Jour 02 P-R (après-midi)

La journée avait été mouvementée et Dan était heureux de pouvoir enfin rentrer chez lui. Cette semaine de survie aux côtés de Damien avait été beaucoup plus éprouvante que prévu. L'adolescent avait ressenti un mal étrange à la poitrine pendant plusieurs jours et une toux persistante l'avait embarrassé jusqu'à son retour sur le territoire. C'était assez embêtant mais pour l'instant, Dan préférait ne pas trop s'inquiéter : les ruines étaient un terrain de jeu assez rude. La poussière et le vent étaient sans doute à l'origine de ce malaise passager et le jeune homme décida de ne plus trop y penser.

L'annonce du coma de Kim avait aussi secoué pas mal de monde. Emi, pour commencer, était dévastée par cette nouvelle. Voir sa cousine en pleurs n'était pas vraiment ce que l'adolescent espérait pour son retour et il devait bien avouer qu'il s'inquiétait pour elle. Son attachement à Kim était connu de tous et il craignait qu'elle ne subisse des brimades ou qu'on profite de sa souffrance. Il avait tenté de la calmer mais la foule, le bruit, les événements... Un tas de choses l'avait empêché de se focaliser sur elle et son trouble. Et puis, cette nouvelle l'avait aussi affecté lui. Qu'on se le dise : Dan détestait Kim. Il ne regrettait pas que son chef croupisse à l'hôpital. Et pourtant, il devait bien reconnaître que le clan allait certainement pâtir de l'absence de son chef. En plus, cet espèce de boiteux avait repris les rênes. Comme si les choses n'étaient pas assez catastrophiques comme ça...

Ensuite, Damien l'avait envoyé se reposer. Il comptait lui parler plus tard dans la journée mais Dan se demandait bien ce que son mentor lui voulait. Il craignait que l'ancien ne s'inquiète pour ce petit problème de santé passager. Dan aurait bien vite fait de le rassurer de toute façon.

Le blond pénétra donc dans le logement, exténué. Il déposa son sac de voyage dans un coin, près de l'entrée et se dirigea vers sa chambre, située à l'étage. Mais alors qu'il commença à se déshabiller, il fut pris d'une douleur soudaine dans la poitrine, exactement comme celle qu'il avait ressentie quelques jours plus tôt. L'adolescent tenta de reprendre sa respiration, mais chaque bouffée d'oxygène semblait lui transpercer les poumons. Il s'assit sur son lit, chancelant et tenta de ne pas paniquer. Mais son coeur s'emballait et il ne parvenait pas à se calmer. Il finit par ressentir une atroce pression dans le crâne. Alors, le souffle court, il se releva en vitesse et traversa la pièce pour en sortir. Il se dirigea vers la pièce d'eau qui se trouvait juste en face de sa chambre, verrouilla la porte et fit couler de l'eau dans une bassine à toute allure.

Lorsque enfin la bassine fut à moitié pleine, il en but quelques gorgées et plongea la tête dedans. Il se releva ensuite, tentant toujours de respirer au mieux. Enfin, le blond tituba jusqu'à la fenêtre où il prit l'air quelques instant, espérant que tout cela calmerait ses douleurs au crâne et à la poitrine.

Alors que j'aurais dû me réjouir du retour de Dan, je n'y parvenais pas. Kim était dans le coma, on n'avait pas plus d'informations sur lui. Je l'avais appris ce matin. Et j'étais dévastée par cette nouvelle. J'espérais de tout cœur qu'il se réveillerait vite et qu'il reprendrait sa place, mais je ne savais pas combien de temps la situation allait durer. Et c'était difficile.

Après l'annonce, j'étais rentrée chez moi avec Damien et Dan. Ma mère avait préparé le dîner mais je ne pus rien avaler. Elle essaya de me réconforter mais rien n'y faisait. Je me rendis au Q.G. mais personne n'avait de nouvelles, et la plupart des gradés n'étaient même pas là. Sur le chemin, j'eus droit à quelques moqueries mais je passai à côté de ces idiots en restant forte. Si Kim tardait trop à revenir, je risquais d'avoir des ennuis. Mais en cet instant, je m'en fichais, je voulais juste qu'il aille bien.

