I want to be confused with you

Jour 10 - Fin de la matinée

« Quoi ?! » J’avais perdu mon sang-froid. C’était si rare. J’étais calme et posé de nature. Je n’avais même pas besoin de me contrôler pour ça, pourtant. Alors, je me pressais. C’était bien la première fois que je me dépêchais de sortir du territoire. Pas qu’en temps normal je me sente si bien dans cette enceinte, seulement, je devais faire attention. Attention à elle et à ses sorties. Je devais la couvrir. C’était un devoir que je m’étais donné. Personne ne me l’avait imposé. Ça s’était imposé tout naturellement à mon cœur. Je l’appréciais beaucoup cette boule d’énergie, cette fille si différente des autres, si semblable à moi et pourtant beaucoup plus forte. Mon sang n’avait fait qu’un tour pour cette fille. Je n’avais pas réfléchi à mes actes, pas cette fois. C’était plus fort que moi. De nature réfléchi et couard, je serais resté en règle générale. Je me découvris soudain une force qui dépassait la raison. Une raison dictée par un muscle que je ne connaissais pas suffisamment, pas à ce niveau-là, tout du moins. On m’avait raconté pour la petite blonde, pour les coups qu’elle s’était ramassé à cause de cet abruti. Je ne l’avais certainement pas encore suffisamment entraîné. Je me jurais que la prochaine fois que je le verrai, il regretterait clairement son geste. Qu’il ait commencé ou non, qu’il ait gagné ou non. Pour une fois, j’étais heureux d’être une Fine Lame et d’avoir été entraîné à le devenir. Les trucs et astuces allaient pouvoir me servir. Je ne me retiendrais pas. Je sentais déjà le besoin de cogner quelque chose. Je suis solaire. Je suis gentil. Je suis discret. Alors d’où me vient ce besoin d’en découdre ? J’espérais pour lui qu’on ne se recroiserait pas de sitôt sinon il risquait gros. Je m’étais retenu trop longtemps. Je ne frappais Thalia que doucement et pour ne pas perdre ce seul échange qu’il nous restait désormais. Je n’étais plus un simple spectateur. Je n’allais plus rester bien longtemps un lion passif, dominé. Non, le lion dominant se réveillait doucement.

Sur le chemin, je shootais dans tout ce qui se trouvait dans mon chemin. Oui, la tension était palpable. C’était déroutant, pour moi en premier. Je n’avais jamais été aussi énervé. J’avais sûrement été trop longtemps passif et muet. Je voulais qu’elle se débrouille seule, que ce soit elle qui lui en colle une parce que autrement ça la desservirait. C’était bien parti d’un bon principe. Seulement, je m’en voulais de nouveau. Je m’en voulais plus que jamais. Je ne m’étais même jamais autant inquiété pour ma propre sœur. Je ne me l’expliquais pas. Comme je ne m’expliquais pas cette vitesse : il m’avait fallu beaucoup moins de temps que d’habitude pour rejoindre le centre hospitalier dans le centre neutre. J’avais demandé pour la rejoindre et vu ma tête, on m’avait indiqué sans plus attendre la chambre dans laquelle elle attendait le signal pour s’en aller. « Louise ! » J’étais face à elle après avoir enfoncé dans un fracas la porte. Ma rage et mon inquiétude s’étaient envolés aussitôt que je lui eus fait face. Ils avaient laissé place à un sentiment étrange : mes mains étaient moites, mon cœur battait la chamade et je n’osais même pas la regarder. Tout d’un coup, je me sentais petit, beaucoup plus petit qu’elle. Je n’avais pas honte. Je n’osais tout simplement pas la regarder dans les yeux je ne sais pour quelle raison. J’étais même rouge. Ce que j’avais l’air intelligent d’un coup ! « Tu vas bien ? On m’a raconté pour Henry. Je lui ferai regretter son geste. » Voilà que je jouais à l’amoureux transi et timide. C’était étrange. Je parlais, j’avouais déjà indirectement que je tenais fort à elle. Même la dernière fois, après le bûcher funéraire, je n’avais pas été aussi loin. Comment expliquer ce soudain courage ?

