Mise en situation :

C'est le deuxième jour de surveillance pour l'équipe 1 constituée de Tom (Aigle de l'Est), Jackson (Jaguar du Sud), Louise (Dragon du Nord) et Samantha (Vipère de l'Ouest). Les quatre amis s'entendent plus que bien étant donné qu'ils vivent ensemble la moitié du temps.
Aujourd'hui est une journée calme, comme souvent. En effet, toutes personnes s'approchant des citernes sans le mot de passe sont censées être fusillées sur place. Cela a tendance à dissuadé les éventuels voleurs.  

Mais il semblerait que les tensions actuelles réveillent des témérités, car un groupe s'approche discrètement de la clôture. Il se sépare avant d'être repéré, et alors que le grabuge se fait entendre à l'arrière et que les trois autres vont voir ce qui se passe, Tom reste à l'entrée pour surveiller.
Il tombe alors face à un jeune homme, main levées en signe de paix. Sa tête ne lui reviens pas, et le règlement voudrait qu'il lui tire dessus s'il ne peut lui fournir le mot de passe. Que va-t-il se passer ? Qui est ce jeune homme et comment Tom va-t-il réagir face à lui ?

Nous allons le découvrir à la suite...

Son boulot était de garder la Citerne, de la protéger d'éventuels malfrats qui ne respecteraient pas les règles. C'était relativement simple, étant donné que quiconque se présentant en étant incapable de donner le mot de passe était alors fusillé sur place, sans quelconque forme de procès. Rare était ceux qui osaient croire qu'ils pouvaient défaire les quatre Gardiens, eux et leur air implacable, eux et leurs armes. Les seuls qui s'y essayaient vainement étaient les cas les plus désespérés, les cas les plus dangereux aussi. La folie pousse à des actes inconsidérés, notamment celui de se jeter sous la trajectoire d'une balle tirée par un fusil qui vous punit d'être là ou vous ne devez pas l'être. Car ceux qui tentaient de se rendre à la citerne sans mot de passe ne faisaient que se rendre à une mort certaine - un suicide déguisé, peut-être, chez certains.
Toujours était-il que c'était travail d'ordinaire reposant, les différents membres s'appréciant et riant souvent ensemble. Sauf que ce jour-là fut différent.
Tandis que le silence de la nature n'était brisé que par les éclats de rires, les piques que les uns se lançaient aux autres, il y eut du remue-ménage. Ce furent des bruits étouffés de voix, provenant de l'arrière, avec quelques chocs visiblement métalliques. Les Gardiens se consultèrent d'un regard, quelques mots seulement franchirent leurs lèvres - depuis qu'ils travaillaient ensemble, ils avaient appris à se comprendre le plus laconiquement possible -, hochèrent une ou deux fois la tête, et chacun partit pour son poste. Louise, Jackson et Samantha, appartenant respectivement au clan des Dragons du Nord, des Jaguars du Sud, et des Vipères de l'Ouest, partirent ensemble à l'arrière, là où provenait le fracas. Il ne resta que Tom pour surveiller l'entrée dite principale, et ce dernier jeta un dernier regard à Jackson, un peu inquiet mais confiant.
Lorsqu'il se retourna, il vit un jeune homme qui avançait vers lui, ses mains clairement mises en évidence, afin de montrer qu'il n'était pas armé. De toute façon, qu'il ait mis en l'air ses mains ou non n'aurait rien changé à la réaction du Gardien, qui par habitude, prit en joue le nouveau venu. Il n'aimait pas sa tête, rien qu'en la voyant il avait l'impression qu'il allait se passer quelque chose de plus ou moins mauvais. Une impression guère agréable en soi.

     — Je viens en paix, abaisse donc ton arme.

Pas une esquisse de geste de la part de Tom. Le probable malfrat cherchait sûrement à le mettre confiance, pour qu'il baisse sa garde et que lui, le délinquant, puisse sortir la sienne et attaquer, trop rapidement pour que Tom ait la possibilité de correctement se défendre. Combien y avait-il de chances que ce soit ce qui passait réellement par la tête du nouveau venu, nouveau venu qui continuait toujours d'avancer d'ailleurs ? Peu, surtout en raison de l'apparence du jeune homme : des haillons qui servaient d'habits, un visage sale, épuisé aussi, une faible musculature sous les lambeaux de ses vêtements, puis, sous la fatigue de ses traits qui lui donnaient facilement trente ans, on percevait mal la jeunesse qu'il avait réellement. Tom savait que les apparences sont souvent trompeuses, alors il ne baissa pas sa garde, loin de là, il la raffermit même.

     — Ne fais plus un geste, ou j'te fais sauter la tête, dit-il, agressif.

Ses paroles, prononcées sur un ton clairement hostile, n'eurent strictement aucun effet sur l'étranger, qui continuait à avancer, se retrouvant à une dizaine de mètres du Gardien. Gardien, qui n'était pas vraiment heureux de voir que l'autre n'avait rien à faire de ce qu'il disait.

