Yoan ne broncha pas. Il la laissa s'approcher pour l'embrasser et lui rendit même son baiser. Il semblait sous le charme. La Tireuse, quant à elle, se sentait en totale confiance. Elle en avait même oublié toutes les appréhensions qu'elle avait pu avoir auparavant. Bien sûr, il était Dragon... La blonde gardait cette information sous le coude pour l'instant. Il paierait peut-être pour ces brutes qui avaient abusé d'elle et de Jéremy mais pour l'heure Dalia avait décidé de laisser cette rancœur de côté. Son besoin d'évasion était plus fort que sa haine pour les Dragons. Alors, elle s'abandonnait dans les bras de Yoan qu'elle venait tout juste de rencontrer. Elle avait comme l'impression qu'entre eux, tout était très simple et ça lui faisait un bien fou, même cette histoire ne serait certainement qu'une passade comme une autre.

Le Dragon interrompit leur baiser pour demander ce qu'ils allaient faire à présent. C'était une excellente question. Dalia jeta un coup d’œil au ciel et constata que le jour déclinait de plus en plus. Les ruines n'étaient pas sûres la nuit mais à deux, ils ne risquaient rien (en théorie).

Je peux t'emmener dans ma tanière si tu veux.

Elle avait répondu  de façon un peu trop spontanée : laisser un Dragon pénétrer sur le territoire des Vipères était une très mauvaise idée, et elle risquait d'avoir des ennuis si on les surprenait ensemble. Alors elle réfléchit à nouveau.

Mais ce n'est peut-être pas un si bon plan que ça ... Non oublie, c'est stupide. Elle s'arrêta pour fixer Yoan qui affichait un petit sourire mystérieux. On dirait que tu as une idée derrière la tête...

Si ça ne tenait qu'à elle, ils seraient restés là tous les deux pour discuter encore un petit moment avant de se quitter. Mais Yoan semblait imprévisible et on aurait dit qu'il lui cachait quelque chose. La Vipère était curieuse de savoir ce dont il s'agissait.

Yoan lui répondit que sa "tanière" aurait pourtant été utile pour son idée. Mais quelle idée? Dalia fronça les sourcils, elle aurait aimé savoir ce qu'il lui préparait, mais l'ignorance devait faire partie du jeu, sans doute. Il lui proposa une baignade au lac, ce à quoi la Tireuse ricana. Les eaux toxiques n'étaient pas vraiment ce qu'elle appréciait le plus. Ensuite, le Dragon évoqua la possibilité d'aller canarder les pigeons. La blonde pouffa.

Non laissons-les où ils sont. On n'a pas besoin d'eux pour s'amuser.

Il lui demanda alors pourquoi elle refusait de l'emmener chez elle. Cela lui semblait pourtant évident.

Eh bien c'est simple : tu es un Dragon, je suis une Vipère. Imagine un peu la tête de ma chef si elle nous croisait ensemble.

Ce ne serait pas une bonne chose, loin de là. Dalia imagina l'espace d'un instant quelle pourrait être la réaction d'Anna ou de Nora. Elle se dit qu'on pourrait l'abattre sur le champ... Non ce n'était vraiment pas une bonne idée.

Et je suppose que chez les Dragons, je ne serais pas la bienvenue non plus.

Une idée lui traversa l'esprit mais elle la chassa bien vite. Il y a bien le bar à drogues, mais la dernière fois j'ai un peu abusé. Donc je n'ai pas trop envie de remettre ça...

Elle tourna son regard vers lui. La blonde se sentait prise d'un sentiment grisant qui devait être dû aux nombreuses caresses que Yoan lui procurait. Il était plutôt doux et tactile. Ce n'était pas pour déplaire à la Tireuse. Elle avait bien besoin qu'on la cajole, après tout ce qu'elle avait vécu ces derniers jours.

On pourrait tout simplement rester ici. Moi ça me conviendrait.

Elle ponctua cette proposition d'un sourire charmeur. Il ne lui en fallait pas plus pour profiter de cet instant et changer de lieu pourrait casser la belle alchimie qui venait de naître entre eux.