J’avais soif. Très soif. J’avais donc glissé mon sac sur mon épaule et ma dague à mon flanc avant de m’approcher de la porte pour voler une gourde d’eau puis détaller de l’établissement clandestinement lorsqu’elle s’est ouverte à la volée. Les yeux grands, j’avais craint que Chanel ne se trouve devant moi pour me gaver d’un sermon sur l’importance des soins. Franchement, elle avait déjà eu du culot de me retenir ici contre mon gré pendant tout ce temps, et je comptais bien lui dire de bosser un peu plus sur la découverte d’un médicament miracle contre les connards comme Henry, plutôt que de surveiller les honnêtes membres façon Finn devant la moindre parcelle de peau féminine. J’avais eu un mal de tête terrible qui avait résonné jusqu’à ma mâchoire, mais je m’étais rapidement habituée à la douleur et après quelques temps, seulement, mon mal s’était dissipé comme par enchantement. Chanel affirmait qu’il s’agissait du résultat de ses médicaments miracles. Je croyais plutôt à mon endurance à la douleur. Divergence d’opinion. Au centre de soins, c’était toujours les médecins qui avaient raison. J’étais donc toute disposée à filer en douce pour prouver mon point.

Seulement, ce n’était pas Chanel. C’était Icare. J’avais papillonné les cils un moment en me disant que, tout compte fait, ma soigneuse avait craint à raison les hallucinations ou la fièvre. Lorsqu’il a pris parole pour m’expliquer combien Henry risquait gros, l’ombre d’un sourire s’est profilé sur mes lèvres. Non seulement je ne délirais pas, mais en plus, j’avais droit à une visite d’Icare. Un Icare qui se souciait de mon état. Mon coeur s’est emballé instantanément. Il battait désormais si fort que je pouvais le ressentir pulser contre ma gorge endolorie. J’ignorais avec superbe la douleur vague et diffuse qui se réveillait pour savourer, plutôt, l’apparition soudaine de mon Dragon.

-Ça va, je te jure. Ils dramatisent.

C’était probablement le cas. Et je ne voulais pas qu’il nourrisse cet état d’angoisse par ma faute, bien qu’une petite voix en moi murmurait qu’il était grisant d’être son centre d’attention, même si je devais être blessée pour ça. Je comprenais sans doute un peu mieux les adolescentes qui jouaient aux victimes pour obtenir l’attention des autres. C’était puéril, c’était honteux, mais… Il m’a fallu quelques interminables secondes pour sourire totalement, tellement j’étais surprise et émue de le voir se déplacer pour moi.

-Ils disent que Henry n’a pas osé se pointer ici.

J’avais probablement tort de remettre cet abruti sur le tapis. Je risquais d’enflammer totalement Icare, mais je m’inquiétais un peu malgré moi de mon némesis. J’avais causé de lourds dommages à sa main et il risquait de ne jamais évoluer chez les Dragons par ma faute. Encore moins s’il s’entêtait à ne pas venir au centre de soins; elle pouvait très certainement s’infecter. J’ai haussé les épaules tout en m’arrachant un très léger rictus, rien de méchant, mais la douleur à mon cou m’élançait toujours un peu plus depuis l’arrivée d’Icare. Il me mettait dans tout mes états, et je peinais à réfléchir normalement. Tout se bousculait, dans mon esprit.

-Il a pris cher, je t’assure. Mais c'était mérité.

