I had not noticed this feeling before

Jour 10 - fin de matinée

« Bien, j’y vais de ce pas. »

Des bruits de pas retentissaient dans les couloirs du quartier général. C’était mes pas. J’avançais franchement. Aucune hésitation ne me perturbait actuellement. Je savais où j’allais et je savais, forcément, qui j’allais retrouver. Je connaissais également la raison qui m’avait poussée à franchir la porte de cet endroit pourtant interdit aux Soumis. Cette raison avait le nom de Jayden. Ce Second était chouette, un peu fourbe mais on s’entendait plutôt bien. Encore un qui n’en avait cure de mon statut de Soumise, apparemment. Le plus drôle, c’est qu’avec lui, je n’avais eu besoin d’aucune ruse pour l’approcher. Il n’avait pas bêtement peur de moi ou de mes seringues et il ne me donnait pas l’impression d’être hautain en ma présence. Je me trompais peut-être mais il me semblait clean. C’était déjà ça. J’imaginais bien, quelque part, qu’il avait dû deviner à un moment ou un autre cette situation entre Samuel et moi. Au-delà de ça, j’avais pour réputation d’être une Soumise à part, au-dessus de la mêlée, sans prétention. Disons que j’avais réussi l’impossible pour les Soumises. Cet exploit était celui de me faire respecter par une majorité de personnes jugées « plus importantes » rien que parce qu’elles étaient au moins Membres et que je n’étais qu’une Soumise. Le plus surprenant, c’était sûrement cette relation étrange qui naissait – pour dire ça comme ça – entre Samuel et moi.

En parlant du Chef, c’était lui que j’allais voir. C’était la fin de la matinée et je devais le retrouver dans le salon. En tout cas, c’était ce qu’on m’avait dit à l’entrée du quartier général quand, pour ma défense, j’avais précisé venir sur ordre de Jayden lui-même. Ils devaient donc me laisser passer. De plus, ce n’était pas la première fois qu’ils me voyaient franchir la porte. Depuis la rébellion, j’étais déjà venue prodiguer des soins à notre Chef un peu trop récalcitrant. Cette fois, c’était autre chose. Apparemment, le jeune homme avait besoin de moi. J’imaginais dès lors qu’il avait un problème lié à sa santé, peut-être toujours lié à cet accident lors de la rébellion et de sa petite escapade. Je ne m’avançais pas trop tant que je n’étais pas au courant de tous les détails. Et étrangement, cette fois, je n’étais pas de mauvaise humeur, encore moins énervée. C’était bizarre. J’étais drôlement joyeuse, drôlement gaie. Je me sentais même toute chose, à vrai dire. Pourtant, en règle générale, l’idée seule de devoir le croiser me crispait. Il n’était pas franchement coopérant et il avait tout d’un enfant capricieux. Je comprenais pourquoi il était comme ça, il avait vidé son sac face à moi, il n’y a pas si longtemps. Cela ne l’empêchait pas d’être irritant. Comment expliquer cette légèreté si soudaine ?

Je toquai finalement à la porte, m’annonçant directement après. « C’est Romane. Je viens sur ordre de Jayden. » J’avais hésité un moment à donner son nom dans la discussion mais il m’avait semblé que c’était le meilleur moyen de ne pas me faire remballer avec force, comme il le faisait si bien. Ma voix était beaucoup plus sympathique qu’à l’habitude. J’étais beaucoup plus sereine et il pouvait l’entendre aisément. J’étais même souriante.

