Et aux frontières de deux excès, il y avait un Aigle et un Jaguar.
PV Kahlan

Au delà de la faim, il n'y avait rien. Depuis quelques jours, le monde de Basile s'était mis à tourner autour de cette idée fixe et la douleur qui l'accompagnait. Faute de mieux, son estomac lui donnait l'impression de tenter de s'auto-dévorer, faisant naître dans son ventre un mal atroce. Et puis, il ne fallait pas oublier la soif qui lui donnait la sensation de voir tout son corps tarit comme la terre sèche que foulait ses pieds. Le regard hagard, il suivait mécaniquement le sentier en traînant derrière lui son fusil. L'arme n'était qu'un objet inutile entre ses mains tremblantes, mais il fallait préserver les apparences. Pourtant, ce n'était pas ce jouet qui allait lui donner l'air un tant soit peu menaçant. Il n'était plus qu'une loque desséchée et affamée, un déchet pas bien différent des Libres qu'il était sensé tenir éloignés des champs. Et il commençait doucement à les comprendre, ces fameux insoumis cherchant à profiter de l'effort collectif sans y contribuer.

Ses principes s'envolaient au fil des crampes qui tiraillaient ses muscles et il songeait de plus en plus à l'idée de dérober quelques vivres. Une gourde volée à un autre surveillant ou une miche de pains récupérée durant un ravitaillement, il n'aurait pas fallut grand chose pour qu'il se sente mieux dans son état. Mais voilà, Basile restait Basile et il était bien incapable de commettre de tels actes. Y penser oui, mais la réalisation lui aurait fait perdre bien trop de choses. A commencer par son intégrité. Alors, jusqu'à ce que la sanction soit enfin levée, il continuerait à se nourrir d'air et d'espoir, deux denrées que Kim aurait bien du mal lui ôter. Néanmoins, seul son esprit était sensible à ce genre d'idéalisme, tout ça n'avait jamais contribué à faire tenir un homme debout. Cela pouvait l'aider à résister ou à se relever, mais il finissait toujours par chuter, au moins physiquement.

Et c'est ce qu'il finit par se produire. Incapable de réagir, Basile se sentit partir vers l'avant après un pas hasardeux sur une pierre et il fut bien incapable de se rattraper. Il tomba de tout son long, sa tête heurtant douloureusement le sol. Un son horriblement lent vint battre la mesure à ses tempes, mais il ne comprit que trop tard que c'était son cœur qui se calmait doucement, chaque battement le transportant un peu plus près de l'inconscience. La dernière image que son esprit lui imposa fut celle de cette fille qui avait tué Oliver et il songea qu'elle devait être bien plus courageuse que lui pour mener le combat qu'il était forcé d'imiter avec un tel panache. Et puis, plus rien. Juste le blanc et l'intense soulagement de ne plus rien ressentir.

Depuis quelques jours, tu considères l'exil comme la pire des punitions. En plus de mettre en danger le puni et de le pousser dans ses ultimes retranchements, il touche aussi particulièrement les proches. En cet instant, tu as la sensation que toi aussi tu subis cette punition car Alessandra te manque. Il y a quelques nuits, tu as eu un faux espoir en la pensant de retour au camp mais tu as vite déchanté. Premièrement, personne n'a eu la preuve de sa présence malgré un ordre étrange de Noâ, et deuxièmement son bannissement n'a toujours pas été levé. Tu brûles de la voir, son absence est une véritable torture pour toi qui t'es habitué à la surveiller de loin depuis des années. Heureusement, il y a le boulot pour te changer les idées et tu t'appliques d'autant plus lorsque tu es aux champs. Ces derniers temps, tu n'es pas d'humeur pourtant à aider les ouvriers agricoles ou à charmer l'une ou l'autre Soumises. Tu te contentes donc d'arpenter ton périmètre en espérant qu'il y ait un peu d'action. Cogner, ça te fait un bien fou même si c'est un peu étrange de le dire comme ça. Tu marches donc d'un bon pas, les yeux scrutant les alentours à la recherche d'un potentiel ennemi. Ton arme pend à ton épaule, tu te sens prêt à tout mais tu ne l'es pas. Soudain, quelque chose s'accroche à ton pied et tu te sens partir en avant. Par réflexe, tu places tes mains en avant et tu effectues une roulade habile. Tu es désormais accroupi en bordure du chemin, ton arme au poing.

KAHLAN – Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

L'obstacle qui t'a fait tomber n'est autre qu'un corps. Tu grommelles un peu dans ta barbe, ce n'est pas ton jour. Trouver un corps n'apporte rien de bon et cela risque de te faire perdre du temps pour rien. Tu te relèves, tu hésites un instant à partir mais tu finis par revenir sur tes pas en soupirant. Tu peux au moins vérifier que le corps est bien mort, ce serait ballot de créer un cadavre là où il n'y en a pas.

KAHLAN – Hé mec !

Tu hausses un peu le ton et lui secoue l'épaule du bout de ta chaussure. Puisque que tu ne constates pas de réaction, tu te décides à le retourner du pied et constates que c'est un gars que tu as déjà croisé. Il n'a pas l'air en forme c'est sûr mais sa poitrine se soulève lentement.

KAHLAN – Dans quoi je m'embarque moi encore...

Tu t'accroupis à côté de lui et lui claques deux, trois fois les joues. Si après ça il ne se réveille pas, tu prendras des mesures plus corsées.

