And mine are long and sharp,
As long and sharp as yours.
Scénario Jaguar 02 (x)

Les marches grinçaient faiblement sous les pas de la féline qui descendaient avec lenteur vers les profondeurs du QG. Juste derrière elle, une jeune Membre suivait chacun de ses mouvements des yeux comme une improbable garde du corps, mais le léger tremblement de ses lèvres ne laissait planer aucun doute sur l'appréhension qui l'habitait. La fureur qui couvait chez sa Chef était palpable et elle s'appliquait à ne pas la déclencher en s'effaçant au maximum, contrôlant jusqu'au rythme des battements de son cœur de peur que celui de la blonde s'emballe aussi. Ces efforts étaient bien inutiles, c'était à peine si Noâ se souciait de sa présence. Son esprit était pleinement dirigé vers celui qui avait osé se dresser devant elle et il serait le seul à essuyer sa colère. Dédaignant la porte menant aux cellules, elle continua à s'enfoncer dans les caves jusqu'à se retrouver dans la salle d'entraînement. Au milieu de la vaste pièce, tel un mannequin n'attendant que les flèches des archers, Abel était enchaîné. Un frémissement parcouru le corps de la jeune femme et le duvet se hérissa sur sa nuque, mais la fraîcheur souterraine était étrangère à une telle réaction. Elle aurait voulu lui arracher la vie ici-même pour répondre à sa trahison, mais cela aurait été priver son clan de la vengeance qui lui revenait. Cette nuit, c'était la fierté de chaque Jaguar qu'il avait souillé et des cœurs saignaient par sa faute. Les morts qu'il avait semé derrière lui l'emporteraient bien assez vite avec eux, mais avant cela il souffrirait pour chaque blessure qu'il avait ouverte qu'elle soit physique ou morale.

Un sourire trompeur étira ses lèvres alors qu'elle s'arrêtait juste devant le dissident. La tête basse, ses jambes ne soutenant plus son corps, il ne tenait debout que grâce aux entraves qui étiraient ses bras, mimant une croix sur laquelle elle aurait voulu le clouer. Il paraissait insensible à sa présence et elle l'aurait cru inconscient s'il n'y avait pas eu cette arrogance sur ses traits. Croyait-il vraiment qu'il avait encore une quelconque chance de sortir vainqueur de cette révolte ? Sentant la piqûre de la rage lui vriller le ventre, elle frappa du pied l'entrejambe d'Abel en usant de toute sa force. L'homme hoqueta, sa peau passant d'une couleur à l'autre alors qu'il encaissait la douleur sans pouvoir reprendre son souffle. Avec satisfaction, elle planta l'une de ses canines effilées dans sa lèvre inférieure et apprécia le spectacle. S'acharner sur un ennemi vaincu ou entravé n'avait jamais eu aucun intérêt pour la chasseuse qu'elle était, mais elle ferait un effort pour ce rat s'il persistait à se montrer insolent.

- Je trouverais sûrement quelqu'un de plus malin que toi pour me raconter l'histoire qui vous a poussée à vous soulever contre moi, mais je vais te laisser une chance de me donner ta version des faits. Si tu te montres suffisamment bavard, peut-être éviterais-je de te priver de toute virilité.

Elle rit froidement.

- Encore que je doute que tu croises une gamine sur le chemin de l'exécution. Ah non, j'oubliais que tu as toujours été plus intéressé par les ivrognes complètement déviants. Qu'est-ce que ça faisait de le voir violer toutes les femmes qui avaient le malheur de croiser sa route alors qu'il ne te considérait que comme un cabot juste bon à satisfaire le moindre de ses désirs.

Malgré la douleur sourde qui devait encore lui chauffer l'entrejambe, le rebelle leva vers elle un regard plein de colère. D'une voix rauque, il répondit à son attaque tout en serrant les cuisses en prévision d'une autre frappe.

- J'étais son bras-droit.
- Il faut croire qu'il t'a bien dressé. Si tu avais vraiment été son bras-droit comme tu le dis si bien, c'est toi qu'il aurait choisi comme Second. Mais tu étais trop con pour jouer ce rôle alors il t'a raconté ce que tu souhaitais entendre pour que tu restes docile.
- Salope !

Même son insulte manquait désormais de force, elle devait avoir touché un point sensible. Pour avoir côtoyer les suiveurs de Joshua en feignant d'être des leurs lorsqu'ils étaient à l'abri des regards des Membres et des Soumis, Noâ avait rapidement mis le doigt sur la raison qui poussait l'homme à se montrer si loyal. Il y avait des regards qui ne trompaient pas, elle était bien placée pour le savoir.

- Vu que tu ne sembles pas d'humeur à bavarder, je te propose un petit jeu. Je te pose une question et, toi, tu réponds. Si jamais la réponse ne me convient pas, tu perdras quelque chose. C'est un peu comme si à chaque manche, tu misais une partie de ton corps sans savoir laquelle. Amusant non ?

Faussement confuse, elle continua.

- Tu m'excuseras par contre si je brûle quelques étapes, je ne suis pas vraiment une as lorsqu'il s'agit d'évaluer la valeur des choses. Une Fine Lame aurait pu y aller crescendo, mais vois-tu, à cause de tes petites manigances, je n'en ai plus aucune sous la main. Pourtant, je suis sûre que Zayne se serait fait un plaisir de s'occuper de toi, tu sais comme il aime le clan.

Une secousse agita les maillons des chaînes alors qu'il tremblait, signe qu'il comprenait tout à fait où elle voulait en venir. Un certain soulagement se marqua aussi sur ses traits, il fallait croire qu'il se pensait moins en danger avec elle. Abel avait toujours commis l'erreur stupide de sous-estimer les femmes, de les dénigrer même. S'il n'avait pas été aussi couard, sa place aurait sûrement été chez les Dragons, mais il n'aurait pas eu le cran nécessaire. La blonde avait beau détester ce clan, elle devait au moins leur laisser le fait qu'il produisait des Membres valeureux et puissants.

- Commençons à jouer, veux-tu. Première question : Comment as-tu compris mon implication dans la mort de Joshua ?
- Je t'emmerde.
- Mauvaise réponse.

Cet homme était vraiment un idiot. Alors qu'il allait souffrir le martyr par la suite, il n'était même pas capable de prendre la chance qui lui était donnée de s'épargner des douleurs inutiles. Il aurait pourtant été si facile de répondre à ses questions. Poussant un soupir théâtral, Noâ tira sa dague et s'avança vers lui. D'un geste brutal, elle déchira son t-shirt et pressa son téton droit entre le pouce et l'index avant de le sectionner. Le dissident hurla juste à côté de ses oreilles, la poussant à grimacer. Qu'il était déplaisant de l'entendre gueuler. C'était aussi pour ça qu'elle n'avait jamais aimé la torture, il y avait trop de cris et de pleurs. Alors qu'il s'époumonait en vociférant des insultes, elle recula d'un pas et jeta le petit bout de chaire ensanglantée au sol avec dégoût.

- On va dire que tu n'as pas bien saisi les règles d'où la petitesse de la pénalité. Je repose ma question : Comment sais-tu pour Joshua ? Petite précision, je sais déjà que ce n'est pas la seule personne présente ce soir là qui te l'a dit.

Abel resta cette fois silencieux.

- J'ai oublié de te dire que ne pas répondre était une réponse en soi.

Elle regrettait vraiment de ne pas avoir une Fine Lame sous la patte. Une main coincé sous son aisselle, l'autre calée sous son menton, elle fit le tour du corps d'Abel en réfléchissant à ce qu'elle allait lui ôter. Une oreille ? Non, elle ne savait quel impact cela pourrait avoir sur son audition et elle tenait à ce qu'il puisse entendre les questions. Peut-être un doigt, tiens, c'était sans conséquence. Sous le regard affolé du traître, elle alla poser le fil de sa lame à la base de son auriculaire et le trancha net. Encore une fois, cris et insultes se mirent à pleuvoir, mais elle tâcha de ne plus y prêter attention. Si seulement, elle pouvait le bâillonner pour qu'il la ferme. Un sourire mauvais effleura ses lèvres alors qu'une idée naissait dans son esprit. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Le doigt toujours en main, elle le renifla un instant avant de le porter à la bouche. Les mâchoires bien ouvertes, elle suspendit son geste sous les yeux horrifiés d'Abel, puis elle partit dans un grand éclat de rire.

- J'déconne, je vais pas bouffer ça, c'est dégueulasse. Mais toi, oui.

Profitant de l'effet de surprise, elle enfonça le membre coupé dans la gueule de l'homme et lui ferma durement les mâchoires tout en lui bouchant le nez. S'il voulait respirer, il allait devoir avaler. Le corps d'Abel était secoué par les hauts-le-cœur et des larmes débordèrent de ses paupières, mais elle ne le sentit à aucun moment déglutir. Levant les yeux au ciel avec agacement, elle finit par le relâcher lorsque sa peau se mit à bleuir et recula vivement pour éviter d'être éclaboussée par la bile qu'il vomit en même temps que son auriculaire. Presque au même moment, la Membre qui l'accompagnait régurgita le contenu de son estomac en gémissant. Il ne manquait plus que ça. Écœurée, Noâ pinça le nez et jeta un regard blasé à la jeune fille. Avec tout ça, elle en avait totalement oublié sa présence.

- Vous êtes désespérants tous les deux. Remontons prendre l'air pendant que l'autre débile réfléchit à sa future condition d'émasculé.

