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Louise & Ezea

An 40 - Fin de la première saison tempérée

Les entrainements étaient un passage obligé, chez les Dragons. Les aspirants et spécialistes y côtoyaient les simples membres dans un chaos ordonné plutôt impressionnant, je l’avoue. Sitôt la sirène retentie, la petite foule de membres, tous grades confondus, s’entassaient devant le quartier général du clan. Certains chahutaient, d’autres frottaient encore leurs yeux, et les plus motivés arrivaient en joggant déjà. Je m’efforçais de ne jamais arriver dans les derniers, ça le faisait mal, vis-à-vis les gradés, et puis je dormais peu : je n’en avais pas besoin. À mes seize ans, lorsqu’enfin je devins membre, je compris que ces entrainements n’étaient pas amusants ni conviviaux, au contraire de mes espérances, mais servaient uniquement à dégourdir les membres entre leur tâche, à les aider juste assez pour les garder en vie, sans toutefois leur donner les ailes dragonnes permettant de s’élever au-dessus de la masse, de progresser. Au mieux, ces séances permettaient aux gradés de décharger leur colère en bousculant les membres les moins doués. Déception et illusions perdues.

Malgré tout, je tâchais de me motiver et tentait d’apprendre de mon mieux avec ce qu’on me donnait comme information et conseil. Et puis, en s’investissant, les entrainements matinaux passaient plus rapidement sans que nous le remarquions. Si les exercices en binômes, pour les prises et les attaques à mains nues, me mettaient plus souvent qu’autrement au tapis, j’arrivais malgré tout à rigoler de la situation et de mon triste état. Ainsi, j’attirais à moi les rares Dragons lumineux de ce clan ainsi que les membres nécessitant de briller ou de se défouler. Mettre la petite blonde à terre n’avait jamais été véritablement difficile, dans la mesure où je ne pouvais pas esquiver à mon aise, en entrainement, entourée de tant de gens. J’encaissais facilement, toutefois, au plus grand malheur de mes confrères en mal d’attention. Inlassablement, je me redressais, souriante et sans rancune, mettant à profit l’une de mes rares aptitudes : l’endurance.

Le seul moment de cet entrainement qui m’était agréable était la course. Nous débutions souvent par une longue course où les plus lourds grommelaient, grincheux. Mais pour moi, légère, endurante, ce n’était que du bonheur. Une petite victoire. Ma victoire. Seule avec moi-même, je n’entendais aucune insulte ni aucune raillerie. Même les plus idiots et mesquins se concentraient sur leur propre souffle, pour ne pas perdre la face, ou pour se dépasser. Pour ma part, je courrais vite, facilement, longuement.

Courir. Plus vite. Encore.
Le souffle court. Les poumons en feu. La soif brûlante.
J’étais un Dragon, le temps d’une course. Je pouvais presque sentir les ailes pousser, sur mon dos. Ma tresse fouettait l’air, à la manière d’une queue écailleuse.
Ne jamais m’arrêter. Sentir mon cœur qui battait à tout rompre.
Plus vite. Encore.

Concentrée sur mon souffle, dans mon petit monde de dragon et d’ailes, les yeux mi-clos sous l’effort, je n’avais pas encore vu l’aspirante qui cherchait à se tenir à mon niveau. Ezea. Ses joues rouges me prouvaient qu’elle morflait, elle aussi, tout comme moi, pour maintenir ce rythme. Je m’extirpais de mes pensées pour lui sourire, un signe de tête.

Elle n’allait pas me faire un croche-pied, tout de même!

Mettre un pied devant l’autre, sans s’arrêter, c’était à la portée de tous. Le reste, le souffle, le poids qu’encaissaient les genoux, la posture, l’endurance tout ça, ça se développait tout seul, instinctivement. C’était ce qui me plaisait tant, de la course, outre le fait que je n’étais pas la plus mauvaise du lot, le fait qu’avec un peu d’endurance, on arrivait à des résultats surprenants et bien perceptibles. Apprendre à se défendre et à attaquer, au contraire, ce n’était pas inné. Il fallait assimiler, et il fallait donc un mentor dévoué, ce qui ne courrait pas les rues dragonnes.

