La veille n'avait pas été de tout repos, contrairement à ce que j'avais espéré. A Swann avait succédé Virgo, et enfin Kiara qui était revenue dans ma vie comme si nous ne nous étions jamais quitté. Nous avions passé une bonne partie de la soirée tous les deux, a discuter d'avant. Cela avait été à la fois étrange et agréable, et ça m'avait permis de me changer les idées. Ma nuit avait été courte, mais moins agitée malgré tout, et c'est un peu plus reposé que j'abordais ce septième jour. J'avais du me lever très tôt pour faire le point avec les traqueurs avant leur départ, mais j'avais somnoler tranquillement le reste de la matinée avant de faire un peu de logistique avec Oli. Pour une fois, j'avais été productif et Oli m'avais proposé de prendre mon après-midi afin d'être en forme pour le retour des traqueurs le soir. Sauf que rester à ne rien faire, ça avait une fâcheuse tendance à me perdre dans mes pensées. Du coup, je ressentit soudain un besoin de parler à Alessandra sans que je ne sache vraiment pourquoi. Le fait d'avoir revu Kiara peut-être, ou ce sentiment désagréable qui ne me quittait plus depuis sa visite deux jours plus tôt. Les souvenir de son départ étaient encore flous et je ressentais le besoin de mettre les choses au claire.

C'est donc ainsi que je me retrouvais au volant de la jeep, en direction du Sud, avec comme excuse que je voulais parler à Noâ par rapport à l'avancée de la traque. L'excuse passa sans problème, il ne me fallut plus très longtemps pour arriver au QG des Jaguars, non sans être accompagné d'une sentinelle, pour la forme. Mais lorsque celle-ci me demanda d'attendre le temps d'aller chercher Noâ, je le suivis de loin dans le bâtiment. A peine fus-je dans le hall qu'un souvenir amère se rappela à moi, mais je m'efforçais de ne pas y penser et de me concentrer sur Alessandra. Al que je repérais d'ailleurs par pur hasard alors qu'elle montait les escaliers. Voulant éviter de me faire repérer par tout le QG, je la suivis d'un pas rapide, ou du moins aussi rapide que je le pouvais, et arrivais de justesse dans le couloir alors qu'elle s’engouffrait dans une pièce, qui devait être sa chambre. Ralentissant l'allure, je m'approchais aussi silencieusement que possible jusqu'à la porte a laquelle je frappais avec hésitation. Je me demandais désormais ce que je faisais là, mais il était trop tard...

Monter la garde était déjà pénible en temps normal, mais il avait fait particulièrement étouffant dans la vigie durant la matinée. L'autre Membre qui me servait d'équipier était du genre à brasser du vent, mais pas le genre qui rafraichissait. Cette maudite soirée passée au bar à drogues avec Kahlan - j'en gardais d'ailleurs un souvenir très relatif - m'avait laissé depuis deux jours un fond de mal de tête agaçant qu'un rien venait titiller. La chaleur et le flot de conneries racontées par le gars n'avaient donc en rien aider mon état et c'est d'assez vilaine humeur que je rentrais au quartier général à la fin de ma garde. Le territoire était en ébullition aujourd'hui à cause de la traque, je choisis donc sans trop d'hésitations d'aller me terrer dans ma chambre jusqu'au lendemain. L'idée de célébrer le retour héroïque de cette garce de Asha me dégoûtait. Je ne comprenais même pas pourquoi elle avait été choisie. Si cela n'avait pas au passage mis les Jaguars dans l'embarras, j'aurais sincèrement souhaité qu'elle se fasse descendre durant la mission. Mais les autres clans en profiteraient sûrement pour se moquer encore de nous et Kahlan aurait des ennuis. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, je ne voulais pas que Kahlan ait des problèmes.