J’abaissais le museau pour me soustraire de son regard de furie. Il semblait furieux, en plus d’être inquiet. D’une part, j’étais fière de moi, d’avoir pu me débrouiller toute seule, entièrement seule, et de m’être relevée de cette attaque soudaine et violente avec si peu de dégât. J’avais bien assimilée ce qu’Icare m’avait enseigné jusqu’à présent, et j’étais probablement digne de mon clan pour la première fois de ma vie. D’un autre côté, d’un point de vue purement humain, je craignais grave. J’aurais pu simplement fuir jusqu’à la citerne. Plus légère et plus rapide que Henry, je l’aurais semé en trois battements de cils. Il était un peu tard pour les remords, et malgré mes reproches, j’avais pleinement conscience qu’il l’avait cherché. Amplement mérité. Et que si j’étais désormais capable de me défendre aussi férocement, j’avais également la responsabilité d’utiliser ma force à bon escient.

Il fallait que je calme. Il fallait que je relâche la pression. Oui, il le fallait mais je n’y arrivais pas. Pourtant, je le voyais sous mes yeux que Louise n’allait pas si mal que ça. C’était sûrement plus de la prudence qu’autre chose. Alors, c’était vrai : c’était Henry qui avait pris cher et c’était elle qui avait pu le remettre à sa place. Pas que je n’y croyais pas, loin de moi ces préjugés. Seulement, Louise n’était pas ça. Elle n’avait jamais massacré quelqu’un par pur plaisir, ni avec raisons, en fait. Oh, je ne regrettais pas ce changement. C’était tout simplement surprenant, surtout pour quelqu’un comme moi qui la connaissais quand même beaucoup mieux que d’autres. En fait, j’étais même plutôt content. Elle m’avait prouvé qu’elle pouvait se défendre seule devant le pire des abrutis. Elle nous l’avait prouvé à tous, même. Ce n’était pas rien de la part d’une Membre chair à pâtée qui pouvait être vue comme un électron libre des Dragons, comme une erreur dans un clan d’horreur. Tout ça sans devenir un monstre elle-même. J’étais certain que ce n’était pas elle qui avait démarré cette bagarre. Je croyais en elle mais savoir qu’elle l’avait fait, pouvoir le voir de mes propres yeux, c’était encore toute autre chose, un cran au-dessus.

Il y avait indubitablement toutes les raisons pour que je me calme mais ce qu’on avait dit me brouillait encore le cerveau. J’étais encore trop énervé. Je n’avais pas encore pu dépasser cette angoisse qui m’avait animé jusqu’à lui faire face. Le fait qu’elle cherche à me raisonner prouvait que j’exagérais mais c’était plus fort que moi. J’avais finalement plus peur pour elle que pour ma propre sœur. Elle était devenue bien plus important que la jeune fille lunaire. Le soleil attire inexorablement le soleil, pas la lune. Seule Louise parvenait à trouver cet éclat enfoui depuis trop longtemps en moi. Seule cette petite blonde était capable de faire ressortir le meilleur de moi. Et maintenant, le pire. Je n’avais jamais juré de défoncer même un Dragon aussi stupide que Henry jusque-là. Oui, la Membre avait un véritable effet sur moi. Je doutais que ce soit calculé, c’était encore plus magique. « Tu es sûre que tout va bien ? Tu sais, on a dit tellement de choses au sujet de votre… bagarre. » Ce mot me paraissait encore bizarre mais c’était bien le cas. Une bagarre qui concernait la jeune fille.

Le plus étrange dans tout ça, c’était ce sentiment qui naquit en moi : je lui trouvais un charme dans cette attitude de guerrière, de vraie Dragonne, de bagarreuse désinvolte. Pourtant, ce qui m’avait plu en premier lieu chez elle, c’était cette divergence, cette opposition claire au Dragon stéréotypé. Finalement, cette pensée eut le don de me calmer, pas complètement mais déjà partiellement. « Tu sais que t’imaginer en train de le cogner me rend particulièrement heureux et plus encore ? » Je venais bien de lui dire ça, moi ? Les hormones ? Oui et non. C’était vraiment… incompréhensible. D’ailleurs, je rougissais déjà. Ce que j’avais l’air pathétique. Je suis une Fine Lame et pourtant, j’ai l’air d’un amoureux transi. Elle avait tout de suite beaucoup plus de crédibilité que moi. J’étais encore à une distance raisonnable d’elle, heureusement. Sinon, je crois que j’aurais déjà fondu. J’en oubliais même de critiquer Henry. Cela ne m’empêcherait pas de tenir ma promesse. Je comptais bien lui défoncer la figure pour l’erreur, l’énorme erreur qu’il avait commise.

