J'étais tombée sur une boule de joie. Super ! Il y avait bien des choses pires, mais il n'empêchait que je n'appréciais pas ce genre de fille optimiste et à fond derrière le clan. Pas que j'étais contre le patriotisme, mais elle en faisait des caisses et ça me saoulait. En plus, elle était Membre, elle. On lui avait laissé passer son test, à elle. Je me renfrognais en la fusillant du regard. C'était profondément injuste, j'étais victime de cette garce de Noâ. Et de Reed pour l'heure. La réponse à la question de la brune sortit donc en une seconde même pas.

- On m'a obligé.

Je ne m'en cachais vraiment pas. Je me fichais bien des idiots qui n'avaient pas réussi à survivre, je me fichais tout autant des petits discours de notre Chef, et je me fichais un peu aussi de cette pseudo-célébration. Pourquoi fêter le simple fait d'être encore en vie ? C'était ridicule. En plus, je ne savais même pas comment m'amuser au milieu de ces félins trop imbibés. Je ne savais pas comment m'amuser tout court, en fait.

- En quoi c'est normal ? On s'est fait avoir comme des bleus. Ouais, le clan a survécu, mais tout ça ne serait sûrement pas arrivé si on se laissait moins marcher dessus. Pas étonnant de devenir cible quand on passe pour le plus faible des quatre clans.

Je n'étais pas d'accord avec ce point : les Jaguars n'étaient pas les plus faibles. Néanmoins notre réputation nous desservait et d'après les informations que j'avais pu glaner lors de mes vadrouilles forcées en centre neutre, ils étaient nombreux à avoir une image fausse du Sud. Des soiffards, des boulets, une poubelle qui ramassait tout,... Encore que c'était peut-être vrai qu'on ramassait un peu trop n'importe quoi. Pour le reste, c'était juste une question de spécimens.

Du coin de l’œil, j'observais Zeke. Il s'était installé à terre et scrutait désormais les petits paquets de gens qui profitaient de la soirée. Rester en silence ici ne me dérangeait pas, j'aurais été plus mal à l'aise si nous avions dû avoir une petite conversation de pure courtoisie. S'il avait quelque chose à dire, je lui faisais confiance pour le faire. D'ailleurs, voilà qu'il parlait avec une sorte de nostalgie dans la voix. Je laissais échapper un ricanement. C'est vrai que ça devait être choquant vu que j'étais une gamine la dernière fois que nous avions échangé un semblant de conversation. Je n'avais jamais été très hôpital, je n'avais donc pas été le voir durant sa longue période de maladie. De toute façon, ma présence n'aurait rien changé, nous n'étions pas assez proches et il n'avait pas besoin que quelqu'un vienne l'ennuyer quand il était au lit. J'avais tourné les yeux vers les autres Jaguars, mais en sentant son regard, je pivotais vers lui. Son commentaire m'arracha cette fois un sourire fier et je me redressais inconsciemment.

- Ça, tu peux le dire !

J'avais... Non, nous avions fait un joli carton à cet endroit même. Le combat n'avait pas été facile et il m'avait plus remué que je voulais bien l'accepter, mais les ennemis étaient tous tombés avec plus ou moins de souffrance. Peu désireuse de repenser à mon plongeon dans le lac, j'orientais la conversation sur lui en désignant son visage à l'aide du cul de la bouteille.

- Je vois que tu as aussi participé. Ça devait être violent pour un comeback. Enfin j'suppose que c'était ton premier combat depuis longtemps.

C'était profondément maladroit, mais je me rendais à peine compte que j'avais potentiellement touché un point sensible. Ce que cette blessure me faisait comprendre c'était qu'il avait défendu le clan et qu'il en était sorti vivant, pas qu'il avait échoué ou que sa maladie l'avait vraiment diminué.

