Hue jeune pigeon des plaines.
Hue, sois cool, galope.
PV Adriel

Jayden n'était qu'un emmerdeur. Suite à l'annonce de la mort de Chad, les gradés avaient décidés de nous donner une journée de repos. Autant dire que c'était une aubaine après la nuit que j'avais passé, seulement j'étais incapable d'en profiter. Et tout ça à cause de Jay bien sûr. Monsieur avait été convoqué au QG et semblait être dans le secret des dieux alors que je me traînais stupidement en dehors du territoire. Faute de mieux, j'avais décidé d'aller me balader pour éviter de souffrir de l'ambiance morbide qui régnait chez les Dragons. Pour la plupart des Membres, la disparition de notre Second était une grosse perte et beaucoup semblaient se demander ce qu'il allait advenir du clan maintenant que Samuel régnerait sans les conseils de son meilleur ami. D'ailleurs, personne ne l'avait vu celui-là. Si je supposais qu'il se trouvait à l'hôpital, je n'en avais néanmoins pas la certitude et dans les faits, je m'en foutais comme de ma première couche.

Poussant un profond soupir,  je m'engageais dans une nouvelle rue et cherchais des yeux une occupation. Je m'ennuyais comme un rat mort et j'espérais bien trouver quelqu'un à ennuyer ou quelque chose dans ce style là. Lorsque le dos robuste d'un homme apparut au loin, une idée me traversa soudainement l'esprit. A pas de Lou - mauvaise blague - je me rapprochais de lui avant de me mettre à courir pour prendre de l'élan. Au dernier moment, je sautais et m'agrippais à ses épaules, mes jambes s'enroulant autour de sa taille.

« Galope plus vite que le vent ! »

Lâchant un bras, je le pointais vers l'horizon en lui intimant de se mettre en route. Contraindre un parfait inconnu à me servir de monture avait toujours fait partie de mes rêves secrets, c'était donc l'occasion idéale pour le réaliser. Encore fallait-il que l'homme soit d'humeur à satisfaire mes lubies ce dont je n'étais pas vraiment sûre.

Adriel avait un don assez particulier. Ce don était d'attirer des personnages atypiques, de faire des rencontres hors du commun. Il n'avait jamais su s'il devait s'en plaindre ou s'en vanter mais dans cette situation, il aurait tendance à s'en plaindre. Il s'était soudainement vu affublé d'un poids en plus sur le dos, la voix d'une jeune femme résonnant dans le lointain pas si lointain et lui brisant les tympans. Il ne comprit pas tout de suite le sens de la phrase, trop occupé qu'il était à tenter de garder son équilibre. Il avait les bras chargés de sacs et il était hors de question qu'il fasse tomber les pièces qu'il venait d'acheter juste parce qu'une idiote le prenait pour un moyen de locomotion. Les pièces étaient précieuses et il en avait besoin pour retourner travailler aussi vite que possible. En règle général, il n'appréciait pas rester éloigné trop longtemps du territoire des Aigles, il n'avait jamais aimé ça et encore moins depuis qu'il était père.

Et sa vie de père jouait fortement sur cette rencontre. Il n'avait que très peu dormi et la fatigue s'ajouta à sa mauvaise humeur naturel. Adriel n'était pas quelqu'un de méchant mais il faisait facilement la tête et dans ces cas-là, il valait mieux le laisser se calmer seul. Et puis, il n'était pas encore prêt à être aussi proche d'une fille aussi curieuse et invraisemblable soit la situation ; il se sentait mal à l'aise. Il grogna donc nonchalamment, laissant savoir que ce petit jeu ne l'amusait pas du tout. Il n'était même pas curieux, il voulait s'en aller au plus vite. Comme il ne voulait pas non plus créer de problèmes à son clan, et surtout pas dans cette période difficile et incertaine, il décida de laisser une chance à la jeune femme, qui qu'elle soit, qu'importe son clan ou son origine.

- Ça ne te dirait pas de te trouver une autre victime ? Je n'ai pas que ça à faire de ma journée.

Tiens, la monture était récalcitrante. Ça grognait même d'une façon pas trop agressive, mais cela donnait une réponse négative dans tous les cas. Fallait croire qu'il n'était pas trop d'humeur à galoper. Maintenant que j'y regardais mieux, il avait plus l'air d'un âne chargé que d'un fier canasson. C'était peut-être pour ça qu'il était pas trop content de m'avoir sur le dos. S'il n'y avait pas eu ce manque de sommeil et cette journée définitivement bizarre, j'aurais probablement insisté, me souciant peu de son état d'esprit, mais en sentant les reflux d'émotions enfouies, je ne pu m'empêcher d’obtempérer. Silencieuse, je me laissais glisser en bas de son dos et fourrais les mains les poches de mon pantalon pour marcher à côté de lui.

« Tu savais que les loups n'avaient qu'un compagnon dans toute leur vie ? Et qu'ils formaient avec lui une famille, c'était ça la fameuse meute ? »

Si je pouvais faire preuve de sensibilité, j'étais encore en entraînement lorsqu'il s'agissait de la délicatesse. C'était maladroit, mais je voulais lui dire d'une certaine façon que je savais. Je ne l'avais pas voulu, mais puisque j'avais compris malgré moi, je ne voulais pas rester silencieuse. Ce type, il était un peu mort à l'intérieur parce que celle qu'il aimait était partie pour toujours. Si j'étais particulièrement triste pour lui, c'était parce que moi, même si je pestais beaucoup sur Ezy, elle était toujours là, accessible d'une certaine façon.

