Give me your blood

Le dernier groupe de libres qui avait assuré notre protection avait posé des gestes ignobles qui nous avaient profondément marquées, ma mère et moi. Le souvenir de l’homme au sol, éventré, et du garçon barbouillé de sang qui se suçotait ses doigts m’avait hantée très longtemps. Comment un homme en venait-il à manger son semblable? À quel moment précis la bête prenait-elle le dessus sur l'humanité qui habitait tout un chacun? Le petit ne comprenait visiblement pas mes yeux horrifiés ni mon manque d'appétit, alors que les plus vieux s’affairaient à cuire tout ce qu’il y avait de comestible sur le vieil homme. La protection avait un prix, partout où nous mettions les pieds, là, dehors, mais ce prix là était trop élevé. Sora avait réagit rapidement. Je m’en souviens très bien. Chacun des schémas tracés sur le sol s'était ancré dans mes yeux. Le sang versé aussi. Tout comme les paroles prononcées pour leur jeter une malédiction. J’avais tenu l’oiseau étrange entre mes mains, lorsque maman lui avait tordu le cou et l'avait fait saigner sur ses dessins étranges et mystiques. Mes petits doigts poisseux glissaient sur le corps secoué de spasmes de l’animal, mais j’avais cette fierté presque primale de sacrifier un animal pour une cause mystique. J’avais huit ans.

J’étais seule, à présent. L’image de l’Aigle me retenant, une main sur ma chaire, mon temple, se superposait à mes souvenirs d’enfant. Jamais Sora n’avait reproduit cette étrange cérémonie sanglante. J’ignorais si réellement une malédiction s’était abattue sur le groupe de libres. J’ignorais aussi s’il s’agissait simplement d’un geste libérateur pour se donner l’impression de pouvoir agir devant les atrocités que nous avions vécues, hors de la ville. Adossée contre un mur délabré et abandonné depuis trop longtemps, je me questionnais sur la réminiscence de ce souvenir. Pourquoi me revenait-il à l’esprit, en ce moment précis? Ce n’était pas cet étrange Jaguar qui m’avait remémoré un souvenir particulièrement troublant. Même s’il était fou, il n’avait pas cette importance dans ma vie et mon inconscient. Il me fallu quelques instants pour en venir à la conclusion que j’avais eu peur lorsque l’Aigle s’était lancé sur moi. Très peur. Cette cérémonie, même futile, me donnerait l’impression de pouvoir agir et me défendre par moi-même, sans me cacher derrière un membre ou un guerrier. Je n’avais que ça. Une cérémonie magique. Une illusion de pouvoir rééquilibrer l’ordre, de me venger de quelqu’un. Je doutais sincèrement qu’une formule mystique apporterait la malédiction sur lui, mais j’aurais au moins agit. Je ne pouvais pas ne rien faire et me résigner que n’importe quel membre puisse profiter de moi.

Il me fallait du sang. Pas énormément, mais de quoi éclabousser les inscriptions que je tracerais sur le sol, comme un sacrifice : du sang frais contre une malédiction. J’abandonnai mon muret pour m’approcher des frontières du territoire de l’Est, la tête perdue dans mes pensées. C’est là que je l’ai vu qui revenait probablement d’une chasse.

Oz. L’ancien libre. Celui qui ne semblait pas reconnaissant envers l’Est. Celui qui tournait un peu trop autour de Swann. Je glissai ma main à ma nuque en cherchant un peu de contenance. J’étais parfaitement consciente qu’il devait être la meilleure personne pour m’offrir ce dont j’avais besoin, ce soir. Il fallait seulement que je surpasse cette animosité naturelle. Là où habituellement je serais restée en retrait, loin de lui, pour être certaine de ne pas devoir lui parler, je m’intimais de l’approcher. Je tâchais de ne pas avoir l’air hostile. Car en dépit de cette animosité latente, je ne lui en voulais pour aucune raison précise. Je m’en tenais loin par intuition. Mon sourire n’en était pas vraiment un: un petit quelque chose qui retroussait mes lèvres en guise de civilité.

- La chasse fut bonne?

Je ne désirais pas faire durer l’hypocrisie au point de tourner autour du sujet éternellement. La moindre des choses étaient d’être honnête. C’était, je le croyais, ma meilleure chance d’obtenir son aide.

