On devait se moquer d'elle. De son point de vue, Taiga ne s'était pas montrée particulièrement difficile depuis qu'elle avait été recueillie par les jaguars. Elle avait plus ou moins obéis aux ordres. Elle avait accepté la marque qui faisait mal sur son poignet. Elle portait beaucoup plus de vêtements qu'avant même si elle détestait ça. Elle travaillait même. Alors oui, elle s'était plainte de tout ce travail dans une série de mots pas vraiment très clairs. Elle pensait qu'elle avait été comprise lorsqu'on lui avait dit d'aller se promener avec d'autres gens au dehors des frontières qu'elle ne pouvait normalement pas traversées. Taiga avait été anxieuse à ce sujet, mais aussi terriblement excitée. Elle espérait trouver plus de verdures à l'extérieur. Malheureusement, ce n'était pas le cas. Il y avait de la pierre et de la poussière partout. On l'avait fait marcher pendant des heures au milieu de ce paysage désolé pour aller l'enfermer dans un endroit encore pire que le clan des jaguars. Un grand bâtiment qui fourmillait de monde. Il y avait des couloirs partout et ça sentait mauvais. Au milieu de tout ça, naturellement, ce qui devait arriver était arrivé : Taiga avait paniquée.

En voyant un homme au visage lacéré de blessures, quelque chose s'était rompu en elle. Il faisait peur. Vraiment très peur. Il ressemblait à un monstre. Elle s'était séparée du groupe et s'était engouffré dans la première porte venue en espérant que ce serait la sortie. Elle s'était retrouvée dans une pièce plus petite encore, mais à défaut de pouvoir s'échapper l'endroit était une bonne cachette. Craignant que le monstre la suive, Taiga s'était emparé d'une chaise et l'avait coincée sous la poignée. Après, elle s'était recroquevillé à côté de la porte, guettant chaque son venant de l'extérieur. Vraiment, elle détestait cet endroit.

Trois jours… Trois putains de jours que j’étais bloqué dans ce lit, et malgré tous mes mélodrames vibrants et mes tentatives pour assiéger les cœurs des demoiselles travaillant en ces lieux pour me sortir de là, rien n’y faisait : personne ne comptait me laisser partir pour le moment… Et même Leonel n’arrivait pas à me changer suffisamment les idées que pour que j’oublie l’ennui qui m’assaillait de plus en plus.

Depuis la visite d’Ayana, j’avais pu reprendre un minimum contenance face aux gens et à mon frère. Il était évident que ce n’était qu’une façade, je ne faisais que jouer mon propre rôle, mais au moins je ne mordais presque plus pour un rien et ça semblait convenir pour l’instant… J’avais toujours du mal à regarder mon jumeaux en face, mais ma prise de conscience quant à mon comportement et aux conséquences que cela provoquait entre nous m’avait fait comprendre que même si c’était difficile, il était hors de question que je le lâche, et au moins son éternel optimisme faisait passer le temps un peu plus vite…

La lecture du passage soigneusement laissé pour moi par la Soumise m’avait également fait pas mal réfléchir. Même si je n’avais pas encore tout compris, j’avais au moins compris pourquoi elle me l’avait laissé… Et du coup, quand je m’ennuyais vraiment trop et qu’il n’y avait plus personne pour me changer les idées, j’avais au moins de quoi lire et cogiter…

Pourtant aujourd’hui je n’avais la tête à rien, et encore moins à faire semblant. Pas de pseudo drague pour réussir à sortir, pas de faux-sourire, et surtout pas de lecture compliquée : j’avais grandement besoin de changer d’air !
Mais si mes blessures étaient un peu moins douloureuses, ma jambe, elle, était toujours bien immobilisée et surtout bien inutile. Le plafond, encore et toujours, voilà à quoi se limitait désormais mon paysage, et voilà sur quoi je projetais toute ma colère et ma haine en y projetant des scènes imaginaires de torture et autre joyeusetés que j’étais seul à voir.

J’arrivais au moment j’enfonçais lentement ma lame entre les deux yeux de cette salope qui m’avait éclopé lorsque mon film fut coupé net par l’ouverture brusque de la porte de ma chambre. Une jeune femme venait d’entrer en trombe et de bloquer la porte avec la chaise comme si sa vie en dépendait. Mon premier réflexe, en digne Aigle que je n’étais plus, fut de penser à une attaque. Je me redressais dans mon lit, un peu trop brusquement, et attrapais mon couteau qui ne quittais plus le bord de mon lit depuis que je l’avais récupéré.