« Heureusement qu'on est pas des loups... Mais ça n'empêche pas que ça doit faire mal comme la mort. »

Ôtant l'une des mains de mes poches, j'attrapais l'un de ses sacs. C'était lourd ce truc, il devait transporter des choses sacrément importantes. Je me remis ensuite en route sans trop savoir vers où m'orienter.

« Et sinon, on va où comme ça ? Je te fais pas perdre ta journée là, je t'aide donc ça va, c'est tranquille. »

C'est avec soulagement qu'il constata que la jeune femme était descendue de son dos sans faire de tapage. C'était du temps de gagner à ne pas la forcer à le lâcher. Il devait avouer qu'il ne s'était pas préparé à l'idée qu'elle obtempère si vite, il était prêt à en découdre. Il n'allait cependant pas s'en plaindre et il envisagea de continuer son chemin tranquillement, sans demander son reste. La jeune femme le suivit pourtant, et il la détailla du coin de l’œil. Que lui voulait-elle ? Étaient-ce les pièces qu'il trimbalait qui l'intéressaient ? La situation n'étant pas assez étrange, elle en rajouta en lui parlant de loups et de meute...A quoi faisait-elle allusion ?! Était-elle en train de faire un parallèle entre les loups et sa situation ? Cette fois, bien interloqué, il s'arrêta nettement. Adriel n'avait jamais été considéré comme quelqu'un de spécial. Il n'était pas idiot, il comprenait même plutôt vite mais il n'avait rien d'un surdoué. Il ne fallait pourtant pas être un génie pour comprendre que cette fille n'avait rien d'une fille normale. Il se sentit percé à jour, comme désarmé face à cette inconnue dont il ne savait rien mais qui semblait, elle, le connaître.

Non. Il se tut un long moment, la dévisageant, tentant par tous les moyens de mettre un nom sur ce visage. Peut-être qu'il la connaissait, qu'elle était une soumise des Aigles et qu'elle avait entendu parler de son histoire. Autrement, il ne voyait pas comment cette dernière aurait pu être au courant. Il n'était pas un homme important, pas un membre gradé, rien qui ne justifie que l'on dépêche un espion pour s'informer à son sujet ni même pour aiguiser l'intérêt des clans voisins. Le temps passé à la fixer dépassait largement la norme définie que pour ne pas rendre la situation gênante. Mais il ne parvenait pas à détacher son regard de la silhouette menue de cette femme. Il devait sans doute être un peu paranoïaque. La fatigue et le manque de sommeil devaient jouer des tours à son esprit. Cette fille essayait peut-être juste d'engager la conversation. Peut-être que cette fameuse meute de loups n'était absolument pas en rapport avec les événements qui s'étaient récemment passés dans sa vie. Alors il détourna le regard, se sentant légèrement idiot. Non, je ne savais pas.

Cette fille créait un malaise chez lui et il reprit la marche, pressé de retrouver ses quartiers. Mais voilà qu'elle remettait ça. Cette fois, il en était sûr, elle faisait bien allusion à sa vie. Au-delà du fait qu'une parfaite inconnue soit au courant de sa vie, il n'appréciait pas particulièrement qu'on lui rappelle l'absence de celle qu'il avait aimée et qu'il aimait encore. Il lui était déjà assez pénible de se lever chaque matin et de redécouvrir qu'elle n'était plus là. Il n'avait jamais évoqué sa peine face à ce drame. Adriel était quelqu'un de secret et il préférait tout garder pour lui. Il n'aimait pas en parler mais cette fille, cette fille savait et il ignorait par quel diable elle avait pu être au courant. Son côté grognon reprenant le dessus, il s'arrêta une nouvelle fois, fronçant les sourcils, il attrapa fermement le poignet de la jeune femme.

Comment tu sais ? Qui t'en a parlé, tu n'as pas l'air d'être une soumise des Aigles !?

L'énervement face à tant de mystère monta en flèche et il ne parvenait pas à saisir si cette fille se moquait de lui ou si elle lui voulait du bien. Aussi, quand il sentit une traction sur l'un des sacs, il esquissa un mouvement de recul et la relâcha. Mais encore une fois, l'inconnue sembla plus réactive et elle reprenait déjà la route, demandant la destination finale du trajet. Déboussolé, Adriel lui indiqua la direction d'un geste du bras avant de la rejoindre, prenant conscience qu'elle ne semblait pas avoir de mauvaises intentions. Elle ne lui voulait peut-être pas de bien mais elle ne semblait pas non plus lui vouloir du mal.

Tu peux me dire qui tu es et ce que tu veux au juste ?, demanda-t-il dans ce qui ressemblait plus à un grognement qu'à une phrase articulée.

