Je n’avais pas forcément une bonne image des hommes, sans pour autant être totalement radicale à leur sujet. Je pouvais concevoir que certains étaient bons, corrects et même parfois de bons combattants. Néanmoins, j’adhérais facilement aux propos de James concernant ces mâles. Ils ont toujours été faibles ; ils ne se contrôlaient pas, ne contrôlaient pas leurs pulsions les plus malsaines et pouvaient se montrer particulièrement lâches. Mon image masculine par excellence avait sans aucun doute biaisé mon jugement mais il ne fallait pas chercher très loin pour confirmer celui de la Membre qui m’aidait à ce moment précis. Alors, je préférais me dire qu’on avait eu bien raison de les laisser à leur place de Soumis. Je n’étais pas près de prendre la défense de cet idiot, de toute façon. Il devait s’y faire et surtout s’y attendre. Il était particulièrement lourd pour un mâle. Avec une face de rat, en plus. James parvenait à faire ressortir les sentiments les plus hargneux qui dormaient en moi. Oh non, elle ne m’influençait pas tant que ça. Je ne suis pas si faible. C’était simplement comme si en sa présence, je me rappelais que j’avais ça en moi. « En plus de ça, ils font preuve de si peu de dignité. Lui en particulier. » C’était direct et peut-être un poil froid mais j’avais retrouvé en lui ce que j’avais toujours détesté chez mon père : de la lâcheté, de l’arrogance et de la faiblesse au final. J’avais dit cela tout en le fixant alors qu’il criait. Il le méritait. Je n’allais pas me montrer faible. Il le méritait franchement.

« Comme je le disais, il n’a jamais été très intelligent mais là, c’était différent. Il me tournait autour, tel un prédateur autour de sa proie. Il n’avait la moindre inhibition au niveau des gestes et des mots. Il avait l’air encore plus assuré que d’habitude. Il a dit des choses qu’il n’aurait jamais dites même face à moi. Il a eu des gestes très maladroits qui pourraient lui coûter cher quand il les a vis-à-vis d’une Membre. » J’avais décrit du mieux que je le pouvais. Heureusement que j’étais suffisamment observatrice. Je me mordrais les doigts si ce n’était pas suffisant pour James. Je pouvais encore faire mes preuves auprès du clan même si mon Test datait maintenant d’il y a un an. Je connaissais mes points forts et c’était mon point fort en particulier. « Une histoire de phéromones ou ça n’a absolument rien à voir ? » Si elle refusait de m’en parler, je la voyais mal se forcer. Non, James n’est pas de celles qui y vont par quatre chemins. Elle est très franche, très directe. Lorsqu’elle m’invita à me défouler à mon tour, j’acceptai l’invitation sans hésitation. Une gifle, puis je lui pinçai le bras. Je m’assurai qu’il m’observait pendant ce petit moment de défoulement. Je lui sectionnai finalement les joues de mes ongles. Je n’avais jamais eu l’occasion de me rabattre sur un Soumis mais lui, il le méritait amplement. Je le savais. « Merci encore, ça fait un bien fou. » Je me tournai vers elle, tout sourire, après avoir pu souffler un coup.

J’avais bien remarqué que James était perdue ailleurs pendant un bon moment. Elle devait réfléchir à cette erreur, à ce qui n’allait pas dans ce nouveau poison. Je n’allais certainement pas me vexer pour si peu. En plus, elle avait écouté avec beaucoup de respect ce que je lui donnais comme détails de mon observation. Je réalisais cette fois que mon opinion et mes observations étaient pris en compte et c’était tout ce que je demandais en fin de compte. Je n’en demandais pas plus. Quand elle réagit enfin, je la vis sourire et je me détendis davantage. Apparemment, je n’avais pas dit de bêtise. En tout cas, c’est comme ça que j’avais interprété sa réponse non verbale. C’était un véritable sourire, pas l’un de ceux que l’on offre en faux-semblant pour avoir ce que l’on veut. De toute façon, de ce qu’on disait au sujet de la Membre, ce n’était pas son genre de faire semblant. Elle était plutôt franche. D’ailleurs, elle confirma la chose. Une réelle discussion avec une autre Membre, ça faisait un bien fou. Je n’étais pas reléguée au second plan parce que je n’étais pas de celles qui ne savaient que donner des coups de poings. Ce qui ressembla finalement à un compliment me réchauffa à nouveau le cœur et augmentait encore un peu plus mon estime de soi. J’avais le sentiment qu’elle n’était pas forcément généreuse au niveau des compliments ou du moins qu’elle était exigeante, surtout en ce qui concerne le poison, spécialité de sa famille. Alors, forcément, ça donnait du baume au cœur. « Merci. » Après tout, James était mon aînée et je la voyais comme une Membre exceptionnelle. Alors, j’avais l’air d’une cadette timide et admirative quand je la remerciai. Ça venait du fond du cœur, c’est le moins qu’on puisse dire.

La question qu’elle me posa par la suite ne me surprit pas le moins du monde. Ce n’était pas donné à tout le monde d’en connaître même un minimum au sujet des poisons. Je n’avais rien à cacher à la jeune femme. « Ça fait un moment que j’essaie de mettre à profit mes capacités d’observation, en plus d’être curieuse, et je me suis tournée vers l’infirmière qui est ta sœur il me semble. Je m’étais dit qu’elle devait en utiliser plus ou moins régulièrement alors que j’en ai profité lors d’une de mes visites à l’infirmerie. » Je ne voulais pas l’embêter avec les détails de ma visite. Et pour une Membre, ça n’avait rien de surprenant d’y aller de temps à autre. Alors, je hochai tout simplement la tête. « C’est gentil. Je crois que je viendrai volontiers pour en apprendre davantage. » Et pour assouvir mon besoin d’en apprendre toujours davantage.

