&
Dan & Emi
Avant la rébellion

Dans une heure environ, le soleil allait progressivement se coucher. J'avais passé une très bonne journée à ranger et nettoyer le Q.G. des Aigles en compagnie de Kim et d'autres Membres. Rentrée à la maison, ma maman préférée m'indiqua que mon cousin préféré était toujours à l'entrainement et qu'il avait demandé de ne pas l'attendre pour le souper. Dan faisait parfois ça, il ratait le souper en famille pour faire des heures supp' « afin de s'améliorer et de devenir encore plus fort ».

Ce soir-là, je décidai sur un coup de tête de le rejoindre avec notre repas à tous les deux. J'avais bien l'intention de lui chourrer la vedette et de tirer comme Jérémy, c'est-à-dire comme une pro ! Sans avoir jamais vraiment touché d'arme, cela allait de soi. Enfournant deux petits pains et d'autres victuailles pour deux personnes dans un sac, je me mis à courir comme une dératée, manquant de renverser plusieurs personnes au passage, m'acquittant d'un grand « je suis désolée » à chaque fois.

Lorsque j'aperçus enfin les abords du terrain d'entrainement, je ralentis l'allure et repris mon souffle. Dan ne m'avait pas vue, il était trop concentré sur sa cible. Je déposai sans un bruit le sac contenant notre dîner près de sa veste et m'approchai tout aussi discrètement. Alors que j'étais presque parvenue à le toucher sans qu'il s'en rende compte, mes bras atteignant presque les contours de sa tête (ben oui, je voulais lui cacher les yeux et lui faire le coup de « qui est là ») un petit malin vint tout gâcher.

- Eh, salut Emi ! C'était Gary, un Soumis qui s'entrainait pour devenir Membre. Il paraît que tu as cassé une assiette aujourd'hui, t'es toujours aussi maladroite à ce que je vois !

Il pouvait être un peu (ou plutôt très) lourd parfois, mais bon il n'était pas méchant. Enfin, là j'étais surtout déçue qu'il ait gâché mon effet de surprise pour ÇA !

« La ferme Gary, ça te regarde pas ! » lâchai-je. Je me détournai aussitôt de lui alors qu'il s'en allait en rigolant. Dan m'avait repérée. Je soupirai.

« Salut Dan. J'ai même pas pu te faire peur aujourd'hui, c'est pas drôle. » dis-je en poussant un encore plus grand soupir.

Dan rata sa cible une nouvelle fois. Tout en pestant, le jeune homme rechargea son revolver et se remit à viser pour la énième fois. Depuis des mois, il s'entraînait sans relâche de l'aube au crépuscule. Damien, bien sûr, le poussait à se dépasser, mais Dan lui-même s'imposait une discipline de fer. Il y avait une raison à un tel acharnement : dans quelques jours, les tests d'admission reprendraient et l'adolescent comptait bien se présenter au plus tôt. Il avait hâte de devenir enfin membre et de quitter ce fichu statut de Soumis qu'il répugnait tant. Le blond allait enfin rentrer dans la cour des grands et pouvoir imposer ses talents et son savoir-faire à ses aînés. Il n'attendait que ça. On le redoutait déjà chez les gradés, mais à ce moment-là ils auraient une excellente raison de s'inquiéter et de craindre pour leur place...

Mais Dan ne voulait pas juste "réussir" le test. Non. Il voulait y exceller. Être le meilleur "candidat" que les Aigles aient jamais vu. Non réussir ne suffisait pas. Ce n'était pas pour lui. Malheureusement, l'adolescent avait peut-être des ambitions trop élevées. Un peu trop sûr de ses capacités, il surestimait ses compétences physiques (notamment en combat rapproché) et Damien insistait pour qu'il pallie ce défaut le plus rapidement possible.

La journée s'achevait tout doucement et Dan avait décidé de terminer son entraînement quotidien par une séance de tir. Le jeune homme se sentait plus à l'aise avec une arme à feu dans les mains qu'avec un sabre ou une lame et il aimait pratiquer les activités dans lesquelles il excellait. Mais suite à un entraînement peut-être un peu trop intensif, il manquait de précision et de régularité. Ses balles ne touchaient pas le centre. Dan s'acharnait pourtant, pestant à chaque fois qu'il ratait le coeur de la cible.

Il se remit à viser, bien déterminer à faire mouche. Lorsque quelqu'un se mit à parler dans son dos, l'adolescent sursauta quelque peu et se retourna en soupirant fortement. Il détestait être interrompu ou dérangé lorsqu'il s'exerçait. Il reconnut Gary, un simple d'esprit qu'il n'appréciait pas particulièrement. Alors qu'il s'apprêtait à le remettre à sa place, il se rendit compte qu'Emi était présente, juste derrière lui. Dan s'en voulut de ne pas avoir remarqué la présence de sa cousine plus tôt. Pour un futur espion, il manquait encore de réflexe. À la vue de la blonde, il se détendit et en oublia presque l'importun qu'elle chassa assez sèchement.

La blonde lui confia qu'elle voulait le surprendre mais que cet idiot l'en avait empêchée. Dan soupira.

Tu ne peux pas faire ça à un autre moment? Je pourrais te blesser.

Dit-il en désignant son revolver. Emi était parfois un peu inconsciente et Dan prenait toujours à cœur de la raisonner calmement. L'adolescent aurait déjà perdu patience avec quelqu'un d'autre, mais il avait toujours été proche de sa cousine et l'adorait. Alors, ça ne le dérangeait pas trop qu'elle s'immisce dans son entraînement, du moment qu'elle ne se mette plus en danger.

Il remarqua qu'elle ne venait pas les mains vides : un panier était négligemment déposé derrière elle. Même s'il se doutait de la réponse, il demanda avec un léger sourire :

Qu'est-ce que c'est ? Le dîner?