Le jeune homme ne devait pas beaucoup aimer les loups car il s'arrêta net lorsque j'abordais le sujet. Je ne m'étais pas attendue à une telle réaction aussi j'en fis de même et je l'observais avec curiosité. Si je faisais un effort pour travailler avec mes autres sens, je n'en avais pas réellement besoin au vu des afflux d'énergie qui provenaient de lui. Il semblait perplexe face à mon discours et il y avait peut-être de quoi maintenant que j'y pensais. Sa réponse fut monosyllabique, mais les pensées devaient continuer à se bousculer à une vitesse folle dans son esprit. Si je ne savais pas exactement à quoi il pensait, je me doutais qu'il devait essayer de faire le point sur une situation qui n'avait rien de banale et il lui fallut un temps infini pour reprendre la parole. De façon inutile, en plus. Visiblement, il ne devait pas connaitre le principe de l'économie d'énergie. Ne jamais répéter ce que l'on venait de dire, c'était le B.A.-BA.

D'une façon ou d'une autre, il avait dû réussir à se rassurer car son état d'esprit avait changé. Il se remit en route, marchant plus vite et je continuais à le suivre, les mains toujours fourrées dans mes poches. Le sujet des loups revient sur le tapis et cette fois, le brun sortit clairement de ses gonds. Alors même que je constatais ma maladresse, il se saisit de mon poignet et je du me retenir de ne pas lui envoyer mon poing dans la figure. Il n'aurait pas fallu que je pète le nez de mon interlocuteur du jour à cause d'un bête réflexe.

« Je le sais, c'est tout. »

Je ne me voyais pas lui expliquer toute l'histoire, là, au milieu de cette rue au risque de passer pour une folle. Quoi qu'il devait déjà plus ou moins me prendre pour une simple d'esprit à cause de l'histoire des loups. Un sourire énigmatique naquit sur mes lèvres alors que je récupérais son sac, pas impressionnée pour un sou par les ondes d'énervement qui émanaient de lui. Cet Aigle n'était pas un mauvais bougre, j'avais juste touché un point sensible en cherchant à lui apporter un peu de réconfort et de considération. D'ailleurs, visiblement peu habitué à côtoyer des personnes comme moi, il se montra plus participatif que je ne l'avais espéré en m'indiquant la direction de l'est. J'aurais dû m'en douter, nous allions bien chez les Aigles. En fait, c'était la première fois que je rencontrais pour de vrai un pigeon et je devais avouer que celui-ci était un spécimen plutôt intéressant.

Le jeune homme me rejoignit finalement, m'adressant une question plus ou moins compréhensible qu'il avait marmonné entre ses dents. Tournant la tête, je lui adressais un grand sourire.

« Moi c'est Loukas, mais tu peux juste m'appeler Lou, ça me va aussi. Et toi, c'est quoi ton nom ? »

Je laissais délibérément la deuxième partie de sa question de côté, la réponse étant pour moi bien trop évidente. Je l'avais croisé dans la rue, j'avais décidé qu'il serait mon cheval, mais comme il n'était pas très réceptif, je me contentais de faire un bout de chemin avec lui. En l'aidant à porter ses sacs au passage, si ce n'était pas un acte de pure gentillesse ça !

Cette nana n'avait rien de normal. Même sa dégaine n'avait rien de très conventionnel. Adriel faisait toujours attention à ne pas baser son jugement sur l'apparence des gens. Ne disait-on pas à raison que l'habit ne faisait pas le moine ? Toutefois, il était difficile pour lui de ne pas la voir comme une désaxée. Il avait souvent entendu dire que la difficulté de la vie de Libres les faisant tomber dans la démence ; que le cannibalisme était une conséquence de cette perte de lucidité.  Là encore, il savait qu'il devait prendre les informations des on-dit avec des pincettes mais cela avait tout l'air d'être vrai dans ce cas. Il ne l'avait rencontrée que depuis quelques minutes mais elle soulevait déjà un tas de question chez le jeune homme. Des questions auxquelles elle n'était pas encline de fournir des réponses sensées. La frustration naquit chez Adriel et il fut bien tenté de lui faire ravaler son sourire énigmatique, fille ou pas. Il se contenta néanmoins d'un nouveau grognement à croire qu'il ne savait s'exprimer que de cette façon. Il continua néanmoins à avancer à ses côtés. Si elle pouvait l'accompagner jusqu'à ses frontières sans filer comme une voleuse, elle lui ferait considérablement gagner du temps. Si elle ne répondait pas clairement aux questions, elle n'avait pas honte d'en poser à son tour. Adriel ne lui lança même pas un regard, continuant de fixer le chemin devant lui. Loukas ? C'est pas un nom de mec ça, à la base ?, demanda-t-il faisant l'effort surhumain d'alimenter une conversation. Il ne savait pas trop pourquoi il se donnait tant de mal avec elle. Elle devait l'intriguer réellement finalement. Moi, c'est juste Adriel, continua-t-il toujours sans la regarder. Tu pourrais au moins me dire d'où tu viens ? Vipères, Jaguars, Dragons ?

Le jeune homme était bougon. J'aimais bien les gens bougons, ils étaient faciles à comprendre et pour avoir la fâcheuse manie de râler pour un rien moi aussi, je savais déchiffrer leurs grognements. Face aux siens, j'esquissais un grand sourire qui devait paraître particulièrement idiot vu la situation. Mais je ne pouvais pas m'en empêcher, j'avais envie de le titiller un peu car je le trouvais sympathique et que je voulais lui changer les idées. Enfin, c'était la seconde raison, j'avais surtout envie de m'amuser un peu.