La Chef n'avait pas vraiment besoin de lui, les cachots regorgeaient de personnes à interroger qui se feraient sûrement un plaisir de lui révéler tout ce qu'elle voulait savoir pour mourir dans une souffrance modérée. Si elle avait voulu se confronter à Abel, elle n'allait pas non plus perdre son temps avec lui, elle avait bien d'autres choses beaucoup plus importantes à faire en ce jour. Et puis, il ne fallait pas qu'elle fournisse à ses chatons un jouet trop abimé...

Dans le hall, les corps étaient encore omniprésents. Une légère odeur désagréable flottait et il fallait faire attention à ne pas glisser sur le sang, mais pour le moment, il y avait eu plus urgent à faire que de les évacuer. Dans un premier temps, il fallait être sûr que toutes les poches de la rébellion avaient bien été nettoyées et s'occuper des blessés. Si Noâ était confiante lorsqu'il s'agissait de capturer ou de se débarrasser des rebelles, elle craignait que les blessures s'infectent à cause de l'absence de soin. Sandy avait fait une apparition éclair pour lui faire un point sur la situation, mais personne n'avait de nouvelles de Charly. Peut-être reviendrait-il avec la fille qu'elle avait envoyé à l'hôpital ? Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il était bien sain et sauf.

En sortant du QG, la blonde dû se protéger les yeux du soleil en plaçant son bras en barrage. Elle ne s'était pas attendue à ce que l'astre soit déjà si haut, bien plus de temps s'était écoulé qu'elle ne l'avait imaginé. A l'extérieur, les Membres s’affairaient. Une toile avait été tendue pour donner de l'ombre aux blessés que l'on s'efforçait d'hydrater pour ne pas aggraver les choses. Comme si la situation n'était pas déjà assez problématique, il fallait que la journée soit chaude. Avec de telles températures, la décomposition des cadavres ne serait qu'accélérée.

- Noâ !

Le groupe qu'elle avait envoyé faire le tour des frontières était visiblement de retour, Mac en tête alors que les autres ne faisaient que se dessiner plus loin. Essoufflé, il s'arrêta devant et lui débita les informations dont il disposait de façon haché alors qu'il tentait de reprendre sa respiration.

- On a retrouvé des gens. Jude, Trigger, Zayne, Morganne et Charly. Ils arrivent.

Un immense sentiment de soulagement submergea la Chef. Jude allait bien ! A force de ne pas avoir de nouvelles, elle avait fini par imaginer le pire, mais elle revenait bien entière. Au vu de l'équipe qu'elle avait avec elle, ce n'était pas si étonnant, mais elle leur en serait éternellement reconnaissante. Apprendre le retour de Charly était aussi rassurant, quelqu'un allait enfin pouvoir s'occuper des blessés.

- Bon boulot ! Tu peux aller faire un tour du côté des blessés ? J'ai besoin que tu donnes un coup de main à Charly. Essaye d'établir un ordre de priorité.
- D'accord.

Elle avait pris à cœur la mission dont elle avait été investie. Elle s'était démenée pour l'accomplir du mieux qu'elle le pouvait. Et cela avait été grisant. Elle avait été submergée par une montée d'adrénaline comme elle ne l'avait été que trop rarement. C'était comme si on lui avait insufflé une toute autre énergie dans le corps, comme si elle avait été frappée par la foudre. Et elle avait aimé ça. Andrew avait pu le constater, Asha n'avait pas subi le contre-coup de la rébellion...Personne ne semblait subir les effets de cette attaque...pas encore tout du moins. Ils manquaient de temps pour ça. Il savait qu'il valait mieux ne pas prendre de pause, ne pas se laisser aller à la fatigue car il leur serait dès lors bien plus difficile de se relever et de faire face à la montagne d'obstacle qui les attendait maintenant qu'un semblant de calme avait retrouvé le territoire. Un semblant de calme qu'ils avaient perturbé deux heures durant, à la recherche de toutes personnes suspectées d'avoir appartenu ou participé à cette mutinerie sans nom. Asha avait mené le groupe, donnant des ordres simples mais clairs. Cette chasse à l'homme était ce qu'il lui fallait pour garder l'esprit occupé et évacuer la frustration du retour d'Alessandra sur le territoire. Et alors qu'elle achevait certains traîtres récalcitrants, il se doutait qu'elle avait une pensée pour son mentor...Elle pensait probablement que Zayne s'amusait à charcuter les déserteurs quelque part d'autre sur le territoire. Après tout, il lui était impensable qu'il ait succombé durant cette attaque. Si elle avait survécu, il en avait fait de même, elle en mettrait sa main au feu.

Le reste du groupe avait également bien fait le travail. Certains avaient l'air bouleversé, sans doute devaient-ils prendre conscience de ce qui leur était tombé sur la tête...Ils n'en restaient pas moins concentrés, ne désirant guère subir les foudres de la chef du groupe. Les arrestations se multiplièrent et les traîtres trop turbulents furent abattus comme demandé par Noâ. Le chemin du retour se fit plus calme, un membre du nom d'Aiden finit par se joindre à eux, collant l'adolescente de trop près selon Andrew mais il ne pouvait rien, il n'allait pas rejeter la main tendue d'un allié. Ils eurent loisir d'observer les choses se mettre en place. Les membres s'entraidaient, s'occupant au mieux des blessures bénignes, déplaçant les corps des morts, dégageant les survivants des décombres. Remettre le clan sur pieds allait demander des efforts inhumains mais s'ils avaient survécu à cette tentative de renversement, ils parviendraient à surmonter cette nouvelle épreuve. Finalement, l'entrée du QG se dessina à nouveau devant eux et ils poussèrent le groupe de traître, qu'ils avaient désarmé et déchaussé au préalable, devant eux. Chaque renégat était attaché à son voisin, ils n'avaient aucune chance de s'enfuir et la plupart avait oublié cette idée, se contentant de supplier avant qu'Asha ne leur ferme leur clapet d'un coup de point dans la mâchoire. Elle en avait assez de les entendre se plaindre, ils n'avaient qu'à assumer leurs actes. La zone du QG était en effervescence, et l'adolescente ne remarqua réellement que le Soleil s'était levé qu'en découvrant les blessés placés à l'ombre d'une toile. Ne désirant pas qu'ils profitent de cette délicate attention, Asha décida de parquer les traîtres en plein soleil, attendant la suite des instructions. Elle ne supporta cependant pas longtemps de rester sans rien faire et commença à faire le tour du cercle formé par les traîtres, telle une prédatrice. Quand un membre passa à proximité d'elle, elle l'apostropha assez abruptement.

- On a eu des nouvelles de Zayne ?

Quand tu vois tout ce qu'il s'est passé depuis que le QG a été délivré de l'emprise des rebelles, tu peines à croire qu'il ne s'est écoulé que deux heures. Deux misérables petites heures qui ont peut-être ruinées une partie de ta relation avec Alessandra. Sans le vouloir, tu as déconné et à force de te montrer trop proche d'elle, tu as fini par la faire fuir. Tu le sais, elle a peur de toi et cette idée te dégoûte. Depuis ce moment dans la chambre, tu te contentes de la suivre de loin comme tu l'as toujours fait sauf que cette fois tu as un ordre de Noâ comme alibi pour expliquer tes actes. D'ailleurs la relation de cette dernière avec ta sœur paraît toujours indécise ce qui ne doit pas arranger l'état psychologique dans laquelle l'adolescente se trouve. Tu aimerais pouvoir lui offrir une bulle de confort et de tranquillité le temps qu'elle se remettre de tout ça mais c'est impossible. Déjà car le clan a besoin de tous les bras disponibles pour se remettre mais aussi car elle refuserait de toute façon ton aide. A l'avenir, tu vas devoir la jouer finement si tu veux la conquérir.

Appuyé à la façade d'un bâtiment, tu fais un break. Pour le moment, les Jaguars sont assez calmes et semblent attendre les directives de Noâ pour se mettre en branle. C'est aussi ton cas et c'est bien pour ça que tu profites de cet instant de repos qui t'est offert pour récupérer. La nuit a quand même été difficile et la journée sera longue, tu dois donc te saisir de chaque occasion pour tenir le coup.

ALTAN – Tu vas bien ?

La main puissante qui étreint ton épaule ne te surprends par à l'instar de la voix. A vrai dire, tu as entendu l'homme arriver et tu tournes la tête vers lui pour lui adresser un sourire pâle.

KAHLAN – Aussi bien qu'on puisse aller après ça je suppose.
ALTAN – L'important c'est que tu sois entier. Et elle aussi.

Tu n'as pas besoin de suivre son regard pour savoir qu'il parle d'Alessandra. Altan sait, il n'est pas ton plus proche ami pour rien. Et dans les faits, il a raison.Vous avez tous les deux eu de la chance et c'est tout ce qui compte.

A jaguar still has claws
La nuit avait été en colère. Pour la première fois de sa vie, Taiga avait été heureuse d'avoir un toit sur sa tête et des murs autour d'elle. Alors qu'elle dormait bien pelotonnée dans un tas de couvertures, elle avait été réveillée par des bruits étranges. Il s'agissait de sons qu'elle ne connaissait pas, mais qu'elle avait trouvé aussi fort que le tonnerre. Parfois, elle croyait même entendre des éboulements. Son paysage phonique n'était que fracas et répercussions brutales et elle s'était enfouie sous les draps, les mains plaquée sur ses oreilles pour les protéger. Elle avait eu peur. Presque aussi peur que le jour de son réveil dans cet endroit. Ce clan. Un moment beaucoup trop long à son goût s'était écoulé, puis le calme était enfin revenu. Un calme bizarre parfois rythmé par les râles de douleurs d'humains qui créaient une drôle de sensation dans sa poitrine. De la pitié.

