Well who are you to judge ?
I'm just trying to see the world through my own eyes.
PV Kahlan (x)
Jour 1

Souvent, je m'étais demandée pourquoi la présence d'Asha me dérangeait tellement, mais j'avais fini par en conclure qu'elle m'était épidermique. Les raisons existaient certainement, mais je ne voulais pas vraiment y songer. Je ne la supportais pas et je brûlais de lui faire bouffer ses piques, point. Pourtant, je n'aurais pas dû creuser très loin pour comprendre que je me sentais menacée par elle. Elle m'avait humiliée devant Noâ et Reed, m'avait forcée à regarder ma peur en face et m'avait imposée une défaite que je ne parvenais pas à digérer. Cela n'avait rien à voir, mais il fallait bien avouer aussi que tout partait en vrille depuis qu'elle s'était ramenée dans ma vie avec ses gros sabots et ses commentaires acerbes. Le transfert était stupide, mais c'était comme ça, je ne pouvais pas la saquer. Et comme si la haine de départ n'était suffisante, il fallait qu'elle en remette une couche en insinuant que j'étais une rebelle. Et le reste avec.

Espèce de...

Mon attaque mourut dans ma gorge alors que la voix de Noâ se faisait entendre, implacable. Durant l'espace d'une seconde, je fus traversée par l'espoir futile qu'elle m'accueillerait, mais elle se désintéressa complètement de moi, agissant comme si je n'étais même pas dans la pièce, à quelques mètres d'elle. Elle appela un Membre que je ne connaissais que de tête et lui confia ma surveillance en guise de mission. Elle était sérieuse ? Devant tout le monde, elle me traitait comme une paria et elle ne prenait même pas la peine de m'adresser un regard ? Les yeux écarquillés, je relâchais un peu les muscles de mes bras, baissant par la même occasion mon arme. Comment pouvait-elle me traiter avec tant de froideur ? J'avais pourtant cru que nous avions aplanis les conflits et que nous pouvions désormais repartir sur des bases saines, mais je m'étais visiblement plantée en beauté.

Sous le choc, je ne réagis pas vraiment lorsque la poigne du Membre se referma sur mon bras et qu'il m'entraîna avec lui vers la hall. En apercevant la pâle clarté du soleil, je pris conscience de la situation et lançais un regard noir à l'homme avant de me débattre un peu.

Non, mais tu vas me lâcher ?!

Envoyant mon bras valser vers son torse, je tentais de le repousser, mais je ne réussis qu'à ranimer la douleur de mes blessures. Laissant passer un grognement plaintif, je me crispais. Pourquoi avait-il fallu qu'elle me colle un chien de garde aux basques ? J'avais pourtant fait plus que ma part pour repousser l'invasion des rebelles, je ne méritais donc pas un tel traitement. Le visage d'Asha s'imprima dans mon esprit, mais je le chassais immédiatement. Blâmer quelqu'un d'autre était vraiment pitoyable. Encore qu'elle n'avait vraiment pas arranger mon cas aujourd'hui...

say you'll keep still, as still as can be.
don't get caught in the chaos surrounding us.

NOÂ – Kahlan.

Noâ t'a appelé toi. Parmi tous les autres Membres se trouvant dans le QG, c'est toi qu'elle a choisi. Masquant ta surprise, tu quittes les rangs désorganisés et t'avances de quelques pas. Tu te doutes de ce qu'elle va te demander mais tu préfères ne pas trop t'emballer de peur d'être déçu. Et puis, tout cela n'annonce rien de bon pour Elle dont la présence affole tes sens.

NOÂ – Jusqu'à ce que j'ai étudié son cas, j'aimerais que tu escortes Alessandra. Tu ne la quittes pas d'une semelle. Et bien sûr, il est hors de question de sortir du territoire.

Un sourire t'étire les lèvres avant même que tu ne penses à le refréner. C'est mauvais comme tu le pensais mais d'un autre côté l'idée d'avoir une excuse pour rester à ses côtés t'enflamme. Depuis le temps que tu attends qu'une telle opportunité se présente, comment pourrait-il en être autrement ? Ta tête esquisse un mouvement discret puis tu t'éclipses, entrainant au passage l'objet de toute ton attention.

La froideur de Noâ lui a fait mal, cela ne t'étonne même pas. Tu peux lire en Elle comme dans un livre ouvert. Elle se laisse faire tout le long du chemin et tu atteins l'extérieur avec soulagement. C'est que tu n'aurais pas aimé avoir à la contraindre d'avancer. Et pourtant, même si cela ne t'aurait pas fait plaisir, tu ne l'aurais pas laissé là-bas où Elle aurait pu être en danger. Cette Asha, tu ne la sens pas du tout. A chaque fois que tu la croises, tu t'en méfies comme de la peste. D'ailleurs, tu as eu bien du mal à garder ton calme alors qu'elle menaçait ta précieuse.

ALESSANDRA – Non, mais tu vas me lâcher ?!

Il y a du mécontentement dans sa voix et elle te le témoigne d'un coup dans la poitrine. Si elle n'avait pas eu cette grimace de douleur, tu aurais sûrement rigolé mais là tu es parfaitement sérieux. Et inquiet bien sûr. Tu lui lâches le bras pour attraper le poignet de l'autre et observes la longue entaille sur son avant-bras. Celui qui lui a fait ça ne l'a pas loupée. Maintenant que tu la regardes de plus près, tu constates qu'elle affiche des signes de blessures plus qu'évidents. Tu es mort d'inquiétude et en même temps tu ne rêves que de déclencher une vendetta pour détruire le monstre que lui a fait du mal. Soucieux, tu t'apprêtes à parler mais une petite voix au fond de toi t'invites à la prudence. Elle est plutôt farouche donc si tu l'attaques de front, elle risque de fuir. Tu ne devais pas être trop familier non plus, après tout c'était votre première rencontre officielle. Et hors de question de la victimiser sous peine de la voir te claquer entre les doigts. Pour la première fois de ta vie, tu te rends compte que la côtoyer est autant une source d'interrogations et de doutes que le fait de l'observer de loin.

KAHLAN – Il faut soigner ça, suis moi.

A peine sortit, voilà que tu retournes déjà dans le QG. Sur le pas de la porte, tu te tournes vers elle et la fixe, une lueur troublée flottant dans ton regard. Tu ne sais vraiment pas comment t'y prendre. Finalement, tu reviens sur tes pas et fais mine d'être gêné face à tout ça.

KAHLAN – Ecoute, ce n'est pas confortable comme situation. On doit juste obéir aux ordres. Du coup, tu penses pas qu'on pourrait faire connaissance pendant que je désinfecte tout ça en attendant que Noâ prenne sa décision ?

Ca passe ou ça casse et sincèrement, tu espères bien que ça va passer.

Ce type était vraiment bizarre. Je cru un instant qu'il avait enfin décidé de me lâcher, mais il se saisit dans la seconde suivante de mon poignet, me forçant à exposer ma blessure au bras. C'est bon, il n'avait pas besoin d'en faire tout un plat, ce n'était qu'une entaille. Et puis, la plaie au niveau de mon flanc était nettement moins sympathique à regarder. Au vu du regard qu'il me lança, j'en déduis qu'il l'avait compris et je craignis un moment qu'il m'embarque à l'hôpital. Seulement, je me rappelais rapidement que Noâ m'avait fermement interdit de mettre un pied hors des frontières. Donc, il n'aurait pas été prudent pour lui de me faire sortir du territoire. Cela tombait bien car j'avais peur de ne plus jamais pouvoir revenir ici si je partais encore une fois. Surtout si c'était contre mon gré comme lors du bannissement. Une boule se forma dans ma gorge lorsque je repensais à cette journée, mais je tâchais de chasser cette angoisse. Non, Noâ ne me renverrait plus. Il fallait que j'arrive à me persuader que j'étais revenue ici pour de bon et peut-être que cela finirait par vraiment arriver. Surtout qu'il aurait été injuste qu'elle me remballe après ce qu'il s'était produit au lac.