À sourire échangé, j’aurais cru qu’elle se tiendrait à mon rythme, que j’avais trouvé une compagne de course. Évidemment que non, la compétition était toujours là, quelque part, chez-nous. C’était peut-être pour ça, au final, que je n’étais que simple membre. Je n’aspirais pas à gagner la course, je me contentais de courir et de profiter. Elle me dépassa d’un ultime effort, accélérant son rythme pourtant régulier, jusque là, pour rattraper le petit groupe devant nous. Je secouais la tête d’amusement et de résignation, étouffant un rire de mon mieux, par la même occasion. J’allais encore me coltiner Henry, en duo, je le sentais. Ou pire. Finn, qui avait le regard un peu trop pesant sur mon décolleté. Il fallait définitivement que je me trouve une meilleure compagne pour les entrainements, et la coureuse m’était tombée dans l’œil. Certes, elle était aspirante, mais avec un peu de chance, elle accepterait de se départir de son groupe, le temps d’un entrainement.

Dès que la voix de l’entraineur tonna, je ralentis ma cadence jusqu’à m’arrêter totalement. Une main sur le cœur, pour l’apaiser, je fouillais déjà la foule dragonne pour retracer l’aspirante. En quelques enjambées, j’avais esquivé Henry pour me planter aux côtés d’Ezea, tout sourire. Une cheville dans le creux de ma patte, je m’étirais consciencieusement, un œil sur la démonstration d’attaque, l’autre sur ma consœur clanique.

- Je suis Louise, au fait. Et t’es Ezea, c’est ça? Je crois que Henry veut encore me mater… On se met ensemble? Ça me permettrait de m’entrainer pour vrai, pour une fois.

Ce n’était pas totalement vrai, ni totalement faux. Henry m’empêchait de m’entrainer uniquement car il prenait un malin plaisir à ne me laisser aucune chance et me clouer au sol à la moindre occasion, en suivant ou non les techniques du jour. À croire que ça lui plaisait, au final, d’être perché sur moi à longueur de matinée. Et à voir ma jolie coureuse aussi ambitieuse, pour une simple course, je me doutais bien que faire miroiter l’idée d’un entrainement exaltant et sérieux allait l’enchanter. Pour la peine, je lui offris un sourire large et enthousiaste, celui qui décorait si souvent mon faciès.

Mon visage était déformé par une horrible grimace essoufflée. J’avais les yeux plissés sous l’effort, les joues bien écarlates et le souffle très court. Je courbais l’échine vers l’avant et déposa mes deux mains contre mes genoux, tellement fus-je éreintée par la course. À peine ais-je eu le temps de reprendre mes esprits qu’une fois redressée, je me retrouvai aux côtés de Louise, toujours aussi rayonnante. Comment avait-elle fait pour de un, courir aussi rapidement que moi et de deux, être aussi disposée à discuter aussi prestement! Je resserrais les dents momentanément de rage, furibonde contre le fait qu’encore une fois quelqu’un performait mieux que moi. J’inspirais très longuement, une dernière et ultime fois avant de reprendre contenance. J’affichais envers elle l’un de mes plus beaux sourire, après m’être souvenue à quel point il avait été agréable de croiser son regard paisible pendant le jogging.

« Je suis Louise, au fait. Et t’es Ezea, c’est ça? Je crois que Henry veut encore me mater… On se met ensemble? Ça me permettrait de m’entrainer pour vrai, pour une fois.

« Tout juste, Louise! Mais les gens me nomment Ezy normalement, enfin, d’habitude. Et je veux bien m’entraîner avec toi mais, pour être franche, ce n’est pas certain que je ne fasse pas comme Henry et que j’en profite pour me rincer l’œil... Regardons d’abord ce que Commander veut qu’on pratique aujourd’hui comme technique, tu veux ?»

Je lui avais répondu sur un ton de voix mutin puis amorçait également mes étirements, sans trop me soucier de la réaction de Louise face à ma remarque déplacée. Cuisses, épaules, dos, cheville, dans cet ordre, afin de ne pas se claquer quelconque muscle à l’entrainement. De toute manière, je ne m’attendais pas aux combats du siècle avec ma nouvelle amie.

La première technique était une clé de bras. Assez basique mais au final, si bien exécuté, ne donnait aucune chance à son adversaire. La technique consistait à coincer le bras de son adversaire avec notre avant-bras puis ensuite, de se servir de ce bras comme levier afin de retourner le poignet de son adversaire. Une simple pression suffisait pour arracher une grimace de douleur à quiconque s’y opposerait. L’entraineur notait les équipes sur la rapidité d’exécution, la précision ainsi que la force à laquelle elle était exécutée. Après tout, les Dragons ne se pratiquaient pas pour le plaisir, mais pour apprendre. S’il fallait passer par la douleur pour apprendre, c’était un bien menu prix à payer.

« Tu veux bien commencer, la dure à cuire ? » lui dis-je, un doux sourire avenant au coin des lèvres.