Lorsqu'il n'y avait presque plus eu de bruits du tout, elle avait fini par sortir. La curiosité avait fini par prendre le dessus sur la peur et elle avait ressenti le besoin d'aller voir par elle-même ce qu'il s'était produit. Elle n'avait découvert autour d'elle que mort et désolation, un spectacle bien étrange à ses yeux. Elle n'avait pas pensé que les ruines pouvaient être plus détruites. Et elle n'avait jamais vu autant de corps non plus. Au début, elle s'inquiéta de voir revenir le prédateur qui avait fait ça, mais les marques laissés sur les cadavres et leur état général n'était pas l'oeuvre d'une bête qu'elle connaissait. Pour la première fois, elle découvrait les massacres de l'Homme.

Bien vite, elle comprit qu'elle ne devait pas rester ici. Si elle voulait des réponses, Taiga devait se rendre là où la plupart se trouvait : le QG. Elle avait vite compris que les informations et savoirs se concentraient là et que c'était là-bas qu'elle devait aller lorsqu'elle se posait des questions ou qu'elle avait besoin de quelqu'un. La marque encore douloureuse qu'on lui avait fait sur le poignet lui assurait un statut particulier pour les gens qui vivaient dans ce grand bâtiment.

Lorsqu'elle y arriva, il y avait beaucoup de gens. Bien plus qu'elle n'en avait jamais vu rassemblé au même endroit. Par très à son aise, elle se trouva un endroit d'où elle pouvait regarder sans être vue. Elle avait repéré Noâ plus loin, mais elle n'était pas seule. Alors, elle attendrait simplement qu'elle le soit pour lui poser ses questions.

Si le cauchemar était fini, Nuka avait vite compris que le rêve ne serait plus permis avant un très long moment. Lorsque le danger avait été écarté, Noâ l'avait pris un peu à l'écart et elle s'était montré particulièrement attentionnée avec lui. Malgré quelques ressentiments, il ne s'était pas montré farouche et l'avait collé autant qu'il le pouvait. Être avec elle le rassurait, c'était un sentiment nouveau qu'il appréciait beaucoup même s'il craignait un peu que cela ne dure pas. Le clan connaissait désormais la vérité à son sujet, mais cela ne signifiait pas que tout était fini et encore moins que tout était pardonné. Pour le moment, il profitait néanmoins avec toute l'innocence de ses dix ans.

Malgré l'agitation qui régnait autour de lui, il s'était installé contre la façade du QG et avait fini par s'endormir. La nuit avait été particulièrement fatigante et un peu de repos ne pouvait lui faire de mal. L'inquiétude qu'il ressentait pour ses proches qui n'étaient pas encore revenus - principalement Jude qui manquait encore et toujours à l'appel - était bien présente, il somnola pendant une grosse heure avant d'être réveillé par la dégringolade de quelques pierres. Encore un peu dans la brume, il se frotta les yeux et bâilla lentement, cherchant du regard d'où avait pu venir le bruit. Il comprit bien vite que c'était la fille cachée non loin derrière des débris qui l'avait surpris. Tiens, il ne connaissait pas cette tête...

Après s'être relevé, Nuka s'avança tranquillement vers elle. Son attitude était particulièrement suspecte et le fait qu'il ne sache pas qui elle était l'intriguait d'autant plus. On aurait dit qu'elle se cachait pour observer ce qu'il se passait, un acte bizarre alors que tout le monde se rassemblait. Une fois arrivée à sa hauteur, il lui tapota le dos de l'index et la toisa d'un regard curieux.

- Qu'est-ce que tu fais ?

Non, même de près, cette fille se révélait être une étrangère à ses yeux. Il se rassurait néanmoins sur son appartenance aux Jaguars grâce au bandage qu'elle avait au poignet. Il l'avait arboré durant suffisamment longtemps pour savoir qu'il cachait sûrement une marque de soumission fraîchement faite. Elle devait donc être nouvelle sur le territoire.

- Moi, c'est Nuka. Et toi ?

Il n'y avait rien de mieux pour obtenir un nom que de se présenter soi-même.

Même si Zayne peinait à l'admettre, il avait mal. Sa blessure au bras s'avérait l'inquiéter bien plus qu'il ne l'aurait voulu même s'il le cachait parfaitement bien à ses compagnons de route. Il ne parvenait bien sûr pas à tromper Charly qui lui jetait régulièrement des regards à la dérobée pour se tenir informé de son état. A chaque fois, c'était le même cinéma, ses yeux se déplaçant de son visage à ses pieds alors qu'il étudiait tour à tour la crispation de ses traits, sa respiration et le rythme de ses pas. Il n'aimait pas être ainsi couvé des yeux, mais l'Infirmier ne faisait que son job et il ne pouvait pas lui en vouloir. Il fit néanmoins tout ce qu'il fallait pour en laisser paraître le moins possible. Il ne tenait vraiment pas à subir la honte cuisante de se voir ramener soutenu par un Membre. Il n'était pas un gosse et ce n'était pas quelques égratignures qui allaient le faire succomber à la facilité. Bon l'une des égratignures en question était une véritable blessure, mais c'était la même histoire. Il n'en fut pas moins soulagé de voir le QG apparaître et sa marche s'en trouva facilitée. Il était de retour et il allait peut-être enfin en savoir plus sur la situation.

Lorsque Noâ apparu, sa première réaction fut pour sa sœur et il le comprit. Il continua donc son chemin, désireux de savoir ce qu'il était advenu de son élève. Elle ne pouvait pas s'être faite descendre, il en avait la certitude, mais il voulait la voir par lui-même. Après quelques recherches - et un bon paquet de regards noirs distribués aux gens qui le regardaient avec des yeux ronds -, il finit par la trouver au centre d'un étrange cercle. Visiblement, elle était chargée de la surveillance des prisonniers et paraissait en forme. Sa peau avait pas mal morflée, mais d'après ce qu'il voyait aucune blessure n'attentait à sa vie. C'était une bonne chose et il se permit un soupir de soulagement. Alors qu'il marchait vers elle, il l'entendit poser une question à son propos. Tiens donc, elle aussi s'intéressait à son cas. Avant que le Membre n'ait pu répondre, il éleva la voix pour se faire entendre.

» Zayne s'en sortira.

Son ton avait été un peu cassant à cause de la présence de la tierce personne, mais il adressa un coup de tête à Asha pour lui certifier qu'il allait bien.

» Je vois que tu as commencé à te forger un corps de guerrière. Comment a été ta nuit ? J'espère que tu t'es montrée sans pitié et que tu as su exploiter ce que je t'ai appris. Enfin, je le suppose puisque tu es vivante contrairement à d'autres.

A jaguar still has claws
Il y avait de plus en plus de monde aux abords du QG. Taiga voyait ses chances de parler à Noâ sans toute cette foule devenir toujours plus minces et cela n'améliorait pas son état de stress. Bien cachée derrière son tas de débris, elle espérait que personne ne la surprendrait, mais à force de ne faire attention qu'à ce qu'elle avait sous les yeux, elle finit par oublier de regarder ce qu'il se passait dans son dos. Elle fut donc particulièrement surprise lorsque quelqu'un entra dans son périmètre avec une étonnante facilité. Elle n'avait rien entendu, ni vu venir. Quand elle sentit quelque chose dans son dos, elle fit un bond qui manqua de lui faire perdre l'équilibre. Pour éviter la chute, elle s'accrocha à une pierre qui dépassait et se retrouva complètement apeurée devant un potentiel ennemi. Elle fut pourtant soulagée de voir que l'ennemi en question faisait au moins trente centimètres de moins qu'elle et paraissait être plutôt chétif.C'était un enfant qui venait de lui foutre la trouille de sa vie. Un enfant curieux qui plus est.

— Je regarde.

Taiga ne comprenait pas vraiment sa question. Il lui paraissait plutôt évident qu'elle était en train d'observer ce qu'il se passait dans le coin. Et elle était bien incapable d'envisager le fait que ses manières puissent paraître étranges à qui que ce soit.

En plus d'être curieux, l'enfant paraissait être bavard. Il se présenta sous le nom de Nuka, un prénom à la sonorité qu'elle trouva agréable à l'oreille. En général, elle aimait les sons en "a" même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi.

— Taiga. Tu me veux quoi ?

Elle ne savait toujours pas pourquoi il l'avait abordé, elle le fixa donc avec une certaine insistance en attendant qu'il s'explique.

Finalement, j’aurais peut-être mieux fait de rester chez moi. A force de chercher de l’action, je me retrouvais avec l’avant-bras droit en sang, la lèvre inférieur ouverte et gonflée et les mains tremblantes et couvertes de sang également. L’affrontement avec le mec à moitié mort s’était avéré plus long que je l’aurais cru, et s’était fini par sa mort de mes mains. Je ne l’avais pas vraiment fait exprès, à force de perdre du sang il avait fait une fausse manœuvre et s’était empalé tout seul sur mon couteau… mais pour moi ça revenait au même : je l’avais tué, et cela me secouais plus que je ne l’aurais cru…

J’avais été récupérée par la dénommée Anya alors que je fixais le corps d’un air hagard. Elle m’avait remise entre les mains d’un groupe de Membres afin de rejoindre le QG, et je les avais suivis de loin, ignorant la douleur de mes blessures, trop occupée à revivre la scène qui s’était déroulée quelques minutes plus tôt.