Dan se rendit soudainement compte qu'il avait oublié le traditionnel repas familial. Il lui arrivait de le sauter volontairement lorsqu'il était occupé, mais aujourd'hui c'était involontaire. Emi avait certainement pensé à lui.

Dan me réprimanda parce qu'il aurait pu me blesser. Je balayai ses paroles d'un geste de la main. Je savais bien qu'il ne me blesserait jamais, et j'avais parfaitement calculé mon coup, je ne risquais rien. J'en étais sûre !

« Ne t'inquiète pas, je gère ! »

Je lui lançai un clin d'œil, fixant son revolver. Il me demanda alors ce qui était dans le sac que j'avais apporté. Serait-ce le dîner ?

« Bingo ! Maman m'a dit que tu ne mangerais pas avec nous ce soir. Alors je suis venue manger avec toi.  »

Je fixais toujours son revolver des yeux, je m'étais promis d'essayer de le persuader de me laisser essayer. Oui, essayer, mais j'étais sûre d'y arriver.

« Laisse-moi essayer ça d'abord ! S'il te plait, mon Dan préféré ? » demandai-je en lui faisant les yeux doux et en désignant l'arme qu'il tenait toujours en main.

Le réplique d'Emi lui fit lever les yeux au ciel, mais eut également le don de le détendre. "Je gère" pourrait être la devise de la petite. C'était toujours ce qu'elle disait quand on lui reprochait un certain manque de prudence pourtant évident. Son intrépidité impressionnait parfois le Soumis. La présence de la blonde le rassurait et avait tendance à l'adoucir dans son comportement. De toute façon, il devait bien arrêter de s'entraîner vu que la fin de la journée approchait. Et le fait qu'Emi l'interrompe rendait la chose plus agréable.

Dan remarqua qu'elle ne cessait de fixer son revolver. Il sentait la question arriver, mais sa cousine prit la peine de lui répondre avant de s'exprimer. Alors sa tante avait senti qu'il ne viendrait pas ce soir? Damien avait dû lui dire qu'il était particulièrement déterminé aujourd'hui. Ou peut-être avait-elle simplement eu une bonne intuition.

C'est gentil. Mais tu aurais dû manger sans moi. J'aimerais encore tirer un peu avant de m'arrêter et tu dois avoir faim. Tu peux t'installer derrière moi et commencer à manger.

Il ne voulait pas la faire attendre pour manger, mais Dan ne souhaitait pas s'arrêter avant de toucher une nouvelle fois le centre de la cible, même si ça devait lui prendre plusieurs heures. Ca ne le dérangeait pas qu'Emi reste près de lui du moment qu'elle se tienne tranquille. Mais ce n'était pas dans les intentions de la jeune fille qui lui demanda presque en le suppliant de pouvoir tirer avec le revolver.

Emi tu sais bien que c'est non! Dit-il avec autorité. C'est dangereux. Il faut de la force pour tirer et tu es trop petite. Ses mots pouvaient paraître durs, mais ce n'était rien comparé à ce qu'Emi se prenait parfois comme remarques.

Dan savait que sa cousine insisterait davantage. Cela ne le rassurait pas de la savoir attirée par ce genre d'exercice. Il se doutait qu'elle enviait les membres et c'était mauvais. Elle avait des aspirations inconciliables avec la politique du clan. Dan le lui rappelait souvent, mais elle niait avoir de telles ambitions.

Dan me répondit que j'aurais dû manger sans lui car il voulait encore tirer un peu avant. Et selon lui, je devais avoir faim. Bon, j'avais un peu faim, mais je voulais d'abord tester son revolver. Et je comptais bien insister.

« Dans tes rêves, je mangerai avec toi ! »

D'ailleurs, il me dit que c'était non, que c'était trop dangereux. Et que j'étais trop petite. Pour lui, je n'avais pas assez de force.

« Trop petite ?! Répète un peu pour voir ! » lui répondis-je, fâchée. « Je vais te prouver que je ne suis pas trop petite ! Je suis sûre que je peux faire aussi bien que toi ! »

Je n'allais pas lui arracher son revolver des mains, je n'étais quand même pas suicidaire. Alors, je continuai en lui posant une question :

« Aurais-tu peur de te faire battre par une fille ? »

Quand je voulais vraiment obtenir quelque chose de lui, je lui sortais cette question. Je savais qu'il n'aimait pas qu'on pense que quelqu'un d'autre pouvait être plus fort que lui, et encore moins une fille plus jeune – moi en l'occurrence. Surtout qu'il s'entrainait tout le temps et que moi je n'avais jamais touché un revolver chargé.

Emi s'entêta, comme prévu. Elle refusa de commencer son repas sans lui et lui fit savoir qu'elle attendrait. Bon comme elle voulait. Mais il ne faudrait pas qu'elle vienne se plaindre d'ici une heure ou deux s'ils n'avaient pas encore commencé à manger. La pique de Dan fit son petit effet : la blonde s'énerva, vexée d'être qualifiée de "petite". C'était pourtant le cas. Malgré sa petite taille, Dan la dépassait d'une bonne tête. Et elle n'avait que quatorze ans. C'était aussi dans ce sens qu'il avait employé ce mot pour la qualifier. Avec un petit sourire moqueur, le Soumis confirma.

Oui t'es petite. Et t'es pas faite pour ça.

Et elle n'allait pas le convaincre du contraire, non mais! Comme si ce n'était pas suffisant, Emi ajouta qu'elle pourrait faire aussi bien que Dan. Cela eut le don de le faire rire, au moins.

Ca, ça m'étonnerait très fort. Allez reste derrière et admire un peu.

Il se replaça en position mais Emi ne lâcha pas le morceau. Puisque les supplications ne marchaient pas, elle essaya la provocation. Elle connaissait parfaitement Dan et savait que l'adolescent était plutôt sûr de lui. Trop sûr de lui. Il ne supportait pas la compétition et se croyait inégalable. Alors cette phrase eut son petit effet. Dan baissa son arme et se tourna à nouveau vers sa cousine qui commençait tout doucement à lui taper sur le système. D'ordinaire, c'était à ce moment là qu'il lui cédait. Mais ici, il trouvait que la fillette en demandait un peu trop et il hocha à nouveau la tête.

