I'm a fucking dragon, douche!
Louise & Giovanni

J-9 Soirée

Henry hurlait comme un animal sauvage agonisant lorsqu’il m’a vu approcher ma lame. Mais pas pour longtemps. Ma main libre se plaqua sur ses lèvres mauvaises et la pointe de ma dague approchait dangereusement le globe de son oeil gauche. Je ne plaisantai pas, je ne souris pas non plus. J’arborai mon sérieux exempt de sourire et de rires à la manière d’une peinture de guerre, et, quelque part, j’étais persuadée que Henry avait plus peur que mal, en ce moment. Sa main transpercée gisait mollement au bout de son bras et l’autre, pourtant en excellent état, n’osait pas s’aventurer à nouveau sur moi.

-Ta gueule, Henry. T’as même pas mal, alors tu vas arrêter de brailler comme un lapin qu’on égorge et tu vas bien m’écouter parce que je vais pas me répéter. Je te parles et tu hoches si tu piges. Compris?

Il louchait atrocement en fixant la pointe acérée de mon arme, mais il finit par hocher imperceptiblement de la tête. Je me doutais qu’il n’osait pas trop bouger par peur d’une cécité partielle, mais je le sentais remuer sa réponse sous ma main. Au point où j’en étais, transcendée par l’adrénaline, je me contentais de cette maigre réponse.

-Tu me regarde dans la rue, je te retrouve. Tu me cherches à un entraînement, je te traque avec Orion. Tu relèves une fois ta putain de main sur moi et c’est ton lézard que je tranche.

Mon genou se planta un peu plus durement dans sa cage thoracique et Henry se mit à respirer comme un boeuf et puer la mort. Ça devait faire un mal de chien, de se faire compresser les côtes, mais il l’avait bien cherché, ce soir.

-Alors tu vas m’éviter et longer les murs jusqu’à ce que j’en oublie ton existence. Tu ne veux pas que je me souvienne de toi et de ce que tu as voulu me faire.

Ce n’était pas la mort, qu’il sentait, c’était la pisse. C’est à cet odeur que j’ai repris un peu conscience de la réalité qui nous entourait. Je me contentai de cisailler une entaille légère sur son front, à l’angle de son sourcil, en éloignant ma dague de sur lui. Je savais qu’il allait pisser le sang comme l’un des moutons à la fête des orages; une blessure à la tête dramatisait toujours en laissant couler une quantité de sang proportionnel à la futilité de la plaie. Je me retirai de sur lui, aussi, ne jetant qu’une oeillade sur son pantalon humide et odorant. J’ignorais s’il s’attendait à ce que je quitte l’endroit, mais devant mon immobilisme, Henry a patienté quelques secondes puis à détalé comme le renard de ce matin. Pour ma part, je me suis laissée glisser contre un muret en ruine.

Je fixais ma lame couverte de son sang tout en tremblant. Ce n’était pas la première fois que je me battais contre quelqu’un : j’avais dû guerroyer contre tout un tas de libres, depuis deux ans, à la citerne, en plus du soumis lycanthrope de mon épreuve d’admission. C’était la première fois, par contre, qu’un connard me faisait l’honneur de m’attendre hors du territoire pour me passer à tabac et chercher à me faire je-ne-sais trop quoi encore. Grâce à Icare, probablement, j’avais réagit rapidement pour lui décocher une droite et lui planter ma dague dans la main. La suite avait découlé le plus naturellement du monde, et me savoir capable de tels gestes et apte à faire peur à un homme, même à un couillon comme Henry, me foutait la trouille.

Pour le moment, je n’arrivais même pas à me relever et penser rejoindre la citerne pour mon tour de garde. Mes oreilles bourdonnaient, mon coeur se calmait difficilement et les premiers élancements de douleur se faisaient ressentir. Henry avait tout de même réussi à m’éclater la tête au sol. Je sentis le sang poisseux couler sur ma nuque et ma gorge, là où il avait cherché à me maintenir de force, me brûlait comme si j’avais craché du feu. La comparaison, en dépit de mon état et de la situation, m’arracha un sourire solaire.

J’étais une putain de Dragon.

Tout était calme. Tout était beaucoup trop calme. À mon signal, Henry avait détalé et le silence m’enveloppait enfin. Je gardais les yeux bien ouverts, malgré ma volonté à me laisser aller, par crainte qu’un curieux n’ose profiter de la situation. Je me doutais que ma victime n’était pas en état de se venger et qu’il était sans doute trop secoué pour avouer ce qui s’était réellement passé. L’orgueil, chez les Dragons, était fort. De ce point de vue, j’avais de la chance. Henry ne reviendrait pas m’ennuyer.

