C’était à n’y rien comprendre. J’avais souvent joué à l’allumeuse avec les garçons du clan, histoire de les rouler, de prendre le dessus, bref, de me sentir soudainement puissante sans pour autant dépasser la vulgarité et sans me montrer trop intime non plus. Cependant, rares étaient ceux qui se jouaient de moi dans le clan. Je ne leur laissais pas la possibilité. Je refusais de laisser quiconque de la gent masculine m’approcher de trop près. Seuls Seth et Oz en avait l’opportunité mais c’était une toute autre ambiance avec eux. Alors pourquoi est-ce que ces crétins lourdauds me tournaient autour ? Ils avaient de la chance que je me sois radoucie depuis le temps et que je doive me tenir à carreau ; en temps normal, j’aurais été beaucoup plus mordante, carrément impitoyable. Là, mes seules réactions étaient l’évitement ou encore un cri suffisamment fort pour qu’un Membre, sain d’esprit, vienne à mon aide. Se montrer astucieuse pouvait s’avérer utile, parfois beaucoup plus que de se montrer violente et impulsive. J’avais au moins appris ça, depuis le temps. D’ailleurs, c’est grâce à mes cris et la réaction d’un Membre que je pus m’échapper. Désormais, il fallait que je sorte à tout prix pour respirer. Pour des Aigles si respectueux des femmes, ils faisaient pitié. Pire, j’étais carrément révoltée. J’espérais sincèrement qu’Eli se bouge les fesses parce que laisser passer une telle connerie serait bien hypocrite de sa part.

Je me pressais pour être loin de tout ça. Je me demandais si ça avait un lien avec l’état chaotique du clan. Entre un Chef dans le coma, un Second déprécié et un Second temporaire qui ne semblait pas à sa place, on était bien lotis, vraiment. Je compris très vite à mes dépens que tout cela n’avait rien de localisé. C’était un fléau qui s’était propagé à tout Paris. Il n’y avait qu’à observer les situations loufoques aux alentours. Tantôt de l’amour dégoulinant, tantôt de la séduction déplacée ; de toute façon, c’était foireux et il y avait une véritable tension dans l’air. Un quelque chose que je ne définissais clairement pas. Je ne devais pas être la seule à m’énerver à cause de tout ça. Quelque part, je me demandais si je ne préférais pas les effusions de sang à tout ça. Peut-être ? Un coup. A cran, je réagis directement, m’armant de mes poings. Je n’étais pas encore au mieux de ma forme mais j’allais déjà mieux. « Va voir ailleurs, le perv… » Lui ? Sérieux ?! Je n’en pouvais plus de le croiser. Il avait décidé de me hanter ou il avait reçu la mission de m’espionner ? Suis-je bête, c’est un Libre… Il semblait pressé. J’aurais préféré ne pas m’en soucier, d’ailleurs, mais il en avait décidé autrement. « Tu pourrais t’excuser abruti, tu m’as poussée… » Il me coupait. Comme toujours. Ce qu’il était agaçant ! Si je le pouvais, je lui en collerais une. « Euh… Non. Enfin, je viens d’arriver et j’ai pas trop fait attention, je t’avoue. » Je ne comprenais même pas pourquoi je lui répondais. J’aurais pu tout simplement m’éclipser et l’envoyer balader. Il le méritait. Vraiment ! Alors pourquoi ? Je devenais trop gentille. « Mais je peux t’aider, ça ira toujours plus vite. Et puis, je te dois bien ça, je suppose. » J’étais prête à partir, prête à débuter les recherches quand mon regard, en le balayant rapidement pour changer de point de vue s’arrêta sur ce détail. « Ces armes… C’est carrément impossible qu’un Libre en ait. Ils ont tout juste plus que les Soumis… » Je le sentais très mal. Mais alors vraiment très mal… « Comment j’ai pu croire que tu n’étais qu’un Libre, franchement ?! » Je serrais le poing en réalisant ma connerie. Grosse comme le monde, d’ailleurs. « Dis-moi, c’était drôle ? » De se foutre de ma gueule aussi ouvertement ? Je serrais les dents, énervée et clairement humiliée.