Ce n'est pas une question de me battre - même si c'est impossible. Tu pourrais te blesser et je serais responsable... Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose. Il jeta un oeil à son arme. Ce n'est pas un petit calibre.

Comme pour appuyer ses dires, Dan tira plusieurs balles d'affilée sur la cible. Certaines touchèrent le centre à son grand contentement. Mais il avait fait ça pour effrayer sa cousine avant tout. Le bruit et l'impact des balles étaient assez impressionnants quand on n'y était pas habitué et il espérait que cela découragerait sa cadette.

Mon cousin confirma que j'étais trop petite et que je n'étais pas faite pour ça. Je lui lanàai un regard noir. En plus, il se moquait encore de moi. Il voulait que je reste derrière et que je l'admire. Mais je voulais essayer ! Je fus d'ailleurs étonnée que ma petite question piège ne fonctionne pas sur lui cette fois. C'est qu'il devenait résistant ! Pour lui, il n'était pas question que je le batte, c'était impossible. En plus, j'aurais pu me blesser et il en serait responsable. Je pouvais comprendre qu'il n'avait pas envie qu'il m'arrive quelque chose, mais que pouvait-il bien m'arriver si j'essayais de tirer une balle ou deux ? Rien du tout, peu importe le calibre de l'arme !

Dan finit par tirer plusieurs balles dont certaines touchèrent le centre de la cible. Je le fixai avec attention et sursautai en entendant le bruit assourdissant auquel je ne m'étais pas attendue puisqu'il avait tiré sans sommation. Je restai silencieuse quelques instants, soufflée. Avec ces coups, il avait balayé toutes ses paroles précédentes. Un immense sourire vint étirer mes lèvres.

« C'est trop génial ! Laisse-moi essayer, je veux essayer ! »

Cette petite démonstration m'avait donné encore plus envie de tester par moi-même la sensation que devait procurer une telle action !

Après ces quelques tirs, l'adolescent se tourna vers sa cousine, espérant que sa petite démonstration aurait l'effet escompté. Il crut qu'il avait enfin réussi à la décourager car la blonde affichait une mine pantoise. Mais un sourire vint briser le tableau. Non ça n'avait pas marché... Au contraire, Emi voulait encore plus tirer maintenant. Elle ne semblait pas comprendre le danger et insistait encore et toujours.

Dan leva les yeux au ciel. Il commençait à en avoir ras-le-bol et savait pertinemment qu'il ne pourrait pas continuer son entraînement sans être tranquille. La seule solution était de laisser Emi tirer quelques balles. Avec un peu de chance, elle s'en satisferait. Il lança un regard autour d'eux afin de vérifier que personne n'assisterait à cette scène. Il ne pensait pas risquer gros en faisant cela, mais on ne savait jamais. Ensuite, non sans montrer son exaspération, il invita Emi à approcher d'un geste de la main.

Bon ok. Tu vas tirer trois fois mais pas plus. Et ne le dis à personne s'te-plaît! Je pourrais avoir des problèmes si t'allais t'en vanter partout...

Il lui tendit solennellement le revolver tout en se demandant comme la gamine réagirait au contact de l'acier froid et meurtrier.

Je croisais les doigts. Il fallait qu'il me laisse essayer ! Pas le choix, je ne le laisserais pas tranquille tant que ce ne serait pas le cas. Et finalement... il accepta. M'invitant à le rejoindre, non sans exaspération, il me dit que c'était ok. Je fis les quelques pas qui me séparaient de lui rapidement et avec entrain. J'allais pouvoir tirer ! J'allais pouvoir tirer ! J'étais en ébullition.

« T'es le meilleur, Dan ! »

Il me tendit son revolver et je le saisis. C'était plus froid que je ne le pensais, mais il y avait encore la chaleur de sa main imprimée dessus. C'était aussi plus lourd que prévu. Dans quoi m'étais-je embarquée ? Mais j'étais sûre que j'allais y arriver ! Si Dan le faisait, moi aussi !

« Mais... comment je fais ? » lui demandai-je alors.

Je savais qu'il fallait viser. Et il y avait un petit levier sur lequel appuyer. Mais je ne savais pas comment viser et quand appuyer, ni comment tenir l'arme.

Emily explosa de joie en apprenant qu'elle allait pouvoir tirer à plusieurs reprises. Cette excitation effraya Dan qui s'imaginait déjà le pire. Si voir sa cousine aussi enjouée lui faisait chaud au coeur, il ne pouvait s'empêcher de penser au pire et espérait qu'Emi ne ferait rien d'inconsidéré. Lorsque l'adolescente se saisit de l'arme, elle parut immédiatement moins assurée et demanda comment elle devait s'y prendre. Sans doute ignorait-elle qu'un revolver pesait son poids... Elle devait réaliser qu'elle s'était peut-être engagée dans quelque chose qui la dépassait.

Dan la positionna devant lui. Il restait dans son dos afin de lui donner quelques consignes tout en la corrigeant.

Tout d'abord, prends-le dans ta main droite comme ceci et referme simplement les doigts sur la crosse. Attention n'appuie pas sur la gâchette avec ton index. Le cran de sécurité est mis mais c'est très sensible. Après tu places ta main gauche par-dessus ta main droite pour sécuriser ta prise.

Tout en lui donnant ces quelques consignes, il la guidait et positionnait ses doigts de sorte à ce que la prise soit bonne. C'était l'une des étapes les plus importantes avant de commencer à tirer. Si Emi tenait mal son arme, elle risquait de la recevoir en pleine figure à cause du recul...

Une fois que la blonde eut suivi ses conseils, Dan poursuivit.
Maintenant la position. Tu dois te tenir bien droite, les jambes écartées ensuite tu places la jambe gauche en arrière, elle doit te servir d'appui. Attention tourne bien la tête et le buste vers la cible.

