule. Ezy, ma mère,... Ça me prends la tête. »

Il n'avait peut-être pas besoin de ses yeux pour flirter mais il pouvait s'assurer que si je lui tombais dessus, ce n'était pas que sur ses yeux qu'il pourrait faire une croix. Je me ferais un aussi grand plaisir à lui arracher la langue ou tout autre membre "utile" pour flirter. Ce clan était empli de femmes qui n'attendaient que d'avoir les faveurs des membres, il n'avait donc aucune raison de lorgner sur Loukas...à peut-être s'il était suicidaire. Voilà que ce crétin parvenait à m'irriter alors même que son visage de crétin n'était pas sous ma vue. Remarque peut-être que le torturer devant Loukas parviendrait à lui remonter le moral...parce que je ne parvenais pas à m'ôter de la tête que quelque chose clochait chez elle, elle devait être préoccupée...nous n'aurions jamais eu cette discussion sur ce crétin d'Olaf dans le cas contraire. D'ailleurs, m'énerver contre ce moins-que-rien me permettait de ne pas tourner en boucle sur ce qui pouvait clocher chez Bonnie.

Quand elle reprit la parole, je fis mon possible pour ne pas remettre mes inquiétudes sur le tapis. J'essayais en quelque sorte de lui laisser du temps. Il était possible qu'elle m'en parle d'elle-même mais me connaissant, il valait mieux tôt que tard si elle ne voulait pas être assaillie de questions. Et puis, il fallait dire que je partageais son avis sur le petit rat qui tirait les ficelles pendant que son grand ami Sammy se la jouait roi du monde désintéressé. Chad était vraiment le pire. Je comptai bien le faire tomber dans un futur proche. Ce type ne m'avait jamais inspiré aucune sympathie. J'espérai cependant qu'il ne se laisse pas faire si facilement. Il était assez intelligent pour entretenir une partie des plus amusantes...avant qu'il n'ait à rendre définitivement son poste.

Et il serait capable de nous faire trimer même arrivés à la retraite, le connaissant. Faut qu'on se débarrasse de lui en premier...il a trop d'influence sur Sammy.

Jouant avec un pan du drap de la couche de Loukas, je l'observai alors qu'elle posait son tête dans le creux formé par ses genoux. J'avais raison, quelque chose la tracassait. Me redressant d'un coup, je me tournai vers elle, l'écoutant attentivement. Quelque chose avait du arriver. Elle devait ressasser ces pensées depuis un long moment déjà. Je fronçai les sourcils, mon regard se durcissant alors qu'elle évoquait deux femmes qui avaient joué un rôle décisif dans sa vie. Ezea et sa mère. Deux femmes que je maudissais alors même que je n'avais même pas rencontré la seconde...mais tout dans l'attitude de la première me mettait hors de moi. Et par-dessus tout, ce qu'elles avaient fait à Loukas. Je ne le leur pardonnerai jamais. Je sifflai doucement. Loukas ? Pas de couilles ? Était-elle seulement consciente de ce qu'elle valait ? Tout comme elle, je changeai de position, m'arrangeant pour lui faire face, m'assurant d'avoir nos deux visages à la même hauteur, je posai doucement ma main sur sa joue.

Hey, tu rigoles, Bonnie ? T'es la personne la plus couillue que je connaisse ! Y en a pas deux comme toi. Et crois-moi, intérieurement, ils prient tous pour que ça n'arrive jamais. T'imagines le bordel que ça foutrait ?, commençai-je un sourire au coin des lèvres. Elles ont peut-être joué mais c'est fini. C'était avant, elles ont profité de la situation quand tu n'étais pas prête mais tu le seras et je serai là. Et ce jour-là, tu vas leur montrer à ces deux mégères que personne ne se fout de la gueule de Loukas des Dragon du Nord. Et elles regretteront de s'en être pris à toi...Tu peux compter sur moi pour qu'elles le comprennent un jour, je ne manquerais ce spectacle pour rien au monde, finis-je en lui ébouriffant les cheveux.

