Les leçons de sa majesté (PV Johanne)
Jour 5 - après-midi

Travailler était vraiment, vraiment, vraiment une chose désagréable. Vraiment. Taiga détestait ça. Depuis cinq jours, elle devait passer une bonne partie de sa journée à aider pour des travaux fatiguant. Elle les comprenait ce qui était déjà une bonne chose, mais Taiga ne voyait vraiment pas l'intérêt de réparer des maisons ou construire des murs. Un mur était une limitation et elle n'aimait pas les limitations. Une maison empêchait de voir le ciel et enfermait. C'était stupide alors qu'il était si agréable de dormir dehors. Cette occupation réunissait donc beaucoup de choses négatives et désagréables pour Taiga. Autant dire que son humeur n'était pas vraiment au beau fixe. Elle bougonnait en faisant mine de travailler sous la surveillance d'un jaguar. Encore une chose qu'elle n'aimait pas. Il y avait toujours quelqu'un derrière son épaule pour la surveiller.

La pause avait déjà eu lieu depuis longtemps, mais Taiga était encore coincée près des frontières. Elle espérait que la journée serait bientôt finie, mais elle n'avait aucune façon de le savoir sauf en demandant aux autres et elle n'était pas très bavarde aujourd'hui. Alors elle continua à travailler et déplaça une pierre qu'elle déposa maladroitement au-dessus d'autres. Elle n'était pas très attentive, en fait elle s'en fichait, alors naturellement tout ça favorisait les gaffes. Rien d'étonnant donc de voir les pierres s'effondrer et entraîner avec elle une partie du pan de mur sur lequel elle travaillait avec d'autres. Pas coupable pour un sou, Taiga haussa les épaules en regardant le massacre. Tant pis.

— Pas ma faute.

Participer aux travaux, quelle tâche ingrate et indigne d'elle ! Dans son rôle de princesse dont la royauté était uniquement reconnue par elle-même, Johanne était particulièrement douée. Elle s'était plié aux ordres de Reed avec une mauvaise foi crasse et une moue parfaitement outrée. Elle comprenait même pas ce qu'elle fichait parmi les Soumis à faire quelque chose d'aussi stupide que de monter des murs d'enceinte. Il suffisait de prendre de grosses pierres et de les mettre au-dessus d'autres pendant que certains cimentaient le tout. On ne faisait pas plus manuel et idiot. Une tâche ingrate et indigne de quelqu'un qui était capable de se battre. En plus de ça, elle se sentait nue sans son arc. Elle n'avait qu'un petit couteau pliant au fond de la poche que sa mère avait daigné lui laisser. Les règles du port d'arme avaient été durcies et puisqu'elle n'était qu'une Soumise - tout ça à cause de Noâ qui refusait encore et toujours de lui laisser passer son test - elle s'était fait raflé l'arc que Reed lui avait toujours laissé pour qu'elle puisse s'entraîner comme bon lui semblait. Désormais, elle serait encore plus dépendante de sa mentor qui serait la seule et unique à décider quand elle pourrait tirer. Vraiment, la période était très mauvaise pour Johanne. Plus le temps passait et plus elle se sentait oppressée et mal considérée. Plutôt que de se sentir bouillonner, la blonde ressentait désormais une sorte de lassitude. La preuve, elle ne s'était aujourd'hui énervée sur personne et, ça, ça ne lui ressemblait pas.

Presque trop calmement donc, elle transportait de lourdes pierres en tâchant d'ignorer la douleur dans ses bras et dans son dos. Au moment où elle arriva à proximité du mur qui était en train de prendre de la hauteur, tout s'écroula. Le travail de plusieurs heures venait d'être ruiné. La mâchoire de Johanne tomba d'une façon fort peu gracieuse et elle regarda le massacre sans trop savoir comment réagir. Et puis, à son plus grand soulagement, la colère monta. Furieuse, elle balança la pierre qu'elle tenait sur le sol et pointa un doigt accusateur sur la fille qui venait de faire ça et qui se disait innocente.

- Espèce de débile ! Tu l'as fait exprès, c'est pas possible ?!

Elle n'avait aucune idée de qui pouvait bien être la brune, mais ce n'était pas vraiment étonnant : Johanne n'était pas connue pour prêter grand intérêt au commun des mortels. Le pire dans tout ça, c'était que la fille en question n'avait vraiment pas l'air de se sentir coupable. Les autres Jaguars étaient soit désolés devant tout ça, soit énervés, mais elle s'en fichait juste. Sans réfléchir, la blonde l'attrapa pas le col de son t-shirt pour la redresser et la secoua un peu.

- On s'est tués pour rien sur ce mur à cause de toi, tu pourrais au moins faire semblant d'avoir l'air désolé.

Taiga n'aimait pas les gens qui criaient. Le bruit était trop désagréable pour ses oreilles non-habituées. Elle n'aima donc pas la blonde dès l'instant où elle l'entendit. Elle l'avait déjà observée avec méfiance pendant toute la matinée. C'était instinctif. Un instinct animal. Elle ne pouvait tout simplement pas faire confiance à cette drôle de fille. Elle apprécia donc encore moins de se faire accuser. Taiga redressa la tête sous les accusations de la fille et lui lança un regard mauvais. Parfois, elle regrettait de ne pas avoir autant de vocabulaire que les autres. Dans les joutes verbales, elle ne savait jamais quoi dire. Le problème de Taiga était qu'elle prenait aussi tout au premier degré.

— Pas débile. Accident ! ajouta-t-elle avec mauvaise foi.

Taiga savait très bien que c'était elle qui avait fait tomber les pierres, mais elle ne voulait pas avoir à assumer les conséquences. En plus, tout ceci ne serait pas arrivé si on ne l'avait pas forcée à travailler ici. Mais la furie n'était pas de cet avis. Elle l'attrapa par ce vêtement désagréable qu'elle devait porter et la força à se mettre debout. Elle débita ensuite un discours qui échappa totalement à Taiga. Un peu perturbée, elle haussa les épaules.

— Personne mort.

Elle ne comprenait pas cette histoire. Se tuer sur un mur ? Ça devrait encore être une invention de ces citadins bizarres.