Le trajet jusqu’à l’hôpital paru interminable. Nous dûmes nous arrêter en route pour trouver un moyen de bander Kim afin de stopper l’hémorragie. Sa pâleur faisait peur à voir, et il ne réagissait plus à rien. Lorsque nous arrivâmes enfin en vue du bâtiment, heureusement sans plus croiser personne, Lucas se précipita à l’intérieur pour demander de l’aide. Lorsqu’il revint avec trois soigneurs qui me libérèrent du poids du chef, je failli m’écrouler. Ils installèrent le corps inerte sur une civière (ou ce qui en faisait office) et deux partirent vers l’intérieur alors que le troisième se tournait vers Lucas et moi, nous demandant ce qu’il s’était passé.

« Je ne sais pas trop… Ca ressemble à une blessure par balle… Quoi qu’il en soi il s’agit du chef des Aigles, alors faites tout votre possible pour le sauver… si c’est encore possible. »

Pinçant les lèvres d’un air pas très convaincu, le soigneur fit volte-face et entra à son tour dans le bâtiment. Lucas et moi restâmes dehors, immobiles et blêmes. Ce n’était pas la première fois qu’un chef mourrait au combat, mais à l’instant cela nous semblait juste impossible. Le messager fini par prendre la parole, fixant l’entrée de l’hôpital avec effroi.

« Il va s’accrocher… n’est-ce pas ? »

Je ne répondis pas, une pensée me traversant l’esprit. J’avais toujours connu Kim Membre, et j’étais moi-même devenu Membre alors qu’il passait chef… Et si je lui en avais voulu ces dernier temps pour l’affaire Eli-Al, je ne pouvais pas imaginer le clan sans lui. Mais bizarrement, cette pensée me fit basculer vers la confrontation avec la Vipère, et je tiquais pour la troisième fois. C’est alors que les Vipères arrivèrent à leur tour, trainant leur chef inconsciente également. Alors je ne l’avais pas tuée… dommage. Leur lançant un regard assassin, je m’arrêtais sur la blonde, mâchouillant toujours mon ongle. Lucas me tira alors par le bras pour que nous rentions. Nous n’avions plus qu’à attendre, et ce n’était pas le moment de nous battre…

Point de vue de Dalia

Tandis que Dalia et Katarina portaient Annabella, Julia tirait sur les éventuels obstacles entre les Vipères et l'hôpital. Lorsqu'elles arrivèrent enfin, elles croisèrent les deux Aigles. L'infirmière qui arriva pour les accueillir, Catherine, était une Vipère. Ce n'était pas plus mal ! Dalia ignora un instant les jeunes hommes pour faire un rapport de la situation. Julia et Katarina, quant à elles, les fusillaient du regard.

- Elle a reçu une balle sur le côté et une autre dans le ventre. Elle a perdu beaucoup de sang sur le trajet.

Très bien, nous allons faire ce que nous pouvons pour soigner Annabella... assura l'infirmière.

Deux infirmiers arrivèrent et emmenèrent Annabella sur une civière. Catherine les suivit en expliquant la situation. Dalia se tourna alors vers les Aigles, mais Katarina fut la plus rapide à parler.

- Avouez, c'est un de vous deux qui lui a tiré dessus ? Espèce de...

Dalia l'interrompit en s'interposant.

- Ça suffit, c'est pas le moment Kat. Elle se tourna ensuite vers les deux Aigles, et en particulier vers Jérémy. On réglera cette affaire plus tard. Pour l'instant, il y a plus urgent.

Quand elle parlait de « cette affaire », elle pensait tout autant aux chefs blessés qu'à Jérémy/Jérémya. Elle aurait aimé savoir tout tout de suite, mais elle savait se contrôler et hiérarchiser les choses. Et ce n'était pas le plus important pour le clan. Ce qui était important, c'était qu'Annabella se remette vite.

Un infirmier revint près du groupe composé de Vipères et d'Aigles pour demander s'il y avait d'autres blessés parmi eux. Il envoya Julia se présenter dans la première salle pour son bras cassé. Dalia ne parla pas de la douleur qu'elle avait au côté après le coup de barre en métal de tout à l'heure. Elle s'en occuperait plus tard. Il fallait surtout qu'elle surveille l'avancement de l'état d'Annabella et qu'elle canalise l'agressivité de Katarina, toujours prête à se battre. À moins qu'elle l'envoie prévenir les Vipères... C'était une excellente idée !

