SHE WAS

Changing Like The Wind

C'était comme s'ils n'arrivaient pas à quitter les lieux. Comme si une partie d'eux était restée là pour ne plus jamais les rejoindre.

Elle n'avait jamais côtoyée la mort de si près. Avant, tout lui paraissait si lointain. C'était la faim, le froid, la déshydratation, la maladie. C'était les autres, des étrangers, des inconnus. Parce qu'avant, elle n'avait pas d'attaches ; elle croisait d'autres Libres mais jamais assez longtemps pour retenir leurs prénoms ; jamais assez pour nouer un quelconque lien. Là, c'était différent. Elle le connaissait malgré elle ; elle connaissait son histoire, ses peurs et ses envies. C'était d'autant plus difficile de se dire qu'il n'était plus là. Qu'il n'était plus là et que c'était en partie de sa faute. Le plus difficile, c'était qu'elle devait faire face à une chose qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant : la culpabilité. Et elle s'empêtrait dans ce sentiment si fort qu'elle ne savait pas comment réagir, qu'elle se laissait dépasser par les événements et qu'elle se laissait accabler de tous les maux. Pourtant, elle avait tout fait pour faire taire cette voix dans sa tête. Elle avait enterré le corps, creusé elle-même la tombe, elle avait même exigé qu'il soit habillé convenablement. Et pourtant, elle entendait toujours cette voix. Que pouvait-elle faire de plus ? Absolument rien ! Elle avait donné une bonne leçon au meurtrier, elle l'avait vengé en quelque sorte. Certes, elle ne l'avait pas tué mais elle ne comptait pas non plus se transformer en monstre pour un mort et encore moins mourir à son tour parce qu'elle se retrouvait fichée comme une traquée. Et puis, il y avait les autres. Elle avait le sentiment qu'ils lui en voulaient. C'était particulièrement malvenu et injuste de leur part. Elle voulait bien admettre avoir une part de responsabilité dans ce qu'il s'était produit mais ils devaient partager les torts. Ils voulaient tous survivre ? Bien, alors ils n'avaient qu'à mettre du leur aussi ! Jusqu'à présent, toute la sécurité avait toujours reposée sur les épaules de la jeune femme. Une responsabilité dont elle n'avait jamais voulue et qui l'étouffait un peu plus jour après jour. Et dans un sens, c'était de leur faute si elle se sentait si démunie depuis quelques jours. Il lui avait forcé la main ; jamais elle n'aurait accepté de diriger un groupe, qu'il soit restreint ou non. Rian n'était pas quelqu'un d'empathique. Elle n'aimait pas prendre soin des autres ; elle n'aimait pas les autres, en règle générale. Elle était affreusement méfiante et fermée sous son apparente désinvolture. Et là c'était comme si la foudre s'était abattue sur elle. Parce qu'elle n'avait jamais eu à subir la perte d'un proche depuis longtemps. Elle s'était attachée deux fois dans sa vie et les deux fois s'étaient terminées de la même façon. Et voilà qu'on remettait le couvert en lui arrachant un troisième ami. Au fond, elle le ressentait moins fort. C'était peut-être ça qui la mettait dans cet état. Elle se sentait coupable de savoir que son absence ne lui ferait pas autant de mal...alors qu'elle luttait depuis des années pour effacer les cauchemars de sa vie passée. En tout cas, elle avait appris une chose. C'était que les autres la rendaient faible et que cela ne pouvait plus continuer. D'autant plus que leurs non-dits commençaient à lui courir sur le haricot. Et eux, ils se rendaient compte que la mort était à leur porte, à chaque instant de leurs vies et que ce n'était pas une "princesse" aussi débrouillarde soit-elle qui allait les sauver. C'était même plutôt le contraire, elle les précipitait peut-être vers la mort pour les sauver de la faim et du froid ? Étaient-ils prêts à l'accepter ? Pas pour le moment...car elle les entendait encore parler à cette fichue tombe.