Arrivée au QG, je posais un regard absent sur l’agitations qui grouillait aux alentours. Je me sentais vide et lourde à la fois, et les informations peinaient à atteindre mon cerveau, aussi restais-je immobile, ne savant pas trop quoi faire…

Dryss plissa les yeux. Il perçut le QG à l'horizon. Les membres, les blessés et les prisonniers s'entassaient devant l'entrée. Il ne parvenait toutefois pas à distinguer qui était présent. À l'affut, il pressa le pas, sans attendre le petit groupe de combattants qui le suivait. La nuit avait été longue, et le Jaguar sentait la fatigue engourdir ses membres.

Les cinq dernières heures avaient été on ne peut plus mouvementées. Dryss tenta de remettre de l'ordre dans ses idées. Samuel devait le rejoindre aux frontières dès le début de la rébellion. Son chef voulait absolument profiter du trouble pour provoquer une confrontation décisive avec Noâ. Bien que totalement opposé à son plan, l'espion lui avait obéi et avait attendu sa venue en vain. Une heure entière, il était resté planté là, alors que ses camarades se faisaient assaillir par les rebelles. La culpabilité le rongeait toujours et il constata avec amertume que le nombre de victimes était plus élevé que prévu. Il savait qu'une faction dissidente se rebellerait contre Noâ... Il aurait dû lui en parler, trouver un moyen de lui faire passer discrètement le message. Mais non. Il s'était tu. Pour Sam.

Et les cadavres s'amoncelaient devant le QG. Voilà les conséquences funestes de son silence. Malgré tout, il ne parvenait pas à haïr Sam. Il se demandait plutôt ce qui lui était arrivé, et pourquoi il n'était pas venu à leur rendez-vous. Il s'était passé quelque chose, c'était certain.

Constatant que son chef n'arrivait pas, il avait alors rejoint un groupe de Jaguar se battant aux frontières contre une faction rebelle. Dryss s'avérait médiocre en combat de mêlée. Malgré tout, son aide avait été décisive d'un point de vue purement stratégique. Les rebelles ne seraient pas tombés sans son intervention. Le coeur lourd, il avait ensuite observé silencieusement ses compagnons exécuter les traîtres un par un. Il s'était alors demandé le sort que les Jaguars lui réserveraient s'ils découvraient sa réelle identité. Sans doute valait-il mieux ne pas y penser ...

Il pressa le pas lorsqu'il aperçut Noâ. Elle était saine et sauve, Dieu merci. L'inverse l'aurait abattu. Il se dirigea vers le petit groupe qui se dessinait autour d'elle. Sans écouter ce que les autres lui disaient, il posa une main sur son épaule.

Tout va bien? Il y a combien de victimes?

Cet abord était très direct, mais Dryss voulait absolument savoir. Cela lui faisait également chaud au coeur de retrouver son amie après tout ce qu'il venait de se passer. Sans remarquer que Jude était sur le point de les rejoindre, il ne put s'empêcher d'ajouter

Où est Jude?

 

Il y avait eu bien trop de dégâts. Même si elle avait senti que quelque chose se préparait, elle n'avait pas été en mesure d'arrêter la machine avant qu'elle soit lancée et pour cela, Noâ s'en voulait beaucoup. Elle aurait dû comprendre ce qu'il se tramait, les signes étaient pourtant évidents maintenant qu'elle y repensait, mais elle avait été bien trop prise par des événements internes au clan. Le début de la saison tempérée était toujours particulièrement chargée, il fallait assurer le passage entre les Anciens et les jeunes Membres, s'enquérir des conséquences qu'avaient eu la saison Aride, gérer les tests d'admission qui s'enchaînaient,... Elle n'avait eu que très peu de temps pour se poser au final et lorsqu'elle l'avait fait, c'était toujours à Alessandra qu'elle pensait. Et au retour de la Troupe dans la ville. Elle s'était demandé s'il était encore avec eux et plus d'une fois elle avait réfréné son envie d'aller leur rendre une petite visite. Seulement, les choses étaient toujours aussi compliquées dix ans après leur dernière rencontre et elle ne se voyait pas l'affronter. Encore moins alors que le campement avait été établi à proximité des Dragons du Nord. Si elle se mettait à roder aux alentours des frontières de Samuel, il ne faisait aucun doute qu'il aurait trouvé une obscure raison pour tenter de la descendre. C'était de bonne guerre, elle aurait fait pareil s'il avait osé se pointer un peu trop près des limites du Sud.

Sans s'en rendre compte, elle s'était perdue dans ses pensées et observait les blessés d'un œil absent, elle ne perçut donc pas l'approche d'un nouveau venu à ses côtés. Pourtant, son corps se tendit lorsqu'une main se posa sur son épaule et elle esquissa un mouvement pour la chasser. Elle s'arrêta néanmoins en cours de route car elle avait reconnu la personne qui s'adressait à elle. Et aussi un peu, elle devait bien l'avouer, parce que ce geste avait réveillé la douleur au niveau de son épaule qu'elle tâchait pourtant d'oublier.

- Beaucoup trop...

Les chiffres exacts n'étaient pas encore tombés, mais ils avaient été nombreux à lui rapporter des informations à propos de cadavres portant la marque des Jaguars au poignet. Elle en savait encore moins à propos de ses Membres et s'étaient déjà mis à penser qu'elle devrait se débrouiller avec tout ceux qui étaient en ce moment autour d'elle. Elle essayait de se rassurer en se disant que les meilleurs avaient survécus, mais ce n'était qu'à moitié vrai. En plus, c'était une vision très dragonne de la vie qui ne lui ressemblait vraiment pas.

- Je suis content de te voir entier même si je n'en doutais pas vraiment.

Elle lui glissa un malheureux sourire.

- Jude va bien.

Ou du moins, elle l'espérait. On lui avait dit qu'elle arrivait, c'était donc qu'elle était en état de revenir vers le QG et donc que, si par malheur elle avait été blessée, elle était néanmoins vivante et apte à se déplacer. D'ailleurs, elle finit par la repérer enfin dans le groupe qui marchait vers eux.

- Là.

Noâ avait parlé dans un souffle. Dès qu'elle l'avait vue, elle n'avait pas pu s'empêcher de courir pour la rejoindre, inquiète. Sans se soucier des autres dans un premier temps, elle se contenta de la prendre dans ses bras pour la serrer très fort contre elle. C'était seulement alors qu'elle était là, bien en vie, qu'elle se rendait compte à quel point elle avait eu la trouille.

- J'ai cru que je t'avais perdue.

Nous étions enfin arrivés au Q.G. La route m'avait parue bien plus longue que d'habitude, et c'était sans aucun doute le cas pour tous mes compagnons. Sur le chemin nous n'avions cessé de croiser des cadavres, mais nous ne pouvions plus rien pour eux. Une boule dans la gorge et les larmes aux yeux, je priais pour ne pas croiser Noâ, Nuka ou Dryss parmi tous ces visages familiers.

Zayne s'éloigna de nous et j'aperçus enfin Noâ. Celle-ci courut vers moi pour me serrer dans ses bras, j'en fis de même. J'étais soulagée, elle allait bien !

« J'ai eu peur pour toi aussi ! Mais où est Nuka ? Est-ce qu'il va bien ? »

Je m'éloignai d'elle et cherchai autour de moi. Je l'aperçus à quelques mètres en train de discuter avec une jeune Jaguar. Je croisai également le regard de Dryss, à l'endroit où Noâ se trouvait quelques secondes plus tôt.

« Je suis soulagée, vous allez tous bien. »

J'avais reposé mon regard sur ma petite sœur et lui souris pour tenter de la rassurer et de rassurer tout le monde. Je devais être forte pour tout le monde, même si depuis que le calme était revenu, je me sentais extrêmement triste pour tous ceux qui étaient blessés ou avaient perdu la vie. Je ne pouvais m'empêcher d'y penser, mais je devais mettre ça de côté. Pour l'instant du moins. Ce n'était pas le moment de se laisser abattre, il y avait tant à faire !

Toi qui voulait t'essayer à un combat réel, tu vas être servie. Je me rappelais parfaitement les paroles qu'avaient prononcées Reed avant de se lancer dans ce combat qui s'était avéré plutôt désintéressant. J'avais imaginé le champ d'une bataille d'une toute autre façon - bien plus épique -, je restais donc sur ma faim lorsque je voyais les échanges que j'avais pu avoir. Les ennemis que j'avais tué n'avaient été que des biches inoffensives et lorsque j'avais enfin croisé des adversaires à ma mesure, je n'avais même pas pu les affronter jusqu'au bout puisqu'il s'agissait de Vipères venant en paix. Si un groupe de Membres n'était pas sorti de nulle part, je ne me serais probablement pas inquiété d'un tel détail, mais je n'étais encore qu'une Soumise - malheureusement - et je ne tenais pas à ce que Noâ me fasse payer cette initiative en retardant encore mon test d'admission. Ma mère m'avait fait comprendre que ce n'était pas réellement une punition, mais une invitation à changer mon fusil d'épaule, mais je n'étais pas dupe. Ma Chef me faisait bassement regretter une erreur que j'avais commise et je comptais bien découvrir laquelle. Et il y avait intérêt à ce que son argument soit solide après le préjudice que j'avais subi. Moi, son héritière, je n'étais pas encore Membre alors que j'avais fêté mon seizième anniversaire il y a seize jours déjà, c'était inadmissible.