Alors que je l'avais fuie tout à l'heure, je fus soulagée en voyant apparaître ma maison au bout de l'allée. Mais au lieu de rentrer chez moi, je ressentis le besoin d'aller chez Dan. Il saurait me réconforter, j'en étais sûre. Il me raconterait comment s'était déroulée sa semaine, les exploits qu'il avait accomplis, et je ne penserais plus à rien d'autre. Je courus les quelques derniers mètres qui me séparaient de sa maison et j'entrai sans frapper, comme à mon habitude. Damien n'était pas là, ce qui ne m'étonna pas. Je montai les escaliers quatre à quatre et découvris une chambre vide. Il ne devait pas être loin, sa chemise (toute sale) se trouvait par terre. Il devait être allé se rafraîchir à côté. Prenant une grande inspiration et tentant de chasser toutes ces pensées tristes, je m'assis sur son lit et attendis qu'il revienne. J'espérais qu'il ne prendrait pas trop de temps, j'avais besoin de parler.

Dan parvint à apaiser ses douleurs. Sa respiration et son rythme cardiaque se calmèrent petit à petit. L'air de l'extérieur semblait y être pour quelque chose. Le contact de l'eau l'avait aussi soulagé. Il tenterait d'y penser pour la prochaine fois. L'adolescent commença alors à s'inquiéter. Si ces crises revenaient fréquemment, ça risquait de poser problème. Et il finirait par devoir l'annoncer à Damien et peut-être même à ses supérieurs. Son test n'était que dans quelques jours... C'était trop bête. Il ne pouvait pas avoir ça maintenant.

Le blond soupira et se frotta le visage. Se tracasser ne servait à rien. C'était peut-être la fatigue. Oui. C'était la fatigue. Soudain, il crut entendre un bruit dans les escaliers. Quelqu'un l'attendait dans sa chambre. À tout les coups ça devait être Damien. Dan pensait qu'au moins, il aurait pris la peine de signaler sa présence avant de se permettre d'entrer. Et puis, il était assez étonnant que l'ancien soit déjà de retour.

Le blond traversa le couloir en s'essuyant. Son visage et son torse étaient encore humides. Quelle ne fut pas sa surprise de se trouver face à sa cousine, qui occupait le lit. À son air, Dan comprit qu'elle était encore plus mal en point que ce qu'il s'était imaginé.

Emi? Ca va?

Il alla s'asseoir à côté d'elle, s'attendant à ce qu'elle ait besoin une présence ou de gestes pour la soutenir.

Dan revint quelques minutes plus tard. Il était en train de s'essuyer : il était bien en train de se rafraîchir à côté comme je le pensais. Il fut surpris de me voir mais me demanda bien vite si j'allais bien. Je hochai faiblement la tête, mais c'était un mensonge. Il ne tarda pas à venir s'asseoir à côté de moi.

« Je sais que tu ne l'aimes pas mais... mais tu crois que Kim va s'en sortir ? » lui demandai-je en levant les yeux vers lui.

Peut-être que si lui, qui n'aimait vraiment pas Kim, m'affirmait qu'il irait bien, je me sentirais mieux. Je l'espérais en tout cas. Vraiment.

À sa question, Emi acquiesça sans réelle conviction. Non, elle n'allait pas bien du tout, et elle tentait de le cacher mais Dan pouvait le sentir. Elle avait vraiment une sale mine et tout dans son regard trahissait la tristesse. Elle leva les yeux vers lui et lui demanda si Kim s'en sortirait. Évidemment Dan ne s'était pas trompé : celui qui était à l'origine de son malêtre n'était autre que leur chef. Il se retint de lever les yeux au ciel. Il aimait plus Emi qu'il ne détestait Kim, alors l'adolescent décida de mordre sur sa chique et afficha un air rassurant.

Il passa ses bras autour de sa cousine, l'invitant à poser son visage contre sa poitrine et se fit le plus réconfortant possible.

Je ne sais pas ce qu'il s'est passé exactement, mais le principal c'est que Kim soit toujours en vie. Il s'en sortira, tu sais bien que c'est un vrai dur à cuire!

Ses paroles étaient plutôt sincères : il savait que son chef parviendrait à remonter la pente s'il avait échappé à la mort lors de l'affrontement. Mais restait encore à savoir dans quel état il reviendrait...

Maintenant il faut qu'on soit forts pour lui.

Bon là il était beaucoup moins sincère. Dan faisait partie de ceux qui avaient jubilé en apprenant l'état de Kim, mais il fallait bien qu'il joue un petit peu la comédie pour remonter le moral de sa petite cousine... Tout ce qu'il voulait, c'était qu'elle se sente un peu mieux.