     — La haine, toujours la haine... Ne pouvons-nous pas parler comme deux êtres humains intelligents ? glissa l'inconnu. Je suis Sasha, et je ne te veux aucun mal. Je ne suis même pas armé, et tu peux voir mes mains sans problèmes, ajouta-t-il.

Tom hésita à tirer, bien que ses traits restèrent figés dans ce masque de dureté froide qu'il prenait dans ces occasions-là. Après tout, le fameux Sasha avait peut-être connaissance du mot de passe, et tant que Tom n'était pas certain qu'il le connaissait ou non, il ne pouvait pas tirer. En effet, s’il tirait sur une personne qui suivait les règles, ce sera alors lui qui ne les suivrait pas. Pourtant, comme il avait envie de tirer ! Rien qu'en plongeant ses yeux dans ceux de l'étranger, il avait envie d'appuyer sur la gâchette. Il y avait une certaine lueur déplaisante, qui lui donnait envie de bouger et de frapper ce visage sale mais arrogant qui lui faisait face. Encore une fois, rien de ses pensées ne traversèrent ses traits, imperturbables dans leur froideur pendant qu'il maintenait la même posture, tenant toujours l'autre en joue, prêt à tirer au moindre faux pas.

     — Le mot de passe.

Il aurait dû le demander dès le début - si « demander » était le mot exact pour l'ordre sec, et sans appel presque comme un aboiement, qu'il venait de donner... Bon sang, quel débutant ! S'il l'avait fait, il aurait déjà été fixé, et il aura pu déjà envoyer une balle dans la tête de ce pauvre type, qui, il en aurait mis sa main à couper, ne connaissait pas le mot de passe.

     — L'eau est fraîche, murmura Sasha, à cinq mètres de Tom.

Ce dernier resta muet quelques instants. Il scruta son interlocuteur, traquant la moindre trace qui pourrait lui indiquer une piste, traquant le moindre indice possible qui pourrait lui prouver que l'homme en face de lui était réellement malsain et dangereux. Une poignée de secondes passa. Ensuite, un coup de feu retentit.
Celui de Tom.
Qui avait visé à contrecœur la cuisse, afin d'éviter qu'il avance encore.
Le petit cri de surprise, puis les gémissements de douleur qui suivirent lui arrachèrent un rictus de contentement au Gardien. Certes, il n'avait pu tirer dans la tête, mais il avait quand pu appuyer sur la gâchette pour faire du mal à cet homme qui l'insupportait plus que de raisons. Il y avait simplement quelque chose entre eux qu'il n'arrivait à comprendre, et qui l'énervait au plus haut point. Était-ce uniquement physique ? Sûrement, puisqu'il ne connaissait pas à grand-chose de Sasha, sinon qu'il avait un orgueil fou. D'autant plus que ses vêtements étaient miteux, et qu'il ne paraissait pas s'être lavé depuis quelques jours déjà ! Enfin, dans les temps qui couraient, cette situation était similaire à bien d'autres. Notamment aux Libres, non ? Pour Tom, c'était eux qui souffraient le plus, eux qui étaient le plus dans une situation extrêmement précaire. Sasha était-il un Libre ?

     — Pourquoi tu as fait ça ? J'avais dit le mot de passe ! couina l'importun.

« Parce que ta putain de tête m'en donne envie ! » aurait été ce qu'il aurait répondu... s'il n'effectuait pas son boulot en ces instants-là. Il se contenta de hausse un sourcil, en essayant de savoir quelle était la meilleure des décisions. Lorsqu'il entendit des voix crier, puis quelques détonations, ses sourcils se froncèrent. Il n'avait pas oublié que Jackson et les autres étaient partis à l'arrière, mais il n'avait jamais pensé que cela puisse aussi dégénérer là-bas. Sa prise sur son arme resta ferme, bien qu'il tourna la tête vers l'origine des coups de fusil. Sasha en profita pour passer du statut d'intrus à ennemi : une main plaquée sur sa cuisse blessée. Il tira une lame effilée et se jeta sur Tom comme il pût. Son bond fut faible, ou du moins plus faible qu'il était supposé être, mais il était suffisant pour percuter le Gardien de plein fouet et le faire tomber à la renverse. Ils roulèrent ensemble sur le sol, moment durant lequel Sasha en profitait pour donner quelques coups de couteau, tentant d'abattre sa lame en direction du cœur.
Elle n'arrivera jamais à son but, stoppée par la main puissante de Tom qui agrippa le poignet de son agresseur, et lui donna par la même occasion un coup de poing dans le visage - son arme ayant volé pour atterrir plus loin sur le sol, et n'ayant pour l'instant assez de mobilité pour sortir sa propre lame, il en était réduit au corps à corps. Heureusement pour lui, Sasha était déjà affaibli par la balle fichée dans sa cuisse, et il n'eût donc pas une réelle peine à pousser le corps de l'intrus, tout en profitant pour se remettre debout. Un rapide regard circulaire lui apprit que son fusil était trop loin pour qu'il puisse aller le chercher sans craindre que Sasha se remette debout et l'attaque de nouveau. Sans plus se poser de questions, il sortit finalement sa dague, longue d'une trentaine de centimètres, tout en s'approchant de son ennemi. Prudemment, car on ne savait jamais vraiment ce qu'il pouvait se passer, ce que son adversaire pouvait réserver. Ce dernier semblait cependant hors-jeu, ramassé en position fœtale, gémissant, les mains pressées autour de sa plaie.
Tom ne prit pas même la peine d'avoir l'air désolé, ou de s'en vouloir. Les seules expressions de son visage était la certitude qu'il accomplissait son travail, et que c'était tout ce qu'il comptait.
Cet homme ne connaissait pas le mot de passe.
Il avait essayé de forcer l'entrée.
Il devait donc mourir, car n'avait obéi aux règles ; à ces mêmes règles que le Gardien faisait respecter.
Ce dernier se pencha, passa sa main libre dans les cheveux de celui à terre, avant de les empoigner et de les tirer brusquement en arrière. Un léger sourire se dessina discrètement sur les lèvres de Tom, avant qu'il ne s'accentue encore un peu en voyant la mine défaite de Sasha. Savoir que quelqu'un, surtout si c'était quelqu'un qui lui avait voulu du mal, était à sa merci, le remplissait d'une jolie mauvaise. D'une curieuse joie mauvaise. Les deux hommes plantèrent leur regard l'un dans l'autre, dans un mélange de désespoir pour l'un et de plaisir pour l'autre, tandis que dans un mouvement fluide accompagné d'un doux sifflement, la gorge de l'intrus céda sous la lame tranchante. Une nouvelle Mort, sombre dans sa simplicité, simple dans sa noirceur. Et ce sourire qui s'agrandit encore un peu plus devant le dernier râle que sa victime poussa.
Quelques bruits de pas précipités firent se retourner Tom, qui pût donc voir le reste de la première équipe revenir, l'air sérieux, légèrement amoché aussi.