Dès que je pénétrais dans ma chambre, je poussais un long soupir. A l'intérieur aussi il faisait chaud, mais au moins je pouvais me mettre à l'aise et je n'avais plus à supporter les autres. Quand la porte se referma, je m'empressais de déposer mes armes sur le coffre et me débarrassais de mon t-shirt qui atterrit au sol. J'étais en sueur et je ne rêvais que de me rafraîchir. Pourtant au moment où j'allais me diriger vers la bassine d'eau coincée entre deux tréteaux dans un coin de la pièce, on frappa. Je tournais un regard hésitant vers la porte avant de la rejoindre rapidement. J'avais rarement de la visite. Je n'avais jamais de visite en faite. Il ne pouvait donc s'agir que d'une urgence. Sans réfléchir plus, j'ouvris pour faire face à...

- Eli ?

D'accord, ça c'était une visite particulièrement étonnante. Les questions se bousculaient dans ma tête. C'était à tel point que j'aurais été bien incapable de savoir par où commencer exactement. Il était en cet instant un mystère absolu.

- Qu'est-ce que..? Tu..? Euh... Salut ?

Alors que le temps semblait s'étirer et que j'hésitais fortement à rebrousser chemin, la porte s'ouvrit sur une Alessandra... en soutiens. Sur le coup, je fus aussi surpris qu'elle. Alors qu'elle bredouillait des mots en vrac, je restais pour ma part statique, les yeux fixé sur sa petite tenue. Finalement, je détournais le regard, gêné, me raclant la gorge sans trop savoir quoi dire ou quoi faire. Je n'aurais pas du venir, mais maintenant il était trop tard... Et ne pouvais décemment pas rester là sans rien dire ou sans rien faire...

« Salut... Comment ça va ? »

Sérieusement, c'était tout ce que je trouvais à dire. Même moi je me trouvais pitoyable. Mais c'était les seuls mots qui avaient pu franchir mes lèvres. Quant à la prévenir de sa tenue... si cela me gênait je pas pour autant pensé à le lui faire remarquer... Enfin mon comportement devrait lui mettre la puce à l'oreille, non ?

La présence d'Eli devant ma porte s'imposait doucement dans mon esprit. Et il y avait toujours plus de questions. Que faisait-il là ? Le QG n'était quand même pas un moulin, il y avait des sentinelles. Et puis même, comment avait-il découvert dans quelle chambre je vivais ? Non, la question principale devait être pourquoi il était là. Après ce qu'il s'était passé il y a deux jours, je ne m'attendais pas à le revoir de si tôt. Et sûrement pas dans ces circonstances. Pendant que je restais bloquée sur sa présence, le blond était quand à lui figé sur tout autre chose. Un peu confuse, je suivais son regard avant de remonter vers sa tête. J'avais presque envie de lui dire que mes yeux étaient au-dessus, mais il ne m'en laissa pas le temps et se détourna dans un raclement de gorge gênée. Je croisais les bras sur ma poitrine, pas franchement à l'aise soudainement, mais je voulais d'abord qu'il parle avant d'aller me couvrir. Il y avait des priorités. Sa prise de parole ne m'apporta pourtant aucun renseignement. Sérieusement, il n'était pas juste venu pour me demander comment j'allais ?

- Euh... Attends, je rêve pas, tu viens vraiment de me poser cette question ? Eli, si je te posais la même question, ça ne te donnerait pas envie de frapper un mur ?

Je poussais un bref soupir avant de faire quelques pas en arrière pour récupérer un pull sur mon lit. Lorsque je me retournais dans sa direction, je me rendis compte qu'il n'était peut-être pas prudent qu'il reste à la porte. Je n'étais après tout pas certaine du fait qu'il ait le droit d'être là.

- Tu devrais entrer. Il n'y a pas grand monde dans les étages à cette heure, mais inutile que tout le monde sache que tu es ici.