Je voyais bien qu’il était occupé et même particulièrement préoccupé par quelque chose qui le rendait tendu mais je n’en avais plus rien à faire. Je me moquais de savoir qui il cherchait. En fait, je ne m’en moquais pas totalement parce qu’il avait quand même parlé d’une petite fille et que je n’imaginais pas une Soumise dans le bordel du centre neutre, surtout pas pour le moment. C’était finalement un véritable bordel en moi aussi. Je ne pouvais décemment pas le laisser flipper comme ça et le laisser dans sa merde alors qu’il m’avait aidé plus d’une fois en sachant pertinemment que nous n’étions pas des alliés, pas dans le même clan. Mais il ne méritait pas cette aide, pas après s’être joué aussi sournoisement de moi. Je bouillonnais. Je rageais. J’avais envie de taper dans un sac bien dur, bien rempli mais il n’y avait rien si ce n’est lui. Et il semblait se moquer totalement de mes états d’âme. Il me le faisait bien ressentir. Quel monstre ! Il s’était moqué de moi depuis notre première rencontre. C’était pourtant évident, on ne donnait pas sa véritable identité dans un contexte pareil. Je m’en voulais. Je m’en voulais d’avoir cru un homme, un homme comme lui. « Tais-toi ! Tais-toi ! » Je ne voulais plus l’entendre me parler, encore moins avec ce nominatif « princesse ». « Ferme-la ! Va-t’en ! » J’aurais aimé lui en coller une mais j’avais loupé mon coup. Il était déjà parti. C’était peut-être mieux comme ça, finalement. Seule, je pouvais m’autoriser à crier de colère, à extérioriser ma rage, surtout dirigée dans mon sens, et m’autoriser également à pleurer un bon coup. Au passage, je m’étais griffée le bras. J’étais énervée, vachement énervée. J’avais laissé un menteur m’aider il n’y a pas si longtemps. Je devais marquer ma douleur, elle devait être physique. Après m’être griffée, j’avais mordu mon avant-bras droit avant de me calmer. J’avais mal mais la douleur était ciblée. Il était déjà loin quand je me décidai finalement à chercher la fille non pas pour lui faire plaisir mais pour ne plus avoir de dette et parce que je ne voulais pas qu’elle se retrouve seule, cette petite inconnue. Et apparemment, je fus la plus chanceuse. Il n’y avait pas énormément de fille de cet âge qui se baladait ce jour-là et seule en plus. Je l’attrapai par l’épaule pour qu’elle se retourne et je découvris de beaux yeux verts. « Un garçon te cherche. Il doit avoir mon âge. » Elle m’observa silencieuse, muette même. Elle s’attarda sur mes yeux après avoir examiné mes bras que je cachai rapidement derrière mon dos. J’avais parlé relativement calmement et elle put lire sur mes lèvres avant de me prendre dans les bras, de m’offrir un câlin et de m’inviter à partir. Apparemment, elle n’était pas prête à rejoindre ce Membre. « Tu peux me parler, je ne suis pas méchante. Et il faut retourner chez… lui. » Je réalisais qu’il connaissait mon nom mais que lui, il était resté muet à ce niveau-là. Alors, je forçai le chemin en direction du lac. On s’était toujours rencontrés là, après tout. Il irait jusque-là. J’en étais certaine. La petite continuait de me regarder avec un air attendrissant mais pas un mot. Elle devait être timide.