J'avais ruminé cette pensée sur tous le chemin du retour jusqu'au QG. J'étais accompagnée de plusieurs hommes dont je me tenais éloignée et de la Messagère des Vipères. Dans le tas, c'était bien des Jaguars dont je me méfiais le plus et c'est eux que je gardais prudemment à l’œil sans réellement me soucier de la fille. Dès que je le pu, je me détachais d'eux et continuais ma route seule jusqu'au bâtiment. J'étais pressée de retrouver Reed. Après tout, nous avions été séparées par les flammes et je m'inquiétais quand même un petit peu pour elle. Elle n'était plus toute jeune après tout. Je ne doutais pas vraiment de sa capacité à survivre face à un ennemi, mais un accident était si vite arrivé ! Lorsque je la repérais enfin du côté des blessés, je ressentis une immense bouffée de soulagement. Elle était agenouillée près d'une jeune femme qu'elle aidait à boire, c'était donc qu'elle allait bien. Je me précipitais vers elle, heureuse de la retrouver.

- Reed ! Tu vas bien ?
- C'est plutôt à toi que je devrais demander ça ! Tu as eu des problèmes lorsque tu t'es retrouvé seule ?

Elle me serra brièvement dans ses bras et je pu sentir dans cette courte étreinte toute l'inquiétude qu'elle avait éprouvé pour moi. C'était un sentiment agréable de savoir que quelqu'un tenait à vous et je l'appréciais autant que je pu. Lorsqu'elle me lâcha, elle fit rapidement le tour de mon corps pour vérifier que je ne souffrais pas de blessures graves et je la laissais faire en esquissant un sourire satisfait. Contrairement à beaucoup de Membres, je m'en étais remarquablement bien sortie et je n'avais que quelques égratignures et deux ou trois contusions récoltées lorsque le souffle de l'explosion de la grenade m'avait fait valdinguer. Bon, il y avait toujours ce sifflement dérangeant dans mes oreilles et cette audition étouffée, mais j'avais la sensation que les sons commençaient peu à peu à redevenir normaux autour de moi.

- Tu ne pourras plus dire que je ne suis pas une véritable combattante désormais.
- Tu n'as pas répondu à ma question. Johanne, est-ce que tout va bien ?
- Toi non plus, tu n'as pas répondu à la mienne.
- Ne joue pas à ça. Johanne ?!

Ah maintenant qu'elle prenait sa voix autoritaire, je percevais parfaitement ce qu'elle disait. Rien qu'à l'entendre, je pouvais savoir qu'elle ne lâcherait pas morceau. Reed n'avait rien perdu de son autorité depuis qu'elle n'était plus Chef, j'étais bien placée pour le savoir. Un peu honteuse, je baissais les yeux et lâchais l'information du bout des lèvres.

- Bon d'accord... Il y a un problème avec mes oreilles. Les sons sont comme étouffés et il y a un sifflement bizarre depuis qu'une grenade a pétée à côté de moi. J'ai voulu faire la maligne en ne me bouchant pas les oreilles et j'ai été punie. Voilà, fin de l'histoire !

Reed émit un soupir las et je la vu lever les yeux au ciel. Visiblement, elle était plus agacée par mon manque de prudence qu'inquiète. Eh ben c'était agréable ! Vexée, je croisais les bras sur ma poitrine et fis ma moue la plus boudeuse. Puisque c'était comme ça, je ne m'inquiéterais plus jamais pour cette vieille harpie !

Un soupir las quitta mes lèvres, faisant naître une légère gêne au moment où mon souffle brûla la blessure qui marquait ma lippe inférieure. Je sentais le regard insistant de Kahlan dans mon dos et il ne m'était pas difficile d'imaginer les sillons indélébiles qu'il creusait dans ma peau à force de trop me fixer de cette façon. Je ne le connaissais que depuis quelques heures, mais déjà son attitude me restait en travers de la gorge. L'ordre de me surveiller venait de Noâ, il était donc normal qu'il obéisse, mais il n'avait pas non plus besoin de l'appliquer de façon aussi gênante. A la dérobée, je le regardais et croisais ses yeux durant une seconde. Une seconde de trop. Un frisson me traversa des pieds à la tête alors que je me concentrais à nouveau sur le sol à mes pieds. C'était à croire qu'il ne battait jamais des paupières. Et puis, il y avait cette désagréable aura qui s'échappait de lui. Son histoire de sœur perdue de vue ne tenait pas la route, il devait y avoir autre chose là-dessous, mais je ne disposais pas de toutes les pièces pour comprendre. Et ce n'était de toute façon pas vraiment le moment idéal pour penser à ce genre de choses.

Penser à Kahlan et à l'impression qu'il me faisait me ramenait immédiatement à la discussion que j'avais eu avec Noâ un peu plus tôt. Elle avait fait appel à moi pour une mission - une sorte de preuve de confiance, même si je me doutais qu'elle avait dû me donner cette confiance faute de mieux -, mais parallèlement à ça, elle ne m'avait pas écouté lorsque je lui avais parlé du chien de garde qu'elle m'avait collé dans les pattes. Je n'avais pourtant pas mâché mes mots, mais elle se fichait bien de mon avis. Kahlan resterait avec moi jusqu'à ce qu'elle ait pris sa décision finale, elle avait été intransigeante là-dessus. Je rongeais donc mon frein, blessée qu'elle n'ait pas pris mes sentiments en considération. Oui, j'étais blessée, mais il n'y avait au final pas que ça. La présence de ce type me rendait ronchonne et ce n'était pas le fait d'avoir Asha dans mon champ de vision qui allait arranger les choses. Finalement, je ne savais pas lequel était le plus insupportable pour moi... Après une courte hésitation, je finis par me détacher du mur sur lequel j'étais appuyée et je me dirigeais d'un pas déterminé vers Kahlan. Il me faisait un peu peur, mais au moins je pouvais me défouler sur lui si j'en avais l'envie ce qui n'était pas le cas de l'autre garce qui était entrée dans les bonnes grâces de ma Chef. Le regard mauvais, je me plantais devant le brun qui avait été rejoint par un autre homme - un Ancien que je connaissais de vue, un certain Altan si je me souvenais bien - et je lui crachais une remarque qui me brûlait les lèvres depuis trop longtemps.

- Tu n'as pas les yeux qui piquent à force ? Aux dernières nouvelles, je n'ai pas le pouvoir de m'évaporer en un clin d’œil alors tu pourrais peut-être battre des paupières de temps en temps, ce serait moins flippant.

A Jaguar still has claws ΨI fell in love with her courage, her sincerity, and her flaming self respect. And it’s these things I’d believe in, even if the whole world indulged in wild suspicions that she wasn’t all she should be. I love her and it is the beginning of everything.

Au fond, Ezekiel ne s'était jamais réellement préparé à devoir reprendre les armes. Tomber malade avait été pour lui un combat de longue haleine et il avait cru avec naïveté qu'il n'aurait plus à se battre pour sa vie. Plus qu'un désir, c'était une espérance. Malgré les années de galère dans cette ville miséreuse, il conservait toujours le folle espoir de voir les choses s'arranger. Mais cette nuit, il avait vécu l'Enfer. Une tempête de feu et de sang s'était déchaînée sur le territoire des Jaguars du Sud et il n'avait pas été épargné. Il n'avait pas non plus recherché à rester dans l’œil du cyclone. Il était devenu cette tempête comme beaucoup d'autres êtres humains et il avait détruit presque autant de vies qu'il en avait sauvées. Pourtant, Zeke ne tirait aucune fierté de ses actes. Il avait agit car il le devait bien, mais aussi parce qu'il ne voulait pas que des gens meurent à cause de son immobilisme. Entre tué et ne rien faire, le choix avait été vite fait. Il préférait encore porter le poids de la culpabilité parce qu'il avait ôté une vie plutôt que parce qu'il avait fuit face à cette violence. On s'arrangeait comme on le pouvait avec sa conscience.

De cette bataille, Ezekiel n'était pas sorti indemne. Il avait été amoché par quelques lames lorsqu'il avait manqué de balles, mais les blessures n'étaient que superficielles. Elle ne reflétait en rien les entailles amères qui s'étaient tracées sous sa peau et dans son cœur. Il y avait eu beaucoup trop de morts. Il le savait, on ne pouvait pas sauver tout le monde, mais il faisait aujourd'hui le douloureux constat de sa propre faiblesse. Avec ses espoirs, il en avait oublié la réalité du monde, il s'était relâché. Ses tirs restaient d'une précision mortelle, mais il n'allait plus aussi vite et il perdait un temps bête lors du rechargement. Ses réflexes aussi portaient des traces de rouilles et à plus d'une reprise, c'était ses camarades de galère qui l'avaient sauvés. C'était d'ailleurs avec eux qu'ils rentraient vers le QG, véritable cortège d'Anciens silencieux. Certains avaient eu a éliminer leurs anciens frères d'armes qui avaient trahis la cause des Jaguars, on les reconnaissait facilement à leur mine défaite et aux rougeurs sous leurs yeux. Dans son malheur, Zeke avait eu la chance de ne pas avoir à arracher la vie de personnes qu'il aurait pu par le passé considérer comme des amis, des frères. L'avantage dégradant d'avoir passé du temps à l'hôpital pendant que les autres reconstruisaient le clan sûrement.

