And I've tried to wash you away but you just won't leave
année 41 - jour 9 (début de soirée)

« Je ne devrais pas être là. » Les mots glissent de tes lèvres au moment même où la porte s'ouvre. Tu le penses vraiment, tu ne devrais pas être là mais tu l'es quand même et tu ne comptes pas partir. Pour autant tu n'as pas le mode d'emploi. Tu ne sais pas comment tu dois te comporter. Ta seule certitude est qu'il y a quelque chose entre elle et toi. Quelque chose qui te hante et qui t'a poussé à la rejoindre ici sans même y être invitée. Dans un acte de nervosité qui ne te ressemble vraiment pas, tu tritures le bas de ton t-shirt trop sale, vestige de cette journée frustrante à vagabonder dans les ruines et de ton sauvetage particulièrement étrange d'une fille qui voulait sauver un renard. « Mais j'en ai envie. »

Quelques heures plus tôt.

« Tu as la tête de quelqu'un qui a besoin d'oublier. » La voix masculine te prend pas surprise et tu ne caches pas ta grimace de mécontentement à l'idée que quelqu'un ait pu échapper à ta garde. Tu es fatiguée. Épuisée même. Rien d'étonnant à ce que quelqu'un parvienne à se faufiler près de toi quand tu es plongée dans tes pensées. Ta langue claque contre ton palais alors que tu regardes obstinément devant toi sans jeter un œil à celui qui vient de s'asseoir à tes côtés. Sûrement un type qui pense pouvoir t'attirer au creux de son lit après quelques verres. A moins qu'il ne se suffise d'une ruelle sombre à proximité de ce bar dans lequel tu as atterri avec un espoir futile au fond du ventre. Tu n'es pas ici pour oublier contrairement à ce qu'il pense. Tu es ici car il y a une Vipère que tu désires voir. Et quel meilleur endroit que le bar à drogues pour croiser une fille qui semble noyer bien trop souvent les faiblesses de son cœur dans le fond d'un verre d'alcool imbuvable ? Il y en a un de verre juste devant toi. Il a été commandé il y a une éternité mais tu n'as pas encore eu le courage d'y tremper les lèvres. Alors le verre reste soigneusement posé sur le comptoir. Une torsion dans ton ventre durcit tes traits quand ton regard se pose à nouveau sur l'alcool translucide. Tu n'aimes déjà pas ça en temps normal mais là c'est encore pire car il fait naître en toi des émotions bien trop conflictuelles. Tu te demandes s'il aura le même goût que ses lèvres. Si le boire sera comme l'embrasser. Tu en doutes mais peut-être qu'il y aura une trace de Yulia dans ce verre comme il y avait une trace d'alcool sur sa bouche. Les deux te semblent aujourd'hui indissociables. Cette association ne manque pas de logique. Ta Vipère est comme l'alcool : elle propage la confusion, te fait baisser tes murs et répands de la chaleur dans ton ventre. « Pas très causante. » S'il savait que tu avais complètement oublié son existence. De l'index, tu effleures les bords du verre avant de finalement tourner la tête vers l'homme. Quand tu le vois, un détail te frappe. Tu connais cette tête. C'est ce félin qui a participé à la traque. Tu es bien incapable de mettre un nom sur son visage car tu ne lui as pas adressé la parole une seule fois mais il t'est familier. L'idée d'être à proximité d'un Membre du Sud fait remonter un frémissement de dégoût le long de ton échine. Tu n'as pas oublié ce qu'il s'est passé. Tu n'oublieras jamais qu'ils ont tués Chad. « Toi. » Tu ne lui offriras pas plus. Au moins il sait désormais que tu l'as bien reconnu et que tu n'as aucune intention de poursuivre cette conversation. S'il pense que parce que vous avez chassé ensemble vous êtes désormais amis, il se fourre le doigt dans l’œil. Tu préférerais encore te couper une main. « Habituellement on m'appelle juste Kahlan. » « Et ? » « J'ai pensé que ce serait plus pratique que tu connaisses mon nom. » « Je ne pense pas que ça va m'être d'une quelconque utilité. » Cette dernière réplique semble le moucher. Il gigote un peu sur son siège, lève une main pour commander un verre. Tu te dis que peut-être quand il aura un peu d'alcool dans son système il ira voir ailleurs. Tu hésites même à lui offrir celui qui se trouve devant toi pour que ça aille plus vite mais quelque chose t'en empêche. Tu as passé tellement de temps à fantasmer sur ce verre que tu ne peux pas juste le donner à ce type. Ce serait un peu comme partager avec lui le souvenir des lèvres de Yulia. Cette réflexion te donne envie de te taper la tête contre le bar. Tu es ridicule. C'est à se demander si les vapeurs qui flottent dans la salle n'ont pas eu raison de ton cerveau. Kahlan avale bruyamment une belle quantité de boisson avant de claquer le verre contre le bois. « Je suis au courant. » « Au courant de quoi ?» Ta curiosité a été trop forte. Les mots étaient sortis sans que tu ne puisses les arrêter parce que l'intérêt qu'il te porte ne te semble pas d'ordre sexuel. Il te colle et c'est visiblement avec un but tout autre derrière la tête. Alors pour un temps tu vas jouer le jeu. « Pour Yulia. » Ton sang se glace. C'est faux. Personne n'est au courant. Il ne peut pourtant pas avoir dit ce nom au hasard. Pour le monde, tu n'as vu Yulia qu'une fois à la traque. Tu n'as jamais prononcé son prénom devant qui que ce soit. Certains savent qu'il y a quelqu'un qui te trouble depuis quelques temps mais ils ne savent pas que c'est Yulia. Donc comment pourrait-il savoir lui qui n'est qu'un matou de pacotille ? Tu tentes de paraître détachée mais ton esprit s'affole trop pour ça. Tu passes une main sur ton visage, frottant tes yeux en espérant qu'il s'agisse juste d'un mauvais rêve. « J'ai vu comment elle te regardait. Elle est amoureuse de toi. » Le mot te frappe. Yulia ? Amoureuse ? Il délire. L'amour est un concept stupide auquel tu n'es pas associée. Donc Yulia ne peut pas t'aimer. Vous ne vous connaissez même pas de toute façon. Comment pourrait-elle t'aimer après vos quelques rencontres chaotiques ? Et même si c'était le cas – étrangement l'idée fait battre ton cœur plus vite mais cette rapidité n'a rien de douloureuse, elle est agréable – comment le saurait-il ? Comme s'il lisait directement dans tes pensées, Kahlan s'étend encore un petit peu. « Et si tu te demandes comment je le sais, c'est simple. Ce regard, je l'ai déjà vu. Souvent. Elle me regardait comme ça avant que je lui brise le cœur. » Tes poings se serrent, tes mâchoires se contractent, tu es prête à bondir. Le sang pulse à tes oreilles au rythme de la colère qui gronde dans tes veines. Tu ne comprends pas ce qui te fait le plus réagir. Le fait qu'elle l'ait aimé ou qu'il lui ait brisé le cœur ? Quand ton poing s'écrase sur sa mâchoire, tu commences à peine à enregistrer ton geste. Tu viens de le frapper et tu n'arrives pas à mettre une véritable raison dessus. D'habitude tu n'as pas besoin de raison mais là ça te semble important. Il a trébuché de son tabouret mais se trouve toujours debout, une main massant son visage endolori. Tu y as mis toute ta force, tu le sens bien à cause de la chaleur qui irradie douloureusement dans ta main. Il crache un peu de sang sur le parquet et la langue qui darde sur ses lèvres pour les essuyer porte une trace. Il s'est mordu à l'impact. « Je suppose que je méritais ça. » Du dos de la main, il chasse les dernières traces de rouge en continuant. « Et au moins ça répond à la question que je n'ai pas posé. » Il se penche et méfiante tu te met en garde mais il se contente de prendre ton verre qu'il vide d'une traite sous ton regard ébahi. « Peut-être que tu ne feras pas la même erreur que moi. » Il y a tellement de choses que tu veux faire en ce moment que tu n'arrives pas à te décider. Il te lance un regard entendu, pose le verre et quitte le bar. Durant quelques secondes, tu restes statique, puis tu attrapes finalement le verre pour boire les quelques gouttes qui s'y trouvent. Le goût est amer et te pousses à faire la grimace. Tu n'aimes vraiment pas ça, c'est une confirmation. Tu aimes encore moins le fer du sang qui te vient en bouche et cette absence de Yulia sur ta langue. Et tu n'aimes assurément pas Kahlan. Pourtant c'est son apparition qui te pousse enfin à agir. Il est temps.