- Vous savez qu'il ne peut pas vous entendre, hein ?

Ils firent comme si elle n'était pas là ; ce qu'il faisait depuis ce fameux jour. Soupirant, elle écouta leurs jérémiades. Ils auraient pu être touchants en s'acharnant à parler à un mort mais elle les trouvait égoïstes et injustes. Et elle se rendit compte que leurs présences lui étaient de plus en plus insupportable.

- Il ne vous entend pas.

Encore une fois, ils la nièrent tous, à l'exception d'un des leurs qui lui lança un regard noir et Rian sentit son sang bouillir. C'était une mauvaise chose pour eux parce qu'ils étaient en train de réveiller l'ancienne Libre, la vraie. Celle qui ne s'entichait de personnes et qui était capable de laisser les autres mourir sous ses yeux.

- IL EST MORT, faites vous une putain de raison, c'est fini ! Il ne vous entend plus.

Ils ne purent plus la snober plus longtemps, se retournant vivement vers elle. Dans leur inconscient, ils savaient ce qu'ils venaient de faire. Ils savaient que c'était fini. Que cette fois, ce n'était pas un coup de gueule passager, qu'ils allaient certainement morfler...mais rien. Elle se leva simplement pour rejoindre ce qui lui servait de couche. Des heures durant, elle resta allongée, sans dire un mot. Et puis toujours aussi brusquement, elle revint vers eux.

- Je ne vais pas vous vendre. Je vais être clair. Vous savez pourquoi il est mort ? C'est parce que vous n'êtes pas foutus de vous défendre tout seul. Vous vous appuyez sur moi et après, vous me reprochez le fait que je ne sois pas invincible ? Je fais des erreurs, bandes de crétins ! Et avouez-le, vous avez beau me faire des reproches, vous n'avez jamais mieux vécu qu'à mes côtés...Ah et non, c'est vrai. Vous préférez vous taire, vous n'osez même pas me dire que je suis responsable de ça. Vous savez pourquoi ? Parce que vous êtes lâches ! Et surtout, que vous savez que sans moi, vous seriez déjà morts et enterrés. Alors, je vais être franche avec vous. Je m'en vais ce soir. SEULE. Sans vous. Vous ne m'êtes d'aucune utilité après tout. Vos sacs vous attendent là-bas. Mais comme je suis une bonne âme, je vais vous donner quelques derniers conseils. Ne restez pas dans les alentours de l'Est. Même s'il ne vous a pas vu, celui qui a tué votre ami aura une folle envie de se défouler. Si j'étais vous, je ferais mes adieux et je m'en irais. Sauf que vous êtes incapables de survivre seuls, hein ? Devenez soumis. Pas chez les Dragons, vous ne tiendrez pas le coup. Pas chez les Vipères, elles ne feraient qu'une bouchée de vous. Après ce qu'il s'est passé, je ne pense pas que l'envie de passer votre vie chez les Aigles soit une option. Il vous reste les jaguars et malgré leur réputation de poubelle, sachez que ce ne sera pas facile. Ou alors quittez Paris. Et apprenez à vous défendre. Pleurer n'a jamais fait avancer personne.

Le discours était clair et ils ne trouvèrent rien à dire. Ils écoutèrent attentivement ses conseils sur la nourriture, comment la trouver ? Comment savoir qu'elle était encore mangeable ? Comment effacer ses traces ? Comment faire un feu. Comment faire diversion et comment se cacher...et elle est partie. Elle les a laissé aux frontières pour retourner vers l'aventure, seule et sans poids. Juste elle et le silence. Elle et son esprit trop intrépide. Juste elle. Et c'était comme si un poids s'était envolé. Elle était réellement Libre. Libre et perdue...parce que son sens de l'orientation si parfait ne s'était pas amélioré pour dire vrai...Et elle finit donc dans une ruine de maison aux alentours est, endormie sur son sac attendant le retour du soleil pour réellement mettre les voiles.