Si je désirais plus que tout quitter la chambre, deux minutes plus tôt, c'était désormais tout l’inverse. Ou du moins, je ne désirais plus partir si je devais le faire sans lui. Et comme il semblait déterminé à rester, je l'étais aussi. Il m’était presque douloureux de le voir là, comme ça, devant moi. Non seulement les battements de mon coeur ne se calmaient pas, mais en plus, un petit pincement se formait dans mon ventre. J’avais envie de reposer ma main sur son bras, j’avais envie de l’enserrer très fort. Et cette envie était si puissante, si enivrante, que l’ignorer et ne pas m’y abandonner me faisait mal, là, dans mon ventre. Mais c’était une douleur agréable, semblable à celle de l’ivresse. Je la ressentais de plus en plus souvent, en sa compagnie.

Je tentai de faire taire cette pulsion et de me recentrer sur les paroles d’Icare. Il hésita un moment avant de qualifier ma petite altercation avec Henry de “bagarre”, mais ce n’était pas ça qui me fit écarquiller les yeux. Les nouvelles allaient tellement vite, c’était incroyable! L’idée que les amis de Henry l’apprennent et veuillent se venger m’effleura l’esprit un bref moment. Icare et Giovanni semblaient à déjà cran. Je n’osais même pas imaginer dans quel état se trouvait Orion. Ils avaient intérêt à se tenir tranquille pour un moment, car la menace était bien plus grande que ma petite personne. Je n’arrivais pas à trouver la situation dramatique.

- On parle déjà du combat? De Henry et moi..? Tu crois que je pourrais demander des rations en échange d’une description du combat?

Je fis mine de réfléchir, index sur les lèvres et sourcils froncés. Mon but était surtout de faire rire Icare. Ou au moins de le faire sourire. Il ne méritait pas d’être tendu par ma faute, ni d’être inquiet pour un petit règlement de compte avec un bouseux comme Henry. Sa réplique m’arracha à ma mimique alors que je gloussais. Si j'avais été une véritable dragonne la veille au soir, je fondais presque en l’entendant affirmer qu’il était heureux de ce que j’avais fait. Et plus encore. Plus encore. Je toussota sous la douleur que provoqua mon rire, même léger, puis hésita à lever ma main pour la lui offrir. J’avais peur qu’il sente combien mon coeur était léger et heureux, combien il faisait du zèle sur les battements, s’il touchait ma main. Car de mon point de vue, j’étais euphorique. J’étais profondément heureuse de le savoir là rien que pour moi. Et chaque parcelle de mon corps supportait difficilement les bonds que créait mon petit coeur, dans ma poitrine.

- Si tu m’aides à sortir d’ici, je te serai reconnaissante. Et plus encore.

Un fin sourire ne me quittait plus, alors que les mots s’étaient échappés de mes lèvres. Ils étaient sans doute tendancieux mais Icare avait fait de même à l’instant. Et j’avais déterminé, quelques jours plus tôt, lors du bûcher funéraire, qu’il était de mon ressort de prendre l’initiative pour sortir de cette relation ambigue. Je regrettais presque de ne pas lui avoir tendu la main, quelques secondes plus tôt. Je fis quelques pas pour réduire la distance nous séparant à néant, le temps de m’imprégner de son odeur, puis le contourna pour rejoindre la porte. L’inconfort à ma gorge, était loin d’occuper mes pensées, à présent. Icare était le meilleur remède qui soit, pour moi.