Pendant que je me concentrais sur ma respiration, l'homme avait parlé. A moitié ailleurs, je n'avais pas bien perçu ses paroles, mais je l'avais vu se déplacer sans trop comprendre. Pourquoi retournait-il au QG ? Depuis le pas de la porte, il me regardait étrangement sans que je ne puisse comprendre ce qu'il voulait. De lui-même, il revient vers moi et afficha une certaine gêne. Ses paroles me firent froncer les sourcils alors que je comprenais où il voulait en venir. Dans l'histoire, le brun n'était qu'une victime lui aussi. Il n'avait rien demandé à personne et pourtant c'était sur lui que c'était tombé. Cette pensée me radoucit un peu et je décidais d'être plus conciliante. Du moins pour le moment.

Bon, okay...

Le fait que quelqu'un me témoigne soudainement une telle attention était plus qu'étrange, mais cela n'avait rien de désagréable. Restant un poil méfiante, je décidais de le suivre. Il n'avait pas tort, mes blessures avaient besoin d'être désinfectées. En plus, je n'avais pas trop envie de rester là à regarder les autres exécuter les missions confiées par Noâ.

Mais où tu comptes trouver de quoi désinfecter ? Charly est dans les parages ?

Si c'était le cas, il devait déjà avoir du boulot jusqu'au dessus de la tête. Et puis, il ne me semblait pas l'avoir vu dans la foule. J'avais par contre repéré assez rapidement Sandy et manque de bol, elle était encore entière. La vie était parfois particulièrement injuste...

Anxieux, tu observes la jeune fille en attendant sa réponse. De peur qu'elle comprenne les sentiments qui t'animent, tu t'appliques à faire dévier régulièrement tes yeux vers le QG. Le mouvement est mécanique et trop millimétré pour être naturel mais tu espères que cela suffira pour la convaincre. Heureusement, elle ne fait pas beaucoup attention à toi. Cela te blesse mais tu dois bien avouer que ce désintérêt t'arrange bien aujourd'hui. Les autres jours aussi d'ailleurs. Alessandra n'est pas une fille très sociable et elle a bien du mal à se lier avec les autres. Un peu comme toi en somme mais vous ne partagez pas le même sentiment pour les autres. La brune ne rejette pas les autres, elle en a peur, tu en as la certitude. Elle a peur de s'attacher, de s'ouvrir et donc de souffrir. C'est bien pour ça que tu l'abordes en réfléchissant à chacune de tes actions comme si elles pouvaient déclencher une guerre. Etre son ennemi, tu ne le supporterais pas. Tu veux être son plus précieux allié pour l'éternité, l'épaule sur laquelle elle pourra s'appuyer.

ALESSANDRA – Bon, okay...

Ok ? Juste ok ? Tu lui lances un regard éberlué. Tu ne pensais pas que ce serait aussi simple.

ALESSANDRA – Mais où tu comptes trouver de quoi désinfecter ? Charly est dans les parages ?

Ses questions te permettent de sortir de ton étonnement.

KAHLAN – Là où il y a un problème, il y a toujours une solution.

Tu lui adresses un clin d’œil malicieux avant de l'inviter à le suivre à l'intérieur du QG. Les victorieux sont encore en plein meeting, cela vous permet d'atteindre le hall sans croiser personne. Tu as beau ne pas être très sensible devoir enjamber des corps te met mal à l'aise. Alliés et ennemis se mêlent et toi tu retiens une grimace. Tu te dépêches de grimper les escaliers, désirant revenir au plus vite dans ta chambre. Les étages ont accueillit un bain de sang plus moindre mais cela reste difficile.

KAHLAN – C'est ici.

La porte de ta chambre est béante. Avec colère, tu revis la venue de ses rebelles. Ils t'ont surpris dans ton sommeil, t'assommant d'un coup de matraque. Tu t'en veux d'avoir été aussi faible. Si tu avais compris ce qu'il allait se produire, tu aurais pu être plus utile à ton clan et donc plus utile à Alessandra. Chassant ces mauvaises pensées, tu t'avances à l'intérieur. En plus de te frapper, ils ont tout retourner dans la pièce.

KAHLAN – Ne fais pas attention au bazar.

La plaisanterie est assez mauvaise mais tu veux détendre l'atmosphère. Du bout du pied, tu écartes les objets se trouvant sur ton passage. En arrivant à proximité du lit, tu le remet un peu en ordre et tu le lui désignes de l'index.

KAHLAN – Tu n'as qu'à t'asseoir pendant que je cherche ce dont j'ai besoin.

Pas grand chose dans les faits. Tu espères juste que l'élément principal n'a pas été cassé. Tu t'accroupis d'ailleurs au pied du lit et fouilles un tas de linge. Entre les vêtements, tu déniches une bouteille d'alcool de prune que tu conserves pour les coups durs.

KAHLAN – Tu devrais boire un peu, ça ne peut pas te faire du mal.

Tu poses la bouteille devant elle, lui laissant le choix. Après, tu récupères un t-shirt et tu le découpes en bandelettes pour les utiliser en guise de bandages. En attendant les soins de Charly, cela suffira.

Sa répartie me fit froncer les sourcils. Les yeux plissés, j'étudiais ses traits, pas vraiment convaincue par son clin d’œil. Il se foutait de ma tronche ou quoi ? Mon scepticisme n'avait rien d'étonnant, en réalité, c'était bien la première fois que quelqu'un se comportait de la sorte avec moi. J'étais tellement habituée à l'ignorance et aux moqueries que le comportement de ce Kahlan me perturbait au plus au point. C'était comme s'il avait totalement bouleversé mon équilibre et que je me retrouvais à tanguer de gauche à droite en cherchant à le retrouver. La sensation était indéniablement inconfortable, mais elle avait quand même quelque chose de plaisant. Avant de m'en rendre compte, je m'étais déjà mise à le suivre, marchant dans ses pas sans dire un mot. Il était facile de le suivre et d'ignorer le décor qui nous entourait, je n'avais qu'à fixer mes yeux sur son dos. Il était grand, avait les épaules larges et il se dégageait de lui une indéniable aura de puissance. Ce devait être le genre de type sur lequel on pouvait se reposer. Le mec par excellence qui assurait douceur et protection aux gens qu'il aimait. J'en avais vu des filles tomber dans les bras de ce modèle de gars et ce n'était pas toujours une bonne chose. Les apparences pouvaient être trompeuses et un chien dévoué et affectueux pouvait cacher un loup cruel et dominant.

Mais qu'est-ce que je fous moi..?

J'avais murmuré ces mots pour moi-même, mais je me fichais bien d'être entendue dans les faits. Durant quelques instants, j'avais cessé de réfléchir, comme aspirée dans une zone vierge de toute pensée, mais la réalité m'avait rattrapée dès notre arrivée au deuxième étage. Et avec elle était bien sûr revenu la mort. Je me sentais lâche, mais j'étais bien incapable de regarder les corps jonchant le sol. Je ne pouvais pas me permettre de craquer, pas maintenant du moins.

La mienne ne doit pas être en meilleur état. Si j'en ai encore une...

Le brun faisait des efforts pour nous changer les idées, mais je ne pouvais m'empêcher de repenser à des choses négatives à chaque fois. Par le passé, j'occupais la pièce adjacente à la chambre de Noâ, mais était-ce toujours le cas ? Lourdement, sans éprouver de réelles hésitations, je me laissais tomber sur le lit. Je savais ce que pouvait signifier la présence d'un homme et d'une femme, seuls, dans une chambre, mais pour une raison étrange, je me fiais à Kahlan. Mon instinct me hurlait bien sûr de prendre garde, de ne pas me laisser avoir comme peut-être des dizaines de greluches avant moi, mais j'avais déjà bien assez d'autres réflexions en tête. Lorsqu'il posa une bouteille d'alcool devant moi, je me figeais. La dernière fois que j'avais bu, cela m'avait conduit à coucher avec Eli. Je ne regrettais pas cette nuit, mais l'alcool avait visiblement un effet particulièrement trompeur sur moi. Et pourtant, j'attrapais sans hésiter la bouteille et retirais le bouchon pour en boire une longue gorgée. Peut-être que si j'en absorbais juste un tout petit peu cela me permettrait de faire de place dans ma tête ? Sur cette pensée, j'avalais encore un peu d'alcool et reposais la bouteille au sol. Il avait raison, cela ne pouvait pas me faire de mal vu la situation.