Ces deux femmes ne payaient rien pour attendre, elles l'ignoraient sûrement mais il en fallait peu pour qu'elles ne se retrouvent pas toutes les deux assassinées dans des conditions floues et terriblement douloureuses. Cette situation ne durait que depuis trop longtemps et me mettait hors de moi (il me fallait faire d'immenses efforts pour ne pas sortir de la demeure en trombe), savoir Loukas mal de la sorte ne me donnait envie que d'une chose, me lever à l'instant et exécuter ces deux garces sur la place publique...Mais je pensais que c'était à Loukas d'en venir à bout, de vaincre ses démons et elle savait qu'elle pouvait compter sur moi pour l'épauler.

Je n'aimais vraiment pas la tournure des événements. Me retrouver à afficher mes faiblesses de la sorte me mettait hors de moi. Bien sûr, c'était Jayden alors cela n'aurait pas dû compter, mais justement, les avouer en sa présence, c'était y faire face. Parce qu'il me complétait et que nous étions liés par cet indescriptible lien, c'était comme observer toutes mes cicatrices dans un miroir. Frustrée, je me mis à me mordiller la lèvre inférieure, me souciant peu de la mettre en charpie. La douleur des morsures répétitives n'était rien en comparaison des sentiments qui me traversaient.

Et puis, une vague de chaleur m'assaillit. Un peu perturbée, j'entrouvris la bouche, appréciant la sensation qui se répandait doucement dans mon corps. Il était là, à mes côtés, me réconfortant de tout son être. Clyde était tout ce qui me manquait et aujourd'hui, il était ma confiance, mon estime de moi. La douceur de sa paume sur ma joue me fit frémir et je cherchais instinctivement ses yeux.

« J'avoue, ce serait pas cool pour eux... »

Je rigolais faiblement, prenant sur moi pour me montrer suffisamment réactive. Et puis, il n'avait pas tort dans les faits, deux Loukas, ça en faisait toujours une de trop. Une seule, c'était déjà limite aux yeux de certains en plus.

« Un jour... Il faut toujours attendre pour tout. J'en ai assez de cette situation, assez de rester en arrière. Si au moins je pouvais dormir pendant ce temps, mais non faut bien sûr que je m'active. »

Avec lui, je me sentais invincible. L'ennui, c'était qu'il n'était pas toujours à mes côtés et qu'une séparation un peu trop longue avec le don de tout foutre en l'air. J'étais dépendante de lui, pire qu'une junkie en amour avec sa dose de crack.

Une envie de meurtre me démangeait. C'était instinctif, voir ma moitié dans cet état me rendait hargneux. J'étais comme une bête blessée qui mordait à la moindre tentative d'approche. Cette discussion avait remué plusieurs choses. Des mesures allaient devoir être prises dont une que je n'avais laissé que trop traîner. Pousser cette Ezea dans les orties, l'empêcher d'atteindre Loukas d'une quelconque manière. J'allais m'arranger pour que la leçon soit douloureuse et qu'elle n'ose plus se montrer sous ses yeux. Jusqu'à ce que Bonnie soit prête et lui règle son compte elle-même. Un léger sourire naquit cependant sur mes lèvres quand j'entendis le rire de Loukas.

Et puis pense à moi. C'est déjà assez dur d'en réveiller une, j'en aurais pas fini avec une deuxième...je fis une pause et pris un air volontairement contrarié...Et je devrais surveiller deux fois plus cet idiot d'Olaf.

Je restai silencieux quand Bonnie reprit la parole. Je pouvais aisément comprendre son impatience, sa soif d'action mais je savais également que nous avions tous les deux une façon différente d'appréhender les choses. Nous avions également un passif différent derrière nous et bien qu'elle et moi ne soyons qu'une entité, nos démons étaient différents.

Si tu veux, je te ramène ces deux garces ici, tout de suite, tu n'as qu'un mot à dire et je te laisserai te charger de leur cas. Et on mettra les bouchées double, tu verras. Le changement est pour bientôt.

Je me décalai ensuite, dos au mur, ne résistant plus à l'envie de prendre Loukas dans mes bras, j'entourai sa fine silhouette de mes mains, déposant un baiser dans ses cheveux.

Mais si tu préfères dormir aujourd'hui, dors, je ne te dérangerai pas.