La petite fille s’appelait donc Jo ? C’était au moins ça que j’apprenais au sujet de sa vie. Le prénom de la petite fille qu’il cherchait sans même savoir qui elle était ou qui elle représentait pour lui. C’était déjà énorme pour moi, la fille qui avait tout dit et à qui on ne disait rien. Sans un mot, je le regardai s’approcher de nous et enlacer la petite. D’ailleurs, je détournai rapidement mon regard. Je ne voulais pas le regarder. Je ne voulais plus le voir. Je le détestais. Je le haïssais. Je voulais qu’il crève. Et pourtant, j’étais rassurée, je trouvais même ça touchant qu’il ait une once d’humanité, contrairement à ce que j’avais toujours cru. Je l’avais déjà vaguement compris quand il m’avait sauvé la vie mais sans en avoir la certitude. Le voir s’inquiéter et serrer si fort cette fille me confirmait qu’il avait un cœur. Apparemment, même lui, il en avait un. Alors, malgré moi, je souris. Un petit sourire qui s’effaça très rapidement. Il se moquait de moi ? Il me serrait dans les bras ? Il était sérieux ? Après tout ce qu’il m’avait fait subir il osait faire ça ? Malgré ça, je ne réagis pas. Pas un sourire maladroit. Pas un « C’est pas grave ». J’étais inerte. Je ne parlais pas, je ne bougeais pas. Et par-dessus tout, je ne le regardais pas. Ce serait la pire chose à faire. Et alors que je souhaitais secrètement qu’ils s’en aillent – tout en espérant pouvoir connaître davantage la petite en même temps – voilà que cette dernière s’accrochait à ma main. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait. Elle était muette, sûrement timide et pourtant elle voulait rester avec moi ? Était-elle aussi naïve que moi ? Je l’observai discrètement et je pus remarquer les mouvements sur la main de ce jeune homme qui semblait me regarder après. « Elle est… muette ? » Tout s’expliquait soudainement. Elle m’appréciait mais ne savait pas parler. D’où le câlin et le mutisme complet. Elle m’enlaçait une nouvelle fois. Je ne la dégageai pas. Au contraire, sa présence me réchauffait le cœur meurtri par l’autre imbécile. En parlant du loup… Voilà qu’il me chopait le bras sans s’annoncer. Et puis quoi encore ?! Je cherchai à libérer mon bras mais il était clairement plus fort que moi. Je détournai le regard, énervée, frustrée, humiliée, mal à l’aise. Sa remarque m’acheva. De mon bras libre, je le giflai. Cette fois, c’était la bonne. Je ne l’avais pas raté. « Ne fais pas semblant de t’en soucier ! » Je lui crachai mon venin. « Tu t’en moques, au contraire, ça t’amuse ! C’est de ta faute et tu jubiles ! » Je ne voulais pas offrir un tel spectacle à la petite demoiselle qui se trouvait entre nous mais c’était plus fort que moi. Je m’en mordais déjà les doigts.

C’était bien ça, cette Jo était sourde et muette. Elle n’avait donc pas peur de moi. Elle ne me fuyait pas non plus. En même temps, ça aurait été étrange qu’elle me fuie et pourtant qu’elle m’enlace à deux reprises. Elle avait beau être sourde et muette, elle était particulièrement expressive. Elle fusillait le Membre du regard et quelque part, je sentais qu’elle était beaucoup plus de mon côté que du sien. Je sentais bien le malaise ambiant et j’osais espérer que ça ne venait pas uniquement de moi. Pour me détendre, il valait mieux que je regarde Jo et c’est ce que je fis. Elle dégageait une légèreté et une innocence incroyables. J’avais envie, moi aussi, de la serrer dans mes bras mais ce n’était certainement pas le meilleur moment. Alors, je la regardais simplement, silencieuse, en essayant de me projeter à sa place. Je me plaignais mais elle avait un handicap beaucoup plus important que moi. De son côté, elle souriait. De qui je me moquais ? Je ne vivais rien de difficile si ce n’est la mort de mes parents. Ma vie n’avait pas si mal commencé, contrairement à la sienne. J’avais sûrement beaucoup de choses à apprendre sur elle. Elle avait une telle force de caractère. Même face à l’autre abruti. Elle ne voulait toujours pas partir. Je souris à nouveau très discrètement quand elle lui tint tête. Il s’effaça tout aussi vite. « Ton frère ? » J’atterrissais encore une fois. Je ne lui en voulais pas de m’avoir caché ça. L’impliquer elle, c’était autre chose. « Vous n’avez vraiment rien en commun. » Cette phrase était sortie spontanément. Je devais assimiler l’information et c’était ma manière de le faire.