Tu attends cet instant depuis tellement d'années. Toujours accroupi, tu observes Alessandra sans dire un mot. Tu savoures ce silence qui n'a rien de douloureux contrairement à tout ceux qui ont existés par le passé entre vous deux. Tu as peur que tout vole en éclats. Qu'elle disparaisse. Mais elle n'ira nulle part. Elle est bien là, à tes côtés. Elle prends la bouteille et boit longuement. Tes yeux suivent chacune des réactions de son corps au contact de l'alcool. Tu ne penses pas à mal en la faisant boire, tu espères juste casser la glace. Ou plutôt la faire fondre. Tu ne veux plus ressentir ce vent glacial émanant d'elle. Elle porte à nouveau la bouteille à ses lèvres et déglutit sans esquisser de grimace. Il faut croire que ce n'est pas la première qu'elle goûte à ce genre de breuvage. Amèrement, tu te dis que le goût de l'alcool fait peut-être partie de vous à cause des dérives de votre mère. Une telle similitude ressemble un peu trop à un signe à ton goût. Lorsqu'elle pose le flacon au sol, tu t'en empares immédiatement et en descend un quart d'un coup.

KAHLAN – Moi aussi je dois avoir besoin de me changer les idées.

Du dos de la main, tu essuies tes lèvres humides. Les siennes sont sèches mais tu remarques qu'elles sont blessées. Imbibant l'une des bandes avec de l'alcool, tu t'approches en conservant ta position et t'agenouilles devant elle. Doucement, avec une lenteur calculée, tu approches le tissu de son visage et tu tamponnes les plaies sur sa bouche. Tu ne sais pas ce qu'elle a traversé mais cela n'a pas dut être de tout repos.

KAHLAN – Et si tu m'expliquais comment tu t'es mise dans cet état ?

La contempler trop longtemps t'empêche de réfléchir, tu fais donc en sorte de créer une discussion. Tu t'appliques maintenant à désinfecter la plaie sur son bras, les yeux rivés sur ta tâche. Le linge se colore d'un rouge sale de sang et de saleté et tu te dis qu'il faudra en changer. Faute de mieux, tu penses pratiquement.

Ma tête semblait remplie de questions, mais l'une d'elle se montrait de plus en plus présente au fur et à mesure que je m'habituais à la présence de l'homme : pourquoi Noâ l'avait-elle choisi lui ? Habituellement, c'était Grey qui devait jouer les baby-sitters, mais il n'y avait pas que lui qui était apte à garder un œil sur moi sans que cela ne se termine en bain de sang. Alors pourquoi un parfait inconnu ? Et pendant que la chaleur de l'alcool se rependait dans mon corps, je me laissais doucement aller à une sorte de résignation. Cela devait être un pur hasard, Noâ avait sûrement choisi la première personne dont elle avait vu le visage dans la foule. En le voyant prendre la bouteille pour en avaler une grande quantité, je ne pu m'empêcher de sourire. C'était un sourire faible et éteint, mais un sourire quand même. En cette triste journée, nous devions tous rêver de pouvoir simplement passer à autre chose le temps de récupérer. Cela était pourtant impossible, gagner cette rébellion n'étant que la première étape d'une longue épreuve.

Lorsqu'il s'approcha, je me raidis. La distance entre nous s'était soudainement réduite et je me sentis mal à l'aise de le voir si proche. Sa main s'éleva vers moi, me poussant à reculer, mais je me forçais à ne pas trop bouger. Il voulait juste faire ce pourquoi il m'avait faite monter ici : désinfecter mes blessures. Je frissonnais lorsque l'alcool me piqua les lèvres, mais c'était un mal nécessaire.
Sa question me surprit, j'avais du mal à concevoir le fait que cela puisse l'intéresser.

L'histoire ne doit pas être différente de celles des autres. Des gars me sont tombés dessus à proximité du lac. Ils étaient nombreux et si Eli n'avait pas été là... Bordel, ça fait mal !

Je laissais échapper un grognement de douleur, évitant de trop fixer mon attention sur ma blessure au bras. L'alcool mordait sans pitié ma chair à vif et j'eus bien du mal à ne pas repousser sa main. Levant les yeux vers le plafond, je continuais mon récit pour ne plus penser au tissu qui frottait la plaie pour en extraire toutes les saloperies qui risquaient de m'offrir une infection bien malvenue.

Eli est mon petit ami. C'est vraiment un mec génial même s'il a toujours l'impression de ne pas en faire assez. Il voudrait de me protéger de tout, c'est assez chiant, mais c'est aussi ça qui fait son charme. Et puis bon, ce coup-ci, je n'étais vraiment pas en mesure de tout gérer seule. J'ai un peu honte de le dire, mais j'aurais été incapable de m'en sortir seule cette fois.

Mais pourquoi est-ce que je lui racontais tout ça ? Je n'étais pas bavarde habituellement alors enchaîner autant de mots était une grande première en présence d'un inconnu. Enfin inconnu... Je pouvais difficilement le considérer comme tel maintenant que je constatais la facilité avec laquelle je m'ouvrais à lui. Les effets de l'alcool y étaient peut-être pour beaucoup, mais il n'y avait pas que cela, j'en avais la certitude.

Comparer Alessandra a un petit animal blessé n'est pas idiot, elle en a certaine manie. Tu es sûr que si elle le pouvait, elle se calerait dans un coin pour éviter que son dos soit exposé et balancerait des coups de griffe pour t'empêcher d'approcher. Pourtant, elle ne le fait pas. Tu sens une intense tension dans son corps, elle se retient de tout son être de ne pas reculer et te laisse faire. Il faut croire qu'une part d'elle te fait quand même un peu confiance. L'idée ne te déplaît pas, bien au contraire. Suite à ton invitation, elle se met à parler.

ALESSANDRA – L'histoire ne doit pas être différente de celles des autres. Des gars me sont tombés dessus à proximité du lac. Ils étaient nombreux et si Eli n'avait pas été là... Bordel, ça fait mal !
KAHLAN – Désolé.

Tu n'y peux pas grand chose mais cela ne te plaît pas de lui faire mal en la soignant. Tu t'étonnes par contre de la voir aussi bavarde. Elle ne te donne pas beaucoup de détails mais au moins tu sais comment elle en est arrivée là. Désireux d'en finir au plus vite, tu t'actives plus rapidement pour ôter les gravillons qui se sont incrustés dans sa blessure. Et même si tu n'en donnes pas l'air, tu l'écoutes attentivement.

ALESSANDRA – Eli est mon petit ami. C'est vraiment un mec génial même s'il a toujours l'impression de ne pas en faire assez. Il voudrait de me protéger de tout, c'est assez chiant, mais c'est aussi ça qui fait son charme. Et puis bon, ce coup-ci, je n'étais vraiment pas en mesure de tout gérer seule. J'ai un peu honte de le dire, mais j'aurais été incapable de m'en sortir seule cette fois.

En l'entendant, tu te crispes. Ta réaction est épidermique. L'entendre te parler de son petit ami te donne envie de tout exploser autour de toi. Tu as beau connaître l'existence de ce gars, la voir en parler avec un sourire te fout la rage. Tu te donnes le temps de retrouver ton calme en sélectionnant un linge propre que tu imbibes d'alcool. Cela ne t'aide pas vraiment, tu es toujours poursuivi par cette envie de détruire cet Eli qui prends de plus en plus de place dans sa vie. Bien sûr, tu lui es reconnaissant de l'avoir sauvée mais cela n'excuse pas tout. Après un regard à la bouteille que tu as en main, tu reprends une longue gorgée et la pose un peu brutalement au sol. Ton silence doit lui paraître étrange.

KAHLAN – Tu as eu de la chance.

Tu es incapable d'en dire plus. Les mâchoires serrées, tu termines avec sa coupure au bras. Il est temps de passer à autre chose.

KAHLAN – Tu peux te tourner et relever ton débardeur ? Je le ferais bien moi-même mais j'aurais trop peur de m'en prendre une.

Tu fais un effort et esquisse un sourire. Il faut que tu oublies l'existence d'Eli, il ne peut pas tout gâcher juste parce qu'elle l'a évoquée. Cette fois-ci, c'est juste une histoire entre elle et toi.

