We're not promised tomorrow
Année 41 - saison tempérée 1 (matin 12)

Un doux crépitement. C'est tout ce que tu perçois au milieu de cette brume dans laquelle tu erres depuis des heures. La nuit a remplacée la jour sans que tu n'acceptes de reconnaître ce détail. Dans les bras de Yulia, tu t'étais encore permise d'oublier comme durant ce premier moment passé ici. L'instant était bien plus lourd bien sûr mais tu avais plus ou moins réussi à convaincre ton esprit de te laisser ce répit. Aucun mot n'avait été échangé, c'était inutile. Quelque part après que tu te sois endormie dans ses bras, vous aviez migré dans une position plus confortable. Vous étiez comme deux pièces trop habituées à s'emboiter. Elle s'était retrouvé dans ton dos, le visage enterrée dans ta nuque, un bras drapé sur ta hanche et les jambes emmêlées aux tiennes. Chaque mouvement n'avait fait que vous rapprochez dans un désordre de corps et de couvertures bien nécessaires avec le froid qui était tombée durant la nuit. Le son s'amplifie et certaines choses trouvent un sens. Le froid, le crépitement qui maintenant ressemble bien plus à un fracas de pierres sur le toit. Quiconque dans cette ville savait reconnaître les signes : la grêle. La dernière chute te semblait pourtant si proche. Et à la fois si lointaine. Le temps passait d'une façon étrange depuis la mort de Chad et peut-être n'étais-tu tout simplement plus raccordée correctement à ce monde que tu connaissais pourtant par cœur. Les balles de glace viennent comme une annonce faite par une quelconque entité à laquelle tu ne crois même pas. Tu ne crois pas plus au Destin. Et pourtant la grêle est là et elle n'a pas pour toi le sens positif que les autres lui donnent. Pas cette fois. Ce n'est pas l'appel de la survie mais celui du départ. L'occasion rêvée de quitter le territoire des Vipères sans te faire remarquer. Ce moment devait bien arriver mais tu as toujours l'impression qu'il est trop tôt. Même après hier. Tu as peur de revenir à ce que tu appelles la maison. Tu as peur des conséquences qui t'attendent. Mais surtout tu as peur de ce temps avec Yulia qui prends fin. Tu crèves de trouille parce que tu te rend compte que tu préférais encore la souffrance de ces derniers jours à cet instant. Ce tout petit moment où tu vas devoir dire au revoir. Où tu vas la perdre. Tu te déplaces légèrement, à peine de quoi t'allonger sur le dos. Tu ne la laisses pas partir pourtant. Ton bras s'est fermement refermé autour d'elle, ta main libre cherchant la sienne pour entrelacer vos doigts. « Je dois rentrer... » Ta voix est rauque de fatigue et de chagrin. Elle est faible aussi, comme si ces stupides mots allaient se briser dans ta bouche si tu les murmurais trop fort. Inutile de trop en dire, heureusement. Tu la sens éveillée tout contre toi et à cette distance tu captes chaque petit accroc dans sa respiration. Logiquement il doit donc en être de même pour elle. Tu penches un peu la tête sur le côté, incapable autant physiquement que psychologiquement de la regarder. Tu laisses juste tes lèvres hanter son front comme un fantôme en tentant de trouver dans chaque inhalation le courage de faire ce que tu as à faire. Mais tu la respires à chaque fois et encore et encore tu t'intoxiques d'elle. Consciemment comme une junkie cherchant l'overdose. Si seulement tu pouvais garder d'elle de petites doses pour survivre au temps. Impossible pourtant et tu te fais du mal. Tu te fais du mal mais c'est une douleur qui en vaut la peine. Même si cela creuse plus profondément la blessure dans ton cœur. Plus profonde elle sera, moins de chance elle aura de disparaître. Au pire elle cicatrisera mais elle te marquera. Pour toujours.

Le souffle de Violette s'était lentement apaisé, son corps se détendant un peu plus à chaque expiration. Yulia l'avait sentie s'endormir et l'avait laissé faire, à moitié soulagée pour deux raisons. La dragonne avait besoin de repos et maintenant qu'elle dormait, plus rien ne pouvait arriver. Pas de mot qui faisait mal, pas de regard qui brisait le cœur. Juste un calme qui faisait du bien après tout ça. Elle n'était qu'à moitié soulagée car elle n'était pas sûre de pouvoir sombrer dans le même sommeil. Elle avait trop peur de se retrouver confrontée seule face à ses pensées. Sans parler du fait que chaque minute avec Violette était comptée et que, quelque part, elle craignait de perdre un temps précieux.

