Saywer était impressionnante à voir, au combat. Non pas parce qu’elle était une brute de guerre, mais parce qu’elle encaissait comme personne d’autres. Elle attirait les coups comme une flamme attirait les insectes, mais elle ne s'éteignait pas ni même ne vacillait. Même si Sawyer m’impressionnait, c'était Shiloh qui attirait mon attention ce matin-là. La voir s'engager jusqu'à se perdre contre ses adversaires était fascinant, je l’avais su depuis son test d’admission. J’avais réussi à me faufiler comme par miracle afin d’assister à quelques tests, l’an dernier, et le sien m’avait inspirée et motivée à poursuivre mes entraînements matin et soir. À ne pas terminer perdante et subir le châtiment cruel mais juste de Samuel. Depuis, j’avais l’habitude de laisser traîner mon regard sur les aspirants et les gradés, lorsque je pouvais accompagner Mads à son entraînement général, le matin. Je me plantais là, en retrait, sans pouvoir détacher mes yeux du spectacle qu’ils m’offraient. Aujourd'hui je m'étais laissée distraire, la tête perdue dans ce que serait ma vie, après le test d’admission. Ma tâche de nettoyage aurait dû débuter depuis quelque temps, déjà, lorsqu’ils ont terminé l'entraînement des aspirants. J'étais en retard. Pas de beaucoup, mais il valait mieux ne pas traîner plus longtemps. De toutes façons, on ne me remarquait pas vraiment, là où j’allais.

J’enfilais mes gants tout en longeant les murs. Je gardais la tête basse, la capuche enfoncée sur ma tête et les épaules légèrement voutées, comme si d’instinct mon corps voulait qu'on l’oublie, qu’on ne le voit pas. Qu’on me fiche la paix. Surtout ça. Ils étaient tous compliqués, beaucoup trop pour que je cherche à les comprendre. Malgré la chaleur, j'endurais sans peine ma veste à capuche et mes gants noirs: mes meilleurs alliés d’une séance de nettoyage dans le seul quartier qui avait de la gueule, au Nord. Là où maman habitait, quand elle était gamine. Là où nous aurions dû vivre, Mads et moi, si elle n’avait pas été aussi inutile. Je serrai la mâchoire tout en reflechissant aux fautes que maman avait commises, que ce soit son choix d'être demeurée soumise ou celui de miser tout ce qu’elle possédait -et meme ce qu’elle ne possédait pas- sur l'ascension de Mads pour nous sortir de là. C'était sur moi, désormais, que Mads misait. Et je ne comptais pas le décevoir.

- Dépêche-toi de te montrer.

Je haussais un unique sourcil tout en m’extirpant de mes pensées. Elle me faisait quoi, comme scène, l'autre?  Il m’a fallu quelques secondes avant de comprendre que l'autre, c'était Shiloh. Et que Shiloh, elle s'adressait à moi. Avec un ton qui claquait comme un fouet. Ça sentait les embrouilles et ça sentait aussi les complications pour fuir ou battre en retrait. Je me suis donc éloignée de ma flaque d’ombre pour rejoindre le centre de la ruelle afin d'être bien vue par l’aspirante. J'ai hésité à lui demander si elle préférait que je change d'itinéraire pour être seule. En fait, je la fixai un moment plutôt long sans savoir si elle méritait ou non que je m’écrase à ce point devant elle. La rue ne lui appartenait sans doute pas, il était vrai, mais je n’étais vraiment rien pour une membre. Et moins que rien pour une aspirante. Elle semblait vindicative et toute prête à me passer un savon alors que je n’avais rien fait. Mais d’un autre côté, il s’agissait d'une aspirante, justement. Douée. Vraiment douée. Après quelques seconde, le moment était passé de toutes façons pour une telle proposition. Tant pis.

- Je suis affectée au nettoyage de ton quartier depuis un moment. On emprunte la même route. Souvent.

Je ne comprenais pas trop ce qu’elle voulait, à me faire face comme ça. J’ignorais si elle m’avait vu aux entraînements. J’ignorais encore plus si je devais spécifier que je traînais parfois aux entraînements.

- Je traîne parfois aux entraînements.

Au moins, c’était dit.