Sa question ne m'étonna pas vraiment. On me la posait souvent, raison pour laquelle je me présentais sous le nom de Lou tout court lorsque j'avais la flemme. Donc excessivement souvent.

« Ma mère voulait un fils pour qu'il devienne Membre sauf qu'elle a eu une fille alors elle m'a donné un nom de mec et elle a continué son plan en se suffisant de ma personne. Ça fait un peu histoire épique, tu ne trouves pas ? »

Malgré tout, j'aimais bien mon prénom. Il avait une bonne sonorité et il avait au moins l'avantage d'être unique dans la communauté dragonne féminine. Le gars portait lui aussi un nom assez unique. C'était la première fois que je croisait un Adriel.

« Ça te va bien. »

C'était le commentaire inutile du jour. Lui semblait curieux et il finit par commencer son interrogatoire. Je m'y étais attendu aussi je ne me fis pas trop prier pour répondre. Peut-être qu'il me laisserait continuer la route avec lui jusqu'au bout si je me montrais participative.

« Pouah Vipères en premier, faut pas m'insulter comme ça, mec. J'suis une Dragonne. »

Je n'étais pas vraiment vexée, mais il fallait quand même avouer que je n'affectionnais pas vraiment d'être comparée à une foutue ver de terre.

« Et donc toi tu es un Aigle ? »

Alors qu'il marchait en silence, Adriel s'était préparé à ce que cette Loukas évite encore ses questions. Il était intrigué par elle, sans nul doute mais finir sa route dans le calme ne le dérangeait pas non plus. Il n'avait jamais été très loquace de toute façon. Elle le surprit une nouvelle fois en ne contournant pas ses interrogations. Il l'écouta attentivement alors qu'elle lui racontait des bribes de son histoire. Et soudainement, sa mauvaise humeur refit surface. La mère de cette fille avait l'air d'être une belle frustrée pour rester poli. Il n'avait jamais apprécié les personnes qui imposaient leurs desseins à leur entourage. Il retint un nouveau grognement, lâchant un reniflement de mépris. Une histoire épique ? Ta mère devait être tarée, ouais, répondit-il du tac au tac. A aucun moment il n'avait pensé que ses mots avaient pu être blessants. Il avait laissé filer le fond de sa pensée comme elle lui était venue. Il fallait dire que ce n'était pas dans ses habitudes de prendre des pincettes. Adriel manquait cruellement de tact et on le lui reprochait souvent. Pourtant, il ne retenait jamais la leçon. Enfin, cette anecdote lui avait au moins appris qu'elle faisait partie d'un clan. Ne restait plus qu'à savoir lequel. La réplique qu'elle lâcha ensuite à propos de son prénom ne fit qu'accentuer l'idée qu'il commençait à se faire d'elle. Pas méchante, mais étrange. Je suppose, ouais. Loukas, ça te va bien aussi. Un prénom spécial pour une fille spéciale. Continuant à marcher, Adriel ne se rendait pas compte que la compagnie de la jeune femme apaisait peu à peu sa mauvaise humeur. Il restait grognon, et il le resterait probablement toujours, mais il n'en voulait plus au monde entier...enfin pour le moment. Il se surprit même à laisser échapper un rire qu'il tenta de camoufler sous une quinte de toux factice. La réaction de la Dragonne - puisqu'elle en était une - n'avait pas de prix. Ils partageaient ça. Sans même avoir eu à les fréquenter, Adriel n'appréciait guère les Vipères. Une histoire de clan, paraissait-il. A vrai dire, les seules interactions qu'il avait eues avec des membres du clan exclusivement féminin s'étaient toutes soldées par un accrochage en bonne et due forme. Excuse', t'es pas assez chiante pour être une vipère, je te l'accorde., lâcha-t-il le ton de sa voix légèrement rieur.  Ouaip, c'est bien ça. Il se tut longuement, marchant à nouveau en silence avant de reprendre.  C'était quoi le plan de ta mère ?

La répartie méprisante du gars à propos de ma mère me fit sacrément sourire. Il avait raison, ma mère n'avait jamais été très nette et elle s'était montrée particulièrement crapuleuse avec moi. Au départ, ça avait commencé doucement parce que j'étais encore jeune, mais les entraînements avaient commencés dès que j'avais été en mesure de tenir debout. Et plus je grandissais, plus elle augmentait la difficulté et son taux de cruauté lors de mes échecs. Donc ouais, on pouvait le dire, c'était une tarée.

« Au moins, t'hésites pas à dire ce que tu penses. C'est bien. Beaucoup mieux que les gens qui tentaient de me faire croire qu'elle m'aimait quand même dans le fond. »

Je l'avais toujours plus ou moins su. Ma mère ne m'aimait pas, elle aimait son rêve, sa revanche. Moi je n'étais qu'un outil entre ses griffes acérées. Qu'une poupée qu'elle avait tenté de façonner pour en faire une parfaite Dragonne capable de conquérir les sommets. Sur le coup, elle s'était bien loupée.

S'il tenta de cacher son hilarité suite à ma réplique, j'aurais dû être aveugle et insensible pour ne pas comprendre son amusement. Je partais moi aussi dans un grand éclat de rire et lui envoyais une claque légère dans le dos. J'étais ravie qu'on ne me considère pour une fois pas comme une emmerdeuse, cela n'arrivait pas bien souvent.