Soudain, il sentit cette gêne poindre à nouveau dans sa poitrine. Sa respiration se fit donc légèrement plus forte. Il tentait de faire partir la douleur sans alerter la blonde et se dégagea doucement, prenant ses distances l'espace de quelques instants.

Dan passa ses bras autour de moi et j'enfouis mon visage contre lui. Sa présence me faisait du bien. Et ses paroles aussi. Oui, Kim était toujours en vie, c'était le principal. Et c'était un dur à cuire. Si même Dan le reconnaissait, c'est que c'était vrai : il allait s'en sortir ! Il ajouta que nous devions être forts pour lui. J'acquiesçai sans pour autant m'éloigner de lui.

« Oui, tu as raison. Il ne voudrait pas que je pleure pour lui ! Surtout qu'il n'est pas mort, il va revenir très vite parmi nous... »

Alors que je terminais ma phrase, j'entendis le cœur de Dan battre différemment. Il s'éloigna doucement de moi. Je levai mes yeux rougis vers lui, ne comprenant pas.

« Que se passe-t-il, Dan ? » lui demandai-je, surprise et un peu inquiète.

Dan se figea. Son regard était vide et fixait le sol. Le Soumis se concentrait sur sa respiration et uniquement sur elle. Pourquoi cette fichue douleur revenait-elle maintenant? Et pourquoi n'arrivait-il donc pas à se clamer? Le Soumis respira profondément mais son souffle se fit soudain plus sifflant et il avait comme l'impression de ne plus pouvoir gonfler sa poitrine comme avant. Il continua à inspirer doucement, mais sentait que quelque chose clochait : l'air restait bloqué. Très vite, la douleur s'accrût. L'adolescent respirait de plus en plus vite, paniquant à l'idée que ses efforts ne changeaient rien et que la situation s'aggravait de secondes en secondes.

Il sentit son cœur s'emballer à mesure que la douleur croissait et il finit par se plier en deux. Dan tenta de se relever en s'appuyant sur la commode mais il se mit à tousser brutalement et tomba lourdement au sol. L'adolescent se manqua lorsqu'il dut amortir le choc : le blond roula alors sur le plancher, pris de convulsion. Il tentait de respirer normalement mais l'air ne passait plus, et on aurait dit que ses poumons étaient transpercés par des couteaux incandescents. Dan ne cessait plus de tousser, les yeux convulsés, le corps bandé comme un arc. Plus il tentait de respirer et plus il avait mal et moins il y parvenait. Sa toux se répercutaient dans ses moindres muscles, ses moindres articulations, il avait littéralement l'impression que son corps explosait sous la puissance de ses à-coups.

Très vite, le blond sentit sa tête tourner et ployer sous les assauts du sang qui lui montait au cerveau. Il vit bientôt des étoiles et arrêta de se convulsionner quelques secondes, restant bouche bée, sans savoir respirer ni parler. De désespoir, il s'accrocha à la première chose qui lui tomba sous la main : le lit. Dan agrippa le rebord du matelas et voulut se relever mais alors qu'il était parvenu à se remettre sur ses appuis, il fut pris à nouveau d'une quinte de toux et tomba en arrachant le drap. Ensuite, il s'immobilisa un instant au sol, profitant du répit que le bon Dieu semblait enfin vouloir lui donner.

Dan ne me répondit pas. Au lieu de cela, son état commençait à empirer. On aurait dit qu'il avait du mal à respirer. Il essaya de se relever mais tomba par terre, roulant sur le sol. J'étais tellement choquée que je ne réagis pas. Il toussait, se convulsait.

« Dan ? Dan, qu'est-ce qui se passe ? » répétai-je.

Il se calma quelques secondes. Je descendis du lit auquel il s'accrochait pour tenter de se relever avant d'être pris par une nouvelle toux. Je m'approchai de lui pour essayer de l'aider à se relever. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait mais je voyais bien que mon cousin n'allait pas bien. Et je devais l'aider.

« Dan ? Réponds-moi ! Qu'est-ce que tu as ? »

J'étais totalement paniquée en le voyant dans cet état.