Je pinçais les lèvres à la réponse d'Alessandra. Elle marquait un point, mais je m’abstins bien de répondre. Évidemment, elle avait remarqué le fait que sa petite tenue me mette mal à l'aise, et sans attendre de répondre elle se retourna pour attraper un pull, sans pour autant l'enfiler en fait... Elle m'invita ensuite à entrer, sous prétexte qu'il ne valait mieux pas que je sois vu par tout le QG. J'hésitais malgré tout, la pièce étant assez étroite quand même, et elle était toujours en soutiens à gorge... Mais elle n'avait pas tort, mieux valait que je me fasse discret dans les faits...

J'entrais donc dans la chambre et fermais la porte derrière moi, m'appuyant ensuite contre le bois, comme si je voulais me fondre dedans. Je n'arrivais pas à la regarder, ce qui n'était pas plus mal en fait. Je voulus insister sur son état, sa réponse n'étant pas très rassurante, mais au vue de cette réponse justement il valait peut-être mieux éviter. Je cherchais donc quelque chose à dire, mais les idées s’agençaient mal...

Finalement, je pris une inspiration avant de ma lancer.

« Avant que tu ne me pose la question, je ne sais pas vraiment pourquoi je suis venu... Je n'aurai pas du mais... Mais je suis là... »

A la réaction d'Eli, je supposais qu'il n'était pas censé être là. Même s'il manifesta un léger doute, il finit par entrer et ferma la porte derrière lui. Porte à laquelle il s'appuya, laissant toute la distance possible entre nous. Ce n'était pas une mauvaise chose. Maintenant que nous étions enfermés dans une pièce, la tension sembla plus forte. Les questions étaient toujours là par ailleurs. Je m'empressais d'enfiler le pull, retrouvant une certaine décence. Techniquement, il n'y avait rien qu'il n'avait jamais vu, mais là n'était pas la question. Je pris la peine de retrousser un peu les manches du pull qui ne m'appartenait visiblement pas. Je flottais tellement dedans que j'aurais sûrement pu y mettre deux fois et demi mon corps. Sûrement un vêtement de Kahlan. La pensée fut fugace et je ne me posais pas plus de questions sur le pourquoi du comment. Cela n'avait pas d'importance. Un peu sur la défensive, je croisais ensuite les bras sur mon torse et le fixais. Quand les explications vinrent enfin, je ne pu empêcher un rire nerveux de quitter mes lèvres. Je ne m'attendais pas vraiment à ça. C'était inattendu. Et complètement fou.

- Okay. C'est bon à savoir.

Il me fallut quelques instants pour me calmer. Qu'est-ce que je devais comprendre au final ? Il était juste entré comme ça, par hasard, dans le quartier général des Jaguars ? Clairement mal à l'aise, je passais la main dans mes cheveux et accrochais mes doigts à ma nuque.

- Et qu'est-ce que tu fais maintenant que tu es là ?

Alessandra enfila enfin le vêtement qu'elle tenait, et sur le coup je ne pu m'empêcher de bloquer sur le fait que le pull en question était beaucoup trop grand pour elle. Mais je fus rapidement détourné de mes pensées lorsque la Jaguars éclata de rire face à ma réplique. Je ne m'attendais pas vraiment à cette réaction... Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, ni ce que j'attendais en venant la voir en fait. Je voulus passer mes mains sur mon visage, mais l'une était plâtrée et l'autre tenais la béquille, ce qui m'arracha un soupir contenu. Pendant ce temps, Al tentait de reprendre son sérieux, et elle fini par me demander ce que je comptais faire, maintenant que j'étais là. Je gardais le silence quelques secondes avant de lui fournir une réponse qui ne l'avancerait sûrement pas plus.

« Honnêtement, je ne sais pas. Parler, je suppose... »

Mon regard se posa alors à nouveau sur le pull, qui au final ne dissimulais pas grand chose. Et sur un ton étonnement calme et désinvolte, j’enchaînais.