- Katarina, tu vas retourner au Q.G. Tu préviendras Nora et elle avisera de ce qu'il conviendra de faire lui murmura-t-elle pour ne pas être entendue des deux Aigles.

Katarina, plutôt mécontente de cet ordre, ne put qu'acquiescer face à sa supérieure hiérarchique. Elle s'en alla accomplir sa mission.

- Vous feriez mieux d'aller vous occuper de Kim, il n'avait pas l'air en meilleur état qu'Annabella quand je vous ai vu l'emmener.

Malgré l’injonction de Lucas, je ne bougeais pas. Annabella fût embarquée à l’intérieur par trois soigneurs. L’une des Vipère nous attaqua alors en nous accusant d’avoir tiré sur leur chef. Je répliquais aussitôt avec colère.

« Elle n’a eu que ce qu’elle mérite ! Elle allait tuer Kim, elle devrait déjà être morte ! Si ça avait été moi, je l’aurais achevée sur place ! »

Evidemment, je ne précisais pas que j’avais bel et bien tiré sur elle. Même si c’était légitime étant donné son acte, mieux valait éviter de déclencher une guerre direct dans l’immédiat, surtout vu la situation… Heureusement, si l’on veut, la blonde coupa court aux injures de sa comparse, et au miennes par la même occasion. Lucas par contre avait tourné un regard effaré vers moi.

« Comment ça elle allait tuer Kim ?! »

Je le fis taire également alors que la blonde nous adressait la parole, disant que nous règlerions cette affaire plus tard. Fronçant les sourcilles, je n’étais pas sûr qu’elle parlait uniquement de l’affaire Kim-Anna. Alors qu’un soigneur revint pour demander s’il y avait d’autres blessés, Lucas me tira de nouveau pour me demander des explications. Je lui répondis qu’il valait mieux en parler plus tard, et il finit par accepter avec mauvaise foi. Pendant ce temps, deux des serpents avaient disparues. Il ne restait que la blonde, qui se tourna à nouveau vers nous. Nous occuper de Kim ? Comme si nous pouvions faire quelque chose. Serrant les poings, je lui répondis en m’obligeant à ne pas serrer les dents également.

« Tout comme vous, nous ne pouvons qu’attendre. Mais je peux vous assurer que vous le paierez. Quant à toi… La prochaine fois tu ne m’aura pas. Ton petit jeu, tu te le mettre où je pense ! »

Lucas afficha un air surpris à cette remarque, mais e posa pas de question. S’approchant lentement de moi, il me murmura rapidement quelques mots à l’oreille.

« Je vais prévenir les autres, il va falloir nous organiser… Mieux vaut ne pas trainer… Reste ici pour quand il y aura du nouveau. »

Sans attendre ma réponse, il s’éloigna, non sans jeter un regard assassin à la Vipère. Nous nous retrouvions donc seuls tous les deux, et je dû me tenir le bras pour ne pas tiquer à nouveau. Quatre fois sur la même journée, cela commençait à faire beaucoup, particulièrement face l’ennmi…

Point de vue de Dalia

Jérémy s'était mis en colère lorsque Katarina les avait soupçonnés d'avoir tiré sur Annabella. Le jeune homme se défendit un peu trop franchement à mon goût, mais elle ne dit rien pour l'instant. Ce n'était pas une bonne idée d'en parler maintenant. Ça attendrait... Elle congédia Katarina après le départ de Julia pour les urgences. Jérémy lui adressa à nouveau la parole alors que la Vipère lui intimait d'aller s'occuper de leur chef.

- Vous le paierez... Et sache que je ne jouais à aucun jeu.

L'autre Aigle murmura quelque chose à l'oreille de Jérémy et s'en alla aussitôt. Dalia se retrouva alors seule face à celui qu'elle avait l'impression de retrouver, mais qui n'ouvrait pas les yeux. C'était peut-être le moment d'en parler, avant que les choses ne dégénèrent entre les clans. Car oui, elle le sentait, ces évènements n'amenaient rien qui vaille... Peut-être était-ce donc le seul moment où elle pourrait lui parler de manière « neutre », ou presque.

- Tout à l'heure, tu ne m'as pas répondu : quel âge as-tu ?