- Chanel risque de revenir, on devrait faire rapidement… Soit la porte, soit la fenêtre.

Louise semblait vraiment bien vivre la chose. Tant mieux. Enfin, c’est ce que je me disais pour me calmer au moins un peu. Mon sang n’avait fait qu’un tour quand j’avais appris pour son état et j’étais prêt à taper sur le premier Membre qui me vexait. Ce n’était pas moi. A croire que je devenais violent quand on touchait à la jeune blonde. Il n’y a rien à faire, plus le temps passait plus je réalisais la place qu’elle prenait vraiment, en fin de compte. Et étrangement, cette fois, je me sentais presque pousser des ailes. Je la trouvais constamment belle et attirante mais là, c’était encore plus que ça. Je ne savais pas si j’avais un problème d’hormones ou si c’était logique mais le fait est que ça prenait beaucoup plus d’ampleur et soudainement. Certes, je pensais à lui dire ce que je pensais depuis ce baiser loupé lors de la nuit du bûcher funéraire. Et d’habitude, ça restait au stade de pulsion que je parvenais à mettre de côté mais pas là. Et vu qu’elle parvenait à détendre l’atmosphère, comme toujours en fait, je continuais de pomper du courage. Pour une fois que je me reconnaissais ce courage, autant en profiter, non ? Ce serait dommage de laisser retomber le soufflé, surtout là, alors qu’on était si proches. « Vois peut-être directement avec le principal concerné… Oh, pardon, il a dû perdre le peu de tête qui lui restait. Pour sa défense, on raconte que la blonde qui se battait était particulièrement acharnée. » Ça aurait pu être reproche mais ça ne l’était pas. Il n’y a rien à faire, je trouvais vraiment ça sexy, pour une fois. Peut-être parce que c’était elle, justement.

Elle jouait le jeu à fond, elle aussi, ce fameux jeu de l’ambiguïté qui, à mon sens, faisait vraiment penser à un jeu de séduction. Ce n’était pourtant pas notre marque de fabrique. C’était même tout le contraire. On n’avait jamais été ce genre de Dragons. On n’avait jamais été ce genre de personnes, tout simplement. Ça aurait pu être déstabilisant mais pour le coup, j’étais totalement pris dans ce petit jeu. Alors, quand elle me proposa ce deal, je fonçai. Je n’allais pas perdre une occasion en or dans ce genre. Si je fus envahi d’émotions à l’instant où elle vint se coller à moi, je la serrai le plus doucement possible, juste pour lui faire comprendre que je ne voulais pas la lâcher et que je voulais profiter de ce bref moment magique. Pour faire d’autant plus romantique – je n’ai pas même vu l’idée me passer dans la tête – je fis semblant d’être un espion qui devait s’échapper d’un endroit dangereux et fuir un ennemi : en l’occurrence, c’était Chanel. « La porte, on risquera moins. Reste bien contre moi pour éviter les casses. » C’était pour ça mais pas que, évidemment. « Allez, hop ! Princesse, après toi ! » Ni une ni deux, je la pris par le bras, la pris dans mes bras, comme une princesse. Je pressai le pas, avançant droit devant moi sans me poser de question, cherchant simplement à rejoindre la porte de sortie pour qu’on puisse s’évader. « Ce que c’est excitant de jouer les prisonniers en escapade ! » Je la sentais tout contre moi et je sentais la passion m’envahir toujours plus. Et je posai alors sa tête contre mon torse pour qu’elle comprenne mes sentiments : mon cœur battait la chamade comme jamais.