J’avais pris soin d’essuyer ma nuque moite, du revers de la main, alors qu’elle me répondait. La grande classe, je sais, mais j’avais tenté d’être subtile. Je trouvais toujours un peu dégoutant de devoir m’entrainer avec un homme après la grande course, non seulement c’était humide, mais en plus, c’était odorant. Heureusement, les femmes sentaient meilleur. Ça me changerait un peu!

- Tout juste, Louise! Mais les gens me nomment Ezy normalement, enfin, d’habitude. Et je veux bien m’entraîner avec toi mais, pour être franche, ce n’est pas certain que je ne fasse pas comme Henry et que j’en profite pour me rincer l’œil... Regardons d’abord ce que Commander veut qu’on pratique aujourd’hui comme technique, tu veux ?

Très certainement, la tête que je tirais valait au moins trois rations de viande. Les lippes un brin ouvertes sous la surprise de cette révélation salace, le regard hagard, je tentais de déterminer si cette Ezy parlait sincèrement ou si elle me faisait marcher. Dans le doute, je remontais ostensiblement les bretelles de mon débardeur, pour cacher ces seins qu’elle ne saurait voir. J’hésitais aussi à dénouer ma tresse afin d’utiliser mes cheveux comme barrière naturelle, mais je m’abstins. Ce serait vite compliqué de s’entrainer avec une tignasse blonde qui ondulait partout.  À l’instar de ma nouvelle amie, je terminais mes étirements routiniers, surtout les épaules et les poignets, lorsque je compris où l’entrainement se dirigeait. Je tentais d’assimiler la technique pendant les quelques exemples qu’on nous offrait, mais bien vite, je sourcillai devant l’appréhension. Ce serait plutôt mal venu de me planter avec une nouvelle collègue, aspirante de surcroit, d’autant plus qu’on allait nous analyser pendant notre exécution.

- Tu veux bien commencer, la dure à cuire ?

Je lui ai rendu son sourire, du bout des lippes, avant de la contourner pour me planter devant elle. Il fallait qu’elle attrape mon bras, afin que je réagisse et que j’utilise ce type de clef de bras. Je prenais délicatement son poignet, de ma main captive, pour exercer une rotation et relever son coude, par la même occasion. Il ne me restait plus qu’à presser de mes deux mains vers le bas et approfondir la pression pour qu’elle ressente la douleur. C’était plus simple que je croyais, du moins, avec une collègue immobile qui patientait ma réussite.

- T’as qu’à me dire quand ça fait mal, que je sache si je fais bien. ..Princesse.

J’enchainais déjà la deuxième clef, non sans lui avoir octroyé un clin d’œil léger et mutin. J’inspectais brièvement les environs afin de voir si nous avions déjà été aperçues, ou si je devais continuer à jouer les bourreaux.

- T’as qu’à me dire quand ça fait mal, que je sache si je fais bien. ..Princesse.

Frêle comme elle est, j’avais de la misère à croire qu’elle puisse vraiment me faire du mal. Mais force était d’admettre qu’elle avait rapidement assimilé la technique, ça me faisait un mal de chien! J’avais le bras tordu, tout de travers, c’était pratiquement impossible de m’en sortir. Je me refusais de lui laisser le plaisir de m’avoir eu du premier coup alors que moi, ça m’aurait sûrement prit quelques tentatives pour bien bloquer son bras. Je la regardais dans les yeux avec insistance, mordant ma langue pour m’empêcher de lui demander « grâce ». Après un moment à résister, à s’en tenir au silence le plus total, elle me libérerait de sa prise de bras bien exécutée. Je poussais alors un soupire d’aise à être libérée des vives douleurs et je me suis mise à rouler mon bras dans les airs en exécutant quelques petits moulinets, afin d’étirer tous les muscles endoloris.  

Tu … Tu apprends vite, petit génie …

Changez de co-équipier ! S’exclamait Commander

C’était mon tour de lui montrer ce que je savais faire. En plus, Commander s’approchait de nous et je savais que tôt ou tard, son regard se poserait sur moi. Je devais lui en mettre plein la vue. Je m’approchais alors d’un pas vers Louise pour lui coincer le bras correctement puis commencer la clef de bras … à l’envers. La finale était douteuse, je n’avais aucun point d’appuis pour lui bloquer le bras et de ce fait, la prise était complètement ratée. C’était nul! Mon cœur s’arrêtait net quand j’entendis au même moment l’entraîneuse hurler mon nom : EZEA !

Incapable de faire cette technique ? Aussi facile soit-elle ? Tu me déçois, vraiment …

J’étais à ce moment bien bouche-bée, je n’avais plus de mots. Ma langue s’était réfugiée dans le fond de ma gorge et j’envisageais le pire. J’étais vraiment, vraiment une empotée.