« Par exemple, parler de ce pull qui n'est vraisemblablement pas a toi. »

Ce n'était pas une remarque, juste une constatation dissimulant une question. Même si je savais que la réponse ne me plairait pas, sans que je n'arrive pas réellement à savoir pourquoi. C'est peut-être pour ça que je ne posais pas la question clairement, parce qu'au fond, je ne voulais pas savoir... Mais c'était aussi une façon d'éviter le sujet principal de ma visite, a savoir obtenir de plus amples informations sur sa visite, deux jours plus tôt...

Eli laissa planer un court silence avant de se lancer. Dans l'histoire, il avait l'air aussi perdu que moi. Sauf que lui, il était venu. Il avait fait le premier pas et il se tenait là, devant moi, dans le QG des Jaguars. Donc il aurait logiquement dû en savoir un peu plus sur cette étrange situation. Et puis de quoi voulait-il parler ? J'allais lui demander plus de détails, mais il me coupa en proposant un sujet assez étonnant. Je baissais les yeux pour regarder le pull que je portais, un peu perturbée. Pour quelqu'un qui souffrait de problème de vision, il avait les yeux précis. Je redressais la tête vers lui en esquissant une moue légère.

- J'aime peut-être juste porter des pulls trop grands.

C'était une possibilité après tout.

- Mais non, ce n'est pas mon pull. C'est celui d'un... Ami ? Quelque chose comme ça. Je ne sais pas trop ce qu'il est en fait. C'est un Membre du clan, il est un peu bizarre, mais sympa lorsqu'on le connait. Bref, il s'appelle Kahlan.

Je ne voyais aucune raison de lui mentir. Depuis la rébellion, le brun avait pris une importance assez étrange dans ma vie. Un jour, il n'existait pas et puis il était soudainement devenu un incontournable de mes journées. Il me soutenait dans les moments difficiles et il avait le don de me calmer lorsque je faisais une crise. Alors oui, il me semblait important de lui parler de Kahlan.

La Jaguar répondit avec une moue peu convaincante que je ne distinguais qu'à moitié, mais peu importe la tête qu'elle tirait, je savais que ce n'était pas vrai. La suite de sa réponse, par contre, était plus plausible, et ne me plaisait en effet pas... Kahlan... Basile m'avait parlé de lui, mais elle n'était pas sensé le savoir. Baissant les yeux, je gardais de nouveau le silence, ne sachant quoi répondre. Au moins, elle était franche... Finalement, les yeux toujours baissé, je repris presque dans un murmure, pas très assuré dans mes paroles.

« Je crois que... Je ne suis pas certain... Qu'est-ce qu'il s'est passé il y a deux jours... exactement ? »

Voilà, la question était sortie. Mais elle était tellement inaudible et décousue que je n'étais pas certain qu'elle ai pu l'entendre. Je relevais les yeux, mais pour fixer un point derrière elle, le poing serré sur ma béquille mais la voix toujours aussi calme, et très basse.

« Je ne suis pas sûr... d'avoir tout saisi... Ça sonnait trop faux, c'est trop flou... »

Je tournais le regard vers elle, enfin, et repris d'une voix plus claire, comme si mes paroles précédentes ne lui étaient pas adressées.

« Ce Kahlan, tu es bien en sa présence ? »

Ma question m'étonnais moi-même. Je passais du coq à l'âne, sans allégorie, et c'était plutôt atypique de ma part...