Yoan s'éloigna soudainement. Il rompit de la sorte le contact physique qui s'était établi entre eux. Dalia fut tentée de le suivre, mais le laissa s'adosser tranquillement contre le mur qui se trouvait quelques pas plus loin, juste en face d'elle. Il maintint un silence gênant avant d'accepter sa proposition pour "discuter". La blonde n'avait pas vraiment envie de parler en ce moment même... Mais elle ne voulait pas non plus se jeter sur lui comme une bête affamée, alors elle freina ses pulsions et resta sur place, les bras croisés.

Elle détailla Yoan des pieds à la tête avec un léger sourire gêné. Le silence qui s'installait petit à petit devenait embrassant et elle décida de le rompre.

Eh bien je suppose que t'as de sacrés talents pour être gradé chez les Dragons. On ne devient pas le favori d'un chef en étant médiocre. Je me trompe?

Elle voulait en savoir plus sur sa place, son importance et son pouvoir dans le clan du Nord. Dalia ne s'était jamais vraiment intéressée au poste de Favori. Elle savait que dans son clan, ce grade avait plutôt une mauvaise réputation et ne voulait pas dire grand chose, mais c'était peut-être différent ailleurs. Soudain, une question lui vint à l'esprit, une question qui éveilla son instinct de protection, ainsi que sa méfiance.

Tiens et t'étais en mission pour traîner dans le coin?

Maintenant que l'ardeur de leurs caresses était retombée, Dalia pouvait considérer le jeune homme avec plus de lucidité. Il lui apparut bizarre qu'un Dragon - et qui plus est un gradé - ne s'aventure aussi loin de chez lui. Bien sûr, elle ne pensait pas que Yoan mentait, elle prenait juste ses précautions en éclaircissant quelques points noirs au sujet de leur rencontre.

La Tireuse n'en crut pas ses oreilles... Elle se retint d'écarquiller les yeux mais se sentit bondir intérieurement. L'explication de Yoan ne tenait pas debout. Il ne pouvait pas être Dragon et lâcher une telle ineptie. La blonde le laissa achever ses explications - ou plutôt ses mensonges et le fixa ensuite d'un regard dur.

Maintenant tu vas me dire qui t'es vraiment, enfoiré! Elle dégaina son revolver et le pointa sur le pseudo Dragon sans ciller. Lui qui venait de se mettre contre le mur n'imaginait sans doute pas qu'il ferait une cible parfaite la minute qui suivrait... T'es qu'un putain de Libre c'est ça? Ou un espion? Mais tu ne fais pas partie des Dragons, c'est certain, Chad a déjà été remplacé il y a plusieurs jours et tous les clans sont au courant!

En prononçant ces mots, la Tireuse avait haussé le ton. Elle sentait la colère la gagner. Comment avait-elle pu se laisser berner à ce point? Comment avait-elle pu baisser sa garde devant cette pourriture? Elle n'était pas aussi stupide! Non ça ne lui ressemblait pas! Qu'est-ce qui avait bien pu lui prendre? Comme si elle avait besoin d'un homme pour aller mieux... Pour une fois qu'elle se laissait aborder par un inconnu, voilà ce qui arrivait. Ca lui apprendrait à baisser sa garde comme la dernière des naïves! Dalia n'attendait qu'un signe, une geste pour tirer. Mais quelque chose la retenait : elle voulait au moins entendre ses explications. Lui laisser une toute petite chance de s'en tirer. Mais il n'aurait droit qu'à un seul essai. Et la juge qui se dressait face à lui n'était pas des plus faciles à convaincre.

Même s'il venait de perdre son sourire, Yoan resta étrangement calme. Cela ne plut pas vraiment à Dalia, qui aurait aimé le voir mort de trouille et suppliant. Il tenta de se justifier une première fois en affirmant qu'il n'avait pas menti, puisque le fait de se créer une identité n'était pas vraiment un mensonge. La Tireuse leva les yeux au ciel, excédée.

Arrête un peu avec ton baratin. T'as dit n'importe quoi donc c'est un mensonge point.