Give me your blood

oz ∞ ayana

Année 41, première saison tempérée (jour 10) ✻✻✻ La journée avait été foutrement pénible. Oz n'avait jamais rien eu contre les dragueurs – vraiment rien –, mais aujourd'hui il en avait rencontré un peu trop à son goût. Il pouvait comprendre qu'il était irrésistible, mais quand même. A ce point là, ça en devenait louche. A croire qu'on lui faisait une vanne en lui faisant croire qu'il était devenu un putain de dieu de la séduction juste avant de crier surprise. Et comme un con, il se serait fait avoir. Ou pas. Oz avait eu le flair de ne pas réagir. Il avait fait son taff comme d'habitude. Du moins, il avait essayé entre chaque interruption. Du coup, il rentrait tard alors qu'il aurait dû avoir terminé vers le milieu de l'après-midi. Alors, il avait décidé de ne pas passer par la zone industrielle. Il ramenait ses proies avec lui, elles attendraient bien le lendemain. Au pire, il les filerait à un coursier.

Le soleil déclinait quand Oz approcha des frontières. Jax trottinait tranquillement devant lui. Pour le coup, il pouvait presque croire que la journée était redevenue normale. Jusqu'à ce qu'il l'aperçoive. Ayana. Cette fille, il n'avait jamais vraiment pu la sentir. Tout ça, c'était à cause de conneries, comme toujours. Toujours est-il que le courant ne passait juste pas entre eux. Alors qu'elle soit là, visiblement à l'attendre, c'était le comble du louche. « La chasse fut bonne? » Merde, elle lui parlait en plus. Il s'arrêta à un mètre d'elle. Affichant une mine plus confuse qu'il ne l'aurait voulu, Oz tapota son sac bombé par réflexe. « J'ai pas trop à me plaindre. »

Il la zieuta un instant avant de mordre l'appât parce que Ayana ne pouvait pas lui parler sans avoir une raison bien précise. C'était au moins quelque chose qu'il pouvait lui reconnaître : elle semblait avoir un côté pragmatique. « Qu'est-ce que tu m'veux ? J'espère que tu as pas le cerveau déboîté comme les autres parce que vraiment, t'es pas mon genre, princesse. » C'était faux, Ayana était tout à fait son genre. La donzelle devait même être le genre de tout le monde. Mais il aurait préféré rouler une pelle à son chien plutôt que d'aller fricoter avec elle dans un coin sombre.

✻✻✻

CODES © LITTLE WOLF.

Mes lèvres de sont ouvertes en un “o” parfait devant les paroles qu’Oz m’adressait. Je n'étais pas son genre, “princesse”...? Vraiment? Me prenait-il pour la dernière des puterelles que les ruines avaient connue, désireuse de plaire aux moindres mâles? Comme si le simple fait de lui adresser la parole était une forme de séduction. Je redressai la tête, indignée mais drapée de toute ma dignité, avant de lui susurrer quelques mots, mes yeux finement plissés à n’en devenir que deux fentes d’obsidienne pure. Même si je savais que je m’adressais à un membre, les mots filèrent d’entre mes lèvres.

- Le jour où je me soucierais d'être ou non ton genre, Oz, il pleuvra du feu sur les ruines.

J’allais pivoter et le laisser là, avec son chien, lorsque quelque chose me titilla de l‘intérieur. Qu’avait-il dit, juste avant que je me sente menacée et que mon verbe franchisse mes lippes? Comme toutes les autres. Esprits déboîtés. Quelque chose comme ça. Il ne m’avait peut-être pas insultée… S’il avait vécu une matinée semblable à la mienne, je pouvais comprendre sommairement sa grossièreté, voire même sa délicatesse de me repousser. Celle-là même que j’avais eu pour Elijah, plus tôt, ce matin. Je relevai la main en guise de paix ou de pardon, et je sentais les traits de mon minois s’adoucir peu à peu. Je lui présentais mes excuses, dans les limites que me dictait ma conscience. Car même si je me sentais vaguement coupable de m’être sentie attaquée, il n’en demeurait pas moins que les paroles venaient d’Oz. Il y avait quelque chose, chez-lui, qui m’inquiétait. C’était viscéral.

- Attends, s'il te plaît.. J’ai eu une journée épouvantable. Tout comme toi, de ce que j’en comprends…

Je ne m’épanchais pas dans les détails. Nous n’avions jamais été proches, et il me semblait improbable que je lui confis l’outrage qu’on m’avait fait, non loin de l'arène. Je croisais plutôt les bras sous ma poitrine, alors que son chien se posait non loin de nous, la langue sortie par la soif ou la fatigue. Pauvre bête. Si seulement j’avais ma gourde d’eau avec moi…

- Ils sont devenus étranges, du moins, ceux que j’ai croisé. Vraiment étranges. Et déplacés. Tu es le premier à être fidèle à toi-même.