Elle rigole, c'est bon signe. Comme tu ne connais plus vraiment Alessandra - et tu as la sensation que tu n'es pas le seul - tu t'appliques à te concentrer sur les petit détails communs. Elle est blessée mais paraît combattive. Elle ne correspond pas vraiment aux rumeurs que tu as entendue ces dernières semaines sur elle. Peut-être qu'elle a vraiment changée mais pas depuis la dernière fois que tu l'as vue. Peut-être qu'elle a changé cette nuit durant la rébellion. « Ça, tu peux le dire ! » Et là tout ce que tu peux penser est : Jaguar. Elle est féline dans son attitude, fière avec ce petit sourire qui te fait penser à ton clan. Vous n'êtes généralement pas des monstres d'orgueil mais vous avez votre fierté c'est certain. Fière seulement il y avait un mais. Elle ne te laisse le voir que durant une seconde mais tu vois une faille. Il y a quelque chose qu'elle ne dit pas. Qu'elle ne veut pas dire. Tu respectes ça. Tu ne peux pas la pousser à t'utiliser comme confident après tant d'années. « Je vois que tu as aussi participé. Ça devait être violent pour un comeback. Enfin j'suppose que c'était ton premier combat depuis longtemps. » Tu es un peu mal à l'aise. Tu n'es pas fier de ce que tu as dû faire. Tu n'as pas eu le choix, c'était pour ta survie et celle des tiens mais tu n'en tires aucune fierté. Tout comme tu n'es pas vraiment fier d'avoir été acculé à cause de la différence entre celui que tu étais avant et celui que tu es maintenant. Tu as fini par l'accepter mais elle a raison, c'était la première confrontation. Cette nuit la réalité t'a frappé et le choc a été dur. « J'ai pas eu le choix... » Tu souffles juste cette réponse avant de t'emparer de la bouteille pour boire une longue gorgée. Il y a autre chose dont tu n'es pas vraiment fier. Ton attitude de ce midi. Tu es d'ailleurs étonné que Alessandra n'ait pas mis le sujet sur le tapis. Est-ce qu'elle est désormais trop lointaine de Noâ pour se soucier de ce genre de choses ? Un peu maladroit tu décides de cracher le morceau. Il faut que tu en parles à quelqu'un, ça te bouffe. « Tu crois qu'elle me pardonnera ? » Tu supposes qu'elle devinera. Si ce n'est pas le cas tu brosseras juste cette histoire d'un haussement d'épaules et tu passeras à autre chose.

Bon, j'avais visiblement encore mis les pieds dans le plat. J'avais beau penser qu'un jour, peut-être, je parviendrais à avoir une conversation avec quelqu'un sans gaffer, mais je savais qu'il y avait peu de chance que cela arrive. J'étais juste trop maladroite avec les gens, il fallait que je m'y fasse. Je n'étais aussi probablement pas assez intéressée par l'impact que pouvait avoir mes paroles sur eux aussi. A moins que ce ne soit une question de conscience ? C'était difficile à dire, mais surtout ce n'était pas le moment de penser à ça car, pendant ce temps-là, Zeke ne trouvait rien de mieux à faire que de retourner à la bouteille. J'observais sa consommation avec une pointe d'inquiétude, je le savais désormais, l'alcool pouvait avoir des conséquences qu'il n'était parfois pas facile d'assumer. La suite me surprit un peu et je mis une seconde à retracer tous les points. Bien sûr, j'avais compris qu'il parlait de Noâ - de qui aurait-il pu parler d'autre ? -, mais je m'étais demandée pourquoi il me disait ça à moi. Il devait pourtant savoir que je n'étais pas vraiment la personne la plus proche de notre Chef en ce moment. Et puis, moi aussi j'avais à me faire pardonner alors je n'étais peut-être pas la Jaguar adéquate pour parler de ça. La tête baissée pour regarder entre mes jambes, je me saisis d'un caillou que je fis rebondir dans le creux de ma main.

- Pardonner, oui. Le pardon, c'est la partie la plus facile. Par contre, si on commence à parler de confiance et d'ouverture, c'est une autre histoire. T'as déconné Zeke. Elle avait besoin de soutien et tu as fait tout le contraire. Donc ouais, je pense qu'elle te pardonnera, mais c'est pas sûr qu'elle te laissera l'approcher comme avant.

Je poussais un très long soupir avant de lui tapoter l'épaule avec une affection teintée de compréhension et de compassion.

- Toi et moi, on est dans la même merde.

Malgré l'animation autour d'elle, Noâ n'avait pas été totalement aveugle. Elle avait bien vu que quelque chose avait troublé Syd, mais elle était restée silencieuse à ce sujet, se contentant de l'observer du coin de l’œil tout en vidant le fond de sa tasse. Il faudrait probablement qu'elle prenne quelques instants en solo avec le brun pour s'assurer qu'il allait vraiment bien. Pas maintenant néanmoins puisqu'il semblait se reprendre et qu'elle ne voulait pas l'exposer devant tout le monde. Quelques instants plus tard, Roxanne se glissa à ses côtés et lui murmura que tout était prêt. Le sourire de la Chef tomba un peu car c'était là l'appel du devoir. Malgré toute la bonne humeur qui régnait ici, il y avait encore un élément perturbateur à régler. Heureusement, l'acte était définitif, mais il jetterait un froid sur l'assemblée. Il était pourtant important de régler ça. En le faisant ce soir, c'était une façon de commencer à tourner la page de la rébellion à défaut de pouvoir brûler directement le livre.