Elle détestait que l'on joue sur les mots pour la contredire, d'autant que cette affirmation était largement contestable et ne remettait pas du tout en doute l'hostilité de la Vipère, bien au contraire. Yoan tenta alors autre chose pour ce sortir de ce pétrin. Son deuxième argument fut plus subtil et percutant, bien plus que ce à quoi Dalia s'attendait. La blonde garda une expression neutre sans afficher le doute qui la gagnait, mais elle prit une décision : elle ne se laisserait pas influencer par ce manipulateur, car clairement c'était ce qu'il était, ni plus ni moins.

Et qu'est-ce qui me dit que ce n'était pas dans tes projets? On ne se connaît que depuis quelques minutes, rien ne me prouve que tu n'avais pas un plan foireux en tête. Et c'est pas parce que t'es pas un Dragon que t'es pas une ordure. J'vais pas me réjouir pour si peu, désolée.

À la limite, elle aurait préféré tomber sur un Dragon honnête... Parce qu'elle détestait l'impression qu'elle éprouvait en ce moment : celle d'avoir été complètement bernée par le premier des inconnus.

Autre chose? Du bout du pouce, elle enleva le cran de sécurité de son arme en signe de menace. Si t'es pas un Dragon ni un Libre, qu'est-ce que t'es au juste? Elle laissa planer un court silence. Tu me dois bien la vérité, admets-le.

Si elle n'avait pas encore tiré, ce n'était pas parce que Yoan l'avait rendue accro, elle n'était pas du tout fleur bleue. Non, c'était plutôt parce qu'il l'intriguait. Quelque chose lui disait qu'il était différent de tous les hommes qu'elle connaissait et elle voulait en savoir plus à ce sujet, s'assurer qu'elle ne faisait pas une bêtise en l'abattant froidement au milieu des ruines.

Le brun garda cette attitude détendue qui agaçait tant Dalia. Il lui affirma qu'il ne pouvait lui en dire plus sur son identité et qu'elle avait le choix de l'abattre ou de le laisser filer. Il ne manquait pas de culot! La blonde fronça les sourcils. Elle avait l'impression qu'il ne la prenait pas au sérieux et elle ne le supportait pas. Ensuite l'inconnu s'approcha, lui démontrant qu'il ne craignait pas vraiment qu'elle lui tire dessus et essaya à nouveau de la manipuler en lui rappelant l'agréable moment qu'ils venaient de passer à deux.

Sans le quitter des yeux, la blonde appuya le canon de son arme contre la poitrine de Yoan et le repoussa violemment. S'il espérait l'avoir avec ses belles paroles et ses yeux doux il se foutait le doigt dans l’œil. Si Dalia lui avait cédé, la colère lui rappelait désormais l'erreur qu'elle avait commise. Elle ne pouvait donc pas le laisser approcher avec ses yeux de merlan fris comme si de rien n'était.

Ton T-shirt. Dit-elle d'une voix froide, accompagnant ces mots d'un petit geste vif. Tu l'enlèves. Maintenant.

Elle voulait au moins savoir s'il appartenait à un clan ou pas. Il fallait qu'elle sache. Quelque chose lui disait que ce n'était pas le cas (certainement le fait qu'il ne soit pas au courant pour le nouveau Second, mais pas seulement). Elle voulait en avoir le cœur net. Alors, et à ce moment-là seulement, elle verrait bien si elle le laisserait partir ou pas.

L'homme s'exécuta après avoir esquissé un petit sourire. Dalia n'eut même pas à lui demander de se retourner : il anticipa son ordre. Sans doute avait-il compris les intentions de la Tireuse. Il afficha donc avec une certaine assurance son dos nu. Le spectacle n'était pas déplaisant mais la blonde remarqua à peine la musculature du jeune homme. Ses yeux fixèrent immédiatement ses omoplates qui étaient nues. Elle fronça les sourcils. Il ne faisait partie d'aucun clan. C'était donc un Libre. Il exhiba également ses poignets. L'un des deux portait un tatouage, mais il ne s'agissait pas d'une marque de soumission à première vue.