Plus le temps passait, et plus le calme me contaminait. L’adrénaline tombait peu à peu et laissait, à chacune de mes respirations, la douleur s’intensifier et se complexifier. Je n’avais plus seulement la gorge en feu, je sentais maintenant l’air se faufiler dans ma trachée et me râper de l’intérieur. Ce n’était plus une coulisse sanglante qui tachait mon débardeur, c’était un mal de crâne qui me vrillait les tempes jusqu’à la mâchoire. Endurer la douleur n’était pas si difficile, du moins, pour moi. Il suffisait habituellement de déplacer son attention ailleurs et de s’y maintenir. J’avais pour habitude, lors de mes entraînements de groupe, et même avec Icare, de me concentrer sur ma respiration. Cette fois-ci, par contre, c’était peine perdue. C’était précisément ma respiration qui me faisait un mal de chien. Heureusement pour moi, la silhouette d’un homme se détachait du muret. Alors que j’assimilais tout juste sa présence, il me rassura déjà sur ses intentions en me demandant si j’avais besoin d’aide.

Oh..! C’était Giovanni.

Mon chevalier, mon grand prince. Je n’avais pas l’étoffe d’une princesse, je ne l’avais jamais eu. Être blonde et petite ne suffisait pas pour mériter ce titre, du moins, chez les Dragons. Il fallait être une fille, une vraie, être délicate, jolie comme une fleur et avoir besoin d’aide. Je faisais plutôt office de chevalier servant que de princesse. Ou de bouffon. Sauf avec lui. C’était comme si le destin faisait en sorte que je me prenne les pieds partout dès qu’il était à proximité. Je manquais de trébucher dans le grand feu de la fête des Orages? Giovanni me rattrapait et me lovait contre son coeur grand comme le ciel. Encore ce soit, la vie démontrait qu’elle ne faisait pas les choses à moitié, en matière de hasard. J’étais mal, et c’était Giovanni qui se dressait devant moi à la manière d’une apparition.

Malgré la douleur, j’ai esquissé un sourire. J’étais vraiment, vraiment heureuse de le voir là, devant moi. Même lorsqu’il s’est mis à s’inquiéter, j’étais heureuse. Même lorsque le feu des Dragons s’est mis à briller dans son regard de furie, j’étais heureuse. Qu’un gentil comme lui s’inquiète pour moi prouvait définitivement que j’étais peut-être un dragon, mais un dragon gentil. Donc, j’étais heureuse.

-Ça.. Ça va. C’était Henry, mais… Mais j’étais plus convaincante que lui.

J’ai fait mine de me redresser avant que les étourdissements ne s’intensifient. C’était probablement mes nerfs à vifs qui me faisaient des misères. Je n’en était pas à mon premier combat, je n’aurais pas dû être si marquée. Peut-être était-ce parce que, cette fois, j’avais eu l’impression d’être une autre? Ou bien parce que j’avais perdu le contrôle et que j’aurais pu aller très, très loin, si l’odeur de Henry ne m’avait pas ramené à la réalité? Au moins, je ne souriais plus, et je me doutais qu’adopter un air sérieux serait un peu moins flippant pour Giovanni.

-Ahem… Il t’a raconté?

Toute attentive, je souhaitais sincèrement que Henry se la soit fermée. Sans quoi, il n’en avait pas terminé avec moi.

Je me sentais comme une petite bête mise sous observation. C’était rare, dans mon cas. Je ne m’étais présentée à l’infirmerie qu’après mon test d’admission chez les Dragons, et j’avais réussi à n’y rester qu’une trentaine de minutes, le temps de retomber sur mes pieds et de faire nettoyer mes plaies. Je m’étais pris plusieurs baffes aux entraînements, mais là où les autres tombaient, moi, je me relevais. La douleur ne me paralysait pas, c’était comme ça. Cette fois, cependant… Les étourdissements s’étaient estompés pour laisser place à une douleur au crâne. Ainsi, je me permettais de jouer le jeu de Giovanni et de rouler la tête sous ses doigts. Je le laissais m'ausculter dans la pénombre sans me dérober à ses gentillesses. Parce que c’était gentil, de vouloir prendre soin de moi, comme ça. En tendant le cou pour lui faire voir ma gorge, une douleur vague se faisait sentir. Henry avait dû serrer plus fort que je ne le croyais et j’allais certainement être marquée pour mon tour de garde. Purée! Avec tout ça, j’allais être en retard. J’avais presque oublié. Double purée.

À ma question sur Henry, Giovanni se faisait silencieux et pensif, ce qui ne faisait qu’aiguiser mes sens dans l’attente d’une réponse. Il m’obligea à tendre un peu plus le cou, rendant ma respiration un tantinet plus inconfortable. Ma grimace ne lui avait sans doute pas échappé, vu le minutie qu’il mettait dans son inspection de mon état. Il semblait habitué, bien plus que moi, devant les blessures. Quelque part, même si je désirais rejoindre la citerne au plus vite, ça me rassurait qu’il prenne le temps qu’il fallait pour moi. Enfin, sa réponse qui se faisait désirer tomba. Par le fait même, le Jaguar croisait les mains, lâchant son inspection. Et ses mots m’ont plu. Un Henry qui ne s’expliquait pas, qui fuyait, qui allait donc m’oublier plutôt que de se plaindre à je-ne-sais-qui pour revenir en force.

-T'es pas obligé de me répondre, mais il s'est passé quoi ? Pourquoi ce tocard s'en est pris à toi ?