Bientôt, elle se sentit pourtant dériver à son tour. Il était encore tôt dans l'après-midi, mais cette première matinée active depuis la traque avait été bien remplie. Elle n'avait pas non plus beaucoup dormi la nuit précédente, le plancher se révélant bien moins confortable que prévu. Après une demi-seconde de réflexion, Yulia céda donc à la tentation du sommeil. S'allonger fut une opération compliquée sans réveiller Violette, mais elle finit par trouver une position plus agréable.

Les heures suivantes furent partagés entre sommeil et brefs moments de conscience. La faim était venue à un moment, mais elle l'avait vite chassé comme tout autre besoin autre que celui de rester caché dans ce lit avec Violette dans ses bras. Au fil de la nuit, la dérive n'avait été que plus profonde et Yulia s'était étonnée de voir autant de luminosité dans la chambre quand elle avait ouvert les yeux. Le jour était faible, mais se levait et les pensées revinrent trop vite en rampant dans son esprit. Bientôt, tout devient bruyant autant du côté de ses pensées que de l'extérieur où des morceaux de glace claquaient contre la maison. Quand Violette bougea un petit peu, ses yeux se fermèrent par réflexe. Elle refusait naïvement d'être trouvé éveillée. Comme si cela pouvait encore changer les choses. Il était temps et rien n'aurait su arrêter ce moment même si malgré les mots, Violette ne semblait pas vraiment motivée à bouger. Yulia serra doucement les doigts autour des siens, nichant sa tête plus profondément dans le cou de la dragonne après qu'elle ait posé un baiser presque inexistant sur son front.

Je reprends tout. On s'en fout des détails.Tu peux me briser le cœur autant de fois que tu veux tant que tu reviens. Je veux que tu reviennes. Je veux que tu restes là. Je te veux toi. Aucun mot n'était sorti, ils étaient juste restés enfermés dans ses pensées. Yulia savait qu'elle pouvait pas se permettre de revenir sur sa décision. Elle savait que c'était la bonne chose à faire. Pour toutes les deux. Mais mettre cette décision en pratique paraissait mortel vu d'ici. Mais elle se taisait quand même, désireuse de ne pas rendre tout ça encore plus compliqué. Comme si c'était possible. Les yeux toujours clos, elle se concentra longuement sur sa respiration, inhalant toujours plus de Violette. C'était les derniers instants et cette finalité était comme une douleur qui irradiait jusque dans ses os. Allez Yulia, à vingt. Elle serra plus fort Violette contre elle, refoulant les larmes avec une étonnante facilité. Peut-être qu'elle avait trop pleuré. Peut-être que c'était possible finalement d'atteindre cet état. La vingtième inspiration fut la plus difficile à prendre. Elle resta bloquée dans sa gorge avant de finalement atteindre ses poumons. Expirer fut plus lent encore. Respectant la limite qu'elle s'était imposée, Yulia se redressa, déliant son corps de celui de Violette pour se surélever un peu. Elle n'était pas encore capable de s'éloigner complètement. Elle se retrouva en suspension au-dessus de la brune, appuyée autant sur elle que sur le coude qu'elle avait enfoncé dans le matelas. Enfin, elle ouvrit les yeux et son regard se révéla plutôt clair. Résolu aussi. Elle fixa un instant Violette, laissant une main dériver doucement sur sa joue, sur ce bleu qui fanait sur sa mâchoire, puis, finalement sur ses lèvres. Machinalement, c'était son visage qu'elle gravait dans son esprit.

— Laisse-toi guérir. murmura-t-elle avant de se pencher pour l'embrasser doucement.

Yulia ne voulait pas parler de guérir son corps (quoi que si, ça aussi), mais plutôt son esprit, son âme, de toutes les blessures qu'elle portait depuis trop longtemps. Les récentes aussi. C'était tout ce qu'elle souhaitait pour Violette. Que le temps fasse enfin son effet pour qu'elle puisse respirer plus aisément. Qu'elle puisse se remettre debout et rendre tous les coups reçus. Même si pour ça, elle devait l'oublier.

Elle continua de l'embrasser longuement, simplement parce qu'elle le pouvait encore. Et pendant tout ce temps, il y avait cette question qui pendait dans l'air. Lourdement. Cette question qui ne ferait que plus mal, mais qu'elle brûlait quand même de laisser sortir. Et comme si c'était un coup de ce putain de destin, elle glissa finalement dans un souffle.

— Tu sais que je t'aime, n'est-ce pas ?