Les agissements de cet homme m'étonnaient de plus en plus au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient. Malgré l'air détaché qu'il se donnait, il paraissait attentif à mes paroles et accomplissait sa tâche avec quelque chose de bienveillant. Chacun de ses gestes était esquissé pour faire au mieux et je me surpris à penser que Charly n'aurait plus beaucoup de travail par la suite. Sauf peut-être s'occuper de cette vilaine plaie que je sentais particulièrement douloureuse au niveau de mon flanc. Plaie dont il me parla d'ailleurs après un long silence qui fut brisé par le bruit de déglutition alors qu'il buvait et le choc de la bouteille sur le sol. S'il glissa quelques mots, une certaine dureté dans sa voix me perturba. Il semblait différent tout d'un coup. L'ambiance dans la chambre se fit plus pesante sans que je ne comprenne pourquoi. Avais-je dit quelque chose qui l'avait vexé ou lui avait fait du mal ? Incapable de poser la question qui me brûlait les lèvres, je me jetais sur la perche qu'il me tendait et tâchais d'ignorer le reste.

Ça sent le vécu. Je ne suis pas la première blessée que tu dois baby-sitter ?

Je faisais un effort pour alimenter la discussion, mais ce n'était décidément pas mon fort. Alors, avec un fond d'appréhension, je me déplaçais un peu sur le lit, attrapais les bords de mon débardeur et tirais doucement. Lorsque le vêtement se décolla de la blessure, j'étouffais un gémissement de douleur, mais me forçais à continuer. Ce n'était qu'un mauvais moment à passer...avant un autre, maintenant que j'y pensais. Pour chasser l'appréhension, je m'appliquais à mettre un peu plus de légèreté dans mes paroles.

Mais ouais, j'crois que tu aurais eu mal à la mâchoire pendant un moment si tu avais essayé de me retirer mes fringues comme ça.

Je calais mon débardeur sous ma poitrine et croisais les bras en frissonnant. Malgré tout, je n'étais pas bien à l'aise dans cette position. L'idée de reprendre une gorgée d'alcool me traversa l'esprit, mais je la chassais aussi vite. Vu comment cela s'était passé la dernière fois que j'avais bu, ce n'était vraiment pas une bonne idée.

ALESSANDRA – Ça sent le vécu. Je ne suis pas la première blessée que tu dois baby-sitter ?

Alessandra est une gentille fille. Tu l'as toujours su au fond de toi mais tu en as désormais la preuve. Elle qui n'est en général pas bien bavarde fait un effort pour entretenir cette discussion banale qui vous permet de briser le silence. Le silence est ton pire ennemi en cet instant, tu apprécies donc d'autant plus son effort.

KAHLAN – Et pourtant si, tu es mon coup d'essai.

Un sourire rieur étire tes lèvres.

KAHLAN – J'espère que je ne m'y prends pas trop mal d'ailleurs.

Le moment fatidique est désormais arrivé. Mal à l'aise, tu fixes ton attention sur le sang qui rougit son vêtement. Tu suis les mouvements de la tâche alors que le tissu bouge et malgré toi, tu observes sa peau. Tu tends brièvement la main, t'arrêtes en chemin et te reprends. Difficile d'ignorer la blessure qui tranche dans sa carnation si blanche.

ALESSANDRA – Mais ouais, j'crois que tu aurais eu mal à la mâchoire pendant un moment si tu avais essayé de me retirer mes fringues comme ça.

Tu ne captes pas tout de suite la plaisanterie, trop occupé que tu es à te maîtriser. Lui retirer ses fringues... Non, ne pas penser ! D'une poigne tremblante, tu saisis la bouteille et tu poses le goulot juste au dessus de l'entaille avant de laisser couler un peu d'alcool. La méthode est barbare, mais il n'y a rien de plus efficace. Ensuite, tu reprends un morceau de tissu et tu recommences le même cinéma pour désinfecter et la débarrasser de tous les corps étrangers. Le côté répétitif t'aide pas mal à te tenir à carreau mine de rien.

KAHLAN – Dommage, ça aurait valu le coup d'essayer.

Tu frémis lorsque tu constates que tes mots ont dépassés ta pensée. En plus, vu le temps que tu as mis à réagir, ta vanne va faire un bide. Si seulement elle la prends pour une plaisanterie ce qui n'est pas vraiment sûr. Mal dans tes pompes, tu lèves les yeux vers elle et tu lui adresses un sourire confus.

KAHLAN – Désolé pour les conneries que je raconte. Faut croire que c'est le contrecoup de cette fichue attaque.

Tu deviens doué pour inventer des mensonges, il n'y a pas à dire.

Je te dirais bien que quoi que tu fasses, ça fera un mal de gueux alors bon... Mais tu t'en sors vraiment bien sur le coup.

J'avais dit ça en inspectant ma coupure au bras avec attention. L'entaille était nette et la chaire à vif parfaitement propre. Avec une telle minutie, Kahlan aurait certainement pu faire des merveilles pour soigner les bobos récoltés aux entraînements ou donner un coup de main à l'hôpital. D'ailleurs, si c'était la première fois qu'il s'occupait de quelqu'un de la sorte, je ne pouvais pas croire que c'était son premier soin. Il y avait la trace de l'habitude dans ses gestes, j'en avais la certitude.

Comment tu as appris ce genre de trucs ? J'pense pas que tout le monde aurait réagis de cette façon dans cette situation.

Je n'étais habituellement pas si curieuse, mais lui poser des questions me permettait de me concentrer sur autre chose que la douleur et la gêne que je ressentais. Les yeux toujours collés au plafond, je tentais de respirer de façon régulière malgré la rougeur que je sentais poindre sur mon visage. Quelque chose de froid se posa alors contre ma peau, me faisant frissonner, mais une intense et douloureuse chaleur vint immédiatement remplacer cette sensation. Par réflexe, je portais vivement la main à ma bouche et serrais mes dents autour de mon pouce. C'était un mal pour un bien, mais quand même, il aurait pu prévenir ! Alors que les insultes se bousculaient dans mon esprit, une chose qu'il venait de dire s'imposa à moi de façon percutante. Est-ce qu'il venait de..? Non, c'était tout bonnement impossible qu'il me fasse des avances. C'était la première fois que nous nous parlions, il aurait été bien trop vite en besogne. Naïvement, je secouais la tête pour chasser cette idée stupide de mon esprit et lui lançais un petit sourire, compréhensive.

Tu étais où quand l'attaque a eu lieu ?

Avec tout ça, je ne savais quasiment rien de ce qu'il s'était passé au QG. Peut-être pourrait-il m'en dire plus ? D'un autre côté, je ne voulais pas le forcer à revivre tout ça donc je pourrais parfaitement comprendre qu'il ne veuille pas en parler.

ALESSANDRA – Je te dirais bien que quoi que tu fasses, ça fera un mal de gueux alors bon... Mais tu t'en sors vraiment bien sur le coup.

Ce n'est pas d'un optimisme fou mais tu rigoles un instant. Au moins, elle est satisfaite de ton travail, c'est déjà ça.

ALESSANDRA – Comment tu as appris ce genre de trucs ? J'pense pas que tout le monde aurait réagis de cette façon dans cette situation.

Tu ne l'as jamais imaginé si curieuse. Cela t'étonne même beaucoup. Hésitant, tu cherches une réponse correcte à lui fournir mais tu te jettes finalement dans le vide avec la vérité pour seul filet.

KAHLAN – Je me débrouille seul depuis que je suis petit. Et comme je suis assez bagarreur, j'ai vite dû apprendre à panser mes blessures pour éviter les complications.

Tu t'es débarrassé de tous les détails superflus mais cela te fait du bien de lui parler de façon sincère.

KAHLAN – Désolé, je ne voulais pas que tu te crispes.