Dans le cœur de Zeke, ses actes nocturnes ne valaient pourtant pas grand chose en comparaison de la peur qui l’étreignait comme un étau. Ses proches allaient-ils bien ? Alors que le chaos rugissait autour de lui, une partie de son esprit était resté tournée vers l'omniprésent besoin de retourner vers le quartier général. Plus que jamais, il aurait voulu être près d'eux. Près d'elle. Il s'était juré de la soutenir, mais on ne lui en avait pas laissé l'occasion et désormais il craignait que le pire se soit produit. Au fond, il restait pourtant persuadé qu'il ne retrouverait pas sa dépouille. Qui aurait donc pu venir à bout de cette furie aux yeux d'ambre qui jamais n'avait abandonné ? Mais alors que le bâtiment s'élevait de toute sa hauteur devant lui, Ezekiel se surprit à entendre des murmures d'inquiétude. A sa gauche, deux personnes se livraient à quelques macabres confidences.

« - Tu as entendu cette histoire ? Ah non, c'est vrai que tu étais dehors quand c'est arrivé. Abel a dit que c'était Noâ qui avait tué Joshua.
- Tu te fous de moi ? Impossible !
- D'un autre côté, il fallait bien que quelqu'un s'en débarrasse.
- Il était notre Chef quand même. Et sa loyauté dans tout ça ?
- Il ne méritait la loyauté de personne. Après ce qu'il nous a fait vivre, la mort est un sort extrêmement gentil. Surtout qu'elle a fait passer ça pour une crise cardiaque non?
- Je crois. Dans tous les cas, je ne sais pas si je pourrais encore lui faire confiance comme les autres. Après tout, si elle a pu faire ça pour son Chef, qui nous dit qu'elle ne se débarrassera pas de l'un d'entre nous dès qu'il sera une gêne ?
- Tu exagères, c'est de la Chef qui nous a redonnée une vie décente dont tu parles. Et une dignité ! »

Le sang de Zeke se glaça. Ce secret qu'il portait depuis de si longues années avait désormais été révélé et il ne savait aucunement ce que cela impliquerait pour Noâ. Au vu de leur jeunesse, il supposait que les deux parleurs étaient des Membres et s'il respectait les réflexions du premier, le second lui apparaissait comme dangereux. Comment pouvait-on faire preuve d'un tel doute après la nuit qu'ils avaient vécus ? L'événement aurait du les souder plus que jamais, mais lui restait en retrait avec ses doutes teintés d'une peur primaire. Et Ezekiel savait personnellement ce que la peur pouvait engendrer, il avait vu trop de gens sombrer dans une douce folie à cause de ce sentiment de mort marchant vers vous. Pour cette raison, il ne pouvait pas totalement en vouloir au gamin. La nuit avait été dure, il changerait peut-être d'avis une fois que le stress serait descendu vers son seuil normal. Laissant de côté cette discussion, il pressa le pas. Zeke savait désormais que Noâ était vivante et cela faisait naître en lui une impatience nouvelle. Il voulait la voir et la serrer contre lui pour se persuader que ce cauchemars était bel et bien fini. Il en ressentait le besoin pressent et lorsqu'il la vit, il su. Cette vérité qu'il se refusait à admettre depuis tant d'années, il y faisait aujourd'hui face par la force des choses.

Se mêlant au groupe qui l'entourait, il prit un instant pour l'observer. Elle était en plus piètre état que lui et pourtant elle faisait meilleure figure. Difficilement, Ezekiel retient son inquiétude. Il aurait voulu l'arracher à tout ça pour la forcer à prendre soin d'elle, mais il savait que c'était impossible. Il ne pouvait décemment pas braver son autorité après tout ça sous peine de sectionner la fragile corde sur laquelle elle évoluait en funambule. Alors, il se contenta de glisser une main dans le creux de son dos et se tient tout prêt d'elle durant une poignée de secondes.

« - Tu vas bien ? »

Zeke savait déjà la réponse qu'elle lui fournirait, mais il avait quand même ressenti le besoin de la poser. Juste pour entendre le son de sa voix. Sa question n'avait été qu'un murmure à son oreille alors que déjà ses yeux se perdaient sur les autres. Il avait vu Nuka en arrivant et Jude se trouvait juste devant lui, entière. Même Alessandra, cette gamine à laquelle elle tenait tant était plus loin. Si la perte de tous ces Jaguars devaient la blesser, elle n'avait au moins pas perdu sa famille. Et lui non plus au passage.

Malgré la présence d'Altan, tu t'arraches difficilement à la contemplation d'Alessandra. Elle est seule et tu aimerais la rejoindre pour lui apporter ton soutien. Le problème c'est qu'elle ne veut pas de toi. Elle t'a pris en grip et se refuse à te laisser l'approcher. Et puis, tu dois bien avouer que ce qu'elle a dit à Noâ à ton sujet t'a blessé. Une toute petite parcelle de ton être lui en veut d'ailleurs pour cela. Elle t'a fait du mal et si tu te tiens un peu en retrait, c'est aussi car tu as peur de lui en faire en retour. Tu serais bien incapable de lever la main sur elle mais tes paroles pourraient la détruire. Tu sais tellement de choses qu'elle ignore. Une ignorance maintenue uniquement dans le but de la protéger et ce au dépends de ton propre bonheur. Après tant de sacrifices et de temps passé à l'attendre, il est hors de question que tu ruines tout sur le coup de la colère.

ALESSANDRA – Tu n'as pas les yeux qui piquent à force ? Aux dernières nouvelles, je n'ai pas le pouvoir de m'évaporer en un clin d’œil alors tu pourrais peut-être battre des paupières de temps en temps, ce serait moins flippant.

Il faut croire qu'elle en a décidé autrement. Pendant que toi tu t'appliques à respecter son espace, c'est elle qui vient te titiller au pire moment. Elle est planté devant toi, ses yeux plongés dans les tiens. Décidément, elle n'est pas ta sœur pour rien. Elle est aussi corrosive que tu peux l'être par moment. En ce moment, tu aurais pourtant préféré qu'elle te ressemble un peu moins. Tu plisses les yeux et tes lèvres se pincent alors que tu refrènes tant bien que mal la vague d'énervement qui va et vient dans ton corps. Il ne faudra pas grand chose pour qu'elle te submerge et cela t'inquiète.

KAHLAN – Fais gaffe que le chien de garde ne morde, gamine.

Tu l'avertis comme tu le peux de ta voix cassante. En faisant référence à ses propres paroles, tu espères qu'elle comprendra qu'elle t'a fait du mal mais tu doutes un peu de l'efficacité de cette technique. Quelque chose te dit qu'elle n'est pas prête de te prendre avec des pincettes. Pour elle, tu sembles être une cible toute désignée pour une colère qu'elle ne peut diriger sur personne mais qu'elle doit pourtant évacuer.

KAHLAN – Va te planquer sous les jupes de ta mère au lieu de traîner dans mes pattes.

Tu as tellement peur de lui dire quelque chose qu'il ne faut pas que tu la blesses autrement. Dès que les mots ont quittés tes lèvres, tu les regrettes pourtant. C'est ta rancœur qui a parlé pour toi. Contrairement à elle, tu n'as pas vraiment eu des gens qui se sont souciés de toi et qui t'ont sécurisés. Et puis, celui qu'elle considère comme son père t'a quand même éloigné de force de cette petite sœur que tu n'aspirais qu'à protéger.

KAHLAN – Pourquoi est-ce que tu me forces à être comme ça avec toi ?!

Tu es désorienté. Tu ne veux pas lui faire de mal et pourtant, tu ne cesses de la blesser encore et encore.

Ma pique avait fait mouche au vu de la tête qu'il faisait. Pourtant, je n'avais pas pensé qu'il y réagirait. Je m'attendais plus à une réaction totalement inappropriée, un peu comme toutes celles qu'il avait eu lorsque nous étions dans sa chambre quelques heures plus tôt. Mais là, il m'était plus facile de le comprendre d'une certaine façon car il réagissait comme quelqu'un d'autre l'aurait fait. Il cessait finalement enfin de me traiter comme sa petite sœur perdue. Sa réponse m'arracha un sourire satisfait. Je n'avais pas peur de lui et s'il voulait jouer à mordre, je pouvais aussi m'y mettre. Malgré la fatigue et le drôle d'état dans lequel je me trouvais, je n'aurais pas été contre quelques échanges de coups. J'avais pourtant cru avoir eu ma dose au lac, mais il fallait croire que j'étais loin du compte. Alors qu'il continuait à parler, mon sourire s'effaça pourtant automatiquement. Là, il venait de toucher un point sensible. Mon regard se durcit alors que je le fusillais littéralement du regard. Je ne savais pas ce qu'il connaissait de moi, mais cette attaque avait été particulièrement efficace et cela ne me plaisait pas du tout.

- Je n'ai pas de mère, abruti !

Une mère peut-être pas, mais j'avais toujours pu compter sur Aaron et sur Noâ. Sur Reed aussi. Cela devait donc plus ou moins valoir l'attention qu'aurait pu me donner une maman, mais cela n'enlevait rien à mon absence tragique de mère. Enfin, j'avais bien dû en avoir une un jour bien sûr, mais je ne m'en souvenais pas du tout.