« T'es un marrant toi en fait. Mais c'est vrai que ces meufs sont chiantes. Toutes les meufs sont chiantes, mais elles, ce sont les pires. »

Le vent de bonne humeur s'éloigna tranquillement alors que le silence pas franchement dérangeant s'étendait. Puis, pour une raison qui m'échappa, il revient d'un coup sur le sujet de ma mère. Il devait être curieux. Parler de tout ça aurait dû me gêner, ou me blesser, du moins je pensais que c'était ce qu'il se passerait quand j'aborderais le sujet avec quelqu'un, mais le temps avait passé et, en réalité, ça me faisait du bien de tout raconter à un inconnu.

« Elle voulait faire de moi une véritable machine de guerre. C'est pas facile pour une nana de survivre chez les Dragons, alors elle voulait que je sois plus forte que tous les mecs pour être sûre que je parvienne à aller plus loin qu'elle. Elle a réussi son test de justesse, alors la difficulté aurait pas dû être énorme, mais elle, elle aurait bien voulu que je devienne Seconde ou un truc du genre. J'crois que ça l'aurait fait jouir de pouvoir dire que c'était sa fille cette gradée si forte. Alors elle me poussait toujours plus loin. Elle beuglait tout le temps que seuls les faibles développaient leurs forces, que les forts, eux, ils annihilaient leurs faiblesses. Du coup, elle voulait jamais que j'utilise mes talents, il fallait toujours faire des trucs chiants pour lesquels j'étais pas très douée, mais que je finissais par maîtriser. »

Adriel ne faisait jamais attention aux réactions des autres. Il disait ce qu'il pensait sans faire de détours, sans essayer d'anticiper la réaction de ses interlocuteurs. Il disait ce qu'il avait à dire et c'était tout. Il n'attendait pas qu'on réagisse ou même qu'on lui réponde. Il n'aimait pas parler alors quand il le faisait, il allait droit au but, et tant pis pour les dommages collatéraux. Il ne cherchait pas spécialement à blesser, il lui manquait juste le tact. Il lui arrivait donc très souvent de froisser son entourage. Il s'en voulait parfois mais cela ne durait jamais très longtemps. Le jeune homme avait toujours pensé qu'il valait mieux une vérité dure et crue qu'un mensonge enrobé de bons sentiments qui finirait par heurter plus durement encore la personne. Alors quand il avait lancé à Loukas que sa mère était une tarée, il ne s'était attendu à rien. Après tout, elle lui paraissait tellement hors norme qu'il n'aurait même pas pris la peine d'essayer de deviner sa réaction. Une réaction plutôt bonne qui plus est. La dragonne affichait un grand sourire. Un sourire auquel il répondit un instant en apprenant qu'ils avaient une façon similaire d'aborder les choses. La vérité plutôt que le mensonge. Bah ils sont drôlement cons, ces gens. Surtout que j'ai pas l'impression que t'es le genre de nana à qui il est facile de mentir. Doublement plus con, ajouta-t-il calmement, continuant à fixer l'horizon droit devant lui. L'éclat de rire qu'elle lâcha ensuite le surprit et il tourna légèrement le visage vers elle. Plus que l'éclat de rire, ce fut son enthousiasme qui l'étonna. Elle s'était même permis de lui faire une tape dans le dos...sans gêne. A croire que cette fille n'avait aucune limite, ni dans les mots, ni dans les gestes. Légèrement interloqué, il l'écouta cracher sur les femmes en général. Il avait déjà entendu que les Dragons avaient tendance à sombrer dans la misogynie mais pour le coup, il ne s'était pas attendu à retrouver ce discours dans la bouche d'une Dragonne. Rassure-moi, t'as conscience d'être une meuf, au moins ?, la questionna-t-il, un léger sourire moqueur au coin des lèvres, plus pour la titiller que pour autre chose. Ensuite, il n'y eut que le silence, brisé par le bruit de leurs pas. Et puis, il l'avait questionnée une nouvelle fois, sans même savoir pourquoi. A croire que discuter avec elle faisait passer le temps plus vite. Il aurait pu être choqué, le récit aurait pu lui glacer le sang mais il resta calme et la laissa finir sans jamais l'interrompre. Cette mère, si on pouvait considérer qu'elle en était une, avait vraiment tout l'attirail de la femme frustrée. Adriel trouvait sa façon de penser d'une débilité sans nom et il aurait presque pu être désolé pour la jeune femme. Sauf qu'Adriel ne prenait jamais les gens en pitié. Il trouvait cela tout bonnement insupportable et insultant. A la place, il laissa tomber le silence longuement après que Loukais ait fini de parler. Je savais que les Dragons étaient des gros tarés, dit-il téméraire. Et t'as essayé le contraire ?, lui demanda-t-il de but en blanc. Développer tes forces ?, précisa-t-il rapidement.

Plus clairvoyant qu'il en avait l'air, le gars. Il avait totalement raison à mon propos, j'étais un vrai détecteur de mensonge sur pattes avant en bonus la capacité de repérer si le mensonge était conscient ou non. Lorsque j'y mettais un peu d'énergie.

