Family is not an important thing, it's everything
Année 33

Petite, tu envisageais parfois Esfir comme une sorte de démon. La pensée n'existait que durant ces matinées ennuyeuses où elle se réveillait tôt et où elle veillait à ce qu'il en soit de même avec tous les membres de la famille. Le tintamarre avait commencé alors que le soleil était encore relativement bas. Il y avait eu la démarche d'éléphant, l'insistance dans les escaliers et puis les coups répétés aux portes. Tu l'avais entendu venir car il y avait eu du vacarme à côté, chez Royauté, mais tu avais quand même sursauté quand elle était venue marteler ta porte. Et puis après un dernier hurlement elle avait disparu et le silence était revenu. A cet instant tu avais cru pouvoir te rendormir. Tu t'étais confortablement installée sous ta couverture, la bouche mimant un sourire béat avant que la réalité ne vienne te frapper. Elle avait raison, il fallait se lever ! Pour autant tu n'avais pas fait preuve de beaucoup de vigueur. Plutôt lente au démarrage, tu étais sortie de ton lit pour te traîner en pyjama et les pieds encore nus dans la maison. Tu n'avais croisé qu'une de tes mamans qui t'avait embrassé le sommet du crâne en t'insufflant son courage avant de te pousser vers la porte. Tu n'allais pourtant pas plus loin que le pas. C'était suffisant pour voir où se trouvait ta sœur – au milieu de la rue – et l'atteindre vocalement parlant. « Elle viendra peut-être même pas ce matin pourquoi tu m'as réveillée ? » La voix était chouinante et tu frottais tes yeux endormis du poing, ton autre main utilisée pour cacher un bâillement à t'en décrocher la mâchoire. Oui tu étais impatiente de voir Yulia mais il y avait des limites à l'excitation.

Douze ans. C'était l'âge que Yulia avait désormais. Enfin douze ans et demi pour être précis. La précision était important quand on était une enfant pressée de grandir pour atteindre enfin cette majorité rêvée où on lui permettrait de passer le test d'admission. Pour l'heure, malgré les rêves, Yulia n'était pourtant encore qu'une enfant. Parfois, elle jouissait encore de ce fait. Surtout quand il était temps de revenir à la maison. Même si elle aimait vivre chez les vipères, ce n'était pas sa maison comme les jaguars l'étaient. Là-bas, il y avait toute sa famille et ses précieux amis. Quand elle revenait au sud, elle était donc toujours plus prompte à agir comme son âge le voulait, voir possiblement comme quelqu'un de plus jeune. Elle n'hésitait pas à glisser sa main dans celle caleuse de son père durant le trajet un peu stressant jusqu'au quartier où elle avait grandi. Après tout, elle n'avait pas vraiment le droit d'être là et si elle aimait ce clan, les horreurs qui s'y produisaient étaient toujours gravées dans son esprit. Heureusement, son père savait toujours comment lui changer les idées et elle finissait par se balancer au bout de son bras tout en lui racontant les moindres détails de sa nouvelle vie avec animation. Tout était tellement différents chez les vipères.

Arrivés dans leur quartier, père et fille purent vite voir l'agitation. Il était encore tôt, mais un petit comité d'accueil s'était déjà formé à proximité de la maison. Esfir et Oksana étaient au premier plan, Zorah un peu plus loin. Pas de Anton, Thiago, Sergueï et Anya en vue. L'absence de son frère n'étonnait pas vraiment Yulia. Parfois, son départ chez les vipères jetait encore un froid au milieu de leur relation, mais ça ne signifiait pas qu'il ne viendrait pas. S'il ne le faisait pas, elle irait lui botter les fesses pour ça de toute façon.

Lâchant finalement la main de son père, Yulia fit de grands gestes aux filles avant de se mettre à courir vers elles. Elle s'arrêta à proximité, un peu gênée comme toujours à chaque fois parce que le temps passait vite et peut-être qu'il changeait les choses. C'était l'une de ses plus grandes peurs : que trop de choses changent et qu'elle n'ait plus sa place ici.

— Salut. Son sourire se fit plus grand. Vous avez encore grandis, c'est fou.

Disait celle qui avait encore poussé follement et les dépassait toujours largement.

« Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ! » Meh. Des bêtises tout ça. Tu n'as jamais aimé les phrases toutes faites du genre. Des phrases que parfois Anya peut sortir parce qu'elle est grande et qu'elle vit presque dans un autre monde que le vôtre. Oksana vous sauve d'une discussion qui n'aurait de cesse que lorsqu'une d'entre vous abandonnerait en débarquant avec ses attitudes de grande sœur. Sana elle a le droit de se comporter comme ça. Même si elle n'est pas beaucoup plus vieille, elle s'occupe de toi sans trop te houspiller comme le fait Anya. Et ça, tu aimes bien. Même si elle t'a poussée. « Va mettre tes chaussures au moins. Sinon tu vas encore te plaindre que les cailloux te font mal aux pieds. » « D'accoooooord. » Ça t'ennuie un peu de devoir rentrer mais tu te plies au conseil parce que tu sais qu'elle a raison. Tu n'es pas comme tes fêlés de sœurs et cousins, tu n'aimes pas courir à pieds nus. Tu es sur le point de faire volte-face mais tu vois Yulia qui arrive au loin avec son père. Elle lâche vite sa main pour courir près de Sana et de Esfir et toi aussi tu as envie d'en faire de même. Zut, pourquoi est-ce que tu n'as pas mis tes chaussures directement ? « IAAAAAGOOOOO VIENS ME PORTER. » Que tu cries sans te soucier de déranger les voisins. Iago est un grand même si c'est une mauviette. Il peut bien te transporter sur son dos pour que tu puisses aller dire bonjour à Yulia avant d'aller mettre tes chaussures. Peut-être même que tu pourras l'envoyer les chercher. Oh non tu feras ça avec Anton, il est plus douée pour reconnaître lesquelles il faut prendre.