Lorsqu’il avait posé ses mains sur moi, j’ai cru que la médication de Chanel était debalancée et faisait effet à retardement. Mes jambes étaient soudainement lourdes alors que, pourtant, je me sentais incroyablement légère. Icare l’avait peut-être deviné car il me souleva de terre, comme si de rien, pour me lover contre son torse. Si j’avais voulu m'imprégner de son odeur quelques instants auparavant, j'étais désormais happée par elle. Elle m’enveloppait toute entière. J’avais poussé un petit cri de surprise lorsqu’il m’avait prise contre lui -qui pouvait s'attendre à ce qu’on dragon vous soulève comme une princesse?, puis je m'étais mise à rire, autant pour le rassurer de mon état que pour me convaincre que je ne rêvais pas. Il déambulait dans les couloirs, attirant sur nous quelques regards interrogateurs, amusés ou particulièrement arrogants. À ceux-là, je ne pouvais pas m’empêcher de ricaner, mes lèvres contre l’épaule d’Icare pour cacher mon amusement.

- Tu sais, je peux marcher, hein? Ils m’ont plutôt bien raccomodée, jusqu’à présent.

En avançant l’idée qu’il me pose au sol, j'entourais un peu plus étroitement mon bras derrière sa nuque pour appuyer ma joue tout contre lui. Évidemment, c’était pour la forme et probablement un peu pour sauver mon honneur que je lui proposais de me lâcher. Cela dit, la vérité était toute autre. Ce qui expliquait sans doute les signaux contradictoires que je lui envoyais. Mon oreille contre son torse, mon bonheur sur le bout des lèvres, je me laissais bercer un moment par les battements de son coeur. Il était affolé. Je relevais mon regard sur lui pour évaluer son état. Il ne semblait ni soucieux, ni inquiet, seulement joueur et amusé, un peu comme je l’étais. Quelque part, j’étais soulagée et heureuse de voir Icare aussi léger, se relâcher autant, malgré toute cette histoire. Peut-être était-il un peu nerveux de se faire prendre à voler une patiente..?  Je cherchais à le rassurer en soulevant un peu mon minois, non sans une grimace douloureuse pour ma gorge tendue, afin de lui murmurer, à l’oreille :

- Je vais leur dire que ma vie me réclame, si on nous arrête. Ça leur coupera le sifflet!

On y était presque, à la porte de sortie, lorsque j’ai perçu le visage incrédule de Chanel dans l’aire d’attente. Elle parlait avec un collègue ou un blessé et s’est arrêtée en me voyant dans les bras d’Icare, les jambes pointées, irradiant littéralement de bonheur. De la main, je la saluais alors que je l’implorais des yeux de me laisser me faire enlever. Depuis le temps que je lui parlais du spécialiste…!  Encore une fois, l’existence de la télépathie relevait de la fiction. Non seulement Chanel s’est approchée de nous, mais en plus, elle entraînait l’homme à ses côtés. J’avais au moins la réponse à l’une de mes questions; il ne s’agissait pas d’un patient, mais bien d’un soigneur. D’un côté, je me disais que mon amie s’inquiétait pour moi et que c’était adorable, mais de l’autre, je craignais qu’elle me prive d’une rare percée de la part d’Icare.

- Vite..! Elle nous rattrape!

Je me recroquevillais un peu entre les bras tendus de mon sauveur, repliant les jambes pour mieux nous permettre de passer la porte. Je rentrais la tête dans mes épaules, la gardant une fois encore tout contre lui. Ce n’est que lorsque les rayons du soleil m’ont aveuglé que je me suis mise à gigoter pour rejoindre le sol. À la course, nous aurions toutes nos chances de fuir définitivement le centre de soins. Je n’avais même plus à l’esprit de rejoindre la citerne pour continuer mon tour de garde. De toutes manières, Chanel avait fait en sorte qu’on me remplace. Non, je n’avais qu’une idée en tête, c’était de nous trouver un coin tranquille, avec Icare, pour profiter du petit matin, voire de la journée entière.