Ensuite venait la dernière partie...Maintenant lève tes bras bien tendus en direction de la cible. Tu dois les mettre à hauteur des yeux pour pouvoir viser. Contracte les coudes et les poignets et fais attention au choc. Maintenant enlève tout doucement le cran d'arrêt avec le pouce gauche...

Il prit une inspiration et s'approcha d'Emi. Il voulait maintenir ses bras par prudence, ce serait surement nécessaire. Une fois qu'il fut en position il lui murmura :

Prends une grande inspiration, vise et quand tu seras prête, appuie doucement sur la gâchette...

Son coeur accéléra. Il espérait juste n'avoir rien oublié.

Dan m'aida à me positionner correctement et me guida. Je pris le revolver dans ma main droite comme il me disait de le faire, posant ma main gauche dessus. Il continua en me demandant de me tenir bien droite. Je plaçai ma jambe gauche en arrière, m'appuyant dessus. J'essayais de me positionner correctement. Avec son aide, ce fut apparemment le cas. Je levai les bras, tendus, en direction de la cible qu'il venait de toucher. Je voulais faire exactement comme lui alors je me concentrais sur ses paroles et sur le petit point rouge au centre. Lorsque je me sentis prête, j'enlevai le cran de sécurité et appuyai sur la gâchette. La balle partit aussitôt et, si Dan n'avait pas été derrière moi, je serais sûrement partie également dans la direction opposée.

« Waow » fut la seule chose que je pus dire juste après l'impact.

C'était... puissant. Je n'avais même pas vu si j'avais touché la cible ou non. J'avais cru entrevoir un morceau de bois qui volait sur le côté mais j'avais tout aussi bien pu rêver. Tout s'était passé si vite que je n'avais pas bien ressenti l'instant. Ou plutôt, je l'avais justement très bien ressenti, si bien que je n'avais qu'entrevu l'impact.

« Si seulement... »

Il m'avait fallu quelques instants pour pouvoir articuler, fixant toujours la cible.

« Si seulement je pouvais apprendre moi aussi ! C'est... c'est génial. Je me sens super forte avec ! »

Je me tournai vers lui, très contente.

« Tu vois, je gère. Même pas ma...ie ! »

Bon, j'avais un peu mal aux poignets et aux bras maintenant que j'avais baissé les bras. Mais ce n'était pas grand chose comparé à cette expérience !

Dan attendait le coup de feu avec anxiété. Il espérait juste qu'Emi suivrait ses instructions jusqu'au bout et penserait bien à bloquer ses articulations pour éviter le recul. Il sentit ses bras se contracter alors qu'elle appuya sur la gâchette. Le coup de feu partit aussitôt. Emi n'avait pas hésité longtemps avant de tirer. Elle devait vraiment être impatiente de tester l'arme...

La fulgurance et la puissance du coup de feu eurent pour effet de la faire basculer en arrière. Heureusement, Dan était là pour la maintenir bien en place et accusa le choc pour elle. Il reçut d'ailleurs un coup d'épaule de sa cousine mais celle-ci ne semblait pas s'en être rendu compte.

Dan s'écarta de la blonde en se massant la lèvre supérieure. Il faudrait qu'il fasse plus attention la prochaine fois. Emi poussa un cri de joie. C'était mal parti. Les problèmes commençaient... La petite se tourna vers lui, enthousiaste comme jamais. Elle évoqua la possibilité de pouvoir s'entraîner à tirer comme lui... Apparemment cela lui procurait une sensation de puissance.

Oui je connais ce sentiment. Mais tu ne pourras pas continuer à t'entraîner, tu connais les règles...

Il ne voulait pas casser sa joie mais juste la ramener un peu sur terre. La voir aussi heureuse d'avoir pu tirer lui faisait un peu peur... Il espérait justement qu'Emi n'y prendrait pas goût... Mais il était trop tard de toute façon alors autant aller jusqu'au bout. La blonde poussa ensuite un petit cri de douleur. Ses articulations devaient avoir subi un sacré choc.

Dan eut un léger sourire. C'est le choc. Ton corps n'est pas habitué. Mais maintenant tu vas avoir moins mal. Il ne voulait pas lui faire un cours d'anatomie. De toute façon, il savait pertinemment que ce n'était pas la douleur qui arrêterait Emi.

Repositionne-toi. Cette fois je ne te dis plus rien. On va voir si tu as retenu la leçon.

Finalement, lui-même se prenait au jeu. À croire qu'il aimait donner des leçons aux autres. Cependant, Dan gardait en tête la limite qu'il avait fixé à sa cadette : il ne lui restait plus que deux balles à tirer et ce serait les dernières.

Dan s'écarta en affirmant qu'il connaissait ce sentiment. Je n'en doutais un instant, et ça avait sans doute dû jouer dans le fait qu'il ait accepté de me laisser tirer. Pour me montrer ce que ça faisait. Mais il ajouta que je ne pourrais pas continuer à m’entraîner, c'étaient les règles...

« T'es pas cool. »

Dan était cool en général, mais parfois il ne l'était plus du tout. Comme quand il m'apprenait des trucs pour ensuite me dire que je ne pourrais plus jamais les faire. Bon, c'était sûr que si ça faisait mal comme ça à chaque fois, je serais peut-être moins partante. Mais j'avais quand même envie de continuer, et peut-être que je m'y habituerais !

« J'vais m'en sortir, t'en fais pas. »

Mais Dan n'avait pas oublié qu'il m'avait promis trois balles. Il me demanda de me repositionner, ce que je fis. Il ne voulait plus me donner d'indications, vérifiant si je l'avais bien écouté. Je voulais lui prouver que c'était le cas ! Je pris le revolver dans ma main droite et positionnai ma main gauche dessus, me tenant bien droite. J'écartai à nouveau les jambes, plaçant la gauche un peu en retrait. Je levai mes bras, bien tendus, en direction de la cible. Je visai et tirai. Bon, cette fois j'étais clairement à côté, la balle avait rebondi sur la dalle de métal quelques mètres plus loin. Et j'avais à nouveau cogné Dan avec le recul, mais cette fois-ci je le sentis. Je me tournai à nouveau vers lui.