Qu'il était bon de ne rien ressentir. Dans un monde tout cotonneux, Basile se sentait bien, mais son apaisement ne fut que de courte durée. Lentement, une voix s’immisça dans sa tête sans qu'il ne parvienne à la comprendre. Ce n'était qu'un brouhaha informe qui lui fit froncer les sourcils alors qu'il essayait par réflexe de comprendre ce qu'on lui voulait. Dès lors, la réalité se fit plus omniprésente autour de lui et il ouvrit péniblement les yeux sous une douleur au niveau de sa joue. Quelque chose lui frappa la deuxième, répandant une chaleur peu agréable sur sa peau et cette fois ses paupières se soulevèrent complètement pour affronter la morsure du soleil. Ouille ! Plusieurs fois, il battit des cils le temps de s'habituer à la luminosité et constata avec étonnement qu'un homme était penché sur lui. La main de l'inconnu se déplaça une nouvelle fois pour atteindre son visage, mais le blond grogna en cherchant à éloigner sa tête.

'rrêtes... C'est bon, j'suis conscient...

L'Aigle avait beau être plus ou moins certain d'avoir parlé, mais il ne reconnut pas sa voix tellement elle était faible et écorchée. La tête lourde, il se redressa difficilement sur ses coudes et tenta un regard autour de lui. La zone des cultures. Il lui fallut quelques instants pour comprendre ce qu'il fichait ici, mais l'information finit par lui revenir en tête et il poussa un soupir las. La punition. Elle expliquait autant sa présence à proximité des champs que son malaise. Par contre, le type à ses côtés ne lui disait strictement rien.

'rci. Pour l'aide.

Le soleil tapait fort sur son crâne blond, mais il ne voyait aucun endroit lui permettant de s'abriter un peu de ses rayons le temps de récupérer. L'ombre était un luxe inexistant ici contrairement au verger où il faisait toujours délicieusement frais sous le couvert des arbres. Alors il revient sur le brun à qui il adressa un regard fatigué.

Je vais abuser, mais t'aurais pas un peu d'eau ?

Et alors que tu lui claques vigoureusement les joues, tu te dis que ce type doit vraiment avoir une constitution de merde. Il n'a pas l'air faible pourtant. C'est un gars solidement charpenté qui vu sa dégaine doit être Membre. Il a la peau pâle et les joues un peu creuses par contre. Étrange. Il n'y a plus qu'à espérer qu'il n'a pas attrapé une saloperie qu'il est en train de te refiler par sa seule présence. Tu t'apprêtes à lui redonner une taloche mais la belle au bois dormant s'éveille enfin. Miracle.

BASILE - 'rrêtes... C'est bon, j'suis conscient...

Tu restes accroupi à côté de lui pendant qu'il te grommelle un truc incompréhensible. Au final, tu ne cherches même pas à capter, tu t'en fous un peu. Il est vivant, c'est le plus important. Maintenant que tu es sûr qu'il ne virera pas en cadavre créateur d'emmerdes, tu te relèves et l'observes d'en haut. Il n'a vraiment pas l'air bien. Au fond, il te fait un peu pitié mais pas assez pour que tu fasses plus attention que ça à ce sentiment.

BASILE - 'rci. Pour l'aide.
KAHLAN – Pas de quoi.

Ce n'est pas comme si cela t'as demandé beaucoup d'efforts. Tu croises les bras sur ton torse pendant qu'il regarde autour de lui. Qu'est-ce qu'il cherche ? Après son étude des lieux, il finit par poser les yeux sur toi et tu sens venir l'embrouille.

BASILE - Je vais abuser, mais t'aurais pas un peu d'eau ?

Tu as envie de lui dire que s'il sait que c'est abusé, il n'a qu'à pas demander mais les mots restent coincés dans ta bouche. Ce mec ressemble à un chiot abandonné, il ne lui manque que la corde qui l'attache à une ruine et le tableau sera complet. Alors, malgré le fait que tu te sens con de partager ta flotte avec un type que tu ne connais pas, tu décroches ta gourde et tu lui la tends.

KAHLAN – Et sinon tu fais souvent la sieste au milieu du sentier ?

La question est conne, d'ailleurs tu te sens franchement con en cet instant mais tu ne sais pas trop quoi dire d'autre.

Des Aigles qui auraient refusé de demander un service à un Membre inconnu, Basile en connaissait des tonnes, mais lui n'avait pas de scrupules. L'autre était libre de refuser comme de lui octroyer un peu d'eau, il ne lui en voudrait pas. Et, bien sûr, il ne jugeait pas que c'était un manque de fierté, voir de dignité. Même si l'homme appartenait à un autre clan, ils étaient ici alliés puisqu'ils devaient coopérer pour surveiller les ressources de la collectivité. Il se rendit par contre compte qu'il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il ne le connaisse pas. Après tout, il ne travaillait habituellement pas aux champs, sa zone de surveillance se limitant aux terres de l'Est. Il était néanmoins certain de faire face à un Membre. Le brun en avait la carrure et la prestance, il paraissait aussi parfaitement à sa place ici. Ensuite, il y avait l'arme qu'il portait à l'épaule qu'un Soumis n'aurait jamais pu posséder. Oui, aucun doute, il ne pouvait être qu'un Membre.

Et pendant qu'il gambergeait inutilement, le brun prenait sa décision. Basile vu soudain une gourde apparaître devant ses yeux. Réfrénant un sursaut, il s'en saisit en adressant un regard de gratitude à l'inconnu. Après s'être un peu battu avec le bouchon à cause de ses mains tremblantes, il eut enfin accès au précieux liquide qui coula délicieusement dans sa gorge. De l'eau, cela faisait tellement de bien !

Lorsqu'il eut prélevé de longues gorgées et qu'il se sentit un peu mieux, il posa la gourde sur le sol et ferma les yeux en poussant un soupir d'aise. S'il avait toujours la tête aussi lourde, la brûlure dans sa bouche s'était un peu apaisée et il percevait mieux ce qu'il y avait autour de lui.

- Oui.

