Esfir se plaignait comme personne. Elle remportait haut les mains le trophée de la personne la plus susceptible de geindre parce que les choses n'allaient pas dans son sens. Elle était douée pour se retrouver dans des situations farfelues et compromettantes. Et personne ne tombait plus vite sous le charme d'un looser au grand cœur qu'elle. Mais des talents, elle en avait d'autres. Comme, par exemple, sa capacité fulgurante qui consistait à pouvoir tourner tout et n'importe quoi en une compétition. Vraiment tout et n'importe quoi. Du nombre de petits bobos récoltés dans son enfance aux personnes à qui elle avait réussi à faire dire tartiflette. Très mauvaise perdante, la vipère se donnait toujours à fond pour des causes qu'elle savait futiles et dénuées de sens. Mais elle gagnait et c'était ce qu'elle retenait en fin de compte. Sa rage de vaincre n'avait de cesse de faire des dommages collatéraux. Esfir se mettait parfois vraiment des personnes à dos pour accomplir un simple défi. Parfois, elle s'en prenait à des personnes qu'elle ne connaissait pas pour la simple et bonne raison qu'ils se trouvaient au travers de sa route. Aujourd'hui ne faisait pas exception alors que sa main se posait sur un grêlon au même moment que celle d'un inconnu. Elle qui avait gardé la tête basse pour être certaine de ne manquer aucun petit bloc de glace, voilà qu'elle relevait enfin son visage pour croiser les yeux bleus d'un garçon qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam et qu'elle ne souhaitait pas connaître. Il aurait pu être un ange parfait avec sa chevelure blonde et son regard céruléen ou le dernier des trolls couverts de furoncles et de verrues. Cela ne changeait rien à la flamme de détermination allumée dans ses yeux.  Non, là, vraiment, il n'entrait que dans une catégorie, celle des obstacles sur sa route. Alors elle fronça le nez et les sourcils et elle exerça une pression sur le bloc glacé qui brûlait sous sa paume. Il est à moi, trouve t'en un autre, trancha-t-elle sans même lui laisser la parole. Elle tira sèchement et s'accapara le bien de pacotille, le plaçant près de son cœur en signe de défense. Accroupie depuis des heures, la nuque raide et douloureuse d'avoir trop cherché et cherché encore la moindre parcelle brillante et froide, elle se releva, essaya de se faire la plus grande possible. Comme tous les autres grêlons du périmètre, continua-t-elle en tendant les bras. Elle récolterait plus de grêlons que Martha. Elle ne passait pas sa journée à se briser le dos pour rien. Elle gagnerait quoiqu'il lui en coûte.