Ces derniers jours ont été calmes. Pas pour le clan, mais pour Yulia oui. La traque l'avait laissé blessée et contusionnée de partout. Après le rapport terrible qu'elle avait eu à rendre au quartier général et tout le remue-ménage, elle était retournée chez elle pour ne plus vraiment en sortir. Elle avait été dispensée de mission pour le travail accompli ainsi que pour lui permettre de se remettre. Son état n'était pas catastrophique, mais durant une rencontre particulière avec quelques libres, elle avait quand même bien morflé. Les douleurs dans ses côtes étaient les plus difficiles à supporter. La nuit plus particulièrement car elle n'arrivait jamais à trouver une place confortable. Yulia ne s'était déplacée que sur le territoire pour éviter de s'exposer inutilement. Elle n'avait pas été aux entraînements, mais elle avait naturellement fait acte de présence aux rassemblements. Aussi, elle avait vu la montée d'une nouvelle seconde, véritable bonne nouvelle pour le clan qui n'en avait plus eu une depuis trop longtemps. Assez logiquement, au milieu de tout ça, elle n'avait pas pu voir Violette. Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait. Elle avait pris l'habitude de leurs rencontres hasardeuses. Elle était aussi inquiète. Yulia avait bien vu que la dragonne n'était pas sortie indemne de la traque non plus. Elle craignait que contrairement à elle, Violette ne fasse aucun effort pour ralentir le rythme. Elle avait l'air plutôt extrême après tout.

Appuyée contre une grande pile de coussins, Yulia fixait la flamme dansante de la bougie posée sur le sol. Il était encore relativement tôt, mais elle se trouvait au lit à penser. Le temps passait lentement quand on était pas au top de sa forme. Qu'est-ce qu'elle aurait aimé en ce moment aller traîner dans le centre neutre ou même peut-être aller faire un tour au quartier des jeux pour tenter d'attraper Ella, Grey ou Anton. Elle avait eu vent de la ré-ouverture du quartier et il était certain qu'elle y passerait une soirée dès qu'elle serait un peu mieux.

Quand on frappa à la porte, Yulia cru un instant que ce n'était pas réel. Ou alors qu'on frappait à la porte d'à-côté. Elle n'attendait personne aujourd'hui et la seule personne susceptible de venir à l'improviste le soir était Leonore qui serait tout simplement entrée dans la maison. En temps normal, il aurait aussi pu s'agir d'une commande des gradés, mais il faisait un peu trop calme dehors pour que quelque chose se passe et elle ne serait pas vraiment utile au quartier général pour le moment. Malgré tout, elle se leva et alla ouvrir. Celle qu'elle découvrit sur le pas de la porte la laissa bouche-bée. C'était assurément la dernière personne qu'elle aurait cru voir un jour ici. Les questions se bousculèrent immédiatement dans sa tête et l'absurdité de la situation lui fit un moment penser que ce n'était qu'un rêve. A force de trop penser à Violette, celle-ci avait dû finir par parasiter ses rêves. Mais Violette semblait pourtant bien là. Elle portait encore les stigmates un peu vieillis de la traque sur son visage et Yulia eut l'irrémédiable envie de lever la main pour toucher l'hématome sur sa mâchoire, mais elle se retient. Elle avait été scotchée par les mots de la dragonne de toute façon. Un sourire lumineux passa sur ses lèvres parce que Violette ne devrait en effet par être là, mais elle l'était et cela lui faisait plaisir. Beaucoup trop plaisir pour son propre bien. Elle mordit un rire en voyant sa gêne toujours si adorable quand elle avait a parlé de sentiments. Sa dernière révélation avait réchauffé le coeur de Yulia qui tendit les doigts pour les accrocher autour du tissu du vêtement de Violette avant de la tirer vers elle. La tirer à l'intérieur plutôt puisqu'elle reculait doucement en même temps. Il valait mieux qu'une dragonne ne reste pas sur le pas de sa porte en ces temps.

— Comment es-tu arrivée ici ?

C'était idiot de penser aux détails maintenant que Violette était juste devant elle, mais elle voulait être sûre qu'elle ne s'était pas mis dans des ennuis pour venir. Et peut-être un peu aussi être sûre qu'elle n'avait pas causé de problème aux vipères. Elle n'aurait pas voulu apprendre qu'on avait retrouvé la dépouille d'une sentinelle demain matin.

Les doigts de Yulia restaient empêtrés dans le t-shirt et elle tira une nouvelle fois jusqu'à ce que Violette soit suffisamment proche à son goût. Il ne faisait pas très clair, aussi, elle ne pouvait pas l'observer comme elle le voulait, mais sentir sa chaleur irradier tout près d'elle était rassurant.

— Je suis contente de te voir. souffla-t-elle en se penchant légèrement en avant jusqu'à reposer son front dans le creux de l'épaule de Violette. Tu m'as manqué.

Yulia avait un instant hésité à le dire, mais elle avait décidé de le faire car la présence de Violette ici avait une signification. Si elle était venue d'elle-même, c'était qu'elle comptait aux yeux de la dragonne, non ?

Yulia. Yulia. Yulia. Tu détestes la façon qu'à son nom de rouler dans ta tête au moment où elle ouvre la porte. Tu te demandes un peu quelle impression il laisserait sur ta langue si tu le formais. Pourtant tu ne l'appelles pas. Tu ne prononces jamais son prénom. Ce serait trop réel. C'est idiot comme pensée car il n'y a pas plus réel que d'avouer que tu veux la voir en débarquant chez elle. Il faut excuser ton cerveau, il n'est pas au mieux de sa forme. Trop intoxiqué par elle. Yulia ne dit rien et s'il n'y avait pas son sourire tu ferais probablement demi-tour. Sauf qu'il est là, bien présent, lumineux comme un soleil dans l'obscurité et ça te fait quelque chose d'envisager que c'est toi qui la provoqué. Les paroles de ce type te reviennent alors. Yulia, amoureuse. C'est étrange à envisager. En fait ça te paraît presque fou. Comment pourrait-elle t'aimer ? Si vite en plus. Tu chasses cette réflexion quand tu sens la traction qui t'entraîne dans la maison et tu suis de bonne grâce. Tu n'es pas venue pour rester dehors. « Comment es-tu arrivée ici ? » Elle est proche et tu te rend compte que tu as un peu de mal à te concentrer. Tu as vraiment envie de l'embrasser. Mais tu as aussi peur de lui faire mal. Tu ravales cette envie pour plus tard et tes mains planent au niveau de ses hanches sans pourtant se poser. « J'ai soudoyé quelqu'un au bar à drogues. » Tu as perdu beaucoup de rations dans le deal car il avait fallu plus d'un verre pour parvenir à rentrer mais ça valait le coup. En plus tu n'avais pas à te plaindre en tant que Spécialiste. La numéro un des Fines Lames n'était pas prête de manquer de nourriture. Elle te tire un peu plus dans son espace et tu te dis que vraiment tu aimes cette proximité. La chaleur et l'intimité qui en découlent sont comme une couverture drapée autour de toi. « Je suis contente de te voir. » Tu ne peux pas t'empêcher de craquer un sourire bien trop heureux qu'elle ne peut fort heureusement pas voir. Elle s'appuie contre ton épaule et tu ne peux réprimer un frémissement mais c'est cette fois à cause de la douleur. Une pression directe sur l'hématome qui s'y trouve n'est pas agréable. « Tu m'as manqué. » Tes mâchoires se resserrent un peu mais tu ne la chasses pas parce que tu n'en as pas la force. Tu aimes Yulia contre toi et le mal peut bien aller se faire foutre. Hors de question qu'il vienne tout entacher. Tu ne réponds pas à Yulia même si tu pourrais lui dire sans mentir qu'elle t'a manqué à toi aussi. Mais il est trop tôt. Tu ne peux pas dire des choses comme ça. Pas encore. Lui assurer que tu avais envie d'être ici avait déjà été beaucoup. Une chose à la fois. Si tu ne parles pas, tes gestes s'expriment pour toi quand tu poses enfin tes mains au bas de son dos. Une infime touche pour te donner l'illusion de pouvoir la garder contre toi mais elle pourrait facilement partir. Tu ne te l'avoues pas facilement mais il y a aussi derrière ce fait une attention particulière. Tu as vraiment peur de lui faire mal.