En fait, il n'avait pas vraiment saisi ce que lui avait dit le brun et il avait dit quelque chose de façon aléatoire pour combler le silence. Il se sentit par contre stupide lorsque le sens de ses paroles s'imprima dans sa tête ce qui le poussa à lâcher un rire proche du ricanement qu'il se destinait à lui-même.

- Pardon, je suis à côté de la plaque. Non, je n'ai pas l'habitude de faire la sieste pendant le boulot. Je me suis évanoui à cause du soleil. Je crois. En fait, je ne me souviens pas de grand chose.

A vrai dire, il se souvenait à peine de la route séparant le territoire de la zone industrielle, alors il ne fallait pas lui demander de se remémorer sa ronde.

Le blond n'y va décidément pas de main morte. Il te siffle peinard ta gourde, la vidant probablement au trois-quart. Et après, voilà que tu le vois la poser par terre sans même songer à te la rendre. S'il croit que tu vas faire une croix dessus, il se fourre le doigt dans l’œil. Par précaution, tu te penches pour la récupérer et tu refermes le bouchon. D'après sa lourdeur, tu te dis que tes estimations ne sont pas mauvaises. La bouteille métallique retrouve sa place accrochée à ta ceinture, une bonne chose de faite.

BASILE – Oui.

Oui ? Mais oui à quoi ? Ce gars te paraît un peu incohérent. Tu supposes qu'il réponds à ta question à propos du fait de roupiller au milieu de nulle part mais tu ne t'attendais sûrement pas à ce qu'il te réponde un truc pareil. Il doit y avoir un soucis. Le type ne doit pas avoir vraiment compris le sens de tes paroles. Il faut croire que le soleil lui a vraiment tapé sur la tête. Et voilà qu'il rigole d'une façon bizarre. Il n'est vraiment pas net et tu songes de plus en plus à l'abandonner à son sort. Merde, t'es pas un foutu bon samaritain.

BASILE – Pardon, je suis à côté de la plaque. Non, je n'ai pas l'habitude de faire la sieste pendant le boulot. Je me suis évanoui à cause du soleil. Je crois. En fait, je ne me souviens pas de grand chose.

Pas besoin de le dire, tu l'as bien compris. Même si le fait qu'il l'admette est positif, tu vas peut-être t'en sortir finalement. Encore que ce n'est pas forcément gagné.

KAHLAN – Rassure moi, t'es pas un amnésique ou un truc du genre ? Tu sais comment tu t'appelles ? Tu vois combien de doigts ?

Tu tends quatre doigts devant ses yeux, attendant une réponse. Tu as déjà vu Charly faire un truc du genre après qu'une nana se soit pris un débris sur la tête pour contrôler qu'elle allait bien. Tu ne sais pas si cette manœuvre a un quelconque sens dans ce cas-ci mais au moins tu essayes de faire quelque chose.

Dans son malheur, Basile était tombé sur une personne sympathique malgré sa dégaine d'ours mal léché, mais il n'empêchait que le gars restait sur ses gardes. Dès qu'il avait eu fini de boire, il s'était empressé de reprendre sa gourde. Peut-être craignait-il qu'il lui la vole ce qui aurait été une possibilité s'il n'avait pas été lui. Mais le blond n'avait rien contre la prudence, il trouvait même admirable que son sauveur soit capable de rester fixé sur ses priorités tout en l'aidant. Pendant que le brun le toisait d'un regard étrange, lui continuait à sourire comme un idiot. Sa punition ne le réussissait vraiment pas, voilà que quelques gorgées d'eau le faisaient planer. Il se mit à rire faiblement lorsque l'inconnu reprit la parole. C'était qu'il était comique avec ses réactions. Ou du moins, Basile le trouvait drôle dans son état actuel.

- Non, j'pense pas. Je m'appelle Basile.

Son rire s'amplifia lorsque le brun lui demanda combien de doigts il lui montrait.

- Quatre. Sérieusement, j'ai une si sale tronche que tu te mettes à flipper comme ça ? Au fait, c'est quoi ton nom à toi ?

L'Aigle trouvait légitime qu'il lui livre cette information puisque lui-même s'était plié à l'exercice. En attendant qu'il se décide à lui répondre, il tâcha de se remettre debout et y parvient après quelques essais infructueux. Sauf que se mettre sur ses pieds était une chose et garder l'équilibre en était une autre. Alors qu'il esquissait un sourire victorieux, il se sentit partir en avant. Par réflexe, il se raccrocha à l'inconnu, lui confiant le reste sans le vouloir. Foutues jambes flageolantes !

Plus les choses avancent et plus tu te dis que ce mec doit juste être un attardé. Cela expliquerait beaucoup de choses du moins. Mais le soleil peut aussi être une excellente excuses. Décidément, tu ne comprends pas pourquoi tu perds ton temps à te poser des questions sur lui. Tu en perds déjà en l'aidant mais voilà que tu doubles la mise en réfléchissant inutilement. Mon pauvre Kahlan, l'absence d'Alessandra ne te réussit vraiment pas voilà que tu occupes du premier mec qui passe pour éviter de penser à elle. Il est temps qu'elle revienne. Vraiment.

BASILE - Non, j'pense pas. Je m'appelle Basile.

Ah vous allez peut-être enfin pouvoir avancer. Le blond se nomme donc Basile et il rigole comme un mec saoul. Tu es à deux doigts de te pencher pour sentir son haleine mais tu te retiens. De un, tu ne vas pas te mettre à renifler un mec, et de deux, tu as dit que tu ne te posais plus de questions. Il faut que tu ailles à l'essentiel si tu souhaites te sortir de ce merdier.

BASILE - Quatre. Sérieusement, j'ai une si sale tronche que tu te mettes à flipper comme ça ? Au fait, c'est quoi ton nom à toi ?