Devant la folie qui régnait sur le territoire, Samuel avait choisi la solution la plus logique : il s'était terré dans le quartier général. Depuis l'aube, on ne cessait de lui rapporter des comportements étranges et il avait lui-même subis quelques avances non-appréciées. Il frissonnait encore à l'idée du comportement particulièrement obscène de cette Membre dont il s'était débarrassé d'un coup de poing qu'il ne regrettait vraiment pas. Une fois que tout avait été réglé, il avait donc trouvé le confort d'un lieu où personne ne rentrerait. A part quelques gradés, mais sa confiance en eux n'était pas émoussée. Il se sentait donc plus au moins en sécurité et puisque rien ne tournait rond, il avait décidé de s'offrir une journée de repos. Il n'y aurait rien à faire dans ces conditions. Il était donc installé dans un petit salon, étendu sur un canapé avec les pieds jetés sur l'accoudoir. Son bras était calé derrière sa tête et il feuilletait un livre qu'il avait ramassé dans les affaires de Chad. Il n'avait jamais été un grand lecteur, mais en le voyant, il avait ressenti le besoin de se connecter d'une façon ou d'une autre avec son meilleur ami. Et quoi de mieux que ce qui devait être son bouquin préféré pour ça ? Il aurait eu bien du mal à compter les jours où il l'avait vu sans celui-ci coincé dans la poche de sa veste ou posé sur son bureau. Il lui était difficile de comprendre exactement pourquoi il y était aussi attaché par contre. Il ne comprenait strictement rien à ce truc. Oui, il lisait les mots sans mal et il leur donnait un sens séparément, mais c'était une autre histoire quand il les mettait ensemble. Tout ça ne devait probablement pas être à son niveau, la poésie - s'il avait bien compris - devait être un trip d'intellectuel. Quand on frappa à la porte, il fut assez surpris et devint aussitôt assez méfiant. Il tourna la tête vers la porte, laissant le bouquin reposer sur sa poitrine. Romane... Qu'est-ce qu'elle venait foutre ici ? Ce n'était pas comme s'il avait besoin de soin ou quoi que ce soit. Il avait même été plutôt sage ces derniers temps. Et puis pourquoi venait-elle sur ordre de Jayden ? Intrigué, il décida de passer au-dessus de son appréhension.

- Entre.

Le plus efficace avec elle était d'aller au cœur de la chose. Plus vite il saurait ce qu'elle voulait, plus vite elle partirait. Histoire de bien lui faire comprendre qu'il ne lui prêtait pas trop d'attention, il reprit son livre, mais plutôt que de lire, il l'observa de l'autre côté de la couverture. On ne savait jamais qu'elle soit plus folle qu'à l'accoutumé après avoir été frappée par la même bizarrerie que les autres Dragons.

Il avait mis du temps pour se décider à me faire entrer. Et je sentais dans sa réponse un certain malaise. Oh, je ne pouvais pas l’affirmer mais il n’avait pas l’assurance et la fermeté habituelles. Peut-être était-ce à cause de l’ambiance générale qui régnait sur le territoire. Quelque chose d’étrange et d’inhabituel. De mon côté, j’étais à l’aise. Étrange mais à l’aise, drôlement à l’aise. J’ouvris alors la porte, armé d’un sourire charmeur, j’avançai dans sa direction. Il ne fallut pas franchement longtemps pour que j’éclate d’un rire spontané qui me donna très vite mal à la mâchoire, aux épaules et au ventre. Samuel ne savait décidément pas ruser : il donnait uniquement des impressions de ruse. « Tu es sérieux ? » J’étais franche, comme toujours. De toute manière, il n’y avait que lui dans le salon à ce moment. « Le bouquin, c’est une bonne idée. » J’avais acquiescé d’un signe de tête, haussant les épaules en même temps, alors qu’elles étaient encore douloureuses. « Oui, c’est une bonne idée si on tient ce bouquin dans le bon sens. » Je soulignai mes propos en pointant son livre qui était à l’envers. Il avait dû se presser pour prendre le livre et ainsi éviter de me regarder directement dans les yeux. C’en était presque mignon. Mignon ? Samuel ? Sérieusement ? Qu’est-ce qu’il m’arrivait ? Je secouai rapidement ma tête, histoire de me remettre les idées en place.

Il valait que je me concentre sur lui. Je m’avançai doucement mais sûrement, calculant chaque pas. Lorsque j’arrivai à sa hauteur, je lui arrachai le livre des mains, l’obligeant à me regarder et glissant mon regard jusque dans le sien. « Je te mets mal à l’aise ? » Je n’y allais jamais par quatre chemins. Même si cette fois, c’était encore autre chose. C’était encore plus bizarre. Pourtant, je continuais ce petit jeu. « Même si je te dis que je viens de la part de Jayden, tu doutes de mes intentions ? » Je lui offris un rictus, amusée parce que je savais bien que Jayden ne m’envoyait pas pour des raisons autres que celle d’ennuyer notre Chef. « Détends-toi, je ne t’ai jamais rien fait de mal. » Je ne pouvais évidemment pas me douter qu’il avait vécu quelque chose de dérangeant juste avant. Je ne savais donc pas l’effet que ça lui faisait à l’instant. Je jouai pendant quelques secondes avant son livre, le triturant dans tous les sens. « Il est à toi ? » Une question rhétorique. Pour preuve, je le disposai sur une table à peine plus loin. « Il ne te sera d’aucune utilité. » J’avais susurré ces mots, affichant un nouveau sourire charmeur. Je jouais le prédateur, cette fois. Un véritable jeu de séduction.