« Ouais, ça doit être pour ça que les gens en général peuvent pas me saquer. J'en vois trop et je ne suis pas capable de fermer ma gueule comme tu peux le voir. »

Ça ne me dérangeait pas vraiment. Fréquenter les gens n'était pas forcément mon truc. Je préférais de loin les petits comités, voir la solitude. Elles étaient rares les personnes avec qui je pouvais parler simplement sans me prendre le tête. Tous ceux au courant de ma sensibilité restaient méfiants. Même lorsqu'ils essayaient de faire attention à ce propos, cela se sentait à des kilomètres.

Sans réellement d'étonnement, j'accueillis la question d'Adriel. Ce n'était pas la première fois qu'on me la posait et sûrement pas la dernière. Mais même si c'était ridicule - je m'en rendais compte, oui - et que j'avais depuis eu l'occasion de nouer des liens positifs avec des femmes, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir un a-priori. Les mauvaises habitudes avaient la vie dure et Ezy, ainsi que ma mère avaient contribué à me faire développer ce point de vue. Je le bousculais légèrement en réponse à son sourire moqueur.

« Ouais. 'Fin, j'préfère quand on me dit juste que je suis un être humain. Questions de mauvaises expériences. Je sais pas pourquoi, j'ai tendance à attirer les garces. C'est pour ça que je fréquente pas les Vipères, j'aurais tout le clan à dos, j'crois. »

J'en connaissais quelques une de noms et vaguement de têtes, les cours de Commander étaient restés imprimés dans mon esprit malheureusement, mais je n'avais jamais parlé à une Vipère. Et je n'y tenais pas plus que ça. Mon jugement se basait donc uniquement sur leur réputation, c'était sûrement pour ça que je pouvais cracher si allégrement sur elle avec Jay.

La follement passionnante histoire de ma vie jeta un silence. Je restais plutôt attentive à Adriel, cherchant instinctivement un signe de pitié ou un autre sentiment du genre, mais il n'y eut rien. Il était vraiment clean. Une vraie perle. Ce part quoi il choisit de relancer la conversation m'arracha un nouvel éclat de rire.

« Et encore, tu connais pas les plus cramés. Y a de ces cas dans nos rangs... A se demander s'ils descendent vraiment des mêmes ancêtres. J'te jure, c'est parfois le défilé des barges à l'entraînement matinal. C'est pour ça que je sèche. »

Ouais, non, il était trop gros ce mensonge.

« 'Fin quand c'est pas parce que j'ai juste envie de pieuter tranquillement. C'est quoi le délire de s'entraîner à l'aube ? Vous faites ça aussi chez vous ? »

Hum. Il savait poser les questions le bougre. Il choisissait ses sujets et y allait franco.

« Au début, non. Tout ça, ça m'a cassée, je voulais juste plus entendre parler de ce genre de trucs. Puis j'ai rencontré quelqu'un qui m'a donné envie de m'engager pour mon clan. J'ai pu faire mon programme d'entraînement, ça changeait pas mal les choses. Mais la flemme s'est vite installée. Et les limites, l'organisation, tout ça, ça me prends la tête. Donc je me repose sur ce que j'ai. C'est suffisant. Je pourrais faire plus, être plus, mais c'est contre le principe de l'économie d'énergie. Peut-être un jour. Y en a qui pensent que ce serait bien que je le fasse, que ce serait bon pour moi. Je le sens aussi parfois, mais ça dure jamais bien longtemps. »

Ça, je confirme. Il sourit quand elle décréta qu'elle n'était pas capable de se taire. Adriel préférait ça à la mesquinerie des personnes aux mauvaises intentions. Au moins, les choses étaient claires avec elle, cela évitait les malentendus. Les dons de la jeune femme semblaient lui attirer l'animosité de son entourage. Adriel pouvait comprendre qu'on n'apprécie pas spécialement d'être lu comme un livre ouvert mais de là à la prendre en grippe...C'est flippant, j'dois bien l'avouer mais au moins, ça t'épargne les discussions sans fin de certains. Adriel pensait directement à un membre en disant cela. Pas méchant mais trop loquace. Dès qu'il venait demander un service, il ne pouvait s'empêcher de parler durant des heures et ça finissait bien souvent par le déconcentrer dans son travail. T'es en train de me dire que t'as eu plus de mauvaises expériences avec des filles qu'avec des garçons ? Dans un clan comme celui des dragons, j'aurais parié sur le contraire. Quant aux vipères...ce sont plutôt elles qui se mettent tout le monde à dos avec leur soi-disant supériorité toute droit sortie d'où j'pense. Adriel n'en connaissait pas beaucoup sur les clans mais toutes les vipères qu'il avait croisées dans sa courte vie s'étaient montrées si hautaines. La rivalité rapace contre serpent n'aidait pas mais le jeune homme avait réellement du mal à supporter ces pimbêches tout juste bonnes à se vanter sans agir.