Bonne réponse. Et ce n'est pas vraiment sa tronche qui te pousse à te poser toutes ces questions mais plutôt son attitude. L'espèce de chiot vient de te demander ton nom et tu hésites à le lui livrer. Finalement, histoire de gagner du temps, tu lui donnes après avoir poussé un bref soupir.

KAHLAN – Kahlan. Et je ne flippe pas, je ne tiens juste pas à ce qu'on me reproche quoi que ce soit si on venait à retrouver ton cadavre au bord du chemin.

Tu te sens agacé. Aider les autres de cette façon, ce n'est vraiment pas ton truc. Tu manques beaucoup trop de patience pour être réellement efficace avec les cas désespérés comme lui. Pourquoi désespéré ? Parce qu'il n'arrive même pas à se remettre debout. Après quelques essais, il se dresse à la même hauteur que toi. Et c'est là que l'impensable se produit. Il s'écroule purement et simplement en avant ce qui donne plus ou moins le même effet que s'il s'était jeté sur toi. Tu ne t'es pas attendu à ça alors bien sûr tu n'es pas vraiment préparé à subir le poids d'un autre. Ton corps réagit par réflexe et tu le rattrapes avant de basculer en arrière, emporté par ce Basile. La chute est un peu rude.

KAHLAN – Je te hais.

Blasé, tu regardes le ciel bleu. Tu es allongé dans la terre sèche avec un mec en travers de toi. Super cette journée décidément ! Un grognement quitte tes lèvres alors que tu te dévisses le cou pour essayer de voir si le gars est encore conscient. Tu hésites quand même un peu à le balancer sur le côté comme un vieux sac même si l'envie ne manque pas.

KAHLAN – Bon, t'es gentil mais tu es pas mon genre. D'ailleurs vire ton entrejambe de ma cuisse, espèce de boulet !

Si jamais une fille qui te connaît passe par là, ta réputation est finie.

Basile avait un peu de mal à cerner son interlocuteur. Était-il blasé de naissance ou est-ce que ce n'était tout simplement pas sa journée ? Ou alors c'était juste lui le problème dans l'histoire. Il devait bien avouer qu'il se comportait comme un boulet accroché à la cheville de ce pauvre gars et il s'en voulut un peu d'abuser de sa gentillesse. S'il s'agissait réellement de gentillesse, cela faisait aussi partie des choses qu'il avait du mal à savoir. Sa réponse lui arracha par contre un sourire contrit. Ce n'était définitivement pas de la gentillesse et il était bel et bien un boulet. Il avait parlé avec agacement, mais le blond ne pouvait s'ôter de la tête qu'il ne devait pas être si fermé que ça puisqu'il était toujours à ses côtés. Néanmoins, il était temps pour lui de prendre congé pour que Kahlan puisse retourner à son travail et lui au sien, il chercha donc à se mettre debout avant de s'écrouler lamentablement en entraînant le brun dans sa chute.

La position était des plus compromettantes. Un peu dans le flou à cause de cette gamelle débile, il mit un instant à comprendre qu'il se trouvait sur l'homme. Il s'était même écrasé sur lui ce qui expliquait qu'il n'avait pas vraiment ressenti de douleur.

- Dé... Désolé !

Il ne savait pas trop comment réagir dans cette situation assez inédite pour lui. Pas qu'il était gêné d'être aussi proche d'un homme... Enfin si, peut-être un tout petit peu, en plus le brun n'aidait pas en réagissant de la sorte. Malgré ses commentaires, il restait par contre immobile ce qui poussa le blond à se poser de nouvelles questions. Décidément, ce Kahlan était un nid d'énigme à lui tout seul.

- C'est bon, t'es pas mon genre non plus.

Basile bougonna un peu pour cacher sa gêne et il s'écarta le plus vite qu'il put, se retrouvant à genoux à côté de Kahlan. Il ne savait pas comment se comporter et il posa les yeux à coté du visage du surveillant, silencieux comme une tombe, en attendant qu'il se redresse lui aussi.

BASILE - Dé... Désolé !
KAHLAN – Bouge au lieu d'être désolé !

Ce crétin n'a vraiment pas toutes ses billes en place. Au lieu de se dépêcher, il s'excuse mais ne bouge pas. Cette fois, tu as clairement envie de l'envoyer bouler.

BASILE - C'est bon, t'es pas mon genre non plus.

Il dit ça mais tu perçois un drôle de truc dans sa voix alors qu'il se redresse enfin. Il reste assez proche de toi, à genoux, à regarder juste à côté de toi comme s'il avait honte. Tu lui lances une œillade mauvaise en t'asseyant. Non mais c'est quoi cette attitude ? Est-ce que tu aurais mis dans le mile sans le faire exprès ? Franchement, tu n'as pas l'impression qu'il est de ce bord là mais au vu de sa réaction actuelle, il y a de quoi se poser des questions.

KAHLAN – Et t'avise pas de fantasmer sur moi la nuit.

Tu te met finalement debout en époussetant un peu ton pantalon qui est devenu brun de poussière. C'est aussi le cas de ton t-shirt et de tes chaussures en fait, inutile donc de chercher à redevenir un tant soit peu présentable. Par pitié, tu tends ensuite la main à Basile pour l'aider à se relever. Vu comme il tient sur ses guibolles, il ne manquerait plus qu'il te tombe encore dessus.

KAHLAN - Faudrait peut-être que tu fasses un break à l'ombre. Ou mieux chez toi comme ça tu éviterais de compliquer le boulot des autres.

Tu n'es pas réellement incisif, tu trouves juste que ce gars n'est pas en état de bosser et tu tiens à le lui faire remarquer.