« Dis quelque chose ! »

Si on lui avait dit qu'un jour, une toux le terrasserait, Dan aurait ri au visage du Sibylle porteur de mauvais présages. À présent, il ne pouvait qu'admettre que son état était grave et qu'il avait besoin d'aide. De toute urgence. Après s'être convulsé comme un épileptique, l'adolescent gisait désormais au sol, totalement immobile. Il osait à peine inspirer, craignant de déclencher à nouveau une toux dévastatrice. Les maux de tête quant à eux persistaient et sa tête continuait de tourner. Emi avait crié pendant sa crise, mais il n'avait pas vraiment distingué ce qu'elle disait. Il savait qu'elle était là, à côté de lui, et qu'elle venait d'assister à toute cette scène. Le blond ne pensa pas aux conséquences. Pour l'instant, tout ce qu'il voulait, c'était calmer ce trouble inquiétant. Il tenta une inspiration un peu plus profonde et sentit à nouveau ses bronches s'enflammer au contact de l'air. Il ne put que rejeter cet oxygène qui semblait s'être transformé en poison mortel pour lui. La toux reprit donc, mais elle était plus douce et plus contrôlable, cette fois. La douleur, elle, restait malgré tout présente.

Dan se tortillait comme un enfant pris de coliques. Il se redressa et parvint à s'agenouiller. La toux semblait se calmer. Il se souvint alors que le contact de l'eau lui permettait de venir à bout de ces séances de torture, en général. Alors, il tourna des yeux embués vers Emi et entre deux toux, la voix aussi rocailleuse que celle d'un fumeur aguerri, il articula

De l'eau...

Cet effort suffit à aggraver sa quinte et il se plia à nouveau en deux, ployant sous les chocs que sa poitrine infligeait à son corps entier.  

Dan se convulsait devant moi et je ne pouvais rien faire pour l'aider. J'aurais sans doute dû aller chercher de l'aide, mais je ne parvenais pas à le quitter des yeux. Et de toute façon, je refusais de le quitter dans un tel état. Je ne pouvais pas le laisser seul.

« Dan, Dan dis-moi ce que je peux faire ! » criais-je encore en espérant qu'il m'entendrait.

Mais j'avais l'impression que le son de ma voix ne lui parvenait plus. Jusqu'à ce qu'il articule enfin quelque chose. De l'eau. Il voulait de l'eau. J'aurais dû y penser !

« Tout de suite ! »

Je courus jusqu'à la cuisine et pris le grand pichet d'eau que Damien gardait dans un coin frais. Je me saisis également d'un verre que je servis en revenant rapidement et en renversant le précieux liquide sur mon chemin. Je tendis le verre à Dan, toujours aussi paniquée.

« Tiens, bois. »

Sa toux ne s'était pas calmée et il était toujours par terre. Je me sentis idiote de le lui avoir tendu. Je déposai la carafe à moitié vide par terre et m'approchai de lui, m'agenouillant à ses côtés. J'essayai ensuite de l'aider à boire, mais moi-même je tremblais à la vue de son état...

Dan, à genoux et plié en deux, resta dans cette position de repli jusqu'à ce qu'Emi revienne. On aurait dit que cela le soulageait. Il ne bougea pas et sentit petit à petit la douleur le quitter. Néanmoins, l'Aigle ressentait toujours le besoin de boire et se sentait faible. Ces crises étaient tellement violentes qu'elles le vidaient de toute son énergie et il lui fallait plusieurs minutes pour retrouver la pleine possession de ses moyens. Il décida de se coucher sur le flanc, les genoux toujours repliés contre sa poitrine.

Emi revint bien vite avec un verre d'eau fraiche ainsi qu'une carafe. Elle voulut lui tendre le verre mais l'adolescent n'osait pas trop bouger. Il avait peur que la crise reprenne. Alors, sa cousine s'agenouilla à ses côtés et l'aide à boire. Quelque chose dans ce geste lui déplaisait. Il avait l'impression de n'être qu'un infirme, quelqu'un qui devait dépendre des autres. Dan détestait cela. Si bien qu'une fois le verre vidé, il ne tarda pas à se redresser pour s'asseoir sur le plancher. Il tournait le dos à la blonde et sentait son regard insistant dans son dos... Elle devait se demander ce qu'il venait d'arriver. L'Aigle inspira un bon coup et fut soulagé de constater que la toux s'en était allée. La douleur restait présente mais perdait du terrain. Il tenta ensuite de se relever. Il vacilla légèrement, mais se rattrapa contre le mur qui était juste en face de lui. Ensuite, il se tourna vers sa cousine. Dan espérait juste qu'elle ne dirait rien de ce qui venait de se passer. Et qu'elle ne s'inquiéterait pas inutilement. En tout cas, il lui en voulait déjà de l'avoir vu dans cet état et affichait une mine sombre.