L'adolescent fut d'abord interpellé par cette histoire d'entraînement. Les aigles n'avaient pas d'entraînement matinal ou alors il n'était pas au courant et séchait involontairement. Adriel n'était pas un espion. Il n'avait que très peu de connaissances réelles au sujet des autres clans. Et elles étaient pour la plupart peu fiables puisqu'il les entendait dans la bouche de ses coéquipiers. Il s'agissait d'on-dit fallacieux, absurdes et probablement inventés de toutes pièces. Seuls les espions, les messagers et les gradés devaient savoir à quoi vraiment s'en tenir vis-à-vis des clans adverses. Un membre lambda ne pouvait se baser que sur d'éventuelles rencontres ou confrontations pour se faire une idée. Et puis, il n'était pas dupe. Les propos qui revenaient le plus lors des discussions étaient pour la plupart des défauts, des éléments négatifs. Il fallait être idiot pour penser que tout dans les autres clans était mauvais. Ils devaient tous avoir leur bon et mauvais côté. Adriel balaya ses pensées. Il s'en fichait bien à vrai dire. Il ne cherchait pas à tirer le vrai du faux. Il n'était qu'un technicien après tout. Seulement, il ne put empêcher un léger sourire d'étirer ses lèvres. Il ne connaissait cette Loukas que depuis quelques minutes mais il ne fut même pas étonné de savoir qu'elle n'était pas l'une des plus motivées par ces sessions d'exercices matinales. Il lui lança un regard des plus sceptiques quand à son excuse. Finalement, elle ne mit pas longtemps à avouer qu'elle préférait dormir plutôt que de se réveiller à l'aube. Et il ne pouvait que compatir à sa douleur. Depuis que son fils était né, il n'avait plus eu l'occasion de dormir beaucoup. Quand elle le questionna, il haussa les épaules. Peut-être que c'est le manque de sommeil qui les rend barges, lâcha-t-il avant de reprendre. Pas à ma connaissance. S'il y en a, ils ne concernent que certains membres. Si ça s'trouve, je sèche sans le savoir, avoua-t-il sans même se sentir coupable. Il se gardait bien en forme lui-même et sa position dans le clan faisait qu'il ne serait jamais envoyé en première ligne. Puis elle reprit, en expliquant qu'elle avait essayé de développer ses forces durant un temps, que l'essai avait été plutôt fructueux mais qu'elle avait arrêté. Hmm. La seule personne qui peut savoir ce qui est bon pour toi, c'est toi. Tu ne peux pas laisser les autres décider à ta place éternellement.

Ah, je l'aimais décidément bien. Face à son affirmation, je lui décochais un sourire lumineux. Le jour où je la fermerais serait sûrement le jour où je serais morte. Ou quelque chose de plus ou moins équivalent qui aurait rendue la mort attirante en comparaison.

« Quelque chose me dit que tu n'aimes vraiment pas les bavards. Genre comme moi en fait ? J'veux dire je te fais la conversation depuis tout à l'heure maintenant que j'y pense. »

Mais ce soudain élan de lucidité n'allait sûrement pas m'arrêter. Le savoir était une chose, agir pour la boucler en était une autre. Enfin vu sa franchise, je me doutais bien que si je l'emmerdais, il aurait déjà trouvé un moyen de me rembarrer sèchement. L'élan se brisa donc tout aussi rapidement et je repris avec engouement.

« Yup, je sais, ça fait bizarre. Mais justement le climat chez les Dragons a rendu les filles complètement barge. Soit ce sont des malades accros au sang, soit ce sont des salopes qui se tapent tout ce qui bouge. Et parfois, c'est même un mélange des deux. Je te jure, c'est terrible. Faut se lever de bonne heure pour trouver une meuf plus ou moins stable dans tout ce bordel. Ça doit être aussi difficile que de dégoter une Vipère cool en fait. »

D'ailleurs, je me demandais si cette perle rare existait. Dans tous les cas, trouver un allié en la personne de l'Aigle était agréable. Pas que les Dragons qui crachaient sur les Vipères étaient rares, mais comme généralement ils me crachaient aussi dessus, ils n'étaient pas de vrais alliés. Tout ça devenait fort compliqué. Je tournais les yeux vers Adriel et chopais un coup d’œil sceptique. Mouais, ça ne m'étonnait pas du tout que mon excuse à propos des entraînements ne passent pas. Elle ne passait jamais en fait.

« Ah ! Je savais que cette théorie se tenait. »

Je lui lançais un sourire énorme tout en hochant la tête avec énergie. Le sommeil, c'était la clé de tout, mais la plupart des gens ne le comprenait pas. J'étais sûr que l'entraînement matinal était une invention diabolique qui réduisait nos forces. Si ça se trouvait, c'était une conspiration des Chefs depuis la création du clan pour contenir la foule. Il faudrait que je parle de tout ça à Jay, il aurait sûrement un avis sur la question.

« Mec, j'ai l'impression de m'entendre. T'inquiète, si jamais cet entraînement existe bel et bien et qu'on me demande, je dirais que tu savais pas. Je serais un peu ta gardienne de vérité. »

Encore que c'était pas sûr que mon avis puisse avoir un quelconque impact dans cette histoire. Et puis, normalement, s'il loupait les entraînements de façon systématique, il aurait déjà dû se faire ramasser à force. Je connaissais un peu les Aigles, mais ils ne semblaient pas non plus être des bisounours qui ne prêtaient aucune attention à la présence de leurs Membres lors des rassemblements importants.

« Tu es sage, Adriel. »

Mes lèvres se retroussèrent légèrement alors que je lui lançais un bref coup d’œil.