« Je ne t'ai pas fait mal ? » lui demandai-je, un peu inquiète. Je le savais solide, mais sait-on jamais. « En tout cas, faut encore que je m’entraîne pour pouvoir viser comme toi ! »

Emi ne manqua pas de témoigner sa déception : elle ne semblait pas apprécier qu'il lui rappelle que ces quelques balles étaient les seules qu'elle pourrait tirer. Mais c'était pourtant la vérité. Et si l'adolescent avait été trop faible pour céder à sa cousine, il ne se laisserait plus avoir de la même façon. Après tout, ce n'était pas bien grave qu'Emi tire quelques balles. Ce qui serait plus embêtant en revanche, c'est qu'elle parvienne à s'entraîner de son côté et se fasse repérer. Mais Dan se jura que ça n'arriverait pas. Il se devait de la protéger, y compris contre elle-même et ses envies destructrices.

Lorsque la blonde se replaça, pas du tout effrayée par la douleur (comme il s'y attendait), Dan resta derrière elle et jugea sa position. Ses pieds étaient mal placés et ne pourraient encaisser un recul. Quant à ses coudes, ils étaient légèrement pliés... Cela montrait qu'Emi ne contractait pas assez ses bras. Alors qu'il allait lui faire part de ses observations, la blonde tira. Dan sursauta et reçut sa cousine sur lui. Le Soumis recula suite au choc et à la surprise.

Il ne put se retenir. Emi bon sang! Qui t'a dit de tirer?! Ta position était mauvaise, t'aurais pu te casser quelque chose!

Il se calma presque immédiatement. Il n'était pas du genre à s'énerver, surtout sur sa cousine. Mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle tire et s'était senti désarçonné. Il avait eu peur pour elle et il lui en voulait d'être une telle tête brûlée, à croire qu'elle ne voyait pas le danger! Il secoua la tête lorsqu'il entendit la blonde évoquer un éventuel entraînement. À croire qu'elle le faisait exprès...

Oui mais il n'y aura pas d'entraînement. Je te l'ai déjà dit. Il soupira. C'est encore le recul. Tu dois contracter un peu plus tes bras, et ne pas laisser ton pied d'appui droit, il doit être légèrement en oblique. En plus tu as été trop vite pour tirer, t'as à peine pris le temps de te placer. Fais plus attention. Il l'invita à se repositionner en face de la cible une dernière fois. Bon réessaie, mais cette fois attends mon signal.

Dan s'emporta sur moi car ma position était mauvaise. Apparemment, j'aurais pu me casser quelque chose. Mais ce n'était pas arrivé, je ne voyais pas pourquoi il en faisait toute une histoire. Bon, je n'avais pas attendu son signal pour tirer, j'aurais peut-être dû. Mais j'avais envie de le faire toute seule ! Même si ce n'était pas encore concluant du tout. Il continua en me redisant qu'il n'y aurait pas d’entraînement, qu'il me l'avait déjà dit. Je savais tout ça, pas besoin d'en rajouter une couche.

Mon cousin m'expliqua alors pourquoi j'avais raté mon coup. J'avais pourtant l'impression de m'être correctement positionnée. Je ne comprenais pas où j'avais mal fait, même s'il essayait de me le dire. Je soupirai.

« Désolée. »

Il me disait de réessayer, mais en attendant son signal cette fois-ci. Je pris la bonne résolution d'écouter ce qu'il me disait. Après tout, j'étais venue pour manger avec lui, pas pour me disputer pour une vulgaire histoire de mauvais tir. Cette fois-ci donc, je m'appliquai du mieux que je pus et pris mon mal en patience lorsque ce fut fait.

« C'est bon comme ça ? Je peux tirer ? »

J'attendis que Dan me donne le feu vert après avoir corrigé deux trois petites choses dans mon positionnement avant de tirer une dernière fois. J'atteignis la cible dans le cercle extérieur, mais je l'avais atteint ! J'étais contente de moi. Et le recul avait été moindre grâce aux conseils de mon cousin.

« Tu es un bon professeur, tu sais ! »

Je lui rendis finalement son arme sans trop insister. J'étais déjà bien contente d'avoir pu essayer, et je voulais à présent me reposer. Je ne pouvais pas cacher que j'avais un peu mal aux épaules, mais je ne m'en formalisais pas pour autant : j'avais pu m'essayer au tir pour la première fois !

« Merci ! »

J'affichais un sourire jusqu'aux oreilles.

Emi s'excusa de ne pas avoir attendu son signal pour tirer. Il n'en demandait pas tant, il espérait juste que sa cousine comprenait les risques et savait pourquoi il s'était énervé de la sorte. De toute façon, elle devrait attendre qu'il lui donne la permission de tirer, désormais. La blonde se repositionna et cette fois sa posture était bien meilleure. Elle demanda alors si elle pouvait tirer mais Dan lui fit signe d'attendre. Il se mit à côté d'elle pour mieux observer son positionnement et leva légèrement les bras de sa cousine qui étaient trop bas. Mais ils étaient bien tendus donc c'était le principal. Il se remit dans son dos et prit une longue inspiration. Heureusement que c'était la dernière balle... Non pas qu'il détestait entraîner sa cousine, mais imaginer qu'elle puisse se blesser était plutôt angoissant. Et puis, ses journées étaient déjà assez fatigantes comme ça.

C'est bon tu peux y aller.