Eli avait l'air plutôt dépité. Il faisait plus ou moins cette tête depuis qu'il était entré dans ma chambre, mais j'avais l'impression que c'était pire désormais. Avais-je dit quelque chose pour aggraver son état ? Je lui avais juste parler de Kahlan. Kahlan, un nouvel homme dans le paysage, que j'avais été incapable de définir. Hum, oui peut-être qu'il y avait une raison à sa réaction. Pourtant, si c'était pour ça, il se faisait des idées. Il n'y avait rien avec le brun. C'était strictement... Étrangement, le premier mot qui me vient à l'esprit fut fraternel. Oui, c'était presque fraternel avec Kahlan. Je me forçais à recentrer mon attention sur Eli quand il commença à parler. Nous étions au milieu d'une discussion compliquée à cause de toutes les hésitations et les blancs, si je n'étais pas suffisamment attentive j'allais louper la moitié de ce qu'il souhaitait dire. En plus, le blond parlait sur un ton tellement calme et bas que je ne perçus pas tout. Je devinais plutôt que je n'entendais vraiment les mots et ce qui en ressortit me congela. Il voulait vraiment reparler de ce qu'il s'était passé deux jours plus tôt ? Je n'étais pas vraiment prête à me répéter, tout dire une fois avait déjà été suffisamment compliqué. Je fus donc soulagée quand il changea à nouveau de sujet et je me jetais littéralement sur cette chance qu'il m'offrait. La question était en plus facile. Je n'avais pas à réfléchir pour savoir, c'était clair. D'ailleurs, c'était sûrement la seule chose claire dans ma vie ces derniers temps.

- Oui.

Comme toujours quand j'étais mal à l'aise, je passais la main sur ma nuque et l'y laissais un instant. J'avais l'impression que je devais en dire plus. Que je ne pouvais pas laisser la discussion flotter là-dessus.

- Il m'aide depuis la rébellion. A comprendre les choses. A être plus solide. J'ai l'impression qu'il me connait mieux que je ne me connais moi-même et qu'il peut me donner des clés pour avancer. C'est étrange, en fait, c'est comme s'il avait toujours été là.

Kahlan comprenait tout et il semblait même visualiser parfaitement les cauchemars que je revivais jour après jour. C'était comme si la scène ne lui était pas étrangère et qu'il savait vers quoi m'aiguiller pour m'aider à me raccrocher à la réalité.

Al n'hésita pas pour me répondre par la positive. Je fermais brièvement les yeux en retenant un soupire avant de les rouvrir, le regard baisser. La Jaguars garda le silence quelques secondes avant de reprendre, en rajoutant une couche sans s'en rendre compte.

Alors comme ça c'est comme s'il avait toujours été là ? Parce qu'il avait été la le jour de la rébellion peut-être ? Et avant ?
Ma mâchoire se crispa alors que je serrais les dents afin de me retenir de parler. Je devais me contenir si je ne voulais pas envenimer les choses, et dieu que c'était difficile...

La gêne et le doute avait laissé place à une sorte de colère, mais je gardais le visage baissé tout en essayant de détendre mes muscles. Je respirais lentement afin de garder le contrôle, et après un temps qui me parût une éternité je réussi enfin à reprendre la parole.

« Et moi dans tout ça... Je ne suis pas certain... d'avoir vraiment saisi où étais ma place... »

Pas à ses côtés d'après ce que j'avais pu comprendre, mais après tout c'était pour ça que j'étais là non ? Pour confirmer ce que je redoutais, pour être remis clairement à ma place sans que ma tête ne soit embrouillée par la douleur ou les médicaments... même si c'était le cas en permanence pour le moment, mais bon...

En tout cas, jusqu'à maintenant la seule chose claire à mes yeux était qu'il y avait un autre homme dans la vie de la Jaguars qui semblait mieux s'y prendre avec elle que ce que je n'avais pu le faire, mais mon orgueil m'interdisait de le reconnaître ouvertement...

C'était là, le moment fatidique où Eli venait me poser une question à laquelle je n'étais pas sûre d'avoir la réponse. C'était une véritable colle. Où était sa place ? Je croisais défensivement les bras devant ma poitrine et me déplaçais légèrement pour ne plus lui faire complètement face. Je ne voulais pas avoir à répondre à ça. Ce n'était pas tellement que je ne le pouvais pas, je venais en réalité de le comprendre, mais bien que je ne voulais pas. Seulement, ne rien dire aurait été cruel et je lui devais d'être honnête.