Mais le plus choquant devait encore arriver. Ce qu’il me dit eu le don de me choquer. Si bien que je me pinçai le coude pour être certaine que j’étais bien réveillée. C’était la réalité. C’était bien vrai. Je ne rêvais pas. Sceptique et surtout paumée, je bredouillai quelque chose d’inintelligible et restai finalement muette pendant plusieurs secondes. Je ne m’étais pas attendue à ce qu’un homme aussi narcissique puisse un jour s’excuser, même s’il s’agissait presque d’un ordre de sa petite sœur. « Ce qui est fait est fait. » J’avais moi aussi ma fierté. Je ne voulais pas tout de suite l’excuser, pas franchement en tout cas. Et puis, j’avais peur qu’il l’ait fait pour Jo plus que par sincérité. Je me grattai la nuque tout en déplaçant sans cesse mon regard, ne trouvant pas de bonne posture pour le moment. C’était beaucoup trop inattendu. Voilà qu’il s’intéressait à nouveau à mon bras. Je ne le comprenais décidément pas. Il me disait se moquer de moi et puis il se souciait de mon état général. Peut-être n’avait-il pas été aussi égoïste qu’il le prétendait quand il m’avait sauvé la vie au lac, la dernière fois. « Mouais. » J’avais lancé ça avec un faux détachement. Ça me touchait, quelque part, en plus de me perturber totalement. Quand il me rappela l’évidence que je cherchais à ranger au fond de ma tête, je soupirai, laissant à nouveau mes barricades tomber. « T’as une drôle de façon de t’amuser, si tu veux mon avis. » Je me laissais faire sans problème par sa petite sœur qui me mettait, contrairement à lui, drôlement à l’aise. Elle eut le don de me faire rire. Elle avait un pouvoir incroyable sur lui mais sur moi aussi. « Tu as bien raison. Ton frère est un véritable idiot. Tu as dû récupérer l’intelligence qui lui fait défaut. » J’avais lancé ma pique mais au fond ce qu’il avait dit continuait de résonner dans ma tête. « Tu sais, il n’y a pas de honte à avouer qu’on veut aider quelqu’un, monsieur l’égoïste. » On reprenait nos chamailleries ?

Sa réaction ne m’étonnait pas, dans le fond. Je savais pertinemment qu’il réagirait de la sorte parce qu’il tenait particulièrement à sa sœur. Sinon, il n’aurait même pas pris la peine de me demander de l’aide. Ou peut-être que oui ? Non. Il ne fallait pas y penser. Pas même une seconde. Il se moquait de moi. Il n’en avait rien à faire de moi. Je n’étais qu’une débile de plus pour lui, une naïve parmi tant d’autres. Là n’était pas la question. Je me concentrais sur notre petite discussion du moment. Il était certain de lui. En tout cas, il affichait une certaine assurance en utilisant des mots pompeux. Il en faisait des tonnes dès que ça concernait sa sœur. C’était drôlement mignon. Et je ne pensais pas le trouver mignon, un jour. D’ailleurs, pour un Libre, il était drôlement propre. J’avais été vraiment stupide. Attends ? Je venais vraiment de le trouver mignon au-delà de son comportement ? Je m’infligeai une claque psychologique à l’instant même où cette pensée me traversa l’esprit. « Elle semble intelligente, déjà. » Bon, il avait été rusé, lui aussi, mais ce serait trop difficile de l’admettre. « Elle est mignonne. Elle se montre gentille. » Pour ce dernier détail, je comptais bien enfoncer le clou, à mon tour. « Pas que tu sois un monstre, mais tu