Comme toujours, Violette restait trop sage ou trop retenue, Yulia ne savait pas trop. Elle s'habituait encore à ce caractère, à cette façon de toujours garder un pied en dehors pour pouvoir fuir à temps. Elle était bien là et visiblement ouverte, mais son corps lui semblait trop loin. Yulia pouvait sentir la chaleur de ses mains tellement proches, mais il y avait aussi le froid de ce gouffre ente leurs peaux qui la rendait folle. Heureusement, elle n'était pas fière. Elle comblerait la distance par elle-même si c'était nécessaire. Elle pouvait faire le reste du chemin pour elles deux, surtout après ce qu'avait fait Violette.

Quand la dragonne parla du bar à drogues, les sourcils de Yulia se froncèrent légèrement. Qu'est-ce qu'elle avait été faire là-bas ? Elle avait eu l'occasion de comprendre que Violette n'était vraiment pas une fêtarde, aucune chance donc qu'elle soit venue pour boire un verre avec d'autres dragons. Durant une seconde, l'inquiétude passa dans son sang car la dernière fois qu'elle l'avait vue là-bas, Violette achetait de l'Iridescente. Et si elle était devenue accro ? On pouvait vite prendre goût aux effets de cette drogue. Elle laissa malgré tout l'idée sur le côté sans faire plus de commentaire. Elle pourrait toujours enquêter plus tard à ce sujet. En ce moment, l'important ce n'était pas ça. Ce qu'elle devait garder dans l'admission de Violette était qu'elle avait vraiment fait beaucoup pour la rejoindre. Yulia avait encore plus envie de la tenir tout contre elle. Et de l'embrasser. C'était fou ce que cette fille pouvait lui faire de l'effet. Et Yulia pensa une seconde que le sentiment était réciproque en sentant le frisson qui parcouru le corps de la dragonne. Seulement, l'instant ne dura pas car il y avait une nouvelle rigidité chez Violette. Malgré le geste tendre qu'elle avait esquissé quelque chose n'allait pas et cela suffit à Yulia pour se rétracter un peu. Elle logea une main dans le cou de la dragonne et glissa lentement son pouce sur sa peau. Elle eut une petite moue inquiète alors qu'elle la fixait avec attention.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Bien sûr, elle avait sa petite théorie. Yulia n'était par contre pas sûre que Violette apprécierait de l'entendre. Elle était fière, trop fière, et parler de ses blessures ne devait vraiment pas être son sujet préféré. Malgré tout, la vipère était inquiète alors elle se permit de descendre sa main pour tirer un peu sur le col du t-shirt de la dragonne, l'étirant jusqu'à apercevoir l'ombre beaucoup plus foncée sur sa peau. D'après ce qu'elle pouvait voir, un joli bleu s'étendait là. Pas étonnant qu'elle ait réagis de cette façon. Yulia lui adressa un regard légèrement coupable avant d'accrocher à nouveau ses doigts dans ton t-shirt pour la tirer à sa suite. Tant qu'elle n'aurait pas vu Violette dans la lumière, elle ne voulait pas prendre le risque de lui faire mal par inadvertance. Il fallait bien qu'elle compense le fait que cette idiote de dragonne ne soit pas capable de s'exprimer suffisamment.

— Viens. L'infirmière du clan m'a donné une baume qui fait des merveilles.

L'idée était normalement de ne pas la prendre à rebrousse-poil en étant trop directive, mais ne pas l'être aurait sûrement résulté à Violette n'en faisant qu'à sa tête. Son avis n'était absolument pas indispensable en cet instant. Yulia ne la lâcha qu'une fois dans la chambre et se fut pour allumer d'autres bougies et la lampe à huile posée sur la petite armoire. Elle en profita pour sortir d'un tiroir le fameux baume et retourna vers Violette. Dans la lumière, elle semblait beaucoup moins bien. Elle avait le teint pâle et semblait fatiguée ce qui renforçait l'hématome sur sa mâchoire. Lentement, elle laissa glisser ses yeux sur le corps de la dragonne en tentant de découvrir toutes ses blessures. Il y avait donc son visage et son épaule déjà. L'un de ses poignets était bandé. Ce même poignet qu'elle découvrait blessé à chacune de leurs rencontres. Elle traînait donc le mal depuis au moins sept jours. Impossible de voir le reste par contre. En passant sur les jambes de Violette, elle remarqua que c'était la première fois qu'elle ne la voyait pas porter un short. Ses joues rougirent un peu à cette constatation. Sincèrement, pourquoi avait-elle noté un tel détail ?

— Autre chose à signaler ? lâcha-t-elle en décidant de ne prendre de gants. Quelque chose lui disait que même si elle était moins insistante le résultat serait le même. Si Violette devait s'énerver, elle le ferait qu'importe les efforts de Yulia.

Tout en marchant vers Violette, elle dévissa le couvercle du pot et y trempa le doigt pour prendre un petit peu de crème qu'elle étala doucement sur sa mâchoire.

— L'odeur n'est pas terrible, mais ça soulage vraiment. On s'y habituait aussi. L'important, c'était l'efficacité. Retire ça. ajouta-t-elle en tirant légèrement sur le col du t-shirt de la dragonne.

Il n'y avait derrière cette demande aucune mauvaise attention même si elle était peut-être un peu tendancieuse. Pourtant, Yulia se sentait un peu chaude au niveau des joues et elle baissa un instant les yeux. Elles auraient normalement avoir déjà dû passer le cap de la gêne après cette nuit avortée, mais la situation était ici différente. Et puis, la dernière fois Violette n'avait pas vraiment pris la peine de retirer ses vêtements. Tout avait basculé au moment même où Yulia avait voulu la débarrasser de sa chemise quand elle avait découvert la coupure sur son abdomen. Elle se mordit un peu la lèvre, regrettant immédiatement ce geste sous la piqure de la douleur. Peut-être que ce n'était pas une si bonne idée que ça finalement.

— Enfin si tu veux... Ce serait plus facile. Et puis, tu voudras peut-être mettre un vêtement propre. Question de confort.

Yulia s'enfonçait. Elle se racla la gorge, mal à l'aise, et joua avec le couvercle sans trop savoir quoi faire. C'était dit maintenant de toute façon, tout ce qu'elle pouvait faire était d'attendre la réaction de Violette.