HJ:

James ne fut qu'à moitié étonnée d'apprendre que Rose tenait certaines de ses connaissances de Charlotte. A vrai dire, elle ne l'était pas du tout. Sa sœur avait toujours eu la discussion facile. Même avec les personnes comme Rose. Surtout avec les personnes comme Rose. Charlotte avait toujours été d'une nature attentive et attentionnée, quelles que soient ses interlocutrices. Elle devait sans doute avoir repéré le potentiel de la jeune femme depuis belle lurette, s'être rendu compte du gâchis tout aussi vite. « Il serait temps que d'autres personnes mettent leurs capacités d'observation à profit. », lâcha-t-elle plus à son adresse qu'à la rousse. La blonde avait ses opinions, parfois tranchées, elle ne les criait pas pour autant sur tous les toits. L'hypocrisie était une corde de son arc qu'elle cultivait. Et elle avait beau ne pas apprécier la tenue du clan, elle n'était pas assez idiote que pour les afficher au vu et au su de tous. James doutait qu'Annabella, puisqu'elle était la première visée, ait un quelconque sens de l'observation. Le contraire tiendrait du miracle. Si leur chef faisait preuve de plus de sagesse, elle ouvrirait les yeux sur les réalités de ses troupes. Elle se rendrait compte de l'inégalité primaire qui régissait ses rangs. Que son comportement ternissait l'image des vipères, détruisait ses racines ne les faisant apparaître que comme le clan opposé à la médiocrité du clan des aigles, le clan des hommes. Et les vipères valaient bien plus que cela. Elle pouvait allier la force à l'intelligence. Pour cela, il fallait tourner le projecteur vers toutes les Rose du clan, leur donner l'attention et le crédit nécessaire pour qu'elles s'épanouissent et aident à pousser le clan vers l'avant. « Enfin...Continue comme ça. Le clan a besoin d'esprit affûté. », lui dit-elle, certaine du potentiel de la jeune membre. « Elles finiront par s'en rendre compte quand toutes les Katarina du clan l'auront déshonoré », ajouta-t-elle dans un murmure, le mépris le plus total baignant ses traits. Elle avait une nouvelle fois étouffé sa voix, un peu moins tout du moins, son mépris pour la brune étant connu de tous. Se souvenant de la présence du soumis, elle le força à se remettre sur pieds, le tirant en arrière.  « Je ferai mieux d'y aller. Il ne faudrait pas que cet idiot pense pouvoir échapper à sa punition. Excuse-moi pour le dérangement et merci encore pour tes observations. Ce fut un plaisir. », finit-elle, l'un de ses rares sourires sincères étirant ses lèvres.

J’avais réellement le sentiment d’être respectée par mon aînée et c’était quelque chose de particulièrement réchauffant et reboostant. Je me rendais bien compte de la chance que j’avais eue en la rencontrant ce jour-là précisément, même si ce qui m’était arrivé était quelque part de sa faute. Ce n’était qu’un détail. En tout cas, je la respectais davantage encore. Elle était consciente de la réalité actuelle du clan, en plus d’être aussi douée pour l’observation que moi. Pendant un certain laps de temps, j’en oubliais totalement l’homme complètement dépravé qui m’avait approché quelques instants avant. J’étais trop concentrée sur James et sur ce qu’elle disait. J’étais entièrement d’accord avec sa réflexion. Je le pensais depuis longtemps déjà. Mais j’avais appris à me taire malgré moi, à cause des coups, à cause des regards, à cause de la différence qui me rendait presque marginale aux yeux de beaucoup de Vipères. Si je parvenais à survivre seule, dans mes délires, avec Théa qui me soutenait, je n’aimais pas être mise de côté pour autant. « Je ne veux blâmer personne mais ce serait beaucoup plus simple pour le clan si l’intelligence avait autant sa place que les aptitudes plus physiques. » En disant cela, j’eus un déclic et je souris en imaginant cette même discussion longtemps avant avec Théa. C’était rassurant de voir que je pouvais échanger de cette façon avec une autre Vipère.

Plus encore, je rougis quand elle me complimenta. Parce que, oui, pour moi, on complimentait quand on incitait à continuer sur sa lancée. J’avais peut-être l’air d’une enfant mais j’avais toujours un peu de mal avec les compliments. J’avais toujours réagi de la même façon avec ma mère, Théa et tous ceux qui osaient faire des éloges à mon sujet. « Merci de me faire confiance. » Je hochai la tête, tout sourire, telle une enfant qui venait d’être réconfortée par une grande sœur ou une maman. J’avais envie de la rendre fière. C’était souvent le cas. En même temps, quand on n’est pas habitué à ça… Je rigolai spontanément en entendant son allusion à Katarina et ses habitudes plutôt… légères. Je ne relevai pas mais j’étais drôlement amusée par cette nouvelle façon de résumer un comportement inapproprié, surtout pour une Membre. Quand elle se décida finalement à y aller, je préférai ne pas la retenir davantage. Elle devait sans doute terminer son travail au laboratoire et ce n’était pas dans mon intérêt, ni celui du clan que de l’empêcher de faire tourner cette part névralgique du clan. « Ne t’en fais pas. C’est déjà oublié. Bon courage, en tout cas. Et merci pour tout ce que tu fais pour le clan. » Ce n’était peut-être pas pour le clan qu’elle le faisait ou en tout cas pas pour tout le clan mais elle faisait tout de même du beau boulot. Après quoi, je tournai les talons et repartis de mon côté, sûrement pour retourner chez moi.