Emi ne se fit pas attendre. Elle tira et toucha la cible. De plus, l'adolescente parvint à maîtriser plus ou moins le recul de l'arme, ce qui était assez impressionnant pour une débutante : elle recula simplement d'un pas suite au choc. Dan ne s'attendait pas à ce que ce dernier tir soit une réussite. Il devait bien admettre que si sa cousine devait devenir membre, le tir aurait pu devenir une de ses spécialités. Mais ce n'était pas le cas. Et puis, il ne voulait surtout pas l'encourager à s'entraîner davantage. Donc, il commenta simplement "Pas mal".

Emi lui tendit son revolver sans se faire prier. Dan s'attendait à ce qu'elle insiste pour tirer encore une balle ou deux... Sans doute était-elle aussi fatiguée que lui. Ses journées ne devaient pas être faciles non plus. Il prit l'arme par la crosse et non par le canon que lui tendait l'enfant.

Le canon est brûlant une fois que t'as tiré. C'est dangereux de le toucher.

Il lui disait ça juste au cas où. On pouvait se blesser si facilement avec ce genre d'arme... Emi le remercia. Elle paraissait sincèrement heureuse et cela lui mit un peu de baume au coeur.

De rien. Mais n'oublie pas, hein! Ca reste entre nous.

Dan se tourna ensuite vers le petit panier que sa tante lui avait préparé.

Je meurs de faim! L'adolescent installa la nappe sur un petit coin pas trop rocailleux du terrain d'entraînement - cette petite zone était assez sablonneuse et plutôt agréable. Au fait, tu veux manger ici?

La nuit commençait à tomber mais la Lune leur assurerait une bonne visibilité jusque très tard. Et puis, il faisait tellement chaud qu'il ne voulait pas vraiment marcher jusque chez lui pour s'installer à une table...

Dan me gratifia d'un « pas mal » qui me rendit fière. Son avis avait toujours beaucoup compté à mes yeux, même si je n'étais pas toujours d'accord avec lui et que nous pouvions nous disputer pour un rien. Mais au fond de moi, j'espérais secrètement qu'il m'approuve.

Il m'apprit qu'il ne fallait pas toucher le canon d'une arme après avoir tiré car c'était brûlant. Je hochai la tête tout en lui rendant son revolver. Il ajouta ensuite que ça restait entre nous.

« Je serai muette comme une tombe ! » répondis-je en mettant mon doigt devant ma bouche en signe de silence. « C'est promis ! »

Dan se tourna alors vers le panier que j'avais apporté, affirmant qu'il mourrait de faim. Il n'attendit pas et installa la nappe que ma mère avait déposée au-dessus afin que nous mangions ici. D'ailleurs, il me demanda si c'était bien ce que je voulais aussi. Je vins m'installer sur le tissu en souriant.

« Oui. J'ai une faim de loup. Je pourrais avaler une marmite à moi toute seule. »

Je disais ça, mais j'étais plutôt du genre à manger très peu malgré tout. J'étais vite rassasiée, ce qui était parfois frustrant, surtout quand ma mère nous préparait quelque chose de très bon. Je commençai à sortir le pain et autres victuailles. La moitié de ce que nous avions nous provenait de Damien, qui partageait toujours tout avec sa sœur, d'autant plus que Dan et lui venaient souvent manger à la maison.

« Tu vas bientôt passer ton test alors ? »

Bon, je lui demandais ça presque chaque jour, mais j'avais hâte qu'il me raconte tout ça et j'étais donc très impatiente que ce moment arrive enfin !

Emi lui assura qu'elle garderait le secret et Dan en fut soulagé. Il savait qu'il pouvait compter sur son silence. Il aurait vraiment été mal venu qu'on apprenne ce petit entraînement improvisé alors qu'il s'apprêtait à passer son test. Le blond voulait mettre toutes les chances de son côté et éviter de se faire remarquer. Une fois cette question réglée, Emi accepta de manger sur le terrain qui était résolument désert. Elle semblait aussi affamée que lui et commença à se servir. Dan l'imita et avala une tranche de pain blanche. La croûte fraîche craqua entre ses dents et il se détendit enfin. Il prit une portion de ragout préparé par sa tante et avala cuillère sur cuillère, prenant soudainement conscience de l'ampleur de son appétit.

Emi engagea ensuite la conversation sur son test d'admission. Elle semblait aussi impatiente que lui. Dan attendit de déglutir avant de lui répondre.

Ouais... Bientôt je serai membre! T'imagines?

Il éprouvait déjà une certaine fierté à cette idée et ne doutait pas que son test serait une réussite. Il manquait cependant un détail important.

Il y a juste un petit détail à régler : j'ai pas encore décidé qui serait mon adversaire pour le combat au corps à corps... Je voulais choisir Oli mais Damien veut pas...

Emi n'ignorait pas sa haine envers l'espion. Elle devait aussi savoir qu'Oli était bien plus fort que Dan, mais ça le blond ne l'aurait jamais avoué.

Et toi ta journée? Ca s'est passé comment?

Il n'était pas du genre à se soucier de ce genre de détail, mais bon c'était de sa cousine qu'il s'agissait et il se souciait réellement d'elle.

Dan me répondit avec autant d'impatience que moi. Je hochai la tête : je l'imaginais parfaitement. Depuis tout petit, il s’entraînait pour être Membre, et ce jour allait enfin arriver. Mais Dan n'avait toujours pas choisi qui serait son adversaire. C'était embêtant. Mais il avait encore un peu de temps.

« Tu vas cartonner, ne t'en fais pas. Que tu te battes contre Oli ou contre un autre, tu vas tout gérer ! »

J'en étais autant persuadée que lui. Mais c'est vrai que si mon oncle lui déconseillait de combattre Oli, c'était qu'il devait y avoir une bonne raison. Je n'étais pas spécialement proche de l'Espion, mais je savais qu'il était plutôt fort. Dan aussi était très fort, mais il était plus jeune malgré tout. Et je ne voulais pas qu'on me l’abîme !

Il me demanda alors comment s'était passé ma journée. Je levai les yeux au ciel puis affichai un grand sourire.