Yulia se déplace et tu sens la bulle d'apaisement qui éclate. C'était trop beau pour durer. Tu laisses tes mains retomber le long de tes flancs avec une légère moue. Tu ne veux pas te soucier des détails maintenant mais s'il y a bien une chose que tu sais désormais sur elle est qu'elle est butée comme un âne. Cette fois tu frissonnes quand elle passe les doigts sur la peau si sensible de ton cou et le petit mouvement qu'elle esquisse envoie une onde de chaleur le long de ta colonne vertébrale. « Qu'est-ce qui ne va pas ? » Tu pourrais lui dire que tout va bien sans mentir. Les blessures, tu connais et ce ne sont pas celles-ci qui vont te briser. Il est commun pour un guerrier de ressortir amoché. Et vraiment tu te sens bien. Tu te sens bien parce qu'elle est là et que le mal n'en est que moins important. Mais c'est Yulia dont on parle et elle ne se suffira pas de la réponse classique. Tu détournes un peu les yeux avant qu'elle vérifie par elle-même, plus ennuyée que gênée mais consentante malgré toi. Tu lui es reconnaissante qu'elle t'épargne une œillade de pitié ou d'inquiétude. Elle l'est peut-être un peu mais là elle semble surtout désolée même si elle ne s'excuse pas. A la place, elle t'attrape à nouveau pour que tu la suives et tu te demandes si ça va devenir une habitude cette façon de te traîner par ton t-shirt. « Viens. L'infirmière du clan m'a donné une baume qui fait des merveilles. » Voici venir les excuses. Tu secoues la tête pour chasser tout ça mais elle ne peut pas te voir alors tu te forces à parler. « Ce n'est vraiment rien... » Ta bouche se ferme précipitamment avant que son prénom ne vienne déborder de tes lèvres. Tu as failli le dire. Seulement Yulia est probablement trop occupée à suivre son idée pour remarquer que tu t'es arrêté un peu sèchement. Elle t'ignore même comme si elle se fichait bien que tu puisses avoir un avis sur la question. Elle t'abandonne au milieu de sa chambre faiblement éclairée et tu lances un coup d’œil autour de toi par réflexe. Ça n'a pas vraiment changé en quatre jours. La luminosité augmente progressivement et à la lueur de toutes les flammes des bougies et des lampes tu te rends compte que tu ne vas pas t'en sortir simplement. Tu l'entends farfouiller à ta gauche seulement tu ne te retournes qu'au moment où tu entends ses traces un peu plus lourdes qu'à l'accoutumé sur le sol. Elle aussi est blessée et elle devrait s'occuper de son corps plutôt que du tien. Elle te fixe avec une minutie presque dérangeante qui te donne l'impression d'être minuscule sous ses yeux. Alors toi aussi tu t'appliques à en faire de même pour éviter de fondre sous son regard. Elle peut voir des choses tout comme tu le peux. Comme ça elle ne semble pas si mal. Il n'y a que son visage qui porte des traces claires, les bleus et contusions ne diminuant pas sa beauté mais la renforçant pour toi. Encore une fois tu ne penses pas très clair mais tu aimes cette allure guerrière que lui donne les stigmates des combats. Son nez un peu gonflé et sa couleur t'inquiète un peu plus. Ça doit faire un mal de chien. Ses vêtements te cachent quelque chose aussi, tu en es sûre. Sa posture est trop rigide et ses gestes trop contrôlés pour qu'il n'y ait pas un problème. « Autre chose à signaler ? » Sa question te remet dans la réalité du moment et tu te demandes soudain pourquoi elle rougit. Ton sourcil s'élève légèrement mais tu ne poses pas de question. Peut-être que c'est juste parce que tu viens de la regarder bizarrement. Tu n'as pas trop la tête d'y penser sinon tu aurais creusé plus profond. Mais là tu ne peux pas parce que tu ne sais pas ce que tu dois répondre. Lui dire ou la laisser découvrir par elle-même ? Aucun refus ne semble possible vu comment elle s'approche déjà. Tu n'as même pas le temps de répondre ou d'accepter son déplacement quand elle applique la pommade. Ton nez se fronce automatiquement. « L'odeur n'est pas terrible, mais ça soulage vraiment. » « Un peu tard pour prévenir. » Tu ajoutes avec une moue dégoûtée. Mais c'est agréable. Difficile de dire si c'est son toucher ou l'efficacité du baume par contre. Elle tire sur ton t-shirt mais le geste à un sens différent cette fois. « Retire ça. » Tes yeux s'élargissent un peu. C'est direct et tu ne sais pas vraiment ce que tu dois penser. Elle est toujours là, tout près, et elle te demande de retirer tes vêtements. Est-ce que ce n'est que toi ou il y a une tension bizarre qui monte tout d'un coup ? Tu déglutis difficilement et tes yeux tombent sur sa joue parce que tu es incapable de croiser son regard. Tout comme elle maintenant qu'elle vient de se rendre compte de ce qu'elle a dit. Seulement la gêne n'est qu'une portion infime de sa réaction. Il y a autre chose. Elle vient d'avoir une pensée que tu ne connais pas, que tu ne comprends pas et le malaise s'agrandit mais pas le bon. Tu ne loupes pas la grimace quand elle mord la blessure sur sa lèvre. « Enfin si tu veux... Ce serait plus facile. Et puis, tu voudras peut-être mettre un vêtement propre. Question de confort. » Merde tu viens de regarder sa bouche trop longtemps et tu n'es pas sûre d'avoir tout saisi de ce qu'elle a dit. Vêtement propre ? Confort ? Tu es confuse un instant. Qu'est-ce qui est en train de se passer ? Tu lèves machinalement la main et tu effleures sa lèvre inférieure du pouce. Elle est tendue et il te faut un moment pour remettre toutes les pièces ensemble. Quand tu le fais tu te sens bête parce que tu aurais vraiment dû y penser. C'est évident d'un coup. Tu prends une inspiration un peu tremblante avant de faire un pas en arrière pour retirer ton t-shirt. Tu ne t'es probablement jamais sentie aussi exposée mais tu surmontes. C'est elle. C'est différent. Et c'est important qu'elle le sache. Tu lâches le vêtement sur le sol et peut-être que vous êtes aussi gênée l'une que l'autre en ce moment pour des raisons différentes. Tu poses machinalement ta main contusionnée sur l'hématome fané qui s'étend sur ton estomac et est surmonté d'une longue coupure en cours de cicatrisation. Gracieuseté de Yulia lors de votre deuxième rencontre. Ce n'est pourtant pas ça qui l'intéresse. Ton épaule et ton omoplate sont les plus à plaindre, les contusions étant bien plus fraîches. « Je peux le faire tu sais. » Et tu tends la main vers le pot sans réelle conviction. « Il y a aussi une coupure mais elle est bandée proprement. » Ou elle était bandée proprement quand tu es partie en vadrouille cet après-midi. Après tes aventures dans le centre neutre, tu n'es pas certaine qu'on puisse encore te considérer comme propre en réalité. Elle n'a néanmoins pas besoin de le savoir. « Tu devrais te reposer. Tu penses sûrement bien le cacher mais j'ai eu suffisamment de douleurs dans les côtes pour savoir. » Oui tu veux qu'elle se repose mais il y a autre chose. Il y a toutes les blessures et cicatrices sur ta peau qu'elle va voir. Il y a les marques si dragonnes creusées dans ta chair que les autres clans ne comprennent pas. Tu n'as pas honte d'elles mais tu as dix-huit ans, elles sont nombreuses et chaque marque classique représente la vie de dix personnes. Et durant une seconde tu as peur qu'elle te voie comme certains le font : comme un monstre.

Yulia savait qu'elle en faisait peut-être trop. C'était plus fort qu'elle pourtant. Elle ne pouvait pas s'empêcher de vérifier et de faire ce qu'il fallait dans cette courte période où Violette était ici pour qu'elle soit au mieux. Elle s'était toujours trop soucié des gens qu'elle aimait et ce n'était pas prêt de changer. De plus, ce n'était pas comme si Violette se montrait récalcitrante. Elle était résolue et se laissait manipuler sans se plaindre. Elle était peut-être juste un peu ennuyée par tout ça si Yulia se fiait à la moue qu'elle affichait. Mais elle ne faisait rien pour l'arrêter et se laissait simplement entraîner, les quelques mots qu'elle avait sorti étant vains. Yulia roula des yeux à sa tentative, mais continua à avancer. Elle n'allait pas se laisser arrêter par un sursaut d'orgueil. Car diminuer l'importance de blessures n'était que ça pour elle.

Au début, Violette semblait un peu ailleurs dans la chambre, mais elle se concentra bien trop vite sur Yulia qui tenta de passer outre son regard. Elle était trop consciente de ses blessures et de la tête que cela lui faisait. Elle chassa son malaise en se recentrant sur la dragonne. Il fallait qu'elle pense aux priorités plutôt que d'être trop coquette, mais ce n'était pas simple. Violette était en cet instant d'une beauté frustrante, alors que Yulia ne se sentait vraiment pas à son avantage.

Un petit rire lui échappa quand elle remarqua la grimace de Violette.

— Ne fais pas ton bébé. ajouta-t-elle avec une touche de moquerie.

Assurément quand Yulia lui demanda d'enlever son t-shirt, Violette eut la mauvaise pensée. Celle qui faisait que l'esprit de la vipère s'agitait follement en tentant de trouver une porte de sortie pour se débarrasser de la gène entraînée. Elle fut presque soulagée de constater qu'elle n'était pas la seule à ne pas savoir où se mettre, la dragonne était ouvertement mal à l'aise. Quoi qu'il se passait ici, elles étaient dans le même bateau.

Violette semblait presque ailleurs. Yulia fut surprise par son toucher et elle frissonna légèrement. C'était ridicule. Violette n'avait rien fait et elle se tenait ici, pétrifiée à l'extérieur et électrifiée à l'intérieur. Lorsque la dragonne recula, elle se retrouva à prendre une grande inspiration. Visiblement, elle avait été en apnée sans s'en rendre compte. Son souffle se coupa presque aussitôt lorsque le vêtement s'éleva et il fallut à Yulia toute sa retenue pour ne pas lorgner toute cette peau soudainement découverte. Elle garda le regard obstinément planté dans celui de Violette malgré la tentation. Elle ne voulait pas avoir l'air d'une espèce de perverse en cet instant. Il y avait encore cette vulnérabilité déchirante dans les yeux de Violette ce qui était bien assez pour la convaincre de refréner ce qui n'était qu'une pulsion. Après avoir éclairci sa gorge, Yulia se rassembla et chercha toutes les traces de blessures sur le torse de la dragonne en ne se souciant que de ça. Toute peau non-marquée était aussitôt abandonnée. Autant dire pas beaucoup car Yulia constata avec un pincement au coeur que la peau de Violette était déjà terriblement abîmée pour son âge. Ce n'était pas anormal, c'était la réalité de leur monde, mais quand même. Quand Violette prétendit pouvoir le faire elle-même, Yulia secoua juste la tête. Elle était incapable de parler pour le moment. Elle se rapprocha lentement, sa prise se resserrant sur le pot. En entendant parler d'une coupure, elle n'eut pas de mal à deviner où elle se trouvait. C'était probablement pour ça que Violette portait un pantalon aujourd'hui.