Durant quelques secondes, Basile cessa de s'intéresser à la présence de Kahlan. Il était fatigué et la chaleur de l'après-midi paraissait lui cuire le cerveau. Ce bouillonnement intérieur à cause du soleil de plomb expliquait sans doute son trouble et il se répéta plusieurs fois qu'il n'était qu'un sombre idiot qui perdait la boule avant de réussir à regarder à nouveau le visage du brun. C'est ce moment que ce dernier choisit pour lui asséner un nouveau commentaire exempte de sous-entendu dans un grommellement. Il y allait cash pour dire ce qu'il avait à dire et cela déroutait plus encore le blond qui rougit comme une tomate avant de lever un regard indigné vers Kahlan. Mais pour qui est-ce qu'il se prenait ? Comme si il allais perdre ses quelques heures de sommeil pour un abruti comme lui ! Bon d'accord, il n'était physiquement pas moche, mais c'était pas une raison ! Et puis, ce n'était pas vraiment un abruti, il lui devait quand même une fière chandelle.

- Me fait pas vomir, j'ai déjà pas grand chose dans l'estomac.

Basile avait sifflé entre ses dents, assez cassant. Habituellement, il était calme, mais son état actuel le mettait à fleur de peau et il se retrouvait donc à réagir avec une brusquerie qui le déroutait lui-même. Son véritable tempérament s'imposa pourtant à nouveau lorsqu'il vit une main se tendre devant lui. Alors comme ça il lui venait encore en aide ? Toujours un peu dérouté, il ne put pourtant se résoudre à refuser ce coup de main et saisit l'avant-bras du gars pour qu'il l'aide en le tractant sur ses pieds. Le retour à la verticale fut une épreuve en soi, mais il la traversa en gardant sa poigne serrée autour du bras du Membre de façon à se servir de lui comme point d'ancrage. Il voulait à tout prix éviter une autre catastrophe et cela devait aussi être le cas du brun. Une fois qu'il fut bien sûr d'avoir retrouver son équilibre, il lâcha un faible sourire à l'autre. Qui s'empressa de lui servir un discours dur, mais pas dénué de bon sens. De tels propos rappelèrent au blond combien il était faible, mais il ne broncha pas dans un premier temps. Ensuite, il se rembrunit par contre, les épaules voûtés et la tête base.

- Comme si j'avais le choix.

Ses paroles étaient évasives et il n'aimait pas ça. Avant même que Kahlan ne puisse demander des précisions, encore qu'il doutait qu'il l'aurait vraiment fait, il reprit.

- J'ai été puni, c'est pour ça que je suis ici. Donc l'option, je rentre chez moi bien tranquillement n'existe pas sous peine de provoquer la colère de mon Chef.

Alors que tu le regardes, tu crains soudain d'avoir fait mouche avec ton commentaire. Tu ne rêves pas, il a bien rougi ? Cela pourrait être à cause de la chaleur mais ce phare a été trop vif pour n'être qu'un simple coup de chaud. Tu es par contre surpris de le voir rougir comme une fille. Sincèrement, son attitude n'a rien eu de virile pendant quelques secondes. En fait, il n'a rien eu de viril depuis votre rencontre. Tu pourrais presque le prendre pour un Soumis des Vipères s'il n'était pas surveillant tout comme toi. Pas que tu ais de réels a priori sur les Soumis des Vipères, tu les plains plus qu'autre chose mais tu as entendu dire qu'il y en avait de très efféminés.

BASILE - Me fait pas vomir, j'ai déjà pas grand chose dans l'estomac.

Basile s'est montré convaincant mais il te semble qu'il a répondu avec un temps de retard. En plus, il t'a maté avant de t'asséner cette remarque cassante alors tu ne sais plus trop quoi pensé. Dans tous les cas, cette histoire n'a aucun sens. Pas plus que ta présence au côté de ce mec à côté de ses pompes. Elle se justifie pourtant lorsque le blond attrape ton bras pour se remettre debout. Sans trop de difficultés, tu l'aides à retourner sur ses pieds mais tu te tiens prêt à faire un pas de côté s'il devait basculer à nouveau. Il ne le fait pas et garde même ton bras prisonnier durant quelques instants avant de le relâcher, enfin stabilisé. Tu ne t'offusques pas de l'absence de remerciement. Tu recules simplement d'un pas et tu fais quelques mouvements avec tes bras pour les dénouer.

BASILE - Comme si j'avais le choix.

Tu te tournes à nouveau vers lui quand il parle. Son attitude change à vue d'oeil et il paraît plus faible encore que tout à l'heure. Durant un instant, tu te demandes si tu n'as pas été trop loin avec lui mais tu n'as aucune envie de t'excuser. Tu ne vois d'ailleurs même pas pourquoi tu le devrais. Ce gars va juste mal et ce n'est aucunement de ta faute.

BASILE - J'ai été puni, c'est pour ça que je suis ici. Donc l'option, je rentre chez moi bien tranquillement n'existe pas sous peine de provoquer la colère de mon Chef.

Tu lui dirais bien que tu ne voulais pas connaître sa vie mais tu te retiens. Pas besoin que tu en rajoutes une couche, il en a déjà bien assez sur les épaules et sur le cœur. Durant un instant, tu ne sais pas quoi dire. Tu fixes ton regard sur l'horizon avant de gratter légèrement ta joue. Tu ne sais pas trop pourquoi mais tu n'as pas envie de laisser ce chiot là tout seul avec son air misérable.

KAHLAN – Je vais faire comme si ça m'intéressait... Qu'est-ce que tu as fichu pour être puni comme ça ?

Mécaniquement, tu sors un morceau de pain emballé dans un bout de tissu de la pochette qui pend à ta ceinture et tu lui tends.

KAHLAN – J'suppose que tu as faim aussi.