- Je te retourne la question.

J'avais répondu cela avec un naturel déconcertant. Je ne comprenais pas ce que ce type me voulait, c'était aussi pour ça que je le repoussais de la sorte. Au fond, je ne voulais pas être la source de l'intérêt de qui que ce soit, je voulais juste qu'il me laisse tranquille. Alors, sans énervement cette fois, j'avais répliqué. Je n'avais pas beaucoup réfléchi nous plus si bien que je ne me rendis qu'après compte de l'absurdité de mon comportement.

- Qu'est-ce que tu me veux vraiment ?

J'avais besoin de savoir.

Dans son attitude, tu retrouves le félin féroce qu'elle a pu être ces dernières années. Pour l'avoir observé durant tant de temps, tu lui connais deux facettes : celle de la Jaguar et celle de la petite fille perdue. Désormais, les deux semblent petit à petit se mélanger et si cela est déroutant, tu dois avouer que ce changement est positif. Même si à cause de ça, tu morfles pas mal du coup depuis qu'elle s'est rendue compte de ton existence. Elle aussi dans un sens, c'est de bonne guerre.

ALESSANDRA – Je n'ai pas de mère, abruti !

Comme tu l'as voulu sans vraiment le vouloir, l'acidité de ta voix lui a fait mal. Il est vrai que tu as bien mal choisi tes mots en parlant de votre défunte mère. Une mère ivrogne à qui tu ne donnes jamais aucune qualité. Elle est morte en voulant emporter ta sœur avec elle, cela suffit amplement à dresser son profil selon toi.

ALESSANDRA – Je te retourne la question.

Même si cela ne réponds pas à ta question, tu sais désormais que dans cette histoire, elle est aussi perdue que toi. Et c'est normal. Les choses auraient du être planifiées autrement, tu aurais du pouvoir te rapprocher d'elle en douceur et te faire une place à ses côtés avant de bouleverser progressivement son existence. A la place, tu as été un véritable boulet de canon, le tout sans rien lui révéler du tout. Elle souffre ainsi pour rien du tout et toi avec. La vie est parfois chienne dans ses heures sombres. Au moins, elle paraît plus calme désormais. Son regard est plus interrogatif et son attitude générale a perdu de son agressivité. Toi, tu te sens toujours aussi tendu mais si elle continue comme ça, tu pourras peut-être te rattraper.

ALESSANDRA – Qu'est-ce que tu me veux vraiment ?

La vague oscille moins vite et tu te sens plus mal à l'aise qu'énervé. Que peux-tu donc lui dire ? Il t'est impossible de lui dire la vérité de but en blanc, surtout pas maintenant. Il faut que tu reviennes au plan initial. Que tu te rapproches d'elle, que tu te deviennes ce frère qu'elle n'a jamais eu avant de lui annoncer qui tu es vraiment. Ou qu'elle le comprenne par elle-même. Pour le moment, tu es le gardien de ses souvenirs mais un jour son esprit se déverrouillera et tu préfères être là lorsque cela se produira.

KAHLAN – C'est tellement impossible à croire que je veux juste être ton ami ?

Derrière toi, Altan rigole. Il s'est fait discret jusqu'ici mais ta dernière réplique l'a poussé à s'imposer dans la discussion. Tu le fusilles du regard. L'andouille, il va tout faire capoter. Un sourire bien présent sur les lèvres, il s'accroche à ton épaule et fixe ta sœur.

ALTAN – Ce que ce débile essaye de te dire, c'est qu'il est nul en relations humaines. Il t'apprécie depuis un moment mais il n'a jamais osé t'approcher parce que tu étais la Seconde. Vous vous ressemblez, c'est ça qui l'attire. Alors laisse-lui sa chance, tu verras, il est mignon lorsqu'il s'y met notre Kahlou.

Il t'ébouriffe les cheveux avec malice et tu repousses mollement sa main, trop choqué pour réagir plus. Il vient de lui déballer ce paquet de mensonges avec tellement d'aisance que c'en est désarçonnant. Le tour sans vraiment mentir en plus, il n'a fait que livrer une parcelle minuscule de vérité enrobée d'autres détails.

Le membre qu'elle avait approché semblait perdu et quelque peu apeuré par la jeune femme. Il fallait dire que, bien qu'elle n'ait pas subi de blessures graves, elle faisait tout de même peur à voir. De plus, la mention de Zayne ajoutait toujours une certaine gravité à n'importe quel sujet abordé. Cela n'empêcha pas Asha d'être particulièrement agacée par le manque de réactivité du jeune homme et elle le lui fit comprendre d'un regard noir qui en disait long. Elle était consciente que tout le monde était fatigué par cette folle nuit et que les informations devaient passer au compte-gouttes mais même s'il ignorait la réponse, rien ne l'empêchait de l'exprimer à haute voix à la place de la fixer avec ses yeux de merlan frit. Une voix grave s'éleva alors, une voix qu'elle pourrait reconnaître d'entre mille tant elle l'avait entendue proférer des menaces, des consignes et des encouragements lors de ses séances d'entraînement intensives. Il s'agissait de Zayne, aucun doute là-dessus. Et malgré une dureté dans son ton, rien n'indiquait qu'il allait mal. Ce fut un soulagement pour la jeune femme qui laissa un sourire naître sur ses lèvres. Délaissant le membre qu'elle avait questionné, elle porta son entière attention sur son mentor...non sans garder un œil sur le groupe de traître qui rôtissait au soleil.

J'ai fait une brochette de traîtres ! Je leur en ai fait voir de toutes les couleurs à cette bande d'idiots !, lâcha-t-elle fièrement.

Elle pouvait néanmoins s'estimer heureuse d'avoir eu un mentor comme l'ancien. Si les entraînements étaient pénibles et douloureux, elle avait été préparée pour survivre à une nuit pareille, elle devait la vie à Zayne, elle le savait et elle espérait l'avoir rendu fier.

T'as vu ça ? J'espère que Noâ me laissera les garder, continua-t-elle en lui montrant les deux sabres qu'elle avait récoltés sur le cadavre d'une femme dont elle avait déjà oublié l'identité.

Son regard s'arrêta lors sur le bras ensanglanté de son mentor et son regard se fit plus inquiet. Elle connaissait le caractère de Zayne, elle savait que la brute qu'il était ne supportait pas qu'on fasse une histoire à propos de rien mais elle devinait que la plaie sous le bandage de fortune était plus sérieuse qu'une simple égratignure. Elle ne voulait cependant pas le braquer, ainsi essaya-t-elle d'abord le sujet de façon détachée.

Et de ton côté ? T'en as zigouillé combien ? Et qui est l'idiot qui t'a fait ça ? J'espère que tu lui as fait payer, sinon je le retrouve et je m'en charge.

Dès qu'il vit Noâ sursauter - peut-être de douleur - Dryss enleva prestement la main de son épaule. Son geste l'avait peut-être dérangée, ou bien lui avait causé une douleur. Il n'eut pas le temps de s'excuser car son amie prit la parole pour lui répondre. Apparemment, on n'avait toujours pas estimé le nombre des victimes, mais celui-ci serait assurément très élevé et ce constat ne fit qu'assombrir les pensées de l'espion, qui prit une mine encore plus désolée. La culpabilité pouvait se lire sur ses traits. Impossible de le cacher. Comment aurait-il pu? De plus en plus, il regrettait de ne pas s'être opposé à Sam et de ne pas avoir empêché ce massacre... Il tenta d'écarter ces remords, car Jude arrivait. Elle était saine et sauve, elle aussi.

Noâ se jeta dans les bras de sa soeur qui lui rendit son accolade. Malgré ses quelques égratignures et son état, Jude était toujours aussi rayonnante. Les pensées de Dryss s'adoucirent aussitôt. Il contempla la jeune femme en lui souriant. Sa plus grande crainte était donc vaine. C'était déjà ça. Mais il lança ensuite un regard au tas de cadavres qui se dressait dans son dos, comme pour se rappeler ses torts. La vision de ces corps déformés et suintant lui donna un haut-le-coeur. L'espion fronça les sourcils et se détourna de cette vision atroce.

Il rejoignit les deux soeurs calmement, attendant la suite des événements et observant les différentes retrouvailles qui s'orchestraient autour du QG. Chacun réagissait différemment à ce qui venait de se produire. La plupart des membres discutaient, d'autres semblaient se quereller quelque peu. Il entendit quelques bribes d'une discussion où il était question de Joshua... La question de sa mort allait certainement ressurgir après ces événements, c'était inévitable. Mais pour l'instant, il y avait plus urgent. L'espion constata qu'en tout cas, la plupart de ses connaissances étaient présentes. Il fut même surpris d'éprouver une sorte de soulagement à la vue de Zayne qui avait toujours l'air aussi féroce.

Dryss se tourna ensuite vers sa chef pour savoir quelle serait la suite des événements. Maintenant que la plupart des membres étaient revenus, il supposait que le clan devrait progressivement se réorganiser. La journée serait longue... Mais il s'interrompit lorsque Ezechiel les rejoignit pour prendre des nouvelles de Noâ. L'ancien ne cacha d'ailleurs pas sa joie de retrouver la Jaguar. Dryss le salua d'un signe de tête et se tut. Le Dragon avait décidé de laisser les retrouvailles s'achever avant de demander les ordres de sa chef : la nuit avait été dure, il fallait que tout le monde se remette de ses émotions. Mais il ne pouvait s'empêcher de penser à Sam et les questions lui brûlaient les lèvres... Mais l'espion les retint tant bien que mal.  