- Chers amis, je vous abandonne pour l'instant.

Elle adressa un sourire au groupe avant de repartir vers la proximité du bûcher où deux Membres étaient en train d'emmener Abel. L'homme était en piteux état et se faisait plus traîner qu'il ne marchait, mais Noâ n'avait pour lui aucune pitié. Il se retrouva à genoux pendant que Roxanne fixait à son cou un étrange collier surmonté de deux lames qui le forcèrent à garder la tête bien haute pour ne pas qu'elles entament sa peau. Une fois que tout fut mis en place, la Chef appela l'attention des Jaguars d'un sifflement.

- J'interromps les festivités durant quelques instants pour vous annoncer que la sentence de la personne à la tête de la rébellion sera rendue ce soir. Abel est condamné à la peine de mort, mort qu'il s'administrera par lui-même. Il a été l'architecte de sa propre chute en suivant Joshua et en voulant le venger, il en sera de même avec son décès.

Plus calmement, elle se tourna vers Abel et lui adressa une œillade dure.

- Ta force décidera de l'instant de ta mort. Vois ceci comme une occasion de rattraper le fait d'avoir été un lâche toute ta vie.

L'instrument était placé de sorte que dès qu'il relâcherait la tête, les piques s'enfonceraient dans sa gorge, l'entraînant vers une agonie durant laquelle il se viderait de son sang. Il serait saigné comme le porc qu'il était.

Prenant un peu de distance, elle attrapa la bouteille que lui tendait un Membre et se remplit à nouveau une tasse pour boire quelques gorgées, mais elle n'eut même pas le temps d'en avaler une que déjà un grognement rauque se faisait entendre. Abel n'avait pas fait long feu et il s'affaissait déjà vers le sol, le sang dégoulinant de sa gorge. Il n'y eut que quelques soubresauts avant qu'il ne s'éteigne définitivement, trop affaibli par toutes les tortures. Ainsi s'achevait la vie d'Abel, la fou qui avait cru pouvoir détruire les Jaguars.

Alessandra doit être toute aussi perplexe que toi. Tu lui jettes à peine un coup d’œil et tu te doutes qu'elle se pose des questions. Un grand pourquoi moi doit clignoter dans son esprit et tu serais bien incapable de répondre à ça. Au début, elle ne dit rien. Tu finis par clairement l'observer, la joue appuyée dans ta paume. Elle joue avec un caillou, le sujet ne doit donc pas être confortable. Tu te résignes presque à ce qu'elle te laisse dans ta mouise. Ce serait logique. Elle n'a aucune raison de se mouiller pour toi. « Pardonner, oui. Le pardon, c'est la partie la plus facile. Par contre, si on commence à parler de confiance et d'ouverture, c'est une autre histoire. T'as déconné Zeke. Elle avait besoin de soutien et tu as fait tout le contraire. Donc ouais, je pense qu'elle te pardonnera, mais c'est pas sûr qu'elle te laissera l'approcher comme avant. » Alors bien sûr tu es surpris quand elle parle. En plus elle parle beaucoup et ce qu'elle dit est plutôt bon. Elle est plus mature maintenant. Elle comprends mieux la vie et semble apte à évaluer clairement une situation. C'est...déroutant. T'entendre dire que tu as déconné ne te fait pas du bien par contre. Oui tu le savais mais maintenant c'est différent. Si même Alessandra le dit, tu as vraiment creusé ta tombe. Et tu continues peut-être de creuser. Mais quel idiot tu as été. « Toi et moi, on est dans la même merde. » Cette situation devient encore plus maladroite quand elle te tapote l'épaule. Il va te falloir du temps pour t'habituer à tout ça. Un peu perdu, tu lui adresses un maigre sourire. Seulement Noâ prends la parole et limite ça te soulage.
« J'interromps les festivités durant quelques instants pour vous annoncer que la sentence de la personne à la tête de la rébellion sera rendue ce soir. Abel est condamné à la peine de mort, mort qu'il s'administrera par lui-même. Il a été l'architecte de sa propre chute en suivant Joshua et en voulant le venger, il en sera de même avec son décès. » Tu es inquiet pour elle mais elle ne semble pas si affectée pour le moment. Elle reste une figure forte que tu observes avant de regarder Abel. Il est en piteux état et si tu comprends bien le système qui menace sa vie, tu supposes qu'il n'en a plus pour longtemps. Même si tu le détestes, tu n'es pas mécontent de voir qu'il n'agonisera pas ici pendant des heures. Mieux vaut une mort rapide qui ne marquera pas trop, il sera alors plus facile de passer à la suite. De recommencer à vivre. Tu gardes les yeux sur le traitre jusqu'à ce que son corps cesse de s'agiter. C'est le moins que tu puisses faire. Quand enfin sa vie s'échappe, tu expires bruyamment. Par après tes yeux remontent automatiquement vers Noâ. Il faut que tu réagisses. « Je vais aller lui parler. » Décidé, tu abandonnes ta bouteille à côté d'Alessandra et tu te lèves. Tu te diriges prestement vers le bûcher mais tu es trop obnubilé par le but à atteindre alors tu ne vois pas ce qu'il y a autour de toi. Tu bouscules quelqu'un plutôt fort et c'est un miracle si tu restes debout, une main sur l'épaule de la personne bousculée pour te stabiliser. « Désolé. »