Malgré tes grommellements et ta brusquerie, ça ne te plaît pas de voir quelqu'un dans cet état. Il a l'air sympa, l'image même du brave gars sans histoire, tu peux donc bien faire un effort de sociabilité pour une fois et te priver d'un peu de tes rations.

Il a beau râler, mais ce Kahlan est toujours là. Basile ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi il continuait à veiller sur lui - c'était bien ce qu'il se faisait d'une certaine façon - tout en grommelant plutôt que de partir. Un fin sourire aux lèvres, il l'observa du coin de l’œil faire quelques mouvements avec ses bras comme pour les dénouer. Il était étrangement gentil. Pas que sa gentillesse soit étrange, c'était plutôt que la façon dont il la manifestait d'une façon un peu bourrue. D'une certaine façon, il lui rappelait un petit peu Axel lorsqu'il était encore le frère qu'il avait connu toute sa vie jusqu'à la mort tragique de Tim. Un silence suivit les révélations du blond. Il s'attendait presque à voir le jeune homme partir simplement, mais il ne le fit pas. Il prit même la parole, sa tournure de phrase tirant un sourire à l'Aigle. Oui, il avait indéniablement un petit quelque chose en commun avec le troisième fils de la famille. Dans un premier temps, Basile ne su pas quoi répondre. Il ne s'était vraiment pas attendu à ce qu'il lui demande des détails. A vrai dire, personne ne l'avait réellement fait jusqu'ici. Alors qu'il réfléchissait, l'esprit dans le vague, un petit paquet apparu dans son champ de vision. Il écarquilla les yeux en devinant la nourriture à l'intérieur et s'en saisit d'une main légèrement tremblante. Il n'en revenait pas de voir le brun faire preuve d'une telle générosité.

- T'es sûr ?

Il s'en voulait un peu de le priver de son repas. Avant même d'entendre sa réponse, il commença à déballer le morceau de pain en salivant presque. Il mourrait de faim et il lui était bien difficile de ne pas écouter les grondements de son estomac en souffrance. Il détacha un petit morceau et l'avala presque tout rond alors qu'il aurait voulu mâcher lentement. Il fit un effort avec le second morceau. Il devait prendre son temps s'il voulait se sentir réellement rassasier. C'était, il paraissait, la clé.

- Merci. Tu n'as pas idée d'à quel point tu me sauves.

Avec tout ça, Basile n'avait pas répondu à la question de l'autre surveillant. Dès qu'il eut avalé, il commença donc son récit ponctué de quelques instants de pause à chaque fois qu'il mâchait un nouveau bout de pain.

- Je venais de terminer ma garde. J'ai trouvé un gars qui rodait autour de ma copine et ça m'a énervé. Il m'a provoqué et on s'est un peu bousculés. Ce qui nous a arrêté, c'est l'arrivée d'un groupe de Libres qui était entré on ne sait pas trop comment sur le territoire. Oliver - le fameux gars - s'est retourné vers eux, mais c'est un mec bizarre et plutôt que d'agir efficacement, il a roulé des mécaniques. Pendant ce temps là, j'assurais la protection de Lydie qui était paniquée et je n'ai pas trop fait attention au départ. Jusqu'à ce que Oliver ne tue un des Libres. La fille qui devait être leur Chef s'est jetée sur lui et elle l'a lardé de coups de couteau. Ce mec, je le détestais. C'était juste un porc alors je n'ai pas réagis aussi vite que je l'aurais dû. Je l'ai laissé se faire massacrer parce que j'ai trouvé durant un infime instant qu'il avait mérité ce qui lui arrivait. Finalement, lorsque les Libres ont fuis, il était tellement amoché que j'ai dû l'achever.

Basile n'avait pas honte de son geste. Il restait un peu persuadé qu'il n'avait pas eu tort même si cette action lui avait attirée bien des emmerdes. Mais Oliver s'était approché de Lydie et cela avait été sa plus grosse erreur.

Partager tes rations ne te pose pas de soucis. Tu le fais de bon cœur mais tu prétextes pour toi même que c'est seulement parce que tu n'as pas très faim ces derniers temps. Après tout la chaleur a tendance à couper l'appétit et il fait très chaud aujourd'hui. La main de Basile tremble lorsqu'il prends le paquet. Tu fais semblant de ne pas t'en rendre compte, inutile de pointer encore une fois sa faiblesse.

BASILE - T'es sûr ?

C'est une question idiote à laquelle tu ne prends même pas la peine de répondre. Si tu n'étais pas sûr, tu ne lui aurais rien proposé. Heureusement, le blond ne semble pas s'offusquer de ton silence et il déballe la nourriture avec empressement. Il se jette sur le premier morceau comme un vorace mais il semble prendre plus son temps par après. Tu as été à deux doigts de lui dire de manger calmement mais il l'a compris de lui-même ce qui t'évite de passer pour le gars qui sait tout et qui emmerde les autres avec des conseils à deux balles.

BASILE - Merci. Tu n'as pas idée d'à quel point tu me sauves.

Tu n'as pas envie de t'étendre sur ce geste. Tu préfères de loin passer à autre chose.

BASILE - Je venais de terminer ma garde. J'ai trouvé un gars qui rodait autour de ma copine et ça m'a énervé. Il m'a provoqué et on s'est un peu bousculés. Ce qui nous a arrêté, c'est l'arrivée d'un groupe de Libres qui était entré on ne sait pas trop comment sur le territoire. Oliver - le fameux gars - s'est retourné vers eux, mais c'est un mec bizarre et plutôt que d'agir efficacement, il a roulé des mécaniques. Pendant ce temps là, j'assurais la protection de Lydie qui était paniquée et je n'ai pas trop fait attention au départ. Jusqu'à ce que Oliver ne tue un des Libres. La fille qui devait être leur Chef s'est jetée sur lui et elle l'a lardé de coups de couteau. Ce mec, je le détestais. C'était juste un porc alors je n'ai pas réagis aussi vite que je l'aurais dû. Je l'ai laissé se faire massacrer parce que j'ai trouvé durant un infime instant qu'il avait mérité ce qui lui arrivait. Finalement, lorsque les Libres ont fuis, il était tellement amoché que j'ai dû l'achever.