« Le Centre est attaqué ? »

La fille semblait terrorisée, s’en doute une Soumise… ou même une intouchable. C’était génial, moi qui voulais justement un peu d’action, me retrouvé prit dans une attaque dans mon état… la poisse devait me trouver à son goût apparemment…

Taiga avait vu des ennemis à l'extérieur, mais elle n'avait absolument pas envisagé qu'elle ait pu se jeter dans la gueule du loup. Elle n'avait même pas remarqué la présence sur le lit, bien trop occupée qu'elle était à se planquer. Autant dire que quand on parla, elle fit un bond sévère. Elle se cogna contre le mur et jura sous la douleur. Sa tête souffrait, mais elle n'avait pas le temps de penser à ça. Il y avait un homme inconnu juste devant elle. Elle était coincée dans une pièce. Avec quelqu'un. C'était un véritable cauchemar qu'elle vivait ici. Désormais, la présence de la chaise semblait moins rassurante.

Sans répondre, Taiga chercha à le retirer, mais ses gestes étaient inutiles. Elle était trop stressée et au lieu de tirer, elle poussait plus encore le dossier sous la poignée.

— Taiga pas attaque. Promis. lâcha-t-elle d'une voix angoissée.

La fille sursauta lorsque je pris la parole, et je ne pu m’empêcher de lui demander si ça allait lorsqu’elle se cogna, mais je n’eu pas de réponse. Ou du moins pas à mes deux questions, puisque la fille parla bien, mais pour m’assurer qu’elle n’allait pas attaquer. Enfin je supposais que c’était ce qu’elle voulait dire, parce qu’elle s’était exprimée bizarrement. Peut-être à cause du fait qu’elle semblait vraiment avoir peur… mais peur de quoi ? Il semblait y avoir quelque chose dans le couloir puisqu’elle avait bloqué la porte, mais maintenant elle semblait plutôt vouloir sortir… c’était étrange, et stressant aussi… Me redressant encore un peu plus et gardant mon couteau en main, je fis un signe apaisant de l’autre. Pour commencer, il fallait calmer cette fille si je voulais obtenir des réponses, et ça ne semblait pas gagné…

« Ok, tu ne veux pas m’attaquer, et moi je ne veux pas t’attaquer. Par contre, je veux bien attaquer ce qui te fait peur… Il y a quelque chose dehors ? »

J’essayais d’utiliser des mots simples, histoire qu’elle puisse comprendre malgré la peur. Je reculais légèrement ma main armée afin de lui prouver que je ne lui voulais pas de mal à elle. La situation était particulièrement gênante, puisque que je n’étais clairement pas en mesure de protéger qui que ce soit, mais si cette idée pouvait la calmer, ce serait déjà un bon début…

La chaise ne voulait vraiment pas céder. Elle était bien coincée. Taiga continua pourtant à s'acharner en espérant que quelque chose se passe. Elle ne pouvait tout simplement pas rester coincée ici. Jugeant que la porte n'était pas une solution viable, elle l'abandonna. A la place, elle passerait par la fenêtre. Elle était petite et elle n'arriverait peut-être pas à s'y glisser, mais l'opportunité était trop tentante. Sous les paroles de l'inconnu, elle fila vers la fenêtre qu'elle tenta d'ouvrir. Sans succès aussi. Ce n'était qu'un amas de débris fixé dans le mur pour empêcher les éléments de s’engouffrer. Elle tapa sur la fenêtre, espérant la voir céder, mais ça ne fonctionna pas. Alors, elle recommença à faire les cent pas, toujours plus paniquée par l'enfermement.

— Monstres. Dehors. Font peur à Taiga.

Il n'y avait pas d'autres mots pour décrire ce qu'elle avait vu. C'était juste un monstre.

Pas moyen de calmer la fille, et sa panique commençait tout doucement à m’atteindre également. Je pris quelques inspirations profonde pour éviter de céder alors que la fille, après s’être acharnée sur tout ce qu’elle pouvait pour sortir, repris la parole. Sa tournure de phrase était étrange, mais je me concentrais plus sur le mot « monstre » que sur le fait qu’elle avait prononcé un nom dont je supposais être le sien, même si c’était étrange de parler de soi de la sorte…

Essayant de trouver une position « confortable » (grimaçant sous les assaut de douleur que les mouvements provoquaient) je répondis d’une voix que je voulais calme, mais où l’on sentait une pointe de tension malgré tout…

« Ok, les monstres ne peuvent pas entrés ici, tu ne risque rien, alors calme toi. Ici tu es en sécurité, tu comprends ? »

Depuis quand j’étais pédagogue moi ? J’aurai eu toutes les raisons de paniquer également, et au lieu de ça j’essayais de calmer une étrange demoiselle qui semblait quelque peu délirer. Etrange comportement de ma part…