Ce qu'elle a fait par la suite mais passons. Crispée, elle l'est d'ailleurs particulièrement en cet instant. Ses muscles sont tendus et elle doit être deux fois plus sensible à la douleur vu sa façon de se contracter. Sans parler de sa main qu'elle mord sans délicatesse. Tu te reconnais un peu dans sa façon de lutter contre la douleur, il faut croire que la vie ne vous a pas façonnés si différemment que ça. Bien conscient qu'elle ne se détendra plus, tu termines en vitesse de nettoyer la plaie. Entre-temps, elle t'a mis à l'aise en ne relevant pas ta boulette ce qui te permet de calmer un peu ta peur de l'effaroucher. Et, chose miraculeuse, elle t'offre une nouvelle porte de sortie.

ALESSANDRA – Tu étais où quand l'attaque a eu lieu ?
KAHLAN – Ici. Je me suis réveillé en entendant un bruit et l'instant d'après, on me frappait à la tête.

Tu effleures le sommet de ton crâne et frémis sous une douleur sourde émanant de ce que tu supposes être une bosse.

KAHLAN – Lorsque j'ai repris conscience, j'étais ligoté à un type. J'ai assisté bêtement au cirque de cet Abel, puis aux combats. Un mec est finalement venu nous détacher mais presque tous les ennemis étaient à terre. Après ça, Abel a fait ses pseudos révélations et a joué comme un con au plus fort avec Noâ. Tu es arrivé peu après ça, quand elle a eu vraiment repris le contrôle.

Et heureusement, tu étais entière. Tu t'es retenu de le dire mais tu le penses très fort. Tu supportes difficilement de la voir aussi amochée et s'il n'en tenait qu'à toi, tu ressusciterais les connards qui l'ont blessée pour leur faire payer au centuple.

Et si il n'y avait pas que la douleur ? Et si l'intérêt que je portais à Kahlan était aussi étrange que réel ? C'était la première fois que je cherchais à en savoir autant sur quelqu'un, ou du moins aussi rapidement. Encore que même avec Eli, je ne me montrais pas toujours d'une curiosité débordante. A vrai dire, nous n'avions jamais pris le temps de parler de nous, de nos passés, de nos vraies vies. Lorsque nous avions eu l'occasion de nous voir, le présent était tellement lourd et compliqué qu'il n'y avait jamais vraiment eu de place pour autre chose. Avec le brun, tout était plus simple. Il n'y avait pas de pression, pas d'attente, c'était juste comme ça, sur l'instant. Mais je n'en étais pas moins heureuse de l'entendre se confier pour me dévoiler une minuscule facette de lui-même.

Et ta famille ?

Ma voix s'était faite un peu hésitante, je savais d'expérience que le sujet était sensible. Moi-même je ne connaissais pas grand chose des personnes qui m'avaient données la vie, mais je n'avais pas été seule. J'avais eu la chance d'avoir Noâ, Aaron et Reed comme famille.

Lorsqu'il eut enfin terminé, je fus plutôt soulagée. Nettoyer les blessures n'avaient pas été une partie de plaisir et je frémis à l'idée que Charly devrait ensuite recoudre certaines plaies. C'était fou comme les soins étaient au final souvent plus douloureux que les moments où le mal était fait.

Oh, ça n'a vraiment pas dû être facile.

Son geste vers sa tête ne m'avait bien sûr pas échappé et je ne ratais pas non plus sa grimace. Écoutant toujours son explication, j'hésitais un moment. Il avait fait l'effort d'être délicat avec moi alors je pouvais peut-être faire un geste en retour.

Ces pseudos-révélations ?

En attendant qu'il réponde, je m'approchais un peu du bord du lit et me penchais vers lui , mes doigts écartant doucement ses cheveux pour retrouver la zone qui le faisait souffrir. Assez facilement, je découvris la belle bosse sur son crâne et fis bien attention à ne pas la toucher.

Celui qui t'a attaqué ne t'a vraiment pas raté, on dirait que tu as un œuf greffé dans les cheveux. Tu sais ce qu'il faut faire pour ça ?

Je doutais un peu que l'alcool puisse faire disparaitre la bosse de façon magique et puisqu'il n'y avait rien à désinfecter, il ne serait vraiment d'aucune utilité. Néanmoins, il devait bien avoir quelque chose à faire pour apaiser la douleur.

ALESSANDRA – Et ta famille ?
KAHLAN – Mes parents sont morts. Je n'ai plus qu'une petite sœur mais elle ne connaît même pas mon existence.

Tu as parlé sans réfléchir et tu t'en mors les doigts. D'un autre côté, cela te fait un bien fou de l'avoir dit. Heureusement que Alessandra ne peut pas comprendre avec si peu d'informations. De toute façon, Aaron avait été très clair : elle ne souvenait de rien à l'exception de quelques moments passés avec votre mère. Toi, tu as été complètement effacé du paysage et ce n'est pas étonnant vu qu'à cette époque tu ne restais déjà pas beaucoup à la maison. Il avait fallu que tu la perdes pour comprendre à quel point tu tenais à elle, c'était tellement cruel.

ALESSANDRA – Oh, ça n'a vraiment pas dû être facile.
KAHLAN – Cela n'a plus d'importance maintenant.

Même si cela te fait plaisir, tu ne veux pas qu'elle s'inquiète inutilement pour toi. Ni qu'elle compatisse alors qu'elle a vécu des moments bien plus difficiles que toi durant cette nuit.

ALESSANDRA – Ces pseudos-révélations ?

Tu hésites à parler, tu n'es pas la personne la plus adaptée pour lui expliquer ça. Néanmoins, il vaut mieux qu'elle l'apprenne directement sous peine de ne rien comprendre aux ragots qui vont circuler dans le clan et de mal digérer certaines informations. Et puis, tu as soudainement besoin de te changer les idées. Alessandra t'a pris par surprise en examinant ta bosse. Ses doigts glissent doucement dans tes cheveux et te donnent l'impression d'une caresse. Les poings crispés, tu te retiens de la prendre dans tes bras. Elle est si proche et c'est bien la première fois qu'elle te touche de cette façon. Et le pire, c'est qu'elle n'a pas idée de l'état dans lequel elle te met.

KAHLAN – C'est Noâ qui a buté Joshua. Et elle a un fils.

Tu y vas franco, incapable de faire preuve de plus de tact en cet instant.

ALESSANDRA – Celui qui t'a attaqué ne t'a vraiment pas raté, on dirait que tu as un œuf greffé dans les cheveux. Tu sais ce qu'il faut faire pour ça ?
KAHLAN – Dans le coffre. Il doit y avoir quelque part un bocal avec de la crème verdâtre à l'intérieur.

D'un côté, tu ne veux pas qu'elle bouge pour aller le chercher mais de l'autre tu as sérieusement besoin de décompresser sans sentir ses doigts dans tes cheveux. Tu es en ébullition. Quand Al est dans les parages, tu as vraiment l'impression d'être un yo-yo.

L'information sonna étrangement à mon oreille. Cette fois-ci, j'en avais la certitude : Kahlan était comme moi. Comme moi, il n'avait plus de parents depuis qu'il était petit. Certes, il avait une petite sœur, mais si elle ne connaissait pas son existence, elle ne devait pas lui être d'un très grand réconfort. Je cherchais quelque chose à dire, mais restais finalement silencieuse. Dans certains cas, lorsqu'il y avait trop de souffrance, le mieux était encore de garder le silence. Ce n'était pas la première fois que je rencontrais un orphelin, il y en avait beaucoup dans les clans. Les enfants de Membres, ceux ayant vu leurs familles décimées par la maladie ou les carences,... Sans être quelque chose de commun, c'était une situation qui n'était pas rare.

Les fameuses révélations eurent sur moi un effet foudroyant. Si l'information concernant le fait que Noâ ait tué Joshua ne me paraissait pas si étonnante, j'avais plus de mal à encaisser l'idée qu'elle ait un fils. Comment pouvait-elle avoir un fils ? Je la connaissais depuis des années et elle n'avait jamais été enceinte. Elle n'avait pas non plus manifester d'attachement particulier pour un enfant. Je restais quelques instants sous le choc, cherchant à comprendre, à trouver un lien quelconque entre Noâ et un garçonnet.

Tu es sûr de ça ? Je veux dire, Noâ... Un fils... Ça me parait tellement étrange. Je n'y comprends rien.

J'étais troublée, un peu dégoûtée aussi. Si Noâ avait réellement un fils, elle me l'avait sciemment caché durant des années. Devais-je comprendre qu'elle ne m'avait jamais vraiment fait confiance ? Que nous n'étions pas si proches que ça ? Et puis, est-ce que Roxanne savait, elle ?