Après ce moment, il fallut une poignée de secondes avant que Yulia n'intègre le fait qu'elle l'avait vraiment dit. Les mots avaient tellement tournés dans son esprit qu'il était difficile de les différencier de la réalité. Mais elle en sentait le goût sur ses lèvres. Elle souleva craintivement les paupières, bien forcée d'être sérieuse. Maintenant que c'était là, il était important que Violette sache qu'elle le pensait. Aussi, elle avait besoin de la réponse. Même si c'était retourner le couteau dans la plaie, même si avoir tout verbaliser serait une torture pour plus tard, il fallait que la dragonne s'en rende compte. A quel point elle était sérieuse. Et combien elle comptait pour elle. Elle l'aimait et cette certitude ne devait être teintée d'aucun doute.

We're not promised tomorrow
Année 41 - saison tempérée 1 (matin 12)

Tu as une pensée égoïste quand tu découvres que Yulia semble avoir autant de mal que toi à s'éloigner. Cela fait du bien de ne pas être la seule à souffrir. C'est même rassurant parce que cela veut dire que tu n'es pas la seule qui ressent tout ça. Tu n'es pas la seule qui l'aime et qui meurt un peu à l'idée de devoir la quitter. Un instant, tu fermes les yeux et tu apprécies son corps pressé contre le tien. Tu profites de sa chaleur, de l'étreinte de ses doigts et de sa respiration qui balaye ta gorge. Quand il y a un accroc dans son souffle, tes paupières se soulèvent à nouveau et tu cesses de respirer toi aussi. Tout est bien trop évident. L'or de tes yeux se fait vitreux quand elle se redresse et tu cherches malgré toi quelque chose dans ses iris chocolats. Tu ne sais pas très bien quoi. Un signe, probablement. L'instant ne dure pas longtemps car si Yulia te fixe, ce n'est pas sur ton regard qu'elle se centre. Incapable de bouger, tu apprécies son toucher, le visage sérieux mais pas dur. Tu n'es certainement pas prête de sourire mais il y a quelque chose. Tes traits reflètent la réalité que vous traversez. Un moment compliqué. « Laisse-toi guérir. » Que ta réponse soit positive ou négative, tu n'as guère le temps de l'exprimer car elle t'embrasse. Doucement, tendrement, comme aurait dû l'être votre premier baiser. Vous faites tout à l'envers, les derniers seront donc les plus tendres. Tu te demandes si elle a fait ça pour te faire taire, pour éviter de te voir lui refuser cela. Guérir. Tu es toujours partagée à ce sujet. Tu le veux mais tu crains bien trop la suite. Pourtant, ton menton dodeline lentement dans une acceptation silencieuse que tu lui dois bien. C'est une façon de dire je vais faire de mon mieux. Pas de promesse, bien sûr mais tu t'en approches. « Tu sais que je t'aime, n'est-ce pas ? » Tu n'es pas certaine d'avoir bien entendu. Tu as ouvert les yeux, un peu choquée par cet aveux. Tu n'avais pas vraiment prévu qu'elle réciproque tes sentiments. Mais elle l'a fait et elle est belle dans son doute. Tu sais qu'elle ne doute pas de ce qu'elle a dit. Elle doute que tu saches. Toi aussi. Est-ce que tu savais ? Yulia m'aime. Ton coeur s'est mis à battre plus fort dans ta poitrine. Oui quelque part, tu savais. Tu savais sans vraiment y croire parce que c'était moins douloureux comme ça. Tu es hypnotisée par cette déesse qui te tient dans le creux de sa main. Tu la vois qui se renforce, qui pare son amour d'une certitude qui te ferait presque monter les larmes aux yeux. Presque. Yulia m'aime. Qui est la dernière personne à t'avoir dit ça ? Qui t'a un jour avoué ça sans craindre de paraître faible ? Tu déglutis difficilement alors que la réponse s'impose. Des années te séparent de ta dernière déclaration. Tu étais une petite fille au coeur de feu et à cette époque, ta mère t'aimait. Pas inconditionnellement malheureusement. Et puis viens Yulia. Yulia qui t'aime avec bien plus de férocité et de certitude mais qui ne sera pas là non plus. L'amour est étrange et tordu. Une vrai torture. « Je sais. » Tu murmures finalement par peur d'être entendue. Toi tu n'as pas à lui parler de tes sentiments. Elle sait. En plus tu n'es pas sûre que tu pourrais dire les mots sans qu'ils ne te brûlent définitivement la langue. « Ne laisse plus des gens comme moi rentrer là. » Tu pointes son coeur de l'index. Il a déjà bien assez souffert avant, puis de toi. Tu espères que le prochain saura prendre soin de cette place qu'il occupe.