J’abaissais enfin le museau pour dissimuler de mon mieux mon sourire. C’était une boutade, une petite plaisanterie, mais je craignais qu’Oz le prenne mal, ou qu’il comprenne qu’être fidèle à lui-même n’était pas une image très reluisante, venant de moi. Malgré tout, j’étais soulagée que ce petit malin soit toujours le même. C’était étrangement rassurant.

- Tu me trouveras sans doute étrange, peut-être même plus que d’ordinaire, mais j’ai besoin de sang animal. Pas énormément, mais de quoi faire… Une offrande. Je pourrais te rembourser en rations, si tu le désires, ou même lire ton avenir, si tu y crois. Ou même si tu n’y crois pas.

Je m’avançais dans des eaux bien boueuses, tout à coup. Il n’était ni le premier ni le dernier à me juger pour mes croyances, mais cette fois-ci, j’avais réellement besoin de lui. Du moins, de ses petites proies, dans sa besace.

Give me your blood

oz ∞ ayana

Année 41, première saison tempérée (jour 10) ✻✻✻ C'était qu'elle était facile à offusquer la petite Ayana. Oz afficha un sourire satisfait en voyant son air, il avait toujours aimé avoir ce genre d'effets sur les autres. Choquer, mettre mal à l'aise, agacer,... Tout ça ne lui déplaisait pas du tout. Et c'était encore mieux quand il pouvait jouer de son talent avec une fille comme elle. Ayana était aux yeux d'Oz l'archétype de l'Aiglonne parfaite engendrée par ce clan. La preuve, en fait, qu'il aurait mieux valu envoyer les femmes au charbon comme tout le monde plutôt que de les laisser parader comme des divas. Pourtant, il ne la connaissait pas vraiment cette Ayana. Ce n'était qu'un jugement tiré très tôt qui était toujours resté. Jamais il n'avait voulu remettre en cause cette image qu'il avait d'elle parce que c'était une perte de temps. Mieux fallait que chacun reste de son côté pour que les cochons soient bien gardés.

« Le jour où je me soucierais d'être ou non ton genre, Oz, il pleuvra du feu sur les ruines. » Autant dire que son petit numéro le fit sourire plus encore. Et fanfaronner de sa grande gueule coutumière. « Mazette, me voilà avec une sacré responsabilité sur les épaules. Il va falloir que je retienne mon charme légendaire pour éviter une nouvelle fin du monde. » Au moins, Ayana était normale aujourd'hui. Il n'était pas sûr qu'il aurait pu s'en remettre si elle avait tenté de lui sauter dessus comme tous les autres. Voilà qu'il en frissonnait rien que d'y penser. A cause de cette normalité qu'elle affichait, il fut presque déçu en la voyant sur le départ. « Attends, s'il te plaît.. J’ai eu une journée épouvantable. Tout comme toi, de ce que j’en comprends… » Oz n'allait pas dire qu'il cherchait sa présence - fallait pas déconner -, mais il était quand même curieux de savoir ce qu'elle lui voulait. Il devait quand même se passer un truc pour qu'elle vienne lui parler de son plein gré. Du coup, il resta sur place et se força à retenir tout commentaire déplacé qui aurait pu vouloir se glisser hors de sa bouche. Et dieu qu'il y en avait. Seulement, il valait mieux poser les armes pour l'instant. Tant qu'il ne saurait pas, la prudence verbale était de mise. Ou l'effort en tout cas. Il était inutile de lui demander d'arrêter totalement d'être grossier en une minute à peine.

« Ils sont devenus étranges, du moins, ceux que j’ai croisé. Vraiment étranges. Et déplacés. Tu es le premier à être fidèle à toi-même. » « Vraiment pas de bol. » Qu'il grommela. Il avait beau ne pas vraiment l'aimer, il n'empêchait que Oz n'était pas un fan des abus. On pouvait être un connard et avoir un code de conduite. Et que ce soit sur un homme ou une femme, il n'aimait vraiment pas les enfoirés qui se permettaient de forcer la main. Alors, il ne se sentait pas bien pour Ayana. « T'inquiète, tu risques rien avoir moi. Tu as du cent pour cent Oz en face de toi. » Il allait pas s'amuser à la protéger comme le faisait certains Membres, mais elle pouvait être sûre qu'il ne la toucherait pas au moins. Et puis, sérieusement, si quelqu'un venait à s'approcher là, maintenant, il le dézinguerait quand même. Même si c'était elle. Toujours cette histoire de limites et de code de conduite.