     — Laisse-moi deviner, il ne connaissait pas le bon mot de passe ? lança Samantha.

En acquiesçant, le Gardien se releva, essuyant au passage sa lame sur les vêtements abîmés de l'ancien Sasha, puis fit face à ses amis. Une nouvelle fois, ils n'eurent guère besoin de mots pour communiquer : son regard interrogateur fit aisément comprendre à Samantha qu'il désirait avoir leur compte rendu. Cette dernière commença son récit depuis le début, soit le moment où ils s'étaient séparés. Ainsi, elle expliqua qu'ils étaient parti pour l'arrière, et qu'une fois sur les lieux, ils avaient découvert un groupe de Libres - Sasha avait donc bien été un Libre - armés, qui allaient visiblement tenter de prendre le contrôle de la citerne. Mais l'équipe une, avec ses fusils, avait pu prendre en joue les intrus, les menaçant clairement sans même prendre la peine de prononcer à voix haute les mots qui pouvaient amplement se lire dans leurs yeux. Les Libres ne s'étaient pas arrêté, ils avaient continué, et lorsque que Jackson leur avait demandé le mot de passe, ils avaient donné une courte phrase identique à celle qu'avait déclarée l'ancien ennemi de Tom. Samantha avait donc tiré, la première s'il vous plaît, son tir parfait faisant loger une balle dans le plus proche ennemi. Louise l'avait suivie, puis finalement Jackson, qui tira sa première balle en même temps que Samantha tirait sa deuxième. Les Libres commencèrent à s'agiter, courant stupidement vers l'équipe une, qui les abattait un à un. Lorsqu'il n'en resta plus que deux, les deux plus peureux qui avaient reculé pour essayer de se cacher derrière les décors, Jackson fit signe de cesser le feu et alla chercher les deux fuyards pour les interroger. Ainsi, ils purent apprendre que c'était un groupe d'hommes Libres qui ne tenaient pas vraiment Virgo dans son cœur, et qui avaient cruellement besoin d'eau. Les deux hommes perdus essayèrent d'implorer pitié, mais tout ce qu'ils reçurent, ce fut une mort rapide.
Parce qu'après tout, la règle était la règle.

Tom jeta quelques coups d'œil fréquents à Jackson à côté de lui qui avait une coupure à la joue - preuve qu'ils n'avaient pas abattu ses hommes aussi facilement que le laissait entendre Samantha, et qu'ils avaient dû se battre un minimum, bien qu'une nouvelle fois, la jeune femme avait passé ce détail sous silence. Quand cette dernière eut fini son rapport en précisant qu'ils avaient sécurisé le périmètre avant de revenir, le jeune homme rit et passa sa main dans les cheveux du Jaguar, essayant d'être le plus amical possible.

     — Vous savez quoi les gars ? On est vraiment les meilleurs ! s'esclaffa-t-il sans modestie.

Le reste de l'équipe éclata de rire à sa suite, sans vraiment se rendre compte du dernier regard que Tom jeta à Jackson. Un regard d'une rare douceur, empreint d'une certaine fierté à l'idée de ce qu'il avait accompli ce jour-là, mais aussi d'une certaine tristesse de se rendre compte qu'il se débrouillait aussi très bien sans lui.
La citerne était de nouveau en sécurité.