Le geste de Violette était à peine perceptible, peu convaincu aussi, mais cela suffit à Yulia. Elle avait compris le sens de ce petit hochement de tête qui était pourtant un effort énorme pour la dragonne. Au moins, elle essayerait. Pour le moment, c'était la seule chose dont Yulia avait besoin. Elle se doutait que cet effort suffirait. Qu'il relancerait la machine. Violette était forte, cette petite baisse de régime ne l'arrêterait pas. Bientôt, elle aurait repris de sa superbe et elle s'afficherait comme celle qu'elle avait toujours voulu être. S'il y avait bien une chose qu'elle avait apprise sur Violette en menant sa petite enquête quelques jours plus tôt, c'était bien qu'elle était déterminée. Butée aussi, c'était une bonne qualité. Elle avait eu plus d'une fois la preuve que ce trait de caractère existait bien chez elle lors de leurs premières rencontres. Alors, Yulia pensait vraiment qu'elle s'en sortirait. Elle le devait.

Après que les mots aient été si doucement expulsés de sa bouche, Yulia observa chaque changement chez la dragonne. Elle faisait sienne chaque micro-expression, chaque lueur dans ses yeux, chaque battement de son cœur qui pulsait sous la paume qu'elle avait posée sur sa poitrine. Les mots ne suffiraient pas pour la convaincre. Elle regarda donc Violette se transformer sous la certitude de cet amour et grava aussi ce moment dans son esprit. C'était encore un souvenir qu'elle voulait intact pour toujours. Un instant important où le cœur de Violette semblait prêt à déborder de ses yeux, mais sans jamais passer la limite. Yulia lui sourit à peine, la chose se faisant de plus en plus difficile. La finalité de cette matinée se faisait de plus en plus pressante et elle combattit durement ce nœud qui se formait dans son ventre et serrait si fort qu'il faisait piquer ses yeux avec des larmes qui encore une fois ne voulaient pas venir. Elle ne s'attendait pas à plus de la part de Violette. Toute déclaration était superflue, elle savait. C'était pour ça que tout faisait si mal. Inutile donc de nourrir un feu qui brûlait déjà trop fort.

— Dis pas ça. lâcha-t-elle dans un souffle offusqué.

Yulia voulait lui dire qu'il n'y aurait personne d'autre. Que son cœur fermerait soigneusement sa porte. Seulement, en réalité, elle n'en savait rien. Après Kahlan, elle avait dit qu'elle ne laisserait personne lui briser le cœur à nouveau. Pourtant, il y avait eu Violette. Elle lui avait brisé le cœur tout en réparant certains morceaux. Même si elle ne voulait personne, il y aurait peut-être quelqu'un d'autre même si elle ne le voulait pas. Et puis, même si quelqu'un venait à trouver encore le chemin de son cœur, il ne trouverait jamais la même place que Violette. Celle-là était spéciale. Elle était réservée. Elle épousait parfaitement sa forme et toute personne qui voudrait s'y glisser serait aussitôt éjectée.

— Il n'y a pas de gens comme toi. Tu es spéciale. Unique.

Il y avait cette fois dans sa voix une certaine férocité. La férocité de la lionne qu'elle aurait pu être qui protégeait un être qui lui était cher, même si c'était de lui-même. Elle détestait entendre Violette se dénigrer d'une quelconque façon que ce soit.

— Et compte sur moi pour te botter les fesses si jamais tu l'oublies encore. Je ne serais pas si douce la prochaine fois.

Yulia déglutit difficilement avant de s'extraire des bras de Yulia pour se relever. Elle évita de penser qu'il n'y aurait probablement pas de prochaine fois car elle ne reverrait probablement pas Violette. Elle avait profité du changement dans l'ambiance pour faire ce geste, le plus difficile. C'était maintenant que tout commençait parce qu'à partir d'ici, il était inutile de retarder encore l'inarrêtable. De plus, les grêlons cesseraient bientôt de chuter et il faudrait qu'elles soient prêtes pour pouvoir s’éclipser parmi la foule qui se masserait hors de chez les vipères pour commencer le ramassage.

— Tu penses que tu pourras faire une partie du chemin toute seule ? Je ne pense pas que les dragons seront ravis de te voir en compagnie d'une vipère après tout ça. Ses yeux s'élargirent soudainement et elle cessa sa progression hors du lit pour fixer Violette. Est-ce que ça va aller pour rentrer ? Ils ne vont pas te punir trop sévèrement, n'est-ce pas ? Je veux dire... Tu es blessée.

Elle ne connaissait sur les dragons que des rumeurs et, soudainement, elles étaient bien plus inquiétantes qu'elle ne le pensait au départ. Yulia ne pouvait décemment pas leur rendre une Violette encore mal en point pour qu'ils la blessent plus encore en punition.