«Tu me trouveras sans doute étrange, peut-être même plus que d’ordinaire, mais j’ai besoin de sang animal. Pas énormément, mais de quoi faire… Une offrande. Je pourrais te rembourser en rations, si tu le désires, ou même lire ton avenir, si tu y crois. Ou même si tu n’y crois pas. » Voilà qu'elle changeait drastiquement de sujet. Ou qu'elle en venait aux faits. Le sourcil d'Oz se courba immédiatement sous le questionnement et il y eut une lueur d'amusement dans ses yeux. Tout ça promettait d'être fun. « Une offrande, tiens donc. » Profitant de cette position où il avait les cartes en main, il se remit à sourire, ce petit sourire narquois qui le caractérisait pas mal. Il croisa aussi les bras sur son torse tout en étudiant Ayana. « Et j'peux savoir pour quoi ? Parce que tu comprends, si je te file du sang pour un truc pas net, ça peut me retomber dessus. J'ai une responsabilité ici. » Comme s'il allait lui refiler du sang en échange de rations. Il y avait ici quelque chose de bien plus intéressant à obtenir. C'était tellement plus drôle de lui faire raconter toute l'histoire plutôt que de bouffer un peu plus.

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CODES © LITTLE WOLF.

Je dévisageais Oz avec ce petit éclat de mépris dans les yeux, ce même genre d’éclat que je réservais aux rares ayant osé porter une main sur moi. Du plus loin dont je me souvenais, il avait été un membre exécrable. J’ignorais comment il s’était retrouvé à ce titre, tant sa haine et son dédain pour notre clan me semblait évident. Swann l’appréciait, il est vrai, mais elle était souvent naïve et confondait sa propre condition à celles des autres; ce n’était pas parce que Oz se révoltait contre l’ordre établi qu’il était un allier pour elle. Au contraire. Il se plaignait et se montrait souvent mordant, mais n’était-il pas le premier à se complaire dans son titre de membre? Aujourd’hui encore, il me sortait l’argument de sa soi-disant responsabilité. Nous savions tout les deux que sa seule responsabilité était les miches de son chien.

- Tu… Tu as une responsabilité, désormais? Comment fais-tu pour survivre à ce choc?

Mes longs cils battaient l’air, la mine faussement incrédule, alors que je me montrais puérile, à mon tour. Cet homme savait faire ressortir le pire, en moi. Je n’aimais pas agir ainsi, mais c’était plus fort que moi. Je redevenais une adolescente, je perdais mes moyens. Il allait forcément rebondir sur mon rang de soumise, me remettre à ma place, et je serrais déjà la mâchoire d’appréhension. Dans l’attente de retrouver mon calme, ou ce qu’il m’en restait, je me balançais d’un pied à l’autre. Puis, enfin :

- Il n’y a rien qui te retombera dessus, Oz. Nous le savons tout les deux. Je ne ferais jamais rien contre l’Est. Jamais. Donnes-moi le sang en premier, et je te raconterai l’histoire tout autour d’elle. Je répondrai même à tes questions. Parce qu’entre toi et moi, je suis probablement la plus fidèle à mes paroles.

J’étais peut-être la plus honorable de nous deux, mais il était vrai qu’il était celui possédant le sang, entre nous deux. Je pouvais toujours rebrousser chemin, arpenter les rues de notre territoire jusqu’à trouver un second chasseur. Je pouvais également rejoindre la demeure d’Alex ou de Micah afin que justice soit faite, sans rituel et sang gaspillé. Avec un peu de chance, je pouvais même retrouver Sora, à notre maison, et espérer qu’elle possède quelque chose s’apparentant au sang pour l’offrande. Le plus simple était encore de demander à Oz. Ce cher Oz, qui me souriait avec un petit air narquois. Je sentais de la rage, au creux de mon ventre, à le voir là, devant moi, se pavaner. J’apprivoisais ce sentiment car je ne le croisais que très rarement. J’avais cette impression qu’une tempête de grêle allait s’abattre dans mon corps et noircir mon esprit, si je continuais à jouer ce petit jeu enfantin avec lui. Comment Swann faisait-elle pour aller au-delà de l’arrogance de cet ancien libre? Elle devait forcément voir quelque chose que je n’arrivais pas à percevoir. Avec beaucoup de patience… Peut-être y arriverais-je, moi aussi? Pour l’instant, toutefois, il ne semblait pas réellement convaincu de me donner sa proie.

- On m’a fait du mal. C’est un rituel pour condamner une âme sur cette terre. Des foutaises, comme tu les appelles probablement. Rien de dangereux pour ton petit confort. Princesse.

Main tendue, j’approchais mon ennemi d’un pas, me rapprochant légèrement du sang si précieux pour mon rituel.