Violette fit une nouvelle tentative pour la chasser, mais Yulia n'était pas prête d'en démordre. Oui, elle n'était pas en forme, mais faire ça n'allait pas la tuer. Elle était sortie, elle avait vu des gens, elle avait fait certaines petites tâches du quotidien, alors ce n'était sûrement pas le fait de mettre un peu de crème à quelqu'un qui allait l'achever.

— Laisse-moi faire si tu veux que je me repose. lâcha-t-elle, un peu agacée.

L'hématome sur l'épaule de la dragonne s'étendait beaucoup plus loin, elle contourna donc Violette et laissa ses doigts planer sur l'étendue mauve et jaune. Elle ne savait pas exactement ce qui avait fait ça, mais c'était énorme et la dragonne avait sûrement eu de la chance. Yulia s'appliqua à passer lentement la pommade sur toute la surface, mais elle ne pouvait empêcher ses yeux de noter le reste. Voir sa marque sur son autre omoplate lui faisait se demander quel âge avait vraiment Violette. La brûlure n'était pas fraîche, mais elle ne ressemblait pas à celles qu'elle avait vues sur des membres en fin de service. Et puis, il y avait toutes ces petites cicatrices dispersées sur son dos qui ne ressemblaient pas vraiment à d'anciennes blessures. Il y avait une sorte de régularité dérangeante. Plusieurs étaient nouvelles, encore roses et tendres sur la peau tannée. Avant qu'elle ne puisse comprendre ce qu'elle faisait, Yulia avait cessé de soigner l'hématome pour effleurer à la place cette constellation de cicatrices. Il y avait une question qui lui brûlait les lèvres. Elle voulait comprendre. Seulement, elle ne savait pas si elle était en droit de le faire. Elle craignait aussi vraiment de voir Violette se refermer comme une huître. Elle s'attarda un instant sur une marque un peu différente des autres qui semblait aussi un tout petit peu plus ancienne tout en restant en cicatrisation. Tout doucement, elle étala dessus le reste de crème qui était sur son doigt et se pencha pour embrasser la nuque dégagée de Violette. C'était sa façon de contenir sa curiosité. Elle voulait tellement connaître l'histoire derrière ces cicatrices, mais ce n'était pas sa place. Sauf si Violette le décidait.

Elle rit et tu ne peux pas lui en vouloir. Tu aimes ce son. Tu aimes quand elle est heureuse, tout simplement. C'est ridiculement sentimental mais tu peux l'admettre tant que tout ceci reste bien caché au creux de ton esprit. « Ne fais pas ton bébé. » Tu souffles avec indignation. Un bébé ? Toi ? Comment ose-t-elle faire une telle comparaison ? Tu es une Dragonne féroce, pas un vulgaire nourrisson sans défense. Et pourtant ton éclat s'arrête là. Tu aurais probablement chercher à tordre le cou à toute autre personne qui aurait ainsi osé te diminuer mais là tu ne peux pas. Tu fais juste la moue, les joues gonflées comme un écureuil ce qui ne va vraiment pas améliorer ton image. Tu obtiens une petite vengeance quand tu constates l'effet indéniable que tu as sur Yulia mais ce n'est que de courte durée. Rien n'est simple et il y a toujours cette tension dans l'air qui t'électrifie le corps. Vous vous cantonnez à l'innocence mais cela ne fait naître que plus de gêne. Quelques jours plus tôt cela n'aurait fait que raffermir ton idée à propos de vous deux. Tu te serais dit que vous aviez juste à coucher ensemble pour vous débarrassez de la tension mais c'est plus compliqué et tu le sais aujourd'hui. Tu sais aussi que si tu possèdes réellement le corps de cette fille, il n'y aura pas de retour possible. Une fois ne suffira pas et ce n'est pas son corps que tu veux. Ou du moins ce n'est pas que son corps. Tu en as parcouru du chemin pour pouvoir l'avouer aussi aisément. Tu fais face à la vérité et c'est reposant. Devoir toujours nier épuisait tes forces déjà faibles depuis la mort de Chad mais maintenant que tu as admis qu'il y avait quelque chose entre vous, tu te sens mieux. Tu n'est toujours pas convaincue que c'est une bonne chose mais tu as décidé de boire le vin jusqu'à la lie. Tu veux profiter de tout ça jusqu'à ce que ça casse. Car ça cassera. Ça casse toujours. Tu ne sais pas garder les gens près de toi probablement parce que tu n'es pas bon pour eux ou que tu n'es vraiment pas facile à aimer. Et puis il y a toujours ces problèmes de confiance qui viennent te pousser sur le bord et qui te donne envie de sauter pour mettre un terme à tout ça. Mais vous n'y êtes pas encore. Pour le moment, tu explores ce quelque chose qu'il y a entre cette Vipère et toi. « Laisse-moi faire si tu veux que je me repose. » Tu pourrais argumenter mais tu décides de laisser tomber. Qu'elle fasse ce qu'elle veut, tu abandonnes. Yulia est assez grande pour s'occuper d'elle-même, tu te rappelles. Et vraiment tu n'as pour le moment pas envie de perdre du temps à te prendre le bec avec elle. La chaleur de son corps tout proche et trop tentante et l'idée de sentir sa peau sur toi n'est en réalité pas déplaisante. Mais quand elle passe derrière toi il y a un doute. Un nouveau malaise. Tu déglutis difficilement et quand elle te touche, tu te tend. Ce n'est pas la douleur et son contact t'apaise en quelque sorte mais l'appréhension vient tout gâcher. Quand elle s'arrête d'appliquer le baume sur ton épaule, tu sais qu'elle a vu et qu'elle a compris à sa façon. Tu t'attends à tout, tes yeux se fermant lentement. Quand ses doigts passent sur le champ de marques, tu sursautes un tout petit peu. Personne n'a jamais touché des signes de mort avec une telle tendresse. Le silence qui plane sur la pièce t'étouffe un peu et tu dois te répéter plusieurs fois de respirer. Les questions qu'elle ne pose pas te brûlent le dos. Tu te doutes qu'elles vont venir et que si tu les brosses juste le moment sera cassé. Mais tu n'es pas certaine de pouvoir en parler maintenant. Tu te sens trop vulnérable et tu as déjà craqué bien assez souvent devant cette fille. Son doigt s'attarde sur un endroit en particulier et ton cœur commence à bondir dans ta cage thoracique. Cette marque est la plus importante. Encore une fois tu attends la question mais rien ne vient. Il y a juste le contact léger de ses lèvres sur ta nuque qui te rappelle ce moment hors du temps où tu t'es réveillée dans ses bras. Tu ne sais pas pourquoi mais ce geste débloque quelque chose en toi. Tu exhales longuement et les mots sortent ensuite avec fébrilité. « C'est Chad. Il est mort parce que j'ai été trop faible. Pendant la rébellion. » Tu ne sais vraiment pas pourquoi tu parles de ça. Tu n'as dit à personne que tu t'étais faite graver une marque pour lui. C'est numéro deux qui s'en est chargé. Il y a un tremblement dans tes épaules mais tu ne pleures pas. Tu es juste secouée par cette émotion qui te poursuit depuis la mort de ton meilleur ami. « C'était vraiment un gars bien. Je n'en serais pas là où j'en suis sans lui. Il était intelligent et tellement doux lorsqu'on le connaissait. Je ne sais pas trop ce qu'il me trouvait mais il m'a en quelque sorte apprivoisée. Il est mort bêtement parce qu'il voulait protéger son ami et moi je n'étais pas là. Si j'avais assuré ses arrières, ça ne se serait pas passé comme ça. » Tu te décomposes un petit peu parce que c'est la première fois que tu verbalises vraiment tout ça. Tes épaules se voûtent et ta tête tombe vers le sol comme si la tristesse se faisait gravité et tentait de te conduire à terre. « J'ai toujours pensé que je n'avais besoin de personne mais je l'avais lui et ça faisait toute la différence. On se rend compte de l'importance des gens quand on les perd, il disait ça parfois. Mais je n'ai pas compris. »

Yulia rigola plus franchement cette fois, mais elle regretta aussitôt. La douleur dans ses côtes venait de se rappeler à elle, même si elle parvient à retenir sa grimace. Vraiment, elle aimait que Violette se sente libre de faire la moue et d'agir comme une enfant, mais elle n'allait pas survivre si elle recommençait cette imitation extrêmement puissante de l'écureuil. Au moment où elle fit face à la splendeur de la dragonne, Yulia se demanda pourtant ce qui était le pire et ce qui mettrait fin le plus rapidement à sa vie. Violette l'écureuil ou Violette qui se déshabillait et la faisait se comporter comme une adolescente hormonale ?