Je n’étais pas convaincue d’avoir bien exécuté ma prise jusqu’à ce qu’elle me regarde fixement. D’une part, son bras ne pouvait pas se tordre d’avantage, et d’une autre part, Ezea était complètement figée à me dévisager. Prise d’un doute, je me suis permis de la libérer. S’il advenait que je me sois plantée, j’étais convaincue qu’elle ou un autre allait se faire un charmant plaisir de me montrer la moindre de mes tares, et deux fois plutôt qu’une..! Toutefois, lorsqu’elle se mit à détendre les muscles de son bras et à soupirer, sitôt libérée, un maigre sourire de victoire se profila sur mes lèvres. Au moins, je n’avais pas lamentablement échoué.

Je crois qu’elle avait sifflé un compliment, lorsque Commander nous hurla de changer de position. Dans le doute, j’inclinai la tête pour accueillir ses paroles puis me planta devant elle. J’endossai alors le rôle de l’agresseur, et je déposais ma patte sur son poignet : c’était à Ezy de jouer, maintenant. J’ai sourcillé, je crois, lorsqu’elle s’acharna sur mon bras, en vain, en le tournant dans la mauvaise direction. Mais sans doute pas autant que notre entraineur qui avait tout vu, et probablement mieux que moi, la scène.

-  Incapable de faire cette technique ? Aussi facile soit-elle ? Tu me déçois, vraiment …

- Elle me montrait les erreurs à éviter, là. Comme la rotation extérieure..

Je me fichais un peu de savoir si oui ou non il me croyait, vraiment. Je n’allais simplement pas laisser Ezea tomber alors qu’elle avait pris sur elle de me sauver la mise vis-à-vis de Henry. Je me repositionnai devant ma consœur de manière à faire dos à notre entraineur et je lui repris le bras, de la main. Quelques curieux nous inspectaient, ici et là, et j’avais cette vague impression que j’allais en prendre pour mon grade, de lui avoir sauvé la mise. Qu’elle se sentirait obligée de mettre le paquet et de me faire hurler, de les régaler du spectacle. Je serrai déjà la mâchoire d’appréhension, les yeux plissés. J’étais endurante, et j’avais foi en mes capacités.

J’allais endurer, j’en avais vu d’autre.

Lorsque Louise dénicha une excuse inventée de toute sorte, j’ai cru que c’était finit. Ca y est, non seulement j’ai manqué ma prise sous la pression du moment mais en plus, Louise m’a donné un coup de pied dans le dos pour que je tombe dans la fosse infernale. Elle n’avait pas pu juste se fermer la gueule et ne rien dire ? Par là j’entends que, un Dragon normal n’aurait sans doute pas prit la chance de faire ce genre d’intervention. Pourtant, on ne se connaissait qu’à peine et elle avait été suffisamment téméraire pour tenter le tout pour le tout. Mon regard fuyait celui de Commander et alla se nicher à celui de Louise pour recommencer adéquatement là où nous avions été dérangées.

J’ai tendance à faire des bourdes, lorsque je suis sous pression …
Excuses-moi d’avance …

Ma respiration se faisait plus lente et mes yeux se plissèrent pour que je puisse me concentrer en suffisance. Ma main vint agripper son poignet et je lui retournais le bras de sorte à ce qu’elle soit soumise à la clé de bras. J’exerçais une force suffisante pour tenter de la faire flancher et qu’elle soit complètement soumise à cette technique. Pas que ça me plaisait de lui faire du mal, surtout après ce qu’elle venait de faire pour moi, mais il fallait que je montre que je savais livrer la marchandise, quand il le fallait. J’espérais au fond de moi qu’elle comprenne la situation et qu’elle trouve le moyen de ne pas m’en vouloir parce qu’après quelques moments, je cherchais Commander du regard pour obtenir son aval et ainsi la délier de toute douleurs additionnelles. Son calvaire devait durer le temps qu’il fallait.

Je voulais tellement bien faire, je voulais tellement qu’on remarque mes efforts … Que je négligeais déja une amie potentielle. Je pouvais bien avoir de la misère à me faire des copines, stupide moi!