Je tirais puérilement la langue lorsque Asha m’accusa de manqué d’endurance. J’étais très endurant puisque je combinais les entrainements et le skate, mais l’alcool, les vêtements mouillés et le poids de la brune n’aidaient pas à garder son souffle intact…

Par contre, lorsqu’elle me pinça la joue en indiquant que la blague n’était pas drôle concernant la bouteille manquante, j’écartais sa main d’un geste du bras et lui montrait les alentour tout en frottant ma joue douloureuse. Elle se laissa du coup couler avec moi, mais fini par remonter. Pour ma part, je profitais encore un peu du silence des profondeurs. Mais lorsque la voix d’Asha me parvint, étouffée, je me décidais à remonter et grimpais à mon tour sur la plateforme. J’appuyais mes mains sur mes genoux et reprenais mon souffle à nouveau.

Pardon ?

Je savais qu’elle avait essayé de me parler, mais je n’avais rien compris sous l’eau. Par contre, la baignade m’avait éclaircie les idées. Je me redressais et poussais un long soupir.

C’est grave, je crois que l’alcool s’est noyé dans le lac… Et les p’tites sœurs sont si loin… Que faire ?

Je n’avais clairement pas envie de refaire le trajet en sens inverse pour revenir avec de quoi boire, et il semblait en être de même pour Asha. Le dilemme devenait insupportable, et c’est alors que j’eu une idée.

Si tu fais un strip-tease, il y aura surement un mec pour exaucer tout tes souhaits et jouer les coursiers.

Je ne savais évidemment pas qu’elle venait de me proposer à peu près la même chose… Mais alors que termine ma phrase, un sifflement retentit pour attirer l’attention de l’assemblée. Noâ se tient près du bûché, et si je ne vois pas très bien d’où nous sommes, j’entends assez bien ses paroles. Celles-ci me font d’ailleurs grimacer, J’aurai bien bu un grand coup là… Mais faute de bouteille, je m’assieds en soupirant.

J’ai soif…

J’avais remarqué Sonay qui, elle aussi, était dans son coin, à l’écart de toute cette agitation et j’avais songé à la rejoindre mais je n’avais pas la tête à ça. Je m’étais bien approchée, traînant des pattes mais je ne savais même pas quoi lui dire exactement. « Hey ! Tu vas bien ? Belle soirée, n’est-ce pas ? » Je ne voulais pas jouer les hypocrites, pas ce soir. C’était trop m’en demander. J’étais une parfaite menteuse en temps normal mais pas là. Trop de choses se bousculaient en moi. L’alcool n’aidait pas. J’aurais mieux fait de ne pas boire, même pas une seule goutte. Logan continuait de me regarder d’un peu plus loin. Pas que ça me dérangeait mais j’avais une drôle de sensation. Il était beaucoup plus insistant que d’ordinaire. Je ne voyais pas ce que j’avais pu faire, pour le coup, alors je regardais mes pieds. J’étais debout, paumée à mi-chemin entre la bouteille que j’avais laissée plus loin et Sonay qui buvait, elle aussi, rapidement. J’étais complètement paumée. Je regardais mes pieds pour éviter son regard alors qu’il était mon plus précieux ami. Comme si j’avais fait la pire des bêtises. L’ambiance lourde n’arrangeait rien. L’ambiance lourde dans ma tête, pas si lourde en-dehors, apparemment.