Le Libre lui fit de nouveau face. La blonde ne répondit rien à sa question des plus laconiques, elle fixait toujours son arme sur lui, prête à tirer. Il ajouta alors une petite boutade. Rien de bien important, mais son petit ton provocateur commençait à énerver la Tireuse. La gâchette lui démangeait déjà et cet imbécile ne faisait rien pour arranger les choses. Elle siffla et finit par tirer, à nouveau à hauteur du visage et de sorte à ce que la balle lui érafle la joue droite un peu plus profondément cette fois. S'il la cherchait, il la trouverait.

Ne me tente pas.

Il fallait à présent qu'elle décide du sort de ce type. Il était Libre et visiblement il ne faisait pas partie de la Troupe. La blonde pouvait l'abattre sans sommation. Elle avait pris les Libres en horreur depuis qu'ils avaient tous décidé de péter les plombs, ces derniers temps. Ça n'arrangeait donc rien...

T'es donc bien un putain de Libre. Tu savais pas le dire plus tôt non? Ca nous aurait épargné toute cette perte de temps.

Du coup, elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il avait voulu garder le secret sur son identité. Ce type était contradictoire. Il prétendait ne rien pouvoir lui révéler mais affichait sans hésitation son absence de marque... Bizarre. À croire qu'il cachait quelque chose de plus complexe qu'une simple maque d'appartenance.

Bref je ne comprends pas pourquoi t'as tant baratiné alors que la vérité était si simple...

Elle le maintenait toujours en joue, ne sachant pas ce qu'elle allait faire de lui. Il faudrait qu'elle prenne une décision et vite, qu'elle quitte cet endroit et qu'elle oublie cette rencontre embarrassante.

À nouveau, ce petit coup de feu bien placé eut l'effet escompté. Le Libre sursauta. Il ne s'attendait sans doute pas à ce qu'elle tire. Il ne savait vraiment pas à qui il avait affaire... Dalia sourit en le voyant tressaillir pour ensuite se masser la joue. Elle l'avait légèrement amoché... Quel gâchis. Mais elle avait visé de sorte à ce qu'il ne soit qu'égratigné. Peut-être était-elle trop clémente avec lui?

Il se ressaisit et à nouveau, donna une explication qui avait plus l'air d'un mensonge qu'autre chose. La blonde se pinça les lèvres. C'était tellement tentant... Mais elle baissa son arme. Son instinct lui disait de l'épargner. Elle ne voulait pas le tuer ici et maintenant. L'air de rien, sa petite explication concernant le moment qu'ils venaient de passer à deux l'avait fait douter. Aussi décida-t-elle de le laisser décamper.

Ok je vais te laisser partir. Ne t'approche pas de moi. Si tu me suis, cette fois t'es mort je te préviens.

Peut-être ne le comprendrait-il pas, mais elle lui faisait un cadeau. Ce n'était pas son style de laisser quelqu'un la déstabiliser pour ensuite le laisser filer comme si de rien n'était, d'autant plus qu'il était Libre... Mais qu'importe. Elle avait envie de rentrer chez elle et de se terrer dans sa chambre. C'était tout ce qu'elle saurait faire après une telle déception.

Le Libre resta planté là, tout sourire. Il attendait qu'elle parte. Il avait donc tous les culots. Dalia pesta et tourna les talons, non sans marmonner

Putain de mollusque.

Bizarre comme insulte, il fallait bien le reconnaître. Et pourtant, après plusieurs jours à décanter toute la drogue que contenait son organisme et qui avait pas mal endommagé son imagination, c'était la seule comparaison insultante qu'elle avait trouvée. Pour un homme, on pouvait facilement comprendre où se trouvait l'insulte... Et pourtant, ce type avait fait preuve d'un sang-froid très impressionnant. Il n'avait pas flanché et avait fait en sorte de s'en tirer indemne. Dalia ne comprenait toujours pas ce qu'il venait de se passer exactement. Venait-elle de se faire berner ou d'éviter le pire? Impossible à dire. Peu importe, ce type n'était qu'un sale menteur. Très séduisant, certes. Mais un menteur tout de même. Elle espéra alors ne jamais recroiser sa route. Car si tel était le cas, il aurait moins de chance, beaucoup moins de chance...