Je n’étais pas décidé à la lâcher. Pas maintenant que j’avais trouvé ce courage en moi, un courage inattendu. Un courage insoupçonné, même. Et puis, j’étais fier. J’étais fier de la porter de la sorte alors qu’elle avait besoin de se reposer tout en espérant de sortir de cette chambre dans laquelle elle étouffait. Le cri qu’elle avait poussé me fit sourire et je ne m’inquiétai pas une seule seconde. Après tout, je la sentais contre moi et je l’aurais du coup vite remarqué si elle était en train de souffrir de quoi que ce soit. Je pouvais donc marcher sans me soucier de qui que ce soit à part elle et moi, mais je n’étais pas aussi important qu’elle. Je ne remarquais ni les regards des curieux, ni ceux des rageurs. De temps à autre, je jetais un coup d’œil en direction de la belle blonde qui resta muette un bon moment. J’espérais secrètement qu’elle ne l’était pas parce que ça la dérangeait. Non… Après tout, elle s’accrochait à moi, elle aussi. Elle devait simplement être paumée. Comme je l’étais depuis ce matin. Enfin, elle se décida à casser ce silence. Pas que ça me dérangeait, loin de là. Ce silence ajoutait presque une touche de romantisme. Seulement, le fait qu’elle parle rendait ça plus vrai et c’était ce qui me manquait pour me prouver que j’agissais de la sorte, pour une fois. « Je pourrais te lâcher mais je suis déjà devenu accro à ce contact, celui de ta tête contre mon torse. » Ça pouvait paraître mielleux et bateau comme réflexion mais c’était la vérité. Je ne voulais plus la lâcher. C’était bon. C’était relaxant. Et j’avais bien besoin de ça après avoir reçu l’information inquiétante à son sujet un peu plus tôt. « Je crois que je ne pourrai plus jamais me passer de toi après ça. » Comme si ce n’était pas déjà le cas avant. Ces mots-là, je les avais murmurés à la princesse du jour, une fois ma tête rapprochée de la sienne, avant de la relever pour ne pas perdre mon chemin, au passage.

Elle était parfaite dans le rôle de partenaire de crime. Notre petite escapade m’amusait encore plus quand je réalisais qu’elle jouait le jeu à fond. Je souris, souffrant beaucoup moins qu’elle, et rigolai même. Ce devait bien être la première fois qu’elle m’entendait rire de la sorte. Il faut dire que les occasions n’étaient pas régulières. Et j’étais devenu terne depuis le temps. Vraiment, cette journée était particulière. « Ils sont coriaces mais je suppose que ça peut marcher, même avec des gens qui nous piquent et nous brûlent la peau. » Je disais ça mais je respectais vraiment les Soigneurs et les Infirmiers en tout genre. Je la maintenais autant que je le pouvais et n’avais même pas l’impression de souffrir. Il faut dire que Louise n’était pas lourde pour un sou. J’avais ce regard plein de malice alors que je continuais d’avancer franchement dans ce long couloir. Jusqu’à ce qu’on ne tombe sur Chanel et un autre Soigneur décidé à nous poursuivre. Je zigzaguai en les voyant foncer sur nous, direction la sortie de l’hôpital. Nous devions nous éclipser à tout prix. Il n’était pas question que je lui fasse faux bond maintenant. Une fois sortis, j’avais dans l’idée de la serrer davantage pour courir mais elle en avait décidé autrement. Elle s’était échappée de mon emprise pour, sans doute, me permettre d’aller encore plus vite. Tant pis, qu’à cela ne tienne si elle était déterminée. Je lui pris donc la main, l’attirant avec moi dans un coin de ruines, une fois que nous nous étions suffisamment éloignés de la zone hospitalière. Là, nous pourrions respirer un bon coup. Nous étions suffisamment cachés. « Sauvés. » Je reprenais mon souffle tout en observant les environs. J'en oubliais presque que je lui tenais toujours la main. Le centre neutre aussi calme me faisait par contre froid dans le dos. Il faut dire que la Traque était encore récente.