Dommage collatéral
Louise & Kahlan

J-12 Matinée

Je l’avais pressenti la veille, non pas que j’ai des talents de divination ou quoi, mais le ciel était plus lourd que d'habitude. Il y avait même eu tout un tas de nuages qui stagnaient au-dessus de la ville. Ça voulait dire qu'il y aurait de la grêle prochainement et que le temps n’allait pas cesser de se rafraîchir. J’avais dormi étrangement longtemps, d’ailleurs, la nuit passée, ce qui n’était pas dans mes habitudes. C’était sans doute la fraîcheur soudaine qui m’avait aidée à récupérer pour ces derniers jours plutôt intenses. Il fallait dire que la température plus clémente n’avait rien de celle de la saison polaire, aucunement mortelle, elle était franchement agréable. Je m’étais roulée au boule tout au fond de mon lit en pensant à Icare. Le sommeil m’avait frappée comme une boule de grêle en pleine gueule. Je ne l’avais pas vu venir que je me réveillais au petit matin, un peu avant la première sirène pour l'entraînement général. Pas de grêle sur le sol. Ça n’allait pas tarder.

C'était l'éclate, la tombée des grêlons. Ça voulait dire que l’entraînement était terminé et qu’on pouvait débuter la cueillette de boules de glace. Et que je pouvais m’entraîner au tir. Sur des cibles mouvantes. À leur insu! J’avais quitté aussi joyeusement que j’avais approché mon coéquipier du jour, un colosse barbu beaucoup trop calme pour son propre bien. Il m’avait bien fait halluciner. Chacune de ses mains faisaient au moins la taille de ma tête. Et même avec tout ça, il arrivait à ne pas me démonter une épaule malgré lui. Par contre, il me mettait au tapis en un clin d’oeil. Je n’avais peut-être pas pris de poids, finalement.

-La prochaine fois, c’est moi qui te mettrai au tapis..! C’est beaucoup plus drôle quand on tombe d’aussi haut, tu vas voir, m’eh!

Je lui avais fait un petit clin d’oeil avant de sprinter au quartier général. C’était habituellement là que les chairs à pâté patientaient qu’on leur refile un bout de territoire à couvrir, pour la cueillette. À chaque année, depuis mon enfance, je croisais les doigts pour être désignée au centre neutre. De là, je pouvais traquer mes amis des autres clans pour leur balancer des boules de grêles par-ci par-là. Une fois, j’avais réussi à faire pleurer une copine, une jaguar, en lui touchant la tête sans le vouloir. J’étais tellement mal pour elle que j’avais appris à mieux viser. Ça avait ça de bon, l’amitié inter-clan. Je m’étais munie d’un panier lorsqu’on avait parlé de l’affectation de la zone au Sud du territoire commun.

-Shotgun! Prems!

La main en l’air, j’avais trottiné vers la sortie sous quelques gloussements et éclats de rires. J’avais bien conscience que ce n’était pas séduisant, d’être un membre motivé pour la cueillette, mais je m’en fichais un peu, pour être honnête. Traquer Giovanni et lui balancer une boule de grêle pour lui faire payer son manque d’argument devant Chanel, suite à mon altercation avec Henry, était beaucoup trop alléchant. Je connaissais bien le territoire reliant le Nord au Sud, il ne m’a pas fallu longtemps pour me planquer derrière un tas de ruines, à l'affût du possible passage du Jaguar. De temps à autre, j’empilais des boules de glace dans mon panier, ou bien j’allais le décharger dans l’une ou l’autre des brouettes, mais je revenais toujours à ma planque.

Jusqu’à ce que je le vois, grand, large d’épaule, brun de poils. Giovanni. Il était de dos. Prise parfaite. Je relevais le museau de mon muret déglingué pour faire valser un grêlon jusqu’à son postérieur. Bim. Dans le mile!

C’est quand il s’est retourné, hagard, que j’ai vu que ce n’était pas lui. C’est aussi à ce moment là que je m’étouffais de rire, entre la stupeur de ne pas reconnaître mon ami, l’évidence de ma bêtise et l’humour de la situation.