« Sur ce point là, je ne ferais preuve d'aucune compassion. Et puis, si tu dois en faire lever deux, ça en fera toujours une qui pourra profiter d'un rab de sommeil. »

L'idée devenait toute suite plus alléchante. Le problème, c'était que j'étais certaine que je finirais par me jalouser moi-même si jamais cette deuxième Lou se mettait à traîner un peu trop autour de Jayden. Ce qui serait une chose logique en soi. Ce dédoublement n'était donc qu'une mauvaise idée et ne manquerait pas de se finir dans le sang.

« Ne t'en fais donc pas pour Olaf, je ne suis pas d'humeur à supporter un mec pour le moment. »

En général, cet état était d'ailleurs permanent. Depuis cette histoire avec Ezea, je n'envisageais absolument plus le fait de m'accrocher de la sorte à qui que ce soit. Je fréquentais bien des gens à l'occasion, mais cela se limitait à une histoire d'une nuit bien vite oubliée. A l'exception d'une seule personne, seulement les choses étaient bien définies avec elle et Jay ne connaissait pas son existence. Et j'espérais bien que cela resterait comme ça sous peine d'essuyer l'une de ses célèbres crises de jalousie. Sans parler du fait que je ne tenais pas vraiment à attirer des ennuis inutiles à Liam.

La proposition de Jayden m'arracha un sourire. J'appréciais qu'il fasse ce genre d'efforts, mais à l'heure actuelle j'aurais été bien incapable de leur faire le moindre mal. Elles étaient une faiblesse désagréable contre laquelle je ne pouvais rien. Une cicatrice qu'il était si douloureusement plaisant de gratter.

« C'est frustrant, mais je crois que ce n'est pas encore le moment. Le jour où mon cœur sera suffisamment dur, alors il sera temps de se débarrasser de ces gênes. »

Et si ce moment n'arrivait jamais ? Une part de moi le souhaitait secrètement, mais l'autre brûlait d'arriver enfin à cet instant fatidique. J'allais repartir dans une spirale infernale de pensées lorsque Clyde m'attira à lui. Me lovant contre son torse, je fermais les yeux et me laissais bercer par sa chaleur et son souffle régulier. J'aurais voulu ressentir pour toujours cet apaisement.

« Merci... »

Tout contre lui, je me sentais à ma place, cette place que j'avais cherché pendant des années sans le savoir avant de lui faire face.

Il me sembla retrouver la vraie Loukas quelques secondes. Bien sûr qu'elle ne me ferait pas de cadeaux dans ma lutte pour la réveiller chaque matin. Il me faudrait batailler pour atteindre mon but autant dire que mes matins n'en finiraient jamais d'être agités. Mais je savais dans quoi je m'étais fourré en rencontrant Loukas et en aucun cas je ne le regretterai.

Mais peut-être que cette Loukas ne serait pas toi, que ce serait l'autre. Peut-être qu'elle prendrait trop de place dans le lit.

Quand je remis Olaf sur le tapis, Bonnie décréta qu'elle n'était pas d'humeur à se coltiner un homme pour le moment. J'espérai qu'elle ne serait jamais d'humeur, sachant pertinemment que l'heureux élu ou l'heureuse élue auraient du pain sur la planche pour passer les mille et une épreuves que je lui réservais, tout en sachant que je pouvais me montrer d'une mauvaise foi exécrable quand l'envie m'en prenait. Je n'aimais pas partager, ce n'était plus un secret pour personne.

Et on fera un beau feu de joie pour fêter ça.

Feu qui serait alimenté par les dépouilles des empêcheurs de tourner en rond de tous bords, ce serait beaucoup moins drôle de brûler des ressources comme du bois. Les insectes, eux, étaient remplaçables et je comptais bien le leur montrer.

Mais en attendant, qu'est-ce que tu dirais d'une sieste bien méritée après cette séance d'entraînement épuisante ?

Autant mettre le lit de Loukas à profit, une matinée de volée pour reprendre des forces et remettre les choses en place n'était pas vraiment une matinée de perdue. Loukas dans mes bras, je savourai l'instant, sachant pertinemment que je regretterais le calme du moment une fois l'entraînement des fines lames commencés et les remarques acides de Violette plein les oreilles.