Violette se décida enfin à se tenir tranquille ce qui poussa la vipère à profiter de l'occasion. Quelque chose lui disait que si elle voulait apaiser cette blessure, c'était maintenant ou jamais. Le premier contact fit frémir la dragonne et gela un instant la main de Yulia. Elle semblait tendue et encore une fois cela ne semblait pas être pour les raisons les plus évidentes. Yulia fronça un peu les sourcils et continua le plus doucement possible. Avant de s'arrêter encore. Le malaise était comme une nuage planant au-dessus de leurs têtes en cet instant et elle était désespérée de s'en débarrasser, mais pas à n'importe quel prix. Le contact de Yulia sur les marques faisait réagir Violette, mais elle ne se dérobait pas alors c'était une sorte d'accord pour la vipère. Pas une invitation à pousser, mais peut-être que quelque part, tout au fond, il y avait un peu de ça. Yulia ne voulait vraiment pas la retrouver aussi brisée que la dernière fois, mais elle ne se sentait toujours pas d'aller trop loin. Au bout de quelques secondes d'observation, elle embrassa sa peau et resta là un instant, sans s'attendre à quoi que ce soit. Elle fut presque surprise quand Violette respira fort et pris finalement la parole.

Les mots s'échappaient et Yulia ne savait pas exactement quoi penser. Cela faisait beaucoup d'un coup. Quand elle parlait de Chad, elle voulait dire le second du clan qui était mort récemment ? Elle ne savait pas exactement ce qu'il en était, mais d'après les échos qu'elle avait entendu, il avait été tué par un jaguar parce qu'il se trouvait sur le territoire. En quoi était-ce la faute de Violette ? La réponse vient rapidement, augmentant plus encore la confusion, mais surtout pesant bien lourd sur les épaules de Yulia. Elle avait voulu savoir, cesser de s'imaginer ce qui avait bien pu arriver à Violette, mais elle ne s'était jamais vraiment attendue à le savoir. Ce n'était pas tellement que c'était trop pour elle, mais plus qu'elle ne savait pas comment gérer. La blessure était plus profonde qu'elle ne l'avait imaginé, ce n'était pas qu'une accumulation. Violette faisait le deuil d'une personne qui avait terriblement comptée pour elle. Elle plaçait aussi toute la culpabilité sur ses épaules. Et puis, il y avait ce petit quelque chose qui avait serré le cœur de Yulia. Ce petit quelque chose qui n'avait pas été dit, mais qui semblait tellement clair. Comment Violette pouvait-elle penser qu'on n'avait pas de raison de l'aimer ? Pire, qu'elle ne le méritait pas ?

En voyant Violette qui se laissait lentement décomposer, Yulia enroula ses bras autour de sa taille et l'attira tout contre elle. En veillant à ne pas lui faire mal, elle enfouit son visage entre ses omoplates, glissant l'un ou l'autre baisers sur sa peau.

— Je suis désolée que tu ais eu à vivre tout ça.

Elle ne savait vraiment pas quoi dire. Toute réaction lui semblait futile. Les mots ne portaient pas assez de sens. Et puis, une part d'elle traitait encore une information importante. Violette faisait partie de ces gens qui avaient attaqués les jaguars cette nuit là. Elle avait été sur le territoire et peut-être avait-elle mis en danger la vie de l'un de ses proches. Pour la première fois, Yulia se rendait compte. Violette était l'ennemi. Elle tenta de chasser cette pensée parce qu'elle savait que en ce moment tout cela était faux, mais on parlait des jaguars. De sa famille. Sa prise se desserra un petit peu sur la taille de Violette malgré elle. Tout ça était un peu trop étouffant soudainement.

— C'est la réalité d'un combat. On meurt pour protéger quelque chose auquel on tient. lâcha-t-elle finalement d'une voix trop sèche. Si ça n'avait pas été lui, ça aurait été quelqu'un d'autre. Peut-être que ça devait juste se passer comme ça, avec ou sans toi.

Tu respires lorsque les bras de Yulia s'enroulent autour de toi. Tu n'avais pas fait attention à ton souffle bloqué dans ta poitrine avant. A son contact tu tentes de prendre une longue inspiration qui se casse à plusieurs reprises de façon ridicule. Tu paniques un peu parce que tu as peur de te retrouver dans le même état qu'avant la traque. Et ça tu ne peux tout simplement pas. Tu te focalises sur elle plutôt que sur le blocage de tes poumons ou les battements trop rapides de ton cœur. Sa tendresse et le contact de ses lèvres t'aident vraiment, tu devrais l'en remercier mais pour le moment tu ne te sens pas de parler. « Je suis désolée que tu ais eu à vivre tout ça. » Tu hausses juste les épaules. Tu ne sais pas quoi répondre à ça et ça te semble même moins important que le reste. ses mots sont clairement moins forts que ses gestes et les sentiments qu'elle te transmet via cette étreinte qui te maintient debout. Seulement quelque chose commence lentement à changer. Ton instinct a toujours été plus fort que ton cœur et ton esprit réunis et il te prévient. C'est comme quand une tempête approche. Et peut-être que c'est logique. Peut-être que tout a été trop calme et qu'il faut maintenant payer cette tranquillité illusoire. Tu essayes de secouer cette impression mais c'est difficile avec Yulia qui est soudainement si silencieuse. Elle pense trop fort. A quoi tu ne sais pas mais tu as maintenant la certitude que tu ne vas pas aimer ça. Tu déglutis difficilement quand tu sens la pression des bras de la Vipère qui diminue un peu. Malgré toi tu lèves une main pour la poser sur la sienne parce que tu as besoin de faire un geste. Tu peux presque la sentir s'échapper et ça te fout la trouille. C'est stupide, tu n'as voulu que ça depuis votre rencontre et maintenant qu'elle te donne l'impression de mettre de la distance, tu paniques. « C'est la réalité d'un combat. On meurt pour protéger quelque chose auquel on tient. Si ça n'avait pas été lui, ça aurait été quelqu'un d'autre. Peut-être que ça devait juste se passer comme ça, avec ou sans toi. » Sa façon de parler te rappelle une autre de vos rencontres. Ce n'est pas la Yulia qui a été si gentille avec toi qui parle. C'est cette insupportable étrangère que tu avais pris pour une Jaguar. Tu ne comprends pas exactement ce qu'il s'est passé. Quelque part tu te dis que tu as dû faire une gaffe, que ça devait arriver. C'était trop beau. Seulement ça te fait vraiment mal parce que tu as juste été sincère. Tu lui as confié la vrai raison de ta douleur et tu as l'impression que ça te revient en pleine face. Ce qu'elle dit a du sens, tu ne peux pas lui enlever ça mais ce n'était pas du sens que tu voulais. Pourquoi t'es-tu même attendue à quoi que ce soit ? C'était vraiment idiot de croire que te confier était une bonne idée. Tu te détaches sans réelle douceur cette fois et tu ramasses ton t-shirt pour le remettre. Maintenant tu as vraiment besoin de cette protection que le vêtement t'apporte. « J'aurais préféré que ce soit quelqu'un d'autre. » C'est ça le soucis. Tu aurais préféré que Samuel meurt et que Chad s'en sorte. Ou mieux qu'ils se débarrassent ensemble de ces félins. « Et puis juste se passer comme ça vraiment ? Je devrais accepter sa mort juste parce que ça devait se passer comme ça ? Tu veux me faire croire que juste parce que c'était stupidement prévu je ne devrais pas m'en vouloir ou en vouloir aux charognards ? Tu crois vraiment que c'est comme ça que ça se passe ? Qu'on meurt parce que c'est prévu et pas parce qu'on est trop faible ou que nos équipiers n'assurent pas ? » Tu crois que ça va m'aider à passer au-dessus de penser ça ? Cette partie là reste coincée en travers de ta gorge mais le regard que tu lui adresses est assez clair. Tu es à la fois déçue et blessée. Et tout ça bien sûr ça vient renforcer cette toute petite partie de toi qui croyait encore que c'était une mauvaise idée de venir. Pour le coup c'est vrai que tu aurais mieux fait de rentrer à la maison.