« Bah, comme d'habitude. À part que j'ai cassé une assiette, comme l'a dit Gary. Kim a fait les gros yeux mais c'était pas grave. Ça arrive tout le temps, et pas qu'à moi ! Mais sinon, je me suis bien amusée ! »

Je conclus ce petit résumé en avalant un énorme morceau de pain. C'était bon de se remplir l'estomac après une bonne journée de travail.

Emi abonda dans son sens, ajoutant que même contre Oli, Dan gagnerait haut la main. Le blond acquiesça, enthousiaste à l'idée d'être supporté par sa cousine. Dommage qu'elle ne puisse pas assister à son test, elle aurait été un soutien très précieux pour lui. Mais d'un autre côté Dan préférait la laisser à l'écart de tout ça. Les tests, les histoires de membres, les combats... Tout ça ce n'était pas pour elle. Il fallait bien que la blonde accepte que jamais elle ne pourrait avoir accès à la hiérarchie et devenir membre des Aigles. Donc c'était pour un mieux.

Elle lui raconta très brièvement sa journée. Emi avait cassé une assiette, s'attirant les foudres de son chef. Apparemment Kim était resté assez indulgent envers elle et Dan en fut rassuré. Il n'aurait pas supporté que cet imbécile s'en prenne à sa cousine. Mais il savait que ces deux-là s'entendaient bien, à son grand dam. Il ne devait donc pas s'inquiéter de Kim, qui était plutôt du côté d'Emi en général.

Tu t'es bien amusée? Tu aimes vraiment ça, nettoyer le QG? T'aimerais pas avoir une autre tâche, du genre travailler à l'extérieur?

Il s'étonnait de l'enthousiasme d'Emi pour son travail, mais il savait que cet engouement était en partie dû aux membres du clan. En restant constamment au QG, la blonde était toujours en contact avec l'élite des aigles qui la faisait tant rêver. Et Dan ne pouvait s'empêcher de trouver ça mauvais, très mauvais pour elle. Mais il n'avait aucun pouvoir sur son affectation. Il avala un autre morceau de pain avant d'ajouter

Au fait, je dois te dire quelque chose. Il laissa planer quelques secondes de silence avant d'ajouter sur le même ton. La semaine prochaine, Damien et moi on s'en va pour plusieurs jours. Il veut m'entraîner à la survie pour mon test. Il s'arrêta pour fixer sa cousine d'un air désolé. Donc je serai absent pendant un petit moment.

Même si l'adolescent ne savait pas trop comment Emi allait réagir, il ne s'attendait pas à un sursaut de joie... Il espérait juste qu'elle ne prendrait pas cette nouvelle trop à coeur.

Dan ne comprenait pas ce qui me plaisait dans la tâche qui m'était assignée. Bon, c'est vrai qu'à première vue, ça pouvait paraître peu reluisant. Mais quand on y regardait bien, c'était une bonne place, voire même une excellente place. Je restais toujours au chaud, je pouvais côtoyer tous les gradés du clan et je me faisais plein d'amis. Des ennemis aussi, accessoirement, mais c'était un moindre mal. En plus, ça ne me dérangeait pas de nettoyer, de rendre tout ça tout propre. Et je rigolais bien. Même quand j'avais cassé une assiette, je m'étais amusée. Parce que je savais que Kim ne m'en tiendrait pas rigueur.

« Oui oui, je me suis amusée ! J'aime bien ma tâche, je ne voudrais pas être ailleurs. Et puis t'imagines si je travaillais à l'extérieur et que je me faisais attaquer ? » ajoutai-je en rigolant.

Dan avala un autre morceau de pain mais son expression se fit plus grave. Aie, qu'allait-il me dire ? Je redoutais le pire. Surtout quand il m'avoua devoir me dire quelque chose. Je le fixais avec attention, attendant son atroce révélation. Et c'était bien ce que je pensais : il me révéla que la semaine prochaine il partirait pendant un moment avec Damien pour son entraînement, ce qui signifiait qu'il serait absent et qu'on ne se verrait plus tous les jours.

« Mais c'est pas juste ! Comment je vais faire, moi, si je ne vous vois plus pendant si longtemps ? »

J'étais triste et déçue par son annonce. J'allais perdre mon oncle et mon cousin en même temps et je ne savais pas quand je les reverrais. Faisant la moue, je continuai :

« Pourquoi tu ne me le dis que maintenant ? Ça fait longtemps que tu le sais, non ? »

En fait, j'étais fâchée. Fâchée parce que Dan avait attendu la dernière minute pour me le dire alors qu'il le savait certainement depuis longtemps. Et Damien non plus ne m'avait rien dit... Je me sentais trahie. Même si au fond, je savais que c'était pour son bien et que c'était nécessaire, je n'appréciais pas la façon dont il le disait.

Emily n'en démordait pas : elle n'échangerait son travail contre aucun autre. Elle trouvait même que le travail en extérieur présentait beaucoup plus de risques. Bon, Dan ne pouvait pas lui donner tort sur ce point : le QG était le lieu le plus sûr du territoire. Mais les Libres ne parviendraient jamais à menacer les Soumis des Aigles. Il était impossible aux yeux de Dan qu'ils puissent un jour réussir une telle incursion. Maintenant, il devait bien reconnaître qu'à l'extérieur les tâches étaient plus physiques. Il ne pipa mot, ne voulant pas casser l'enthousiasme de sa cousine, surtout avant l'annonce qu'il s'apprêtait à lui faire.

Et elle réagit plutôt vivement, comme il s'y attendait. Emi n'acceptait pas qu'il parte aussi longtemps. Mais ce qui semblait surtout déranger la blonde, c'était l'imminence de son départ. Il était vrai que Dan le savait depuis une semaine environ. Damien avait dû planifier ça depuis plus longtemps encore, et avait peut-être cru bon d'en avertir le Soumis qu'au dernier moment. Emi demanda ce qu'elle pourrait bien faire sans lui. Dan en fut à la fois touché et triste et ne sut ce qu'il pouvait lui répondre, mais il tenta tout de même de la rassurer au mieux :

Ca ne changera pas grand chose. Tu resteras avec ta mère et tu verras d'autres personnes, ce n'est pas si grave. Et surtout ce ne sera pas long.