J’avais frappé trois ou quatre fois sur ma cuisse, pour lui signifier qu’elle serrait assez fort. Rien n’y faisait, Ezea ne démordait pas de sa prise, et mon bras réclamait un peu de liberté. Je tentais de relever mon minois, de regarder par-dessus mon épaule, afin de voir ce qu’elle fichait. Bien sur, j’aurais dû m’en douter, elle guettait les environs, probablement Commander, à l’affut, pour lui montrer combien il était aisé de me briser. Bien malgré moi, un élan de déception et d’amertume m’emplissait la bouche. À quoi avais-je pensé, aussi? Qu’une aspirante serait plus sympathique que Henry? Réellement? Ils avaient tout à prouver, ils avaient tout à sacrifier, c’était comme ça, chez les Dragons. À quelques exceptions près… Passive, je serrais un brin la mâchoire, j’encaissais en patientant le moment où elle daignerait me relâcher, où son petit numéro de parfaite Dragonne serait terminé. C’était surtout mon amour-propre qui venait de se faire faire une prise de l’ours. J’avais pris sur moi pour l’aider devant Commander, et elle me remerciait comme ça.

- T’avais pas vu que je te faisais signe? Que c’était bon?

Je la fixais, sourcils froncés, en portant naturellement une main à mon muscle douloureux. Je tentais de le masser discrètement, de ne pas être totalement faible, devant elle. Même si je la contemplais fixement, je n’étais pas fâchée, ni hors de moi. J’étais tristement sérieuse, et je ne lui offrais aucun sourire; c’était tout ce dont j’étais capable pour montrer mon mécontentement, de toutes manières. J’étais bien curieuse de voir si elle allait jouer franc jeu, ou si elle allait me sortir des justifications un peu bâclées. Après tout, elle ne me devait rien. N’était-ce pas moi qui lui avais demandé de m’accepter comme partenaire? Et c’était mon initiative, de lui sauver la mise. Je devais assumer mes gentillesses, simplement. Je ne l’avais pas fait pour être récompensée, après tout…

Une chose était certaine, je regardais déjà les environs pour repérer un autre partenaire, pour le prochain entrainement. Au moins, la douleur à mon bras s’atténuait déjà.

Je jaugeais Ezea un long moment, en silence, tout en finissant mon rapide massage à l’épaule. J’entendais vaguement notre entraîneur expliquer à nouveau la dernière technique sans m’en soucier réellement. Je l’avais bien comprise, cette prise. Ezea semblait sincère, dans ses excuses. Mais il était toujours plus aisé de s’excuser après coup. Tatie Lucie s’excusait régulièrement de piquer la bouffe de son Jules, mais ça ne l’empêchait pas de recommencer. Encore, et encore, et encore. J’ai donc hoché la tête, petitement, toute prête à pardonner sans oublier. Henry m’aurait sans doute fait la même chose en rigolant et sans chercher à s’excuser. La sincérité et la repentance de ma coéquipière était probablement mieux que la majorité des gens, dans ce clan.

- Il est trop tard pour changer de coéquipier, aujourd’hui. ..Et t’inquiète, t’es pas la seule à vouloir briller.

Je désignai vaguement l’espace où plusieurs de nos confrères claniques s’adonnaient à telle ou telle prise. J’esquissais malgré moi un sourire en voyant quelques visages connus se donner à la tâche, ou encore minimiser les efforts en espérant ne pas être grillés. Même en fouillant les membres des yeux, je ne retraçais pas encore Henry. Une pointe de culpabilité me montait au nez; j’espérais le voir en compagnie d’un membre plus entraîné que lui, le voir en mauvaise posture, lui aussi. Question que je ne sois pas la seule à morfler, aujourd’hui.

- Si tu veux aller t’entraîner avec une autre, je comprendrais. J’ai souvent l’habitude de me retrouver seule, de toute manière.

Elle m’avait extirpé de mon inspection des autres duo. Je revenais tout naturellement vers elle sous un haussement d’épaules léger, preuve que mon muscle s’était rétabli. J’évitais de relever sa dernière phrase; je ne la connaissais pas personnellement, mais je doutais fortement que les aspirants soient seuls. Du moins, bien moins que pouvais l’être les soumis. Ou même nous, les membres. Elle n’était pas une victime, pas à mes yeux.

- Il vaudrait peut-être mieux éviter de s'entraîner ensemble. Je suis juste une membre chair à pâté; même en me mettant au tapis, tu serais pas plus glorieuse. Mais oui, c’est excusé. T’en fais pas.

Je lui ai offert un clin d’oeil de conciliation, l’oeil brillant et la fossette creusée sous mon sourire éternel. Sans rancune, pour vrai. Par contre, je me suis éloignée d’elle, d’un pas ou deux, en patientant le coup de sifflet qui ne manquerait pas d’arriver. Je ne faisais rien pour soulever la conversation, mais je ne faisais rien pour la quitter plus tôt que prévu non plus. J’avais seulement hâte de partir.