Lorsqu'il s'y met, Basile est sacrément bavard. Impossible de l'arrêter. Durant tout le temps qu'il parle, tu restes silencieux en essayant de suivre son histoire. Il te donne des détails, des prénoms, et tu t'y perds un peu. Tu ne t'étais vraiment pas attendu à ça lorsque tu as fait preuve de curiosité. L'entendre parler n'est pas désagréable fort heureusement. En plus ça t'apprends des choses sur un autre clan que le tient. Et sur le blond lui-même. A le voir comme ça tu n'aurais jamais cru qu'il puisse éprouver si peu de remords. Tu l'aurais plutôt imaginé être rongé par son absence de réaction et par la mort du dénommé Oliver.

KAHLAN – Tu as voulu protéger ta petite amie, ça me semble normal.

Ton point de vue n'a rien d'étonnant. Tu as toujours pensé que la famille venait avant le clan alors tu ne vas pas le blâmer parce qu'il s'est préoccupé plus de sa copine que d'un mec qui avait tout l'air d'être un enfoiré fini.

KAHLAN – Et comment ton Chef l'a su ? Il y avait des témoins. A part les Libres et ta copine je veux dire.

Il n'a parlé de personne d'autre dans son histoire. Tu ne comprends donc pas comment il en est venu à être puni.

La réaction de Kahlan ne s'était pas fait attendre. Il avait écouté l'Aigle dans le silence avant de s'exprimer simplement. Basile admirait sa simplicité et il mit définitivement de côté l'impression qu'il avait de n'être qu'un boulet à la cheville du brun. Ce dernier aurait pu partir depuis longtemps, mais il ne l'avait pas fait. Il continuait à s'intéresser, à parler, et à se montrer sympa. Un sourire lumineux grimpa sur les lèvres du blond et il lança un regard reconnaissant au Surveillant. C'était l'une des premières fois que quelqu'un légitimait vraiment son geste. Il n'en avait pas parlé à grand monde, mais ces quelques personnes n'avaient pas forcément trouvés bien qu'il ait pensé d'abord à la protection d'une Soumise. C'était pourtant pour Basile une chose importante. Contrairement à Oliver, Lydie ne pouvait pas se protéger elle-même. En plus, elle n'avait rien fait pour s'attirer des ennuis comme l'autre Membre qui avait au final provoquer sa propre mort en se prenant la tête avec les Libres alors qu'il aurait dû les éliminer ou sonner l'alerte de façon immédiate.

La question de Kahlan le laissa par contre pensif. Il ne s'était pas du tout attendu à ça. Vu la façon dont il avait tourné son récit, ce n'était pas évident de comprendre, mais il n'avait pas pensé que le brun penserait à ça non plus. Ce n'était qu'un détail et, pourtant, c'était là-dessus qu'il avait choisi de s'arrêter. Basile tenta de comprendre pourquoi, mais il abandonna bien vite. Vu son esprit embrumé, il valait mieux qu'il évite de s'engager dans des théories fumeuses. Après une brève hésitation, le blond se lança dans un soupir.

- J'ai été faire un rapport. Il y avait le corps à évacuer et les Libres s'étaient enfouis, donc il fallait bien que quelqu'un prévienne le QG. Je sais que c'est stupide, j'aurais pu facilement arranger l'histoire vu qu'il n'y avait personne susceptible de témoigner, mais j'ai voulu être honnête. Et ça m'a réussi tout en ne me réussissant pas beaucoup. C'est con, je sais.

Kahlan allait peut-être le trouver idiot, mais l'honnêteté avait toujours été une valeur importante dans la vie de Basile. Une valeur qui lui compliquait la vie, c'était sûr, mais il y tenait.

Et voilà qu'il refait sa tête de chiot content. Dans ta tête Basile sera probablement à jamais associer à cette image qu'il te donne de lui de façon régulière. Tu accueilles son sourire avec une moue plate, peu désireux de te laisser embarquer dans son délire d'avoir l'air heureux. Après ce qui lui est tombé sur le coin de la tête c'est d'ailleurs à se demander comment il peut l'être. Peut-être qu'il est juste un peu con au final.

BASILE - J'ai été faire un rapport. Il y avait le corps à évacuer et les Libres s'étaient enfouis, donc il fallait bien que quelqu'un prévienne le QG. Je sais que c'est stupide, j'aurais pu facilement arranger l'histoire vu qu'il n'y avait personne susceptible de témoigner, mais j'ai voulu être honnête. Et ça m'a réussi tout en ne me réussissant pas beaucoup. C'est con, je sais.

Il a hésité avant de parler et tu comprends pourquoi. En fait il est vraiment un peu con. C'est un idiot plein de bonnes intentions avec un sens de l'honneur. Tu n'es pas une fripouille finie et tu as tendance à dire les choses mais quand même tu préfères éviter les embrouilles et les conséquences de tes actes quand tu le peux. Mais son discours ne manque pas de logique. Et tu ne peux pas complètement le trouver idiot. Au moins il respecte ses convictions, une chose rare dans cette ville. Il reste néanmoins une interrogation dans ton esprit face à tout ça.

KAHLAN – Qu'est-ce que tu veux dire par ça ''ça m'a réussi tout en ne me réussissant pas beaucoup'' ?

Tu bloques sur les détails. Pourtant tu n'es habituellement pas si curieux mais l'histoire de Basile est divertissante et tu n'as pas grand chose de mieux à faire.