Il aurait pu partir pour plus longtemps encore. Damien aurait même pu lui ordonner de ne rien dire à Emi pour ne pas la tourmenter avant le jour J. bref, ça aurait pu être pire, mais elle ne semblait pas s'en rendre compte.

Ensuite, elle l'accusa de ne pas l'avoir mise au courant dès le début. Dan ne pouvait pas le nier : il aurait pu le lui dire bien plus tôt, mais il appréhendait sa réaction.

Je le sais depuis quelques jours seulement. Et je n'ai pas trouvé le bon moment pour te le dire. Mais maintenant, ça me semblait être une bonne occasion. On peut en discuter si tu veux.

Il voulait la rassurer si elle avait des questions, ou même lui servir de punchingball si elle était en colère, ça ne le dérangeait pas si ça pouvait au moins la calmer.

Dan m'affirma que leur départ ne changerait pas grand chose. Mais c'était faux. À mes yeux, ça changerait beaucoup. Oui, je resterais avec ma mère et je verrais d'autres personnes. Comme chaque jour. Mais je ne les verrais pas eux. Et il ne me laissait pas beaucoup de temps pour me préparer à cette fatalité. Il essaya d'ailleurs de ce justifier à ce sujet en me révélant qu'il ne le savait que depuis quelques jours et qu'il n'avait pas trouvé le bon moment pour me le dire. C'était l'occasion, maintenant, alors qu'on discutait tranquillement. Je déposai le morceau de pain qu'il me restait et me levai, énervée. Je fis quelques pas pour m'éloigner, puis je revins vers lui.

« Tu aurais DÛ me le dire AVANT ! J'avais le DROIT d'être au courant ! »

En plus, à mes yeux, une semaine équivalait à une éternité. C'était longtemps, contrairement à ce qu'il affirmait.

« Tu es un idiot, Dan ! Tu ne penses pas à ce que les autres peuvent ressentir ! »

J'avais dit ça sous le coup de la colère. Évidemment que Dan y pensait, ou en tout cas il y pensait quand il s'agissait de moi et de notre famille. Mais j'étais tellement énervée que je ne réfléchissais plus vraiment à ce que je disais.

Bon ok... il voulait bien lui servir de punchingball, mais là elle dépassait les bornes. Emi commença par se lever. Elle s'énerva, disant qu'elle aurait dû être mise au courant bien avant tout ça, qu'elle avait le droit de savoir. Dan encaissa sans rien dire et baissa la tête. Il tentait de se raisonner. Ca ne servait à rien de s'énerver, il devait rester calme. Emi ne pensait pas tout ce qu'elle disait et elle ne comprenait pas. Il fallait juste qu'il lui explique calmement pourquoi il avait retardé le moment de l'annonce.

Emi...

Mais la blonde ne s'arrêta pas là. Elle l'insulta carrément et ajouta qu'il était égoïste dans sa façon d'agir. Là c'en était trop. Dan se leva à son tour, le regard noir.

Idiot? Mais c'est toi l'idiote! T'es même pas fichue de comprendre ce que je te dis! T'es sourde ou quoi?

Il avait tenté de lui expliquer calmement une première fois et visiblement ça n'avait pas marché.

Et puis pour qui tu te prends à m'insulter comme ça, petite conne!

Il le pensait, car il s'était laissé emporter par la colère. Emi avait ce pouvoir sur lui : elle était la seule à pouvoir le rendre incontrôlable en un claquement de doigt. Et c'était exactement ce qu'elle venait de faire, sans vraiment le vouloir. L'adolescent ponctua sa phrase en lançant un coup de pied rageur dans le panier contenant le pique-nique qui vola sur plusieurs mètres.

Dan n'apprécia pas mes paroles, mais je m'en fichais. Il n'avait pas pensé à moi dans cette histoire, il faisait comme si de rien n'était ! Comme s'il avait eu raison de faire comme il avait fait ! Mais non !

Il m'insulta bientôt à mon tour, me traitant d'idiote comme je l'avais traité d'idiot. Il continua en affirmant que je ne comprenais pas ce qu'il disait. Bien sûr que si je le comprenais, il m'avait caché ça jusqu'à maintenant, et Damien aussi. Parce que oui, j'étais aussi en colère contre mon oncle. Mais j'avais cru pouvoir compter sur Dan, ce qui n'était apparemment pas le cas. Il continua en me demandant pour qui je me prenais à lui parler comme ça, et n'hésita même pas à me traiter de « petite conne ».

Malgré ma colère, je fus choquée par ses paroles et par son geste. Avait-il vraiment dit ça ?

« Pour qui je me prends ? Pour ta cousine, tu l'as oublié ? Une des seules personnes avec qui tu peux être toi-même ! »

Contrairement à moi qui étais un livre ouvert pour la plupart des gens, Dan se cachait face à tout le monde, sauf face à sa famille. Et j'en faisais partie. Et ses paroles m'avaient blessées.

« Mais parfois, je préférerais que tu sois juste le toi encore plus stupide, celui que tu es avec tout le monde. »  

Ce n'était pas vrai, mais alors là vraiment pas. Mais je continuais à lui dire ces choses sous le coup de la colère, et parce qu'il m'avait fait mal. Finalement, je repris, sur une touche un peu plus véridique.

« Parce qu'au moins, je ne t'aimerais pas ! »  

Des larmes perlèrent à mes yeux mais je les effaçai avant qu'elles ne coulent. En cet instant précis, je le détestais. Pour ne pas rester devant lui comme ça, je courus jusqu'au panier repas plus loin et entrepris de tout remettre dedans, mais il était cassé.