Dommage collatéral
Année 41 - première saison tempérée (matin 12)

La journée a commencée tôt. Trop tôt pour une opération ramassage. Bien sûr une chute de grêlons est toujours une bonne nouvelle mais maintenant que tu te retrouves en plein cœur de l'opération, tu dégustes. Tu ne cesses de bâiller à cause de la fatigue et du côté rébarbatif du travail. Et dire que tu n'es même pas encore au milieu de la journée. Pourtant ce n'est pas dire qu'elle a mal commencée. Tu es juste un peu grognon parce que tu viens à peine de reprendre ta tâche après la pause imposée par la traque et que tes doigts sont toujours dans un triste état. Ça te frustre plus qu'autre chose. Tu n'as pas l'habitude d'être ainsi handicapé. Étonnement c'est la première fois que tu t'amoches un os comme ça. Au vu de ton passif c'est plutôt un miracle. Tu es donc plongé dans ce genre de pensées quand il y a un truc qui te heurte les fesses. Tu te redresses immédiatement, aux aguets pour chercher qui est l'abruti qui a trouvé judicieux de te prendre pour cible. Dans la manœuvre tu as remarqué le nouveau grêlon au sol, à un endroit que tu avais déjà nettoyé. Ce n'est pas difficile de dénicher l'auteur du bombardement. Une blonde glousse pas loin sans se soucier d'être discrète. Tu pourrais t'offusquer vraiment de la situation, t'énerver, chercher à te venger,... Bref les possibilités sont nombreuses. Mais à la place tu cales tes mains sur tes hanches dans une imitation de midinette effarouchée. « Je peux savoir ce que mes fesses t'ont fait pour mériter un tel traitement ? » Au final ça t'amuse plus qu'autre chose. Il faut dire que la situation est plutôt cocasse. En plus, c'est qu'elle vise bien la blondinette. Ou très mal. Au choix.

Comment expliquer l’inexplicable? Comment trouver une argumentation logique devant un étranger qui vient de se prendre une boule de glace sur la chute des reins? Comment rester polie en comparant l’arrière-train de ces deux hommes? Je cherchais des mots ou l’embryon d’un raisonnement, alors que mon rire, lui, se faisait bien entendre. Je peinais à retrouver mon souffle, car non seulement la situation me semblait irréelle lorsqu’il empruntait des allures de vipère coincée, mais la nervosité qui me gagnait suite à ma bourde me rendait d’autant plus hilare. Je lui devais au moins ça, à l’homme qui prenait si bien la situation : un tantinet de sérieux pour lui expliquer ma méprise. Mains levées, sans grêlon, je me relevai des ruines pour lui faire face plus franchement, en toute passivité. C’est environ à ce moment que je constatais qu’il ne ressemblait pas vraiment à Giovanni, de face. Tout était une affaire d’arrière-train.

-Elles m’ont fait penser à celles d’un ami. Et il le méritait, je t’assure! Abandon prémédité au centre de soin. Rien de moins.

Tout en parlant, je m’étais rapprochée de mon ancienne cible de quelques foulées, une pointe d’amusement sur le bout des lèvres. Les marques qui striaient mon cou s’étaient quelque peu amenuisées, depuis l’incident, mais je ne m’en occupais pas vraiment. Si nous ne portions plus de peinture de combat, j’affichais toujours sans trop de soucis mes stigmates de guerre. Elles étaient très peu nombreuses, mais je n’en avais pas honte. C’était une simple trace de ce que j’avais pu traverser, par le passé. Comme la morsure, à la paume de ma main.

-T’as un partenaire? De récolte de grêle, je veux dire..! Je peux t’aider au chargement, pour me faire pardonner.

Comme pour joindre le geste à la parole, je m’inclinais souplement pour reprendre la boule de glace qui traînait toujours sur le sol déjà nettoyé. Je la lui tendais, paume vers le haut.