- Je ne sais pas. Je... Je ne pense pas que je puisse être ton amie, Eli. Pas après tout ça. Et... Pour le moment... Je ne peux pas être autre chose. Ça, j'en suis sûre. Ce qu'on a vécu, les conséquences,... Et puis, ce qui est venu en plus, ça a débloqué quelque chose en moi. Je ne sais pas vraiment quoi, mais c'est là et ça me submerge. Alors, je ne peux pas être là pour toi comme tu voudrais peut-être que je le sois. Je ne peux être là pour personne à vrai dire. Un tel niveau d'implication, c'est trop. Il n'y a pas la place.

Je n'étais pas certaine que c'était très clair, mais mon propre esprit ne l'était pas non plus. Au moins, il savait désormais ce qu'il en était. La vérité avec des détours, mais la vérité quand même.

Je m’attendais à ce que j’allais entendre, je le savais au fond de moi, et pourtant j’eu du mal à encaisser… Je pouvais comprendre ce qu’elle me disait, je pouvais l’accepter, mais il y avait une chose que j’avais du mal à digérer et que qui ne passerait certainement jamais : qu’elle ne soit pas là pour moi, je m’en fichais complètement, mais elle venait surtout de me dire que quelqu’un d’autre que moi était là pour elle et ça lui semblait très bien ainsi. C’était ça, au final, qui faisait le plus mal, le fait qu’elle ne se sente pas assez bien avec moi que pour accepter que je la soutienne. Enfin non… qui me ferait confiance dans mon état ? Même mon propre clan doutait, et pourtant je faisais au mieux et les choses semblaient bien se passer à ce niveau-là…

Mon esprit s’embrouillait de nouveau. Je fermais brièvement les yeux et me retournais vers la porte. J’avais entendu ce que je voulais entendre… Ou plutôt j’avais eu ce que j’étais venu chercher, même si cela ne me convenait pas, je n’avais donc plus rien à faire ici. Je posais ma main sur la poignée et attendis encore quelque seconde, le temps de réussir à formuler quelques paroles…

« N’hésite pas si tu as besoin… »

N’hésite pas à venir me voir… Mais mieux valait laisser les possibilités ouvertes pour l’interprétation de ces mots… J’ouvris la porte et la refermais derrière moi une fois sortit. J’étais KO, j’avalais une nouvelle pilule. Mon stock s’épuisais, j’allais repasser chez Madame en partant, tant qu’à avoir la jeep…

HJ:

Le réaction de Eli n'était pas étonnante. Pourtant, je m'attendais à ce qu'il soit plus... Je ne sais pas.. En colère ? Après tout ce qu'il s'était passé, je l'aurais probablement été. Au fond, je savais que je me comportais mal avec lui, mais je faisais au mieux de mes capacités actuelles. Un jour, peut-être... Non, je ne pouvais pas penser au futur, pas maintenant. Un pas après l'autre. Pour le moment, il me fallait me reconstruire, pas pour quelqu'un d'autre, mais juste pour moi. Pour devenir quelqu'un dont je pourrais être fière, une fille dans la peau de qui je pourrais vivre sans rougir, ni me sentir mal à l'aise. Il n'empêchait que ça faisait mal de le voir comme ça et de ne rien pouvoir faire. Je le repoussais alors qu'il avait probablement besoin de quelqu'un pour l'épauler même s'il n'était probablement pas prêt à l'admettre. C'était bien une chose que Kahlan m'avait apprise récemment : on avait toujours besoin de quelqu'un et même si Eli avait traversé les moments durs de sa vie seul, il ne pourrait plus continuer comme ça indéfiniment. Malgré son état, il tendait encore la main. Je ravalais la boule de malaise coincée dans ma gorge avant de souffler à mon tour quelques mots pendant qu'il partait.

- Fais attention à toi.

Peut-être que c'était hypocrite de dire ça alors qu'il était dans cet état par ma faute, mais je n'avais pas pu m'en empêcher. La porte se referma et je soupirais, mes émotions balançant entre soulagement et douleur. C'était bien fini cette fois.