Les indications de Kahlan arrivèrent à point nommé, j'avais désormais une excuse pour faire quelques pas et me changer les idées. Je me relevais donc prestement et cherchais le coffre des yeux avant d'aller m'agenouiller devant. Une fouille rapide à l'intérieur me permit de dénicher le fameux pot et je revenais m'asseoir au bord du lit, l'esprit ailleurs.

Le résultat de ton manque de tact se fait nettement ressentir. Encore que même avec les formes, elle aurait probablement été aussi choquée. Tu as souvent pu le voir, Alessandra tient énormément à sa relation avec Noâ et au vu de sa réaction tu te doutes qu'elle n'était pas dans la confidence. Avaler un tel secret ne sera sûrement pas facile pour elle. Tu te demandes d'ailleurs pourquoi votre Chef n'a jamais parlé de son fils mais tu te remémores vite la scène dans la salle de réunion. Sa position est dangereuse et l'enfant aurait été exposé si jamais elle l'avait directement présenté comme son fils. Maintenant que tu y penses, tu as déjà vu le gosse plusieurs fois sur le territoire et jamais tu n'as envisagé le fait qu'il puisse avoir un lien avec la jeune femme. Pourtant, tu as vu un air de ressemblance lorsqu'ils ont été côte à côte. Cela ne fait pas de doute, il est bien son fils.

ALESSANDRA – Tu es sûr de ça ? Je veux dire, Noâ... Un fils... Ça me parait tellement étrange. Je n'y comprends rien.
KAHLAN – Je l'ai vu de mes propres yeux. Il doit avoir neuf ou dix ans. Un soumis blond qui traîne souvent sur le territoire.

Tu ne sais pas quoi dire de plus. Elle pourra vite avoir des informations par elle-même. Peut-être ira-t-elle même les chercher à la source, ce que tu espères. Un face à face avec Noâ permettrait de directement crevé l'abcès. Tu as mal au cœur de la voir aussi mal. Son monde semble s'écrouler encore. Tu as pu remarquer que c'est chose courant ces derniers temps.

Si la proximité de ta sœur fait naître en toi un étrange sentiment, son départ te glace. Tu sens de façon tangible les mètres qui vous séparent, ils sont comme des blocs gelés. Heureusement, elle revient vite et se pose sur le lit. Son esprit paraît ailleurs. Un peu inquiet, tu la fixes mais elle ne paraît pas revenir à elle. Elle est bien plus atteinte que tu ne le pensais. Oubliant tes efforts pour mettre de la distance entre vous, pour rester dans ton rôle d'inconnu qu'elle découvre à peine, tu allonges le bras vers elle et effleures sa joue. Doucement, tu y déposes ta paume et caresses sa peau du pouce.

KAHLAN – Noâ doit avoir ses raisons, ce n'est sûrement pas contre toi.

Tu veux la prendre dans tes bras pour la rassurer, pour lui faire comprendre que tu tiens à elle et que tu seras toujours à ses côtés mais tu restes immobile. Tu as déjà été bien trop loin en la touchant de la sorte, il ne serait pas bon de t'enfoncer plus.

L'information était donc vérifié. Même si je ne connaissais quasiment pas Kahlan, je ne pouvais pas m'empêcher de le croire. De toute façon, il n'avait aucune raison de mentir sur un tel sujet. Un blond d'une dizaine d'années ? Pourquoi cela me disait-il quelque chose ? Il y a dix ans, je ne connaissais pas encore Noâ, elle devait m'avoir recueillie quelques mois, voir une année, plus tard. D'une certaine façon, cela me rassura un peu. Puisque tout cela datait d'avant notre rencontre, il me paraissait plus envisageable qu'elle ait choisit de ne rien me dire. Et puis, j'eus une révélation.

C'est le gamin qui traîne souvent avec Jude ?!

A un moment, j'avais même cru qu'il s'agissait de son fils, mais on m'avait vite détrompée. Si l'enfant était bien celui de Noâ, logique qu'il soit proche de Jude. Les sourcils froncés, je me remémorais le visage du blondinet et tentais de me souvenir de son prénom, mais ce dernier resta un mystère. Malgré tout ça, j'avais du mal à me faire à l'idée. Encore un mensonge de plus. Les yeux dans le vague, je poussais un profond soupir tout en jouant avec le pot de crème. J'en étais venu à lister toutes les certitudes que j'avais qui avaient volées en éclat lorsque je sentis quelque chose sur ma joue. Dans un premier temps, je sursautais et me retrouvais nez à nez avec le brun. Qu'est-ce qu'il fichait ? Sa main se posa plus fermement sur ma peau, son doigt entamant un lent mouvement de va et viens, mais je restais pétrifiée. Je n'étais pas habituée à un tel contact, c'était quelque chose de totalement étranger pour moi. Un peu comme lui, en fait. Sa voix me parut pourtant douce et je me détendis légèrement. Sa gentillesse était agréable et j'appréciais qu'il tente de me rassurer de cette façon.

Seulement, tout ça était quand même un peu trop. Les yeux fixés sur son épaule, je me raclais la gorge et me déportais sur le côté histoire d'échapper à son contact. Ce mouvement créa en moi un déroutant sentiment de manque que j'ignorais assez aisément. Resserrant ma prise sur le pot de crème, je décidais de changer de sujet grâce à lui et dévissais rapidement le couvercle.

Je devrais peut-être...

Je ne savais pas trop comment m'y prendre, ni comment me comporter après tout ça, alors je me contentais de pointer sa tête du doigt, mal à l'aise.

ALESSANDRA – C'est le gamin qui traîne souvent avec Jude?!
KAHLAN – Probable.

Tu ne sais pas trop quoi dire de plus. Tu ne connais pas vraiment Jude et tu n'as jamais fait attention aux personnes qu'elle fréquente. A vrai dire, tu te fous complètement de cette histoire de gosse.

Tu sens sa chaleur sous tes doigts. L'avoir à tes côtés, c'est comme un rêve qui se concrétise. Tu pourrais facilement devenir suspicieux s'il n'y avait pas le doux contact de sa peau. Quelques mèches rebelles tombent sur son visage que tu détailles avec cet air typique d'adoration que tu n'arbores que quand tes yeux la regardent elle. Tu souhaites que cet instant dure toujours pour que vous ne soyez plus jamais séparés. Dans cette chambre, vous êtes seuls au monde et tu as la sensation que tu ne pourras plus jamais être heureux comme ça. Ou plutôt que tu ne pourras jamais être plus heureux que l'homme que tu es en ce moment même. Et puis, ta bulle de parfait bonheur éclate et tu sens à nouveau le froid sur ta main. Alessandra s'est éloignée, apparemment gênée. Tu caches le vide que cet éloignement fait naître en toi sous un sourire.

ALESSANDRA – Je devrais peut-être...
KAHLAN – Ouais, ce serait gentil de ta part. Tu n'as qu'à en étaler un peu sur la bosse.

Tu te fiches bien de cette bosse ridicule mais tu comprends qu'elle a besoin de jeter un voile sur cet instant en s'occupant. Tu t'y es préparé, tu as toujours su que te construire une place dans sa vie ne sera pas facile. Il lui faudra du temps et ce temps tu es prêt à le lui donner. D'ailleurs, tu trouves déjà positif qu'elle te tolère de cette façon dans son espace vital. Tu sais très bien que c'est une chance, qu'elle ne laisse que très peu de gens l'approcher. Et généralement, elle a la fâcheuse tendance à mal choisir ceux à qui elle donne accès à son cœur.

KAHLAN – Je ne comprends pas pourquoi elle compte autant pour toi.

Bien sûr que tu comprends mais tu ne peux pas t'empêcher d'en vouloir à Noâ pour l'exil qu'elle a infligé à Alessandra. Certes, tu lui es reconnaissant de l'avoir sauvée et de lui avoir offert une vie plus aisée que celle de la plupart des enfants mais quand même. Tu vois son geste comme une sorte de trahison.

KAHLAN – Après ce que Noâ t'a fait, tu devrais lui en vouloir au lieu de t'inquiéter pour cette histoire de révélations débile !