Elle n'avait pas voulu ça. Vraiment, Yulia n'avait pas voulu que ça en arrive là. Si elle l'avait pu, elle aurait certainement pris la chance de revenir en arrière pour s'exprimer mieux. Seulement, il n'y avait personne pour lui offrir cette opportunité. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était laisser les conséquences lui rouler dessus en espérant une opportunité d'arranger les choses. Malgré tout, Yulia ne regrettait pas le message original qu'elle avait voulu faire passer. Elle n'avait pas assuré la forme, mais le fond lui paraissait valable et elle ne parvenait pas à s'en vouloir d'avoir transmis sa pensée. On parlait des jaguars ici, on ne pouvait pas lui demander de rester de marbre. Tout comme elle ne pouvait pas juste accepter que Violette porte le blâme de la mort de son ami alors qu'elle était visiblement loin d'être coupable. Pour ça, elle ne pouvait pas être sûre. Elle n'était pas sur le territoire cette nuit là et elle ne possédait même pas assez d'informations sur la situation en général. Mais cela ne changeait rien. Et le mal était déjà bien fait.  

Yulia ne fit rien pour combattre le retrait de Violette. C'était inutile de forcer. Elle croisa juste les mains sur son estomac, ses dents mordillant légèrement sa lèvre alors qu'elle s'empêchait de s'exprimer. De s'excuser peut-être. Elle ne voulait vraiment pas s'excuser. Elle regrettait, mais pas à ce point. Elle n'allait pas commencer à s'écraser quand elle se savait en partie dans le vrai. Ce fait ne rendait pas tout moins dur. Cela ne l'aidait pas quand elle entendait la douleur dans la voix de Violette. Bien sûr qu'elle aurait préféré que ce soit quelqu'un d'autre. Même Yulia aurait voulu que quelqu'un d'autre y passe à condition que ce ne soit pas l'un de ses précieux jaguars. N'importe qui tant que ça n'affectait pas Violette comme la mort de ce Chad l'affectait. Mais c'était impossible et ce genre de pensées n'arrangeait rien. C'était terminé, il était mort, et, désormais, il fallait vivre dans cette réalité. Yulia n'eut pas l'occasion de s'exprimer à ce sujet et peut-être était-ce mieux. Elle aurait sûrement été à nouveau maladroite. Cette impression n'alla pas en s'améliorant et alors que Violette multipliait les questions, Yulia ne pouvait contempler qu'une absence de réponses.

— Je ne sais pas Violette. souffla-t-elle avec lassitude en frottant son front qu'elle sentait trop froncé. Tout ce que je sais, c'est qu'on ne peut pas retourner en arrière. Même si tu avais des réponses à tes questions qu'est-ce que ça changerait ? J'en suis désolée, mais ça ne ramènera pas ton ami.

Yulia croisa les bras sur son torse douloureux et regarda enfin la dragonne. Depuis le début de cette conversation, elle avait été prompte à ne pas fixer ses yeux et maintenant qu'elle le faisait, elle ne se sentait pas exactement mieux. Elle n'avait rien arrangé, probablement avait-elle fait plus de mal encore. Peu sûre de ce qu'elle faisait, Yulia s'approcha et glissa la main sur l'épaule de la dragonne, son pouce venant à peine caresser la peau dépassant du col de son t-shirt. Sa voix s'adoucit un petit peu et elle s'autorisa un demi-sourire qui se voulait rassurant.

— Pour le moment, ça fait mal. Mais ça passera. Tout passe. Il faut juste du temps.

Tu ne sais pas à quoi t'attendre. Tu as juste parlé jusqu'à ce que tes lèvres se bloquent en arrivant à la limite de ce que tu pouvais dire. Et maintenant, tu étais là, au milieu de sa chambre à ne pas savoir quoi faire. Partir est tentant. Rester l'est aussi. Peut-être qu'au fond tu espères qu'elle te donne une raison de rester ici. Elle t'a manquée, c'est pour ça que tu es venue et même si ce serait plus facile que ça s'arrête ici, tu en veux plus. Mais comment alors qu'elle est si blessante et tu as tant de mal à parler pourrais-tu lui demander de ne pas te faire partir ? Tu ne pouvais pas juste la supplier de ne pas dire quelque chose qui te ferait partir. « Je ne sais pas Violette. » Son attitude ne te fait pas du bien. Si tu ne parviens pas à identifier ce qui la traverse en ce moment, tu es en tout cas sûre que ça te blesse. Est-ce que tu l'ennuies ? Sincèrement tu t’ennuierais toi-même avec ce comportement sentimentaliste mais... Mais c'est Yulia et tu t'attendais à autre chose. « Tout ce que je sais, c'est qu'on ne peut pas retourner en arrière. Même si tu avais des réponses à tes questions qu'est-ce que ça changerait ? J'en suis désolée, mais ça ne ramènera pas ton ami. » Elle a raison. La partie rationnelle de toi le sait bien. En fait 99% de toi le comprends. Mais il y a ce petit pourcent qui reste intouchable et qui frémit. Quand elle s'approche, tu as presque envie de prendre la fuite mais tu ne bouges pas d'un pouce. Tu la laisses venir et te toucher et il y a même un léger soulagement dans tes muscles parce que quoi que tu dises, tu es affamée d'affection. Et Yulia t'en donne. Maladroitement mais elle t'en donne. « Pour le moment, ça fait mal. Mais ça passera. Tout passe. Il faut juste du temps. » « J'ai du mal à y croire. » Tu expires difficilement. Tout comme tu as du mal à croire que tu pourras survivre à une nouvelle perte aussi importante. Ou même un peu moindre. Une perte comme elle. C'est pour ça que tu ne veux pas succomber. Tu te rapproches un peu, comblant progressivement cette distance qui existe entre vous. Tes phalanges glissent à peine sur sa joue et les mots sortent sans que tu ne parviennes à les retenir. « Est-ce que ça veut dire que toi aussi tu passeras ? Que si j'attends suffisamment longtemps, ça disparaitra ? » Ça. Le sentiment que tu ressens pour elle et qui te consume. Tu aimerais bien qu'elle te dise oui. Mais d'un autre côté, tu connais déjà la réponse. Ce n'est pas si facile. Tout comme tu sais que Chad ne partira pas. Il se fanera un peu mais la blessure sera toujours là, quelque part.

Violette se détendait. Un petit peu, mais c'était déjà ça de gagner. Yulia avait pris cette réaction comme un bon signe et elle s'était permis d'espérer que cette tension qui s'était installée entre elles finirait pas disparaître. Elle voulait revenir à ce moment doux et agréable où Violette l'avait surprise en venant à l'improviste. L'aveu de la dragonne ne la surprit pas vraiment, il faudrait qu'elle le vive pour le croire. On ne pouvait pas accepter aveuglément cette réalité. Le rapprochement lui sembla aussi positif et elle se pencha dans sa chaleur, désireuse d'en obtenir plus. La proximité avec Violette avait toujours été agréable et trop tentante. Depuis le début, elle l'avait recherchée. En la contemplant, elle songea qu'il n'aurait plus fallu grand chose pour qu'elle puisse l'embrasser. Et dieu qu'elle le voulait. Peut-être que Violette le voulait aussi. Yulia le pensa vraiment quand à son tour la dragonne se montra plus tactile et elle ferma les yeux sous le contact trop léger à son goût. Seulement, ses paupières se soulevèrent presque violemment aux paroles de Violette. Elle avait parlé dans un murmure qui n'aurait pas dû faire si mal, mais qui représenta un coup de couteau d'autant plus insidieux.

— Qu'est-ce que... ? souffla-t-elle, hors d'haleine comme si elle venait de traverser la ville en courant.

Yulia avait bien été incapable de terminer sa question. Il y avait bien trop de questions dans la question pour qu'elle puisse le faire. Par réflexe, elle chassa la main de Violette d'un coup brusque et recula. Elle ne comprenait pas. Qu'est-ce que la dragonne avait voulu lui transmettre comme message ? Tout ça lui avait tellement fait mal qu'elle n'avait même pas pu apprécier le fait que Violette avait avoué qu'elle ressentait quelque chose pour elle. Le sentiment avait été directement tué par cette impression de rejet.