« Mais tu crois pas que pour prendre ce genre de décision, il faut avoir une sorte de but ? C'est quoi ton but à toi ? La raison qui te fait te lever le matin, j'veux dire. »

Loukas n'avait pas tort. Adriel n'appréciait pas franchement les personnes bavardes, elles lui pompaient l'air et généralement elles venaient l'accoster juste quand il était le plus occupé. Encore que...Si elles avaient réellement quelque chose d'intéressant à dire, il ne s'en offusquerait pas autant mais la plupart du temps, on venait le déranger pour lui raconter les derniers ragots entendus et répétés tellement de fois qu'ils avaient eu le temps d'être déformés et d'avoir complètement perdu leur sens initial. Mais l'aigle n'était pas non plus totalement fermé aux discussions. Il fut même un temps où il se plaisait à rejoindre un groupe d'amis afin d'échanger quelques mots. Il avait néanmoins arrêté depuis quelques temps. Il en avait assez d'entendre les mots désolés des autres. Le garçon haussa les épaules. T'en es consciente au moins, c'est bien. Les boulets s'en rendent rarement compte d'habitude. Pas que tu sois une boulet. C'est différent. Tu parles mais tu te rends utile, dit-il en levant l'un des sacs qu'ils portaient. C'est vrai Loukas parlait beaucoup mais elle avait au moins pour elle l'avantage de lui changer les idées et d'en plus, participer à la tâche. Combien de fois était-on venu le déranger alors qu'il était en pleine réparation sans même pouvoir lui prêter main forte ? Il ne les comptait plus. La prise de conscience de la dragonne ne dura pas et elle repartit de plus belle en lui décrivant le genre de femmes qui peuplaient les rangs des cracheurs de feu. Le tableau dépeint était une nouvelle fois loin d'être glorieux ou attirant mais la façon qu'elle avait de le dire l'amusait beaucoup. Il ne peinait pas à s'imaginer les différents types de fille qu'il aurait pu croiser s'il avait eu la folie de quitter les aigles ou s'il était simplement né dragon. Les femmes n'avaient pas le droit d'être membre dans son clan mais elles restaient respectées et bien traitées. Dans un sens, ça ne l'étonnait pas d'apprendre qu'elles avaient à devenir des sanguinaires ou des poupées si elles tenaient réellement à se faire une place dans leur clan. Il avait entendu que la politique envers la gente féminine chez les lézards n'avait rien d'agréable après tout. Oh c'est donc pour ça que tu n'attires que les garces. Lève-toi de bonne heure les prochaines fois, t'auras peut-être plus de chance, dit-il à peine moqueur. En tout cas, il ne la retrouvait clairement pas dans les descriptions qu'elle venait de lui faire. Elle ne l'avait pas encore agressé ni ne lui avait sauté dessus. Elle avait beau parlé beaucoup, elle dégageait quelque chose qui était à la fois énergique mais serein. D'ailleurs, elle réussit l'exploit de lui faire lâcher un filet de rire avec sa nouvelle réplique. Elle avait l'air si sincère en lui offrant son appui qu'il ne pouvait que la remercier quand bien même son avis ne serait jamais pris en compte dans un cas pareil. C'est toujours bon à savoir, j'essayerai de te contacter si on me convoque un jour. Adriel masqua difficilement son étonnement. C'était la première fois qu'on lui disait une chose pareille. Il avait souvent entendu qu'il était grincheux, casanier, ennuyeux mais sage ? Jamais. La question qui suivit continua de le surprendre et si la réponse fusa directement dans son esprit, il prit tout de même le temps de réfléchir avant de l'exprimer. Quand il y pensait, il avait toujours eu de la chance. Il avait toujours eu sa famille, ils étaient en bonne santé, protégés par le clan. Il avait eu la chance de rencontrer la fille parfaite, il avait été accepté par la famille de cette dernière. Puis il avait appris qu'il allait devenir père et il était devenu un membre. On lui avait confié une tâche qui lui plaisait. Tout avait toujours été facile pour lui. La mort de sa copine était probablement la seule ombre au tableau. Ils étaient tous sa raison de se lever le matin, surtout son fils. Il voulait être un bon père et lui offrir une belle vie. Assez égoïstement, il ne s'était jamais posé la question parce qu'il avait toujours eu la réponse, il ne s'était jamais demandé si les autres avaient la même certitude. Offrir une vie paisible à mon fils, c'est ça mon but, répondit-il finalement. Il se demandait si elle avait un but. Sa question laissait penser que non. Il trouvait cela dommage. Il n'avait jamais vécu sans avoir de but, inconsciemment il en avait toujours eu un tout au long de sa vie. Mais peut-être que pour elle, le problème pouvait se prendre à l'envers. Elle avait d'abord besoin de se trouver elle-même, d'apprendre à se connaître, de comprendre ce qu'elle aimait et ce qu'elle n'aimait pas sans être influencée et peut-être qu'elle trouverait un but. Sa vie avait l'air chaotique de ce qu'il en savait, elle ne devait jamais avoir réellement eu l'occasion de prendre du temps pour elle. Et il concevait que dans un monde pareil, il était difficile voire inimaginable de le faire mais elle en aurait peut-être besoin. Elle saurait à quoi s'en tenir, arrêterait de permettre aux autres de prendre les commandes de sa vie. Mais peut-être se faisait-il simplement des films, peut-être qu'elle avait un but. Et toi ? Le tien si t'en as un.