Là, tout de suite, tu te comportes comme un con mais qu'importe. Tu veux lui faire comprendre qu'elle doit savoir tirer un trait sur les personnes qui lui font du mal avant d'être détruite. Tu veux qu'elle comprenne qu'elle n'a besoin que de toi.

Suite à l'explication du jeune homme, je ne pu que me sentir stupide. La démarche était toute conne et ne méritait sûrement pas que je me pose des questions. Quand on avait de la crème, on l'étalait, point barre. Après un regard vers le plafond et quelques insultes que je m'adressais mentalement, j'en récupérais un peu dans le pot et me penchais sur la tête de Kahlan. D'une main, j'écartais les mèches et j'appliquais doucement le produit de l'autre en réduisant la couche pour que cela rentre. Ce n'était vraiment pas sorcier.

Lorsque Kahlan reprit la parole, je me reculais pour lui lancer un regard surpris. Mais de qui parlait-il ? En l'espace de quelques secondes, l'homme souriant et sympathique était devenu plus sombre. Je ne comprenais même pas d'où venait un tel changement de comportement sans parler du fait que la discussion était devenue complètement obscure pour moi. Et puis, il s'expliqua enfin et je marquais un temps d'arrêt. Pourquoi est-ce qu'il me parlait de Noâ tout d'un coup ? Ou plutôt, comment pouvait-il se permettre de juger ma relation avec elle alors qu'il ne me connaissait même pas ?! J'avais toujours détesté ce genre de remarque et qu'elle vienne d'un parfait étranger m'énervait plus encore. Brutalement, je le repoussais en arrière et me redressais vivement en lui jetant un regard noir.

De quel droit tu te permet de me juger ?! Tu ne me connais pas, tu ne sais pas ce qu'elle a fait pour moi et surtout c'est pas ton problème ! Tout ça, c'est une histoire entre elle et moi et faut pas croire que parce que tu joues les baby-sitters tu peux commencer à me traiter comme une gosse ! Merde, je suis pas ta sœur !

Alors que la réaction d'Alessandra se dessine à peine sur son visage, tu ne peux plus ignorer le fait que tu as fait une grossière erreur. Comment as-tu pu attaquer de front la personne à laquelle elle tient le plus ? Le moment est en plus particulièrement mal choisi puisqu'elle a du avoir peur pour Noâ à cause de l'attaque. Quel idiot ! Tu t'en mords les doigts avant même qu'elle ne parle car tu sais bien que la suite promet d'être un dur moment. Tu ne peux pourtant en vouloir qu'à toi même alors tu roules le dos et tu encaisses. Littéralement. Tu ne t'es pas attendu à ce qu'elle te pousse de la sorte, tu pars d'ailleurs en arrière et te retiens pour ne pas heurter le sol. Les bras en appuis derrière toi, tu n'oses pas bouger et tu l'observes d'en bas. Les sombres sentiments qui luisent dans son regard sont surprenants, impressionnants aussi.

ALESSANDRA – De quel droit tu te permet de me juger ?! Tu ne me connais pas, tu ne sais pas ce qu'elle a fait pour moi et surtout c'est pas ton problème ! Tout ça, c'est une histoire entre elle et moi et faut pas croire que parce que tu joues les baby-sitters tu peux commencer à me traiter comme une gosse ! Merde, je suis pas ta sœur !

Elle n'y va pas de main morte. Tes mâchoires se crispent et tu regrettes de ne pas être dans une position qui te permette de masquer ton visage. Tu as bien du mal à garder tes émotions pour toi. Les paroles assénés font mal, surtout l'argument qu'elle a sorti pour clôturer son discours. Si, justement, elle est ta sœur et tu brûles de le lui hurler.

KAHLAN – Tu es cruelle.

Ta voix est morose. Tu te redresses avec difficultés, le choc engourdissant tes muscles, et plonges un regard dur dans le sien. Cette fois, c'est toi le plus grand et tu profites allégrement de la puissance que cette haute taille te procure. Tu n'en reviens toujours pas qu'elle ait utilisé une confidence que tu lui as faite pour te faire mal. Au fond, tu es aussi un peu fier d'elle. Après tout, cela prouve qu'elle sait parfaitement se défendre lorsqu'elle souffre. C'est une bonne chose mais tu préférerais qu'elle n'utilise pas ça contre toi. Tu te rapproches d'elle au point de la coller presque. En réalité, votre différence de taille est très minime lorsque vous êtes proches. Tu aimes l'idée que même vos tailles s'accordent. Si tu le pouvais, tu n'aurais qu'à avancer à peine ton visage pour embrasser son front. Tu résistes à cette envie et profites simplement de sa proximité en cherchant tes mots.

KAHLAN – Pourquoi un étranger n'aurait-il pas le droit de s'inquiéter pour toi ? Tu n'es peut-être pas ma sœur...

Ta gorge s'assèche suite à ce mensonge et tu sens que tes yeux deviennent un peu humides.

KAHLAN – ...mais tu lui ressembles beaucoup. Et je ne m'excuserais pas pour ce que j'ai dit.

Tes doigts effleurent sa joue et descendent lentement dans son cou avant que tu ne poses la main sur son épaule.

KAHLAN – Est-ce que tu crois à la théorie selon laquelle tout se joue dans la première seconde lors d'une rencontre ? Dès que je t'ai vue, j'ai su.

Avant la perte de votre mère, tu ne l'avais jamais vraiment regardé. Mais lorsque tu l'avais vu dans les bras de Noâ, lorsque tu avais croisé brièvement son regard alors que vous n'étiez que des enfants, oui, tu avais su que tu la chérirais pour le reste de ta vie.

La rage me consumait littéralement. Après tout ce qu'il s'était passé au lac, je n'étais pas d'humeur à me laisser marcher dessus par qui que ce soit alors ce n'était sûrement pas ce type sortit de nulle part qui allait pouvoir me faire la morale de cette façon. En cet instant, je me sentais forte et l'adrénaline me laissait croire que je n'avais pas peur de lui. Mais si je ne le craignais pas, je fus étrangement touchée par le ton de sa voix. Cruelle ? Oui, il n'avait pas tort. Les arguments que j'avais débité étaient blessants et ce n'était en aucun cas une erreur. Je l'avais fait exprès. Mais alors pourquoi est-ce que je m'en voulais ? C'était stupide de culpabiliser juste après lui avoir sciemment fait du mal. Troublée, je fuyais son regard alors qu'il se redressait, mais il fut très vite difficile de ne pas le regarder. Kahlan s'était rapproché de telle façon que je me sentais prise au piège. Je ne pouvais ni avancer sans le pousser et encore moins reculer sous peine de heurter le lit et de m'y retrouver allongée, une position plus dérangeante encore que celle dans laquelle nous nous trouvions. Le duvet sur ma nuque s'était hérissé et mon cœur battait la chamade, influençant ainsi ma respiration qui se fit plus saccadée. Il était beaucoup trop près. Et pourtant... Comme attirée par la gravité de son regard, je me retrouvais perdue dans ses yeux verts. Pourquoi avais-je l'étrange impression de connaitre ces yeux ? Sourcils froncés, je fouillais ma mémoire à la recherche d'une réponse, mais je ne fus confronté qu'à l'habituel trou noir.

Je suis désolée.

Les mots s'étaient échappés de ma bouche sans que je ne m'en rende vraiment compte. Oui, je m'en voulais un peu de l'avoir blessé en évoquant sa sœur, mais une part de moi ne supportait toujours pas la façon dont il m'avait jugée à propos de ma relation avec Noâ. Seulement, j'étais bien incapable de réellement me rebeller en cet instant. J'étais comme captivée par son regard qui semblait réveiller en moi une curieuse sensation. La façon dont il effleura ma peau me fit frémir et, plutôt que de m'offusquer qu'il se permette un tel geste, je cherchais plus encore son contact en pressant sans le vouloir ma joue contre ses doigts. Fermant les yeux, j'appréciais sa proximité et ma main ne tarda pas à venir se poser sur son torse. J'étais comme ensorcelée par son odeur et la chaleur rassurante qu'il dégageait. Malgré moi, je songeais qu'il ne faudrait pas grand chose pour me retrouver dans ses bras. Je n'avais en réalité qu'un pas à faire. Incapable de faire ce geste, je restais pourtant immobile pendant qu'il me parlait d'une étrange théorie. Même s'il y avait toujours quelque chose de dérangeant dans ses paroles elles faisaient échos en moi.