Basile s'était attendu à ce que le brun lui lance un commentaire acerbe sur sa stupidité comme beaucoup l'avait fait, mais il ne se positionna même pas par rapport à sa décision. Cela ne voulait pas forcément dire qu'il approuvait son honnêteté, mais l'Aigle se sentit plus à l'aise de ne pas être jugé. C'était agréable. Kahlan le questionna néanmoins sur un point et le blond bloqua durant quelques secondes. Il le fixa en plissant les yeux, cherchant à comprendre le sens de sa question, car toute cette histoire commençait à devenir compliqué pour son cerveau frit par le soleil. Et puis finalement, il percuta. Oh. Oui, bien évidemment. Machinalement, Basile passa une main dans ses cheveux pour les repousser et se lança maladroitement dans une réponse.

- En le disant, j'ai récolté une punition, mais la punition a été bien plus faible que si je m'étais fait attraper à n'avoir rien dit. Mon honnêteté a été en quelque sorte récompensée par une punition non-exemplaire. Bon si je n'avais rien dit, je n'aurais eu aucune punition, il y aurait eu un risque que je me fasse attraper.

C'était plus compliqué à expliquer qu'il ne l'avait prévu et il espérait sincèrement que le message était passé parce que s'il en disait plus, Basile allait encore plus s'enfoncer dans un discours trop confus. Beaucoup trop confus pour sa petite tête atteinte par la canicule. Et il doutait sincèrement qu'un pic-nique offert par Kahlan l'aiderait à récupérer cette fois...

Le blond semble perdu un instant et tu te demandes s'il ne bug pas à nouveau. Ce ne serait pas la première fois depuis que tu le connais et pourtant tu ne le connais pas depuis bien longtemps. Tu attends que l'autre ait une illumination ou demande une précision mais tu es soulagé quand il semble se reconnecter. Il ne semble pas à son aise tout d'un coup néanmoins. Bizarre.

BASILE - En le disant, j'ai récolté une punition, mais la punition a été bien plus faible que si je m'étais fait attraper à n'avoir rien dit. Mon honnêteté a été en quelque sorte récompensée par une punition non-exemplaire. Bon si je n'avais rien dit, je n'aurais eu aucune punition, il y aurait eu un risque que je me fasse attraper.

Son explication est un peu embrouillée mais tu comprends où il veut en venir. C'est juste beaucoup de mots pour ne pas parler de grand chose. Tu hoches un peu la tête alors que tu décryptes le tout avant un hochement nettement plus fort. Il n'a pas tort c'est une théorie logique. Mais c'est quand même une réflexion de bon gars honnête et gentil. Bon sang c'est à se demander comment ce type a fait pour survivre dans cette ville pendant si longtemps avec une telle mentalité. C'est un véritable miracle. Ou alors son clan est vraiment adapté aux types de sa trempe. Ce n'est pas une critique, tu trouves vraiment Basile sympathique mais il dégage quelque chose de trop gentil et trop honnête pour Paris. Sur cette constatation, tu te dis que le temps passe et que pendant que tu papotes avec lui tu ne travailles pas. Et deux surveillants sur la touche ça ne fait pas vraiment sérieux.

KAHLAN – Tu devrais aller te planquer dans les vergers en attendant la fin de ta garde. Au moins tu serais un peu plus au frais là-bas. Moi il faut que je retourne bosser.

L'idée de rester ici n'est pas fondamentalement dérangeante mais tu as déjà beaucoup parlé pour ne rien dire aujourd'hui et tu as envie de retrouver un moment de calme et de solitude avant de retourner chez les Jaguars. Le travail c'est aussi ça pour toi : la paix.

KAHLAN – Ce fut bizarre mais je suis pas mécontent d'avoir fait ta connaissance Basile. Essaye de faire attention à toi.

Et là tu ne sais pas trop pourquoi mais tu lui tapotes deux ou trois fois le crâne avant de lâcher un sourire maladroit. Comme avec un gamin ou un chien. Il est un peu des deux pour toi. Après tu t'en vas sans demander ton reste, il est temps.

Kahlan n'était vraiment pas un causant. Basile se rendit compte qu'il n'avait rien appris sur lui grâce à sa discussion. Enfin si, il avait pu se rendre compte que malgré ce qu'il dégageait au premier abord, le brun n'était pas une teigne comme il l'avait cru au départ. C'était un gars plutôt sympa, mais qui avait sa façon de faire et de voir les choses. Il acceptait néanmoins le point de vue des autres, la preuve il avait pu s'entendre avec le blond alors qu'ils étaient terriblement différents. Sa capacité à discuter sembla pourtant atteindre sa limite. A moins qu'il ne soit juste sérieux ? Dans tous les cas, le Jaguar décida de retourner travailler, mais avant cela il prodigua à Basile un judicieux conseil. Les vergers étaient une bonne idée. Au vu de son état, il ne servirait à rien alors il valait mieux qu'il aille se caser dans un coin où il ne gênerait personne. Se dégoter un arbre à l'ombre pour surveiller les travailleurs était donc une excellente idée. Basile hocha la tête et sourit à nouveau suite à la conclusion. Lui non plus n'était pas mécontent d'avoir fait la connaissance de ce gars. Et puis, il se passa un truc que le cerveau trop chaud du blond ne réussit pas à comprendre. Pourquoi Kahlan lui avait-il tapoté la tête ? Quand il s'en rendit compte, le gars était loin et Basile se retrouva bêtement avec une main sur le crâne et un sourire idiot au coin des lèvres. On aurait dit un geste esquissé par son père quand il était gosse.

Quand il eut fini de bloquer, il se mit finalement en route. Il avait désormais son objectif : se faire oublier entre les arbres.