Alors que du monde continuait a affluer de partout, je repérais Noâ entourée du quelques personnes. Mécaniquement, je me dirigeais vers elle, les yeux baissés. Arrivé à hauteur du groupe, je relevais un peu la tête et prit une grande inspiration pour parler, mais ma voix sortit faible malgré tout…

« Faut s’adresser à qui pour être soigné ? »

Si j’avais voulut me donner l’air forte en restant fidèle à moi-même, je n’étais pas très convaincante. Le fait de parler réveilla une légère douleur dans ma lèvre et un goût de sang emplis ma bouche, ce qui m’arracha une grimace de dégoût. Je détournais la tête pour la dissimuler, tâtant ma lèvre du bout des doigts. Je remarquais alors le couteau ensanglanté que je tenais toujours fermement, et lorsque je voulut desserrer les doigts je du forcer pour me décrisper. Je le lâchait alors soudain et commençais à me frotter énergiquement les mains sur mon pantalon pour essayer d’en essuyer le sang. Je repris alors d’une voix légèrement tremblante.

« Il faudrait aussi rendre ça à leurs propriétaires… »

Pour ma part il était hors de question que j’y touche de nouveau, du moins pour le moment…

Jude était entière. Durant quelques instants, Noâ la garda contre elle, se gorgeant au passage de la chaleur de son corps pour se rassurer, avant de la lâcher. Au fond d'elle existait encore un fond d'angoisse, mais elle se devait d'être forte pour son clan. Voir progressivement les siens revenir vivant lui faisait un bien fou et, peu à peu, elle s'apaisa. Cela laissa à nouveau beaucoup plus de place pour la colère qu'elle réfréna en se concentrant sur sa respiration plutôt que sur les visages marqués par la fatigue et le sang de ses proches. La question à propos de Nuka faillit ruiner tous ses efforts, mais elle se reprit en lançant un bref regard à son fils qui s'était déplacé sans qu'elle ne le remarque.

- Il a eu la frousse, mais il réagit plutôt bien.

Elle avait préféré ne pas trop s'étendre sur les détails pour le moment. Et puis, le blondinet voudrait peut-être confier ses mésaventures lui-même à sa tante. Ne pas en parler était aussi encore et toujours une façon de ne pas faire rugir sa colère. Elle ne savait pas trop quelles séquelles il garderait de tout cela, de cette violence dont elle avait voulu le protéger en le gardant éloigné d'elle. C'était un beau gâchis au final. Tous ces efforts pour qu'au final les rebelles découvrent quand même leurs liens.

- Tout le monde sait désormais.

Elle ponctua sa phrase d'un faible sourire à l'attention de Jude. Elle ne savait pas exactement si ce serait pour le mieux, mais au moins il n'y aurait plus de mensonges, ils seraient libres de s'apprivoiser au grand jour si c'était ce qu'il désirait. Au final, c'était peut-être sa plus grande crainte dans cette histoire : que Nuka la rejette purement et simplement. Cette inquiétude disparu dans l'intervalle d'un battement de cœur alors qu'une paume chaude se posait au creux de son dos. Ezekiel s'était approché sans qu'elle ne le remarque et il se tenait désormais tout près d'elle. Peut-être même trop près. La cadence régulière dans sa poitrine s'emballa un peu alors que son souffle balayait son oreille dans une question bien légitime. Troublée, elle lui lança un rapide regard avant de se reprendre en esquissant une grimace. Elle était certaine qu'il savait très bien ce qu'il en était, elle ne voyait donc aucune raison de lui faire une énumération de ses blessures. Noâ était de toute façon bien trop fière pour avouer aussi simplement que mater la rébellion n'avait pas été une mince affaire et que son corps avait morflé durant l'attaque. Plus tôt, elle s'était d'ailleurs occupé de limiter les dégâts de façon à les rendre les plus invisibles possibles en attendant des soins plus méticuleux.

Une intruse - enfin façon de parler - vient soudainement troubler les retrouvailles. Lucille se présenta au milieu du petit groupe formé par Dryss, Jude, Zeke et quelques autres Jaguars, la mine assombrie par les événements et un couteau ensanglanté à la main. Cela suffit à faire atterrir la Chef qui avait au départ marqué un hésitation. Elle n'avait jamais vu l'adolescente aussi calme et il était étonnant de ne plus voir cette lueur de défi dans son regard. Elle n'était que l'ombre d'elle-même et cela en disait long sur ce qu'elle avait dû vivre au cours de la nuit. La lame tomba lourdement au sol alors qu'elle l'avait lâché de façon soudaine, visiblement dégoûtée par tout ce sang. Avant toute chose, Noâ se baissa pour ramasser ce qui n'était qu'un couteau de boucher et elle le dissimula dans son dos pour éviter que la gamine n'ait à le voir encore une fois.

- Jude, tu veux bien t'occuper d'elle ?

Sa sœur était sans l'ombre d'un doute la personne idéale pour gérer Lucille dans son état. En plus, elle avait appris des choses au côté de Charly et pourrait sûrement soigner les blessures que la rousse affichait.

Après avoir pris une grande inspiration, Noâ quitta le petit groupe. La foule de Jaguars réunit devant le QG attendait des explications et des directives qu'elle se devait de leur donner. Elle se dirigea donc vers une grosse malle dans laquelle les armes récupérées avaient commencé à être entassées en attendant mieux et y glissa le couteau avant de grimper sur la caisse de façon à prendre de la hauteur. Elle porta deux doigts à sa bouche et siffla un coup fort pour couvrir le brouhaha ambiant.

- Votre attention, s'il vous plaît.

Sa question me laissa silencieuse. Ami ? Alors que le terme s'insinuait dans mon esprit, je me retrouvais à froncer les sourcils sans le vouloir. Je ne comprenais vraiment pas. D'un point de vue théorique, il n'y avait rien d'étrange à cela, mais je n'avais jamais été très douée pour me lier d'une façon positive aux autres alors qu'il vienne de lui-même avait de quoi me dérouter. Dans tous les cas, il venait de marquer un point même si je me retrouvais avec milles questions sans réponses dans la tête. J'étais fatiguée, mais toute cette histoire était bien trop étrange pour que je laisse simplement tomber mes réflexions. Heureusement - en un sens -, le Jaguar qui se tenait dans l'ombre de Kahlan intervient alors en riant. Je me tendis un peu en l'entendant, mais il se moquait visiblement de son ami. Il brossa son portrait de façon peu élogieuse avant de conclure d'une manière des plus bizarres. Lui laisser sa chance ? Au fond, une part de moi n'était pas contre cette idée, mais une autre refusait de céder face à cet étonnant envahisseur.

Un sifflement aigu résonna soudain, me forçant à me reconnecter au reste du clan. J'avais arrêté de m'intéresser aux autres survivants, mais Noâ venait de sonner le rappel et je me tournais docilement vers elle avant de faire quelques pas pour m'approcher. Il était temps de repenser aux choses sérieuses. De plus, c'était une bonne façon d'éviter de trop réfléchir au possesseur de ce regard que je sentais toujours bien présent dans mon dos.

En voyant la réaction de la fille, Nuka fut partagé entre la gêne et la fierté. Cela l'embêtait un peu de l'avoir surprise au point qu'elle ait faillit tomber, mais d'un autre côté, il était drôlement content d'être furtif au point de pouvoir s'approcher de cette façon sans se faire remarquer. Un sourire naquit donc naturellement sur ses lèvres alors qu'il songeait déjà à toutes les choses qu'il pourrait faire grâce à cette discrétion. La réponse plutôt sobre de la brune lui fit néanmoins faire la moue. Il s'attendait à en apprendre un peu plus. Après tout, il pouvait déduire lui-même en l'observant qu'elle regardait quelque chose. Mais que regardait-elle exactement ? Il ne le saurait probablement jamais ce qui lui tira un petit soupir.

Fort heureusement, elle lui donna au moins son prénom. Taiga. Non, cela ne lui disait rien du tout. Face à son regard insistant, le jeune garçon resta de glace. Il n'avait pas vraiment peur des adultes. En plus, elle ne paraissait pas vraiment adulte, il avait plus l'impression d'être au côté d'une fille de son âge, mais qui avait un corps plus développé. Bizarre.

- Rien de spécial, c'est juste que je ne te connaissais pas.

La situation était gênante, Nuka ne savait vraiment pas comment se comporter avec elle. Heureusement, un sifflement lui offrit une porte de sortie et il chercha du regard d'où il provenait, découvrant que sa mère demandait le silence.

- Bon ben...

Avant qu'il n'ait l'occasion de finir sa phrase, il vu quelqu'un s'écrouler non loin de l'endroit où il se trouvait. Un peu affolé, il se mit à courir, dépassant quelques personnes dont l'attention était portée ailleurs, et arriva au côté de la fille qui s'était évanouie. Des yeux, il chercha quelqu'un et découvrit la silhouette bien connue de Ezekiel. Sans plus y réfléchir, il se dépêcha d'aller le chercher et l'attrapa par le bras pour le tirer à sa suite.

- Vite, vite, y a quelqu'un qui se sent pas bien !