Je crois que je comprends...

Néanmoins, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander ce qu'il avait su. Je pouvais par contre tout à fait comprendre où il voulait en venir puisque les choses s'étaient un peu passées de cette façon avec Eli. Cette nuit au lac où je l'avais rencontré réellement pour la première fois, c'était elle qui avait tout déterminée. Eli... Alors que le visage de l'Aigle s'imposait dans mon esprit, je repris brutalement conscience. Non, mais qu'est-ce que j'étais en train de foutre là. Comme si son contact m'avait soudainement brûlée, je le repoussais brutalement et esquissais un geste vers la porte.

Ne t'approche plus de moi !

Il t'est difficile d'ignorer l'animosité qu'elle éprouve pour toi. Tu sais très bien qu'en agissant de la sorte, tu ne fais que la renforcer mais tu ne veux pas t'écraser devant elle. Elle a beau être ta sœur chérie, tu n'admets pas qu'elle dépasse certaines limites. C'est pour ça que tu n'hésites pas à la maltraiter un peu, espérant ainsi qu'elle finisse aussi par te céder. Tu veux l'apprivoiser, pas la contraindre et encore moins devenir le paillasson sur lequel elle essuierait ses pieds. Ainsi, tu souris en constatant que tu la troubles. Lorsqu'elle te regarde enfin, tu plonges dans son regard et en admires la couleur. C'est la première fois que tu as l'occasion de la voir de si près et tu remarques que ses yeux bleus sont striés de fils d'argent. Une ombre passe sur son visage et elle se trouble durant quelques instants. A quoi réfléchit-elle ? Tu n'oses pas lui poser la question, craignant de faire éclater le moment.

ALESSANDRA – Je suis désolée.

Ses excuses te surprennent. Tu ne t'étais pas attendu à ce qu'elle revienne aussi facilement sur ses paroles.

KAHLAN – On se partage la faute.

Tu lui souffles ces mots en souriant doucement. Au fur et à mesure qu'elle s'apaise, tu en fais de même. Bien sûr, tu ne t'expliques pas ses réactions mais tu songes que tu ne veux pas forcément savoir ce qu'il se passe dans son esprit. Tant qu'elle t'accepte, c'est tout ce qui t'importe. Ton sourire s'agrandit alors qu'elle cherche le contact de tes doigts. Tu as beau savoir qu'il ne faut pas crier victoire trop vite, tu peines à te refréner.

ALESSANDRA – Je crois que je comprends...

Elle semble plus convaincue que ses paroles ne le laissent croire mais la réponse fournie ne te satisfait pas vraiment. Et pourtant, ses réactions tendent à te laisser penser qu'un lien se tisse entre vous. C'est au moment où tu prends vraiment espoir que celui-ci se brise brutalement. Elle te repousse une nouvelle fois, plus durement encore que précédemment. Tu ne comprends pas ce qu'il se passe, ni ce qui a engendré une telle réaction. Tout son corps te rejette, c'est un peu comme si elle avait sorti ses piquants pour t'empêcher d'approcher à la façon d'un porc-épic.

ALESSANDRA – Ne t'approche plus de moi !

Elle s'est rapprochée de la porte, tu n'aimes pas ça. Tes mains se lèvent et tu esquisses quelques gestes pour tenter de l'apaiser.

KAHLAN – Du calme, tout va bien. Je ne le referais plus, c'est promis.

Tu ne sais pas ce que tu ne dois plus refaire, cela ne va pas te faciliter la tâche.

KAHLAN – Je te demande de m'excuser.

Le désarroi t'assaille. Mal à l'aise, tu vas t'asseoir sur ton lit et tu prends ta tête entre tes mains.

KAHLAN – C'est à cause de la ressemblance. Tu comprends, c'est comme si j'avais la réplique de ma sœur face à moi.

Tu t'es déjà enfoncé avec cette explication alors autant l'utiliser jusqu'au bout.

Comment avais-je pu me monter aussi stupide en me laissant embobiner par ce beau parleur ? La douceur de sa voix et la chaleur de sa peau avaient eu sur moi un effet hypnotique, mais maintenant que le charme était rompu, je le voyais comme il était vraiment. Il y avait une sorte de folie chez Kahlan, j'en étais certaine. Perdre sa sœur avait dû le briser et il reportait sur moi l'affection qu'il avait pour elle. Je ne comprenais pas ce qui le poussait à faire une telle association, pour avoir toujours vécu chez les Jaguars, je savais pertinemment que personne ne me ressemblait autant qu'il le disait. Les similitudes étaient peut-être moins évidentes et cela m'inquiétait d'autant plus. Le fait qu'il fasse une fixette sur moi avait quelque chose d'inquiétant. Si je n'étais déjà pas habituée à ce que l'on me témoigne un réel intérêt, celui qu'il me portait était carrément flippant. Et dire que c'était à lui que Noâ m'avait innocemment confiée...

Malgré l'appréhension et l'incompréhension, je devais reconnaitre que son désarroi était douloureux à voir. Kahlan semblait réellement s'en vouloir pour son comportement et il avait l'air au moins aussi perdu que moi dans cette situation inédite. J'avais envie de partir, de quitter cette chambre, mais une entrave invisible semblait me retenir à ses côtés. C'était la tout le paradoxe. Plus j'avais envie de partir, moins je le pouvais et plus je souhaitais être avec lui, plus les possibilités de fuite s'ouvrait. C'est frustrant. Malgré tout, je comptais bien parler de tout ça avec Noâ pour qu'elle me confie à un autre chien de garde.

Alors que je me perdais dans mes pensées, quelqu'un pénétra dans la pièce. C'était un Membre un poil plus jeune se nommant Julian si je ne me trompais pas. Visiblement peu soucieux de l'ambiance pesante qui flottait dans la pièce, il s'avança vers moi sans un regard vers Kahlan.

- Noâ veut te voir. Lui aussi doit venir.

Il s'était contenté d'un coup de menton vers le brun et avait fait volte-face pour partir. Il s'était néanmoins arrêté au pas de la porte, nous lançant une œillade impatiente. Cette urgence m'arrangeait plutôt bien et je me jetais sur cette occasion pour partir, me lançant à la suite de Julian. Kahlan me suivrait probablement, mais en attendant nous n'étions plus seuls ce qui n'était pas une mauvaise chose.

Tes explications ne semblent pas convaincre ta sœur. Désormais, elle est sur ses gardes à cause de l'a-priori qu'elle a sur toi. Tu ne peux pas lui en vouloir, tu lui as fourni sur un plateau toutes les raisons pour lesquelles elle te trouve étrange, voir effrayant. L'idée que tu puisses lui faire peur te blesse profondément et tu te retiens difficilement de ne pas démolir quelque chose à coups de poing. La douleur t'aiderait sûrement à te sortir de la spirale infernale dans laquelle tu t'enfonces mais un tel comportement ne ferait qu'effrayer plus encore Alessandra. Idiot, tu n'es qu'un idiot qui l'a peut-être définitivement perdu ! Après avoir tant attendu, quelle idée de la brusquer de cette façon.

Le silence pèse lourd sur tes épaules épuisées lorsque quelqu'un entre dans ta chambre. La présence étrangère te pousse à te mettre debout et tu effleures des doigts le poinçon qui ne te quitte jamais. C'est un Membre de la fournée de l'année passée, tu le connais vaguement pour l'avoir croisé alors qu'il gardait les frontières.

JULIAN - Noâ veut te voir. Lui aussi doit venir.

Le fait que tu sois convié toi aussi te rassure. Au moins, vous ne vous quitterez pas en étant en mauvais terme. Tu ne sais pas encore comment tu vas arranger les choses mais il faut absolument que tu trouves une solution. Et en attendant, tu te contenteras d'être son ombre comme tu sais si bien le faire. Silencieux, tu t'engages dans le couloir à la suite des deux Membres, plus dépité que jamais.