Jusqu’à ces mots. Tout devint plus sombre. Le noir complet. Le silence. Des sifflements dans les oreilles. Le moment que j’attendais le plus était sur le point d’arriver et pourtant, j’étais en-dessous de tout. Il allait mourir, mieux, il allait crever comme un déchet. Il allait souffrir et pourtant, ce n’était pas assez. Il méritait pire encore. Oui, même moi, la Membre la plus gentille et la plus compatissante, je le pensais. Je tombai sur mes genoux dans un bruit que personne n’avait dû entendre. Trop de bruit couvrait celui de ma chute. De nouvelles images d’horreur que j’espérais pouvoir mettre de côté un jour me revenaient clairement. Des larmes salirent encore plus mon visage. C’était beaucoup plus difficile que je ne l’avais imaginé. Pourquoi ne pouvais-je pas simplement me réjouir de tout ça ? Qu’est-ce qui clochait chez moi ? Logan était à mes pieds. Il avait rapidement intercepté mes bras. Je le regardais dans les yeux, ma vue se troublait à cause des larmes et je lui montrais ouvertement mon désespoir. La petite Alice reprenait le dessus, avec les vieux démons et les tics. Il avait compris. Il avait compris ce que je ressentais et l’avait remarqué avant que le pire n’arrive. « Logan… » Voilà tout ce que je pus prononcer, péniblement. Il se mit juste entre la vue d’Abel et mes yeux, pour être certain que je ne puisse en voir plus. De toute façon, avec cette vue trouble, je n’aurais vu que des images floues de ce spectacle horrible mais légitime. « C’est fini, Alice. » Il devait me prendre pour une idiote. Ce n’était pas le cas. Il savait que c’était plus que la sensibilité face à un tel spectacle. Il savait ce que ça représentait pour moi. Il connaissait mon secret.

Our spirit never dies

Jour 1 (nuit) - scénario

- Pourquoi tu tires cette tronche ? T'es pas triste pour le traître quand même ?

En levant les yeux, je croisais le visage mi-souriant de Terrence. Il me surplombait de toute sa hauteur alors que j'étais assise sur le sol, loin du feu, avec pour seule compagnie une bouteille. Je n'étais pas franchement d'humeur à rejoindre les autres. La soirée était à peine entamée, mais j'étais déjà bien trop saoule. Le fait que j'ai commencé à boire dans l'après-midi pour tenir le coup avait aidé à me mettre dans cet état et je lui répondis d'une voix trop nonchalante en comparaisons de toutes les horreurs qui se déroulaient dans mon esprit.

- Le clan s'est fait attaqué, ma cousine est morte et son frère est en taule.

J'avalais une longue gorgée d'alcool pour ponctuer le tout sous le regard rond de Terrence. Sûrement devait-il regretter d'avoir demandé, maintenant il se retrouvait dans la merde à devoir chercher une réponse parfaite qui n'existait pas. Il n'y avait rien à dire. Il fallait juste attendre que ça passe.

- Putain, tu fais jamais les choses à moitié toi.

C'était le moins qu'on pouvait dire. On ne connaissait pas ce concept dans la famille, c'était tout ou rien. Au moment où j'allais boire encore un coup, le Membre m'attrapa le bras et me força à me mettre debout ce que je fis en grommelant et en m'appuyant complètement contre lui pour éviter de me casser la gueule bêtement. Après un certain nombre de verres, l'équilibre devenait assez approximatif.

- Ramène toi, c'est pas en restant là que tu vas aller mieux. Ta cousine, on va lui dire au revoir comme il se doit.

L'envie n'était pas là, mais je n'avais pas la force de résister. J'aimais aussi l'idée d'être prise en charge comme ça. S'il voulait me supporter pour ne pas que je tombe pendant toute la nuit, il pouvait bien le faire. Il nous mena vers le gros de la foule où les gens s'étaient rassemblés pour voir mourir Abel. Le silence était morbide, loin de cette fête qu'on nous avait promis. Et dire qu'on avait pas fait un silence pareil pour nos propres morts. Au moment où je pensais ça, Asha se mit à crier et je l'imitais.

- OUAIS, BON DÉBARRAS !

Tout ça, c'était de la faute d'Abel. Ce mec méritait amplement de crever et il était même dommage qu'il n'ait pas subi un sort plus cruel. J'évitais de trop y penser et levais ma bouteille.

- UN TOAST. Il y a un rat de moins dans cette ville ce soir.

Et je sifflais bien un quart de ma bouteille parce que, ouais, on ne faisait pas les choses à moitié chez nous.