ne te montres pas gentil, c’est ça la différence. » C’était vrai. En tout cas, c’est comme ça que je le percevais et j’avais le sentiment que je ne me trompais pas. Pas cette fois. Pourtant, je doutais. Et s’il se montrait gentil pour faire plaisir à Jo ? Il me le prouvait. Encore une remarque pour me casser. Oui, j’avais compris que j’avais été crédule. J’avais compris la leçon. Il ne pouvait pas juste me lâcher pour l’instant ? Je soufflai, exaspéré. « La fille en question t’emmerde. Tu es peut-être intelligent et rusé, tu n’en restes pas moins un parfait idiot quand il s’agit de t’ouvrir correctement et sincèrement. Jo doit tout t’expliquer. » J’osais imaginer que pour certains c’était être stupide que de dire certaines choses sincères à leurs sujets. Mais, lui, c’était un mensonge plutôt énorme. Je ne comprenais pas trop pourquoi il se montrait faussement méchant, faussement blessant. Il n’allait jamais jusqu’au bout des choses. Que ce soit par peur ou par fierté, je m’en moquais mais j’avais bien compris son petit jeu. Peut-être était-ce pour ça que j’avais laissé passer ce coup en pleine figure. Jo me ramena les pieds sur terre en serrant mes doigts. Je baissai la tête vers la petite fille, un sourire sincère et discret sur le visage. Elle était tellement lumineuse dans un contexte aussi sombre. Les Dragons avaient de la chance. Il avait de la chance. Il était sérieux ? Je le regardai, attendant la suite. Parce qu’il devait y en avoir une, de suite. Il n’allait pas me laisser imaginer toutes sortes de scénarios, je le lui interdisais mentalement. J’exerçai soudainement une pression sur la main de Jo sans m’en rendre compte, heureusement, ce fut aussi pinçant que vif. Il venait bien de me dire ça ? Je fus prise au dépourvu. Je m’attendais à tout sauf à ça. Je le voyais de nouveau étrangement mignon. Il n’était pas le monstre qu’il voulait faire croire. Je perdis mes moyens. C’était peut-être plus simple de lui cracher dessus, finalement. On avait pris cette habitude en très peu de temps. Oui, c’était beaucoup plus facile. « Et j’étais sérieuse en disant que tu n’es pas un monstre égoïste. Pas avec moi, en tout cas. Et je m’en fous de la façon dont tu te comportes avec les autres. » Parce qu’avec moi, tu étais gentil. Et j’aimais bien cette idée, dans le fond. J’avais peur de m’en mordre les doigts mais j’y allais franchement, tant qu’à faire. « Je suis pas un moineau. Je suis un cygne, le mauvais canard. » J’avais entendu parler d’une histoire du genre. « Et toi, t’es un gentil crétin. » Il mit à nouveau en évidence l’état de mon bras et j’étais sur le point de le cacher quand Jo l’aida. C’était bien ma veine. Voilà qu’ils s’y mettaient tous les deux. Elle enroula un petit châle autour de ma plaie et j’eus un sursaut, je loupai un battement de cœur. C’était mignon. C’était trop adorable. C’était bien trop beau, beaucoup trop gentil. Je caressai le châle dans un mouvement léger et malhabile avant de prendre la petite dans mes bras, la serrant fort en prenant soin de ne pas la casser. « En fait, tu avais raison. Vous êtes les mêmes. » Je faisais référence au fait qu’ils m’avaient tous les deux aider et soigner à leur manière. Allait-il comprendre l’allusion ? J’avais déjà les larmes aux yeux.