— Tu ne peux pas faire ça !

Les mots avaient été crachés avec plus de virulence cette fois. Confuse et blessée, Yulia se défendait par la colère.

— Tu ne peux pas venir ici, me dire que tu voulais être là, pour après agir comme ça. Me demander si tes sentiments vont disparaître alors que tu sais... Elle se coupa nette, pas bien sûre de où tout cela menait. Violette savait n'est-ce pas ? Elle devait savoir qu'elle tenait à elle. C'était évident, mais elle termina en sautant quand même cet élément. C'est cruel.

Dire que Violette la décevait était un euphémisme. Elle avait toujours été consciente des défauts de la dragonne, elle avait compris qu'elle luttait avec elle-même à chaque fois qu'elles étaient ensemble, mais aujourd'hui un cap avait été franchi. Yulia avait le cœur pris dans un étau qui se serrait à chacune de ses inspirations. Elle croisa les bras sur sa poitrine malgré la douleur que cette position formait dans ses côtes et tenta de solidifier toutes les brèches qu'elle sentait déjà s'ouvrir à cause de ce qu'il se passait. A cause de ce qu'elle allait dire aussi.

— Si c'est ce que tu veux, tu devrais partir. Elle marqua un arrêt bref pour avaler la boule qu'elle avait dans la gorge et ainsi continuer. Non, en fait, tu devrais partir tout court. Je ne peux pas être avec quelqu'un qui ne fait qu'attendre que ses sentiments passent. J'aurais pu accepter le reste. Ton comportement, tes aller-retours, ta confusion,... Mais ça... Je peux pas supporter ça. J'ai fait une erreur une fois et je serais stupide de la refaire en te donnant le pouvoir de me détruire. Quoi que c'était, ça s'arrête ici.

La finalité dans sa voix était amère, mais Yulia savait au fond qu'elle avait pris la bonne décision. Elle s'était respectée même si pour ça qu'elle avait probablement dû tuer un morceau de son cœur dans la manœuvre. Elle avait déjà donné à Violette trop de pouvoir quoi qu'elle dise et la dragonne venait de lui prouver que cela avait été une erreur.

Les mots sont sortis en direct de ton esprit, impossible de dire que tu ne les penses pas. Ils ont glissés et ont laissés dans leur sillage une douce amertume. Tu les penses, ils ont du sens, il n'est pas mauvais que tu les verbalises mais... Le mais change tout. En parlant tu as rendu tout ça trop réel et visiblement tu es venu aussi toucher un point sensible chez Yulia qui se métamorphose sous tes yeux. Le moment précédent avait été tendu et compliqué, celui-ci promettait d'être apocalyptique. « Qu'est-ce que... ? » Tes doigts se sont immobilisés sur sa joue. Toujours trop proche, tu attends. C'est une sensation étrange. Tu es là mais en même temps tu es ailleurs. C'est un peu comme si tu observes la scène quelques pas en arrière. Tu sais que tu dois faire quelque chose avant qu'elle ne trouve ses mots, avant que son esprit ne forme une parade mais rien ne vient. Tu restes juste spectatrice de ta propre destruction. La minuscule période qui aurait pu te permettre de rattraper le coup se termine quand elle s'arrache loin. La distance qui se creuse est presque douloureuse et tu chercherais probablement à la combler si tu n'étais gelée sur place. « Tu ne peux pas faire ça ! » Et dans un réflexe infantile, tu veux lui cracher que oui, tu le peux. Tu peux faire ce que tu veux. Au moins ta passivité de sauve du ridicule. « Tu ne peux pas venir ici, me dire que tu voulais être là, pour après agir comme ça. Me demander si tes sentiments vont disparaître alors que tu sais... » L'interruption te secoue un peu. Qu'est-ce que tu dois savoir ? Oh voyons Violette, c'est ridicule de s'interroger là-dessus, il faudrait être aveugle pour ne pas savoir. Mais toi, ça t'échappe. Tu sais que tu lui fais du mal - tu t'en veux pour ça - mais tu ne sais pas à quel point parce que tu n'es tout bonnement pas capable de comprendre qu'elle puisse ressentir quelque chose d'aussi fort pour toi. « C'est cruel. » Non ce qui est cruel c'est d'aimer ce que l'on va perdre. L'amour est cruel. Bon d'accord, peut-être que venir ici n'était pas une bonne idée. Mais encore une fois, tu ne comprends pas que tu ais pu lui donner un espoir. Pour toi elle s'en remettra vite parce que tu n'es que passagère et qu'elle est forte. « Si c'est ce que tu veux, tu devrais partir. » « Non- » Et là tout s'emballe. Tu atterris à nouveau dans ton corps et la réalité te frappe. Tu as fait une grossière erreur. Tu as eu la trouille. Tu as toujours la trouille. Parce que tu ne veux pas la perdre. Et pourtant, tu la perds. Là. Maintenant. « Non, en fait, tu devrais partir tout court. Je ne peux pas être avec quelqu'un qui ne fait qu'attendre que ses sentiments passent. J'aurais pu accepter le reste. Ton comportement, tes aller-retours, ta confusion,... Mais ça... Je peux pas supporter ça. J'ai fait une erreur une fois et je serais stupide de la refaire en te donnant le pouvoir de me détruire. Quoi que c'était, ça s'arrête ici. » Elle te jette. Elle abandonne. C'est tout ce que tu retiens. Tu sais que c'est de ta faute, que tu l'as poussée mais quelque part ça vient nourrir ta pensée que tout le monde part. Personne ne reste, même pas Yulia. Elle, tu ne peux pas la blâmer vraiment parce qu'elle a essayé vraiment sans te connaitre. Malgré tout, la rancœur est là. Malgré tout, ça fait un mal de chien et la place en forme de Yulia dans ton cœur est douloureusement creuse et comme toujours quand tu as mal, tu te blindes. Tu te focalises sur ce qui t'arrange, tu te shootes des piqures des mots. Tu es une erreur. Elle ne veut pas de toi. Elle ne t'aime pas assez fort. C'est terminé. Ton esprit chaotique s'accommode, se relance, passe à un autre schéma. Yulia était trop belle pour être vraie. Tu le savais et pourtant tu y as cru. Alors tu soulèves le menton et tu disparais. Tout ce qu'il te reste c'est ta dignité de Dragonne, autant dire que tu n'iras pas loin avec ça, pauvre idiote.

Yulia s'était trompée. Elle avait cru qu'il n'y avait pas plus douloureux que Violette la questionnant sur la durabilité de ses sentiments. Il y avait pourtant pire. Il y avait Violette ne réagissant pas. Violette étant passive et visiblement pas si affectée que ça par ce qui s'apparentait à une rupture, mais n'en était pas une. Il n'y avait pas de relation à rompre. Il n'y avait qu'un peut-être. Violette et Yulia, c'était quelques rencontres volées au hasard, des baisers échangés sous forme d'un jeu, une presque fois, des émotions bullant à la surface, mais pas beaucoup plus. C'était réel sans l'être. Tout pouvait s'arrêter ici sans que personne ne s'en rende réellement compte. Et tout s'arrêtait.

Yulia était restée forte et intransigeante. Elle s'était préparée à lutter. Tout ça pour rien. Elle n'avait pas eu d'effort particulier à faire parce que Violette ne s'était pas battue une seule minute pour elles. Elle avait abandonnée. Elle était juste partie. Elle avait fui comme elle l'avait toujours fait et comme elle le ferait toujours. Elle s'était drapée dans sa foutue fierté et elle était partie. Yulia aurait dû le savoir, mais le choc la sonna quand même. Elle tituba jusqu'à toucher le lit sur lequel elle s'affala. Yulia aurait dû s'y attendre. Elle avait vraiment cru que ce serait différent avec Violette. Et en soi, ça l'était. La douleur n'avait rien à voir. Elle était plus intense, plus destructive, et lui laissait une sensation de vide là où avec Kahlan elle avait d'abord ressenti la colère. La trahison avait été difficile à avaler, mais les sentiments étaient si différents. Ce n'était qu'une amourette. Ici, c'était autre chose. Elle se força à ne plus penser car ça ne changerait rien. Une possibilité avait existé, maintenant c'était fini. Et cette finalité la tuait.

HJ : Désolée, c'est pas bon du tout, mais j'arrive pas à me sortir tes OS de la tête