-J’en sais rien. On se provoque souvent, verbalement du moins, ou il me tombait dessus à l'entraînement pour mieux se faire voir des gradés. Depuis que je m’entraîne, il passe pour un plouc plus souvent. ...J’ai dû pousser un peu trop, du coup il m’attendait à la sortie du territoire.

Tatie Lucie était persuadée que c’était parce qu’il m’aimait bien, ce fou. Je ne savais pas trop où elle avait suivi ses cours en matière amoureuse, mais, personnellement, je doutais de sa conclusion. Il passait sa vie à me pourrir la mienne, entre ses petites remarques assassines et ses mises à terre aux entraînements. Heureusement, depuis qu’Icare m’avait prise en main, j’arrivais de plus en plus facilement à prendre le dessus. Si bien qu’il y avait déjà un moment que Henry ne voulait plus s'entraîner avec moi. Il avait troqué ses techniques de combat pour des insultes virulentes. Jusqu’à ce soir, du moins.

La douleur à mon crâne était intermittente. Depuis que le début de notre échange, elle allait en s’intensifiant peu à peu. Si bien que le dernier élancement me fit plisser les yeux avant de disparaître totalement. Pour mieux revenir, je le redoutais. Un bras blessé m’inquiétait moins; je faisais comme s’il était mort pendant une heure, puis la douleur lâchait prise et me laissait en paix. Avec la tête, par contre, c’était un peu plus compliqué. Faire semblant qu’elle était morte revenait à singer Henry. C’était embêtant.

-Dis… Si on va à l’infirmerie, tu pourras m’aider à me faire sortir au plus vite?

Une main sur ma tempe, là où la dernière pointe de douleur était apparue, je fixais le Jaguar avec une moue incertaine. Je ne doutais pas qu’il veuille m’aider, bien au contraire. Je redoutais par contre que Chanel -et surtout Romane- soit assez dupe pour me laisser filer sans un rétablissement complet. Ou pire : qu’elles me fassent prendre des cachets bizarres qui rend le monde plus rose que je ne le voyais déjà. C’était un plan pour que je finisse par nourrir un libre ou libère un mouton.

Comment avouer à Giovanni que j’avais peut-être pris du poids depuis notre dernière rencontre? Je repensais vaguement à ce renard idiot pour lequel je m'étais coincée, quelques jours plus tôt. La possibilité que l'antre de roches sous lequel je m'étais faufilée ne soit pas la seule raison pour laquelle mes hanches ne pouvaient plus sortir me tourmentait momentanément. Ce serait malin que le Jaguar se bloque le dos pour avoir voulu jouer au meilleur ami bourré d’affabilités. Je n'avais pas encore protesté qu’il s'équipait à déjà de son sac et de son arme et me montrait son dos. Je glissais ma lame à son fourreau puis me redressai en acceptant son aide. Il me redressa d’un simple mouvement.

-Si je suis trop lourde, tu m'abandonnes dans un fossé, promis? Tu diras à mes parents que je les aime, tout ça, tout ça.

Malgré mon doute quand à mon poids, je me hissais avec un plaisir juvénile sur le dos du Jaguar. Il n’avait pas dû me prier longtemps, que déjà, je croisais les bras contre ses épaules et nichait ma tête douloureuse sur son dos. Il était grand. J’étais petite. C’était l’idéal. Mes jambes se resserrent à ses flancs, et pendant un moment, je dus me faire violence pour ne pas rire: je craignais que ma tête me fasse trop mal, ou pire encore, de vexer Giovanni alors qu’il m’aidait sans calcul, avec toute la gentillesse du monde. Mais savoir un garçon si prude se faire couvrir ainsi par le corps d’une minette, c’était franchement désopilant. Pour faire diversion de mon amusement, je reprenais au sujet de mon poids.

-C’est que du muscles, je te jure.

C’était probablement l’explication la plus logique à ma petite péripétie renardesque. Toujours est-il que, lorsqu’il s’est mis en route, j’ai eu vaguement peur de tomber. Je n’avais jamais eu droit à ce genre de promenade, perchée sur le dos d’un autre. J’étais enfant unique, ça limitait de beaucoup les chances de profiter d’une pareille ballade. Giovanni ne se plaignait pas. Pas encore. Sa respiration n’était pas haletante non plus, ce qui me laissait croire qu’il était tout à fait apte à me transporter pour quelques mètres, au moins, encore. Rassurée, je m’efforçais de me décrispée. Je n’allais pas tomber. Je n’allais pas me faire agresser à nouveau par Henry. Ma tête n’allait pas éclater. L’idée que ce soit Icare qui me transporte ainsi ne me lâchait pas tout à fait. Ça m’embrouillait l’esprit mais, au moins, me changeait les idées. Je laissais un moment de silence, plongée dans mes pensées, avant de reprendre la parole. Papoter était plus fort que moi, bien sûr, et trop réfléchir à Icare me faisait mal au crâne.

-Vous faites pareil, à vos entraînements? Vous vous faites des sales coups pour vous faire bien voir? Euh… Réponds juste si tu peux, je voudrais pas devoir te faire le bouche-à-bouche si tu tombes par manque de souffle.