Si j’étais certaine d’une chose le concernant, c’était qu’il tenait à sa petite sœur, Jo. De ce fait, j’étais convaincue qu’il ne me mentait pas cette fois. Il répétait sans cesse depuis notre première rencontre qu’il n’en avait que faire des autres et il me l’avait bien démontré en crachant sur un parfait inconnu dont j’avais tout juste parlé. Il s’était moqué de moi depuis le début, ça aussi, c’était une preuve. Alors, qu’il défende ainsi une petite fille sourde et muette, ce n’était pas anodin. Il l’aimait. Et l’amour ne semblait pas être un sentiment qu’il connaissait tant que ça. J’étais persuadée qu’il réservait cet amour pour elle et elle seule. Il devait s’en occuper avec beaucoup de soin. Au fond, elle avait l’air d’être ce trésor qu’il cache dans son cœur. Cette Jo avait beaucoup de chance. J’aurais aimé avoir un grand-frère, moi aussi. J’aurais tellement voulu avoir un aîné qui soit totalement différent avec moi. Ça me fit craquer alors que j’aurais préféré lui rappeler à quel point il m’énervait. Le découvrir aussi humain, ce n’était pas rien. Ça avait au moins le don de me déstabiliser. Pourtant, il n’y a encore pas si longtemps, je lui en voulais au point de vouloir le tuer ou, au moins, le blesser à mon tour. S’il n’y avait pas eu cette petite demoiselle, il y a fort à parier qu’on se serait entretués, ou que je me sois fatiguée à lui cracher toute ma haine. « Je n’ai pas insinué le contraire. » Je souriais sans trop en faire. J’étais toujours chamboulée par la gentillesse naturelle de sa petite sœur. Et de la sienne, mine de rien. « Elle a beaucoup de chance d’avoir un grand-frère comme toi. On remarque tout de suite que tu tiens à elle plus qu’à n’importe qui. » Il avait déjà dû entendre ça des millions de fois. Ne serait-ce que de ceux de son clan. Mais j’avais senti le besoin de le souligner malgré tout. Même s’il s’était montré particulièrement monstrueux avec moi, il devait entendre qu’il n’était pas que ce monstre qu’il montrait.

Je ne soulignai pas ses conneries concernant le fait qu’il n’ait pris que l’option intelligence parce que je savais que c’était faux. Il n’était peut-être pas le plus gentil, encore moins le plus altruiste, mais il n’était pas juste sans cœur ou égoïste. Seulement, tout comme je me persuadais que je savais me gérer toute seule et que j’étais égoïste, il se persuadait qu’il n’était que ce connard narcissique incapable de bons sentiments. Je levai les yeux au ciel quand j’entendis sa maigre répartie. Sincèrement ? Il n’avait pas mieux comme réponse ? « Cette fois, on dirait bien que c’était toi qui as perdu toute réactivité. Franchement, t’as pas trouvé mieux ? Je te croyais plus fier que ça quand même. Tu ne vas pas défendre le fait que tu n’agisses jamais par abnégation mais que tout est toujours calculé ? Tu m’impressionnes ! » Il fallait bien lui rendre la pareille de temps à autre. D’autant que c’était rare avec lui puisqu’il avait l’habitude de jouer les durs insensibles à ce que peuvent dire ou penser les autres. Là, finalement, il prouvait bien que ce que pouvait penser sa sœur lui importait vraiment. Et rien que ça, ça me prouvait que je n’avais pas totalement tort depuis le début. Ce n’était pas rien qu’un cœur de pierre. Il était plus que ça, mais juste trop fier. Il le prouvait encore, par ses pseudo-piques qui finalement ne ressemblaient à rien de plus que des boutades. Si Louane avait été là, elle l’aurait dit, comme elle aimait le répéter, que ce n’était là rien d’autre que de l’amour vache. « Au moins, tu l’avoues enfin, que je suis un cygne égoïste, monsieur le dragon pas si insensible que ça. » Et c’est là que ça fit tilt. Toutes les piques au sujet des Dragons. Il n’avait cessé de parler de Dragons, même si j’avais commencé, depuis notre première rencontre. « Enfin, je dis ça comme ça. T’es pas un Dragon quand même ? Enfin, je pense surtout à Jo. » Et à sa santé mentale et physique… Chez les Dragons, ça ne devait pas être évident. Je savais bien qu’il ne me dirait jamais la vérité à ce sujet mais j’espérais connaître la vérité un jour. « Je ne pleure pas ! C’est une réaction… physique parce que… oh et puis merde ! » Je ne voulais pas me justifier, pas devant lui. Et pourtant, ce qu’ils avaient dit et fait m’avait vraiment touchée. « J’espère bien que tu ne vas pas déchirer ton pull pour moi, j’ai d’autres solutions plus sympas que celle-là chez moi. » Et j’avais pas envie de me justifier auprès de Louane, surtout.