La Vipère nous renvoya ma menace et assura à nouveau ne jouer à aucun jeu. Pourtant, une fois seuls, elle revint à la charge en me demandant à nouveau mon âge. En quoi est-ce que cela la regardait ? Qu’est-ce le fait de savoir mon âge pouvait lui apporter ? M’enfin, de toute façon ce n’était pas comme si cette information pouvait changer les choses… Et puisqu’elle semblait insister, je fini par lui répondre après une grande inspiration pour me décrisper un peu.

« Tu comptes vraiment revenir là-dessus ? En quoi c’est intéressant pour toi de savoir mon âge ? Et après tu oses dire ne jouer à aucun jeu, c’est vraiment du foutage de gueule. Mais bon, puisque ça te semble si important, j’ai 18 ans, contente ? »

J’avais limite craché mes paroles, ayant vraiment l’impression qu’elle se fichait de moi. Peut-être une nouvelle méthode d’attaque : déstabiliser un maximum son adversaire pour pouvoir l’attaquer plus facilement. C’était bas, mais je ne démordais pour l’instant pas de cette hypothèse, mais si au fond de moi quelque chose me disait qu’elle devait savoir des choses sur mon passé… Je me détournais vivement lorsque cette idée me traversa l’esprit. C’était un piège, bien ficelé et bien préparé. Ca ne pouvait pas être chose…

« Qu’est-ce que tu sais de moi ? »

La question était sortie toute seule, sur un ton étrangement calme. Je devais savoir ce qu’elle savait, ce qu’elle avait appris pour pouvoir ainsi jouer avec moi. Du moins c’est ainsi que j’interprétais la raison de ma question… Et pour m’en convaincre, je repris, un ton plus haut.

« D’où tiens-tu tes sources ? Comment as-tu fais pour connaitre mon point… ? »

Je ne finis pas ma phrase, me rendant compte de ce que je venais de dire. Jurant entre mes dents, je dégainais et pointais mon arme sur elle dans un accès de colère. Elle me perdait, et je me laissais prendre… Je devais me rendre à l’évidence, elle avait réveillé en moi des choses que je ne voulais pas connaitre… ou du moins c’est ce que je pensais jusqu’à maintenant.

« Je ne sais pas ce qui me retiens de t’achever sur place… En tout cas je savais les Vipères vicieuse et sournoises, mais je n’aurais jamais cru que c’était à ce point… »

Point de vue de Dalia

La question de Dalia l'ennuyait, il n'avait visiblement pas envie de reparler de ce qu'il s'était passé auparavant. Mais Dalia devait savoir. Et il lui répondit. 18 ans, ça collait... Son frère avait deux ans de moins qu'elle, c'était exactement ça. Dalia était décontenancée mais avait encore plus envie de savoir ! Elle resta silencieuse jusqu'à ce qu'il lui demande ce qu'elle savait sur lui, d'où elle tenait ses sources et comment elle avait fait pour connaître son point... faible ? Il pointa son arme sur elle, visiblement en colère, tout en la traitant de Vipère vicieuse et sournoise. Mais cela ne l'atteignait même pas, elle était trop concentrée sur les faits et les preuves qui s'étalaient devant elle toujours plus nombreux.

- Je ne suis pas sûre... C'est une situation vraiment étonnante et étrange à la fois. commença-t-elle, soudain peu sûre d'elle. - Je... j'ai perdu mon petit frère il y a quatre ans. Nous étions des Libres, et nous avons été attaqués par des Dragons. Il est... enfin j'ai toujours cru qu'il était... mort dans l'attaque.

Elle marqua une pause, ne sachant si elle devait continuer ou non. Comment allait-il réagir ? Il avait l'air tellement énervé qu'il était prêt à lui tirer dessus à chaque instant. Et si ça se trouve, son histoire ne l'intéressait pas...

- Est-ce que, par hasard, tu te souviendrais de quelque chose ? Qui sont tes parents ? Depuis combien de temps es-tu chez les Aigles ? N'importe quoi !

La fille finit par répondre avec un air peu sûr. Elle semblait concentrée sur quelque chose que je n’arrivais pas à cerner et me parla de son frère disparu. Qu’est-ce que cette histoire venait faire là-dedans ? Qu’est-ce que ça pouvait bien me faire de savoir que son frère était mort ? Cela arrivait tous les jours ou presque que quelqu’un meurs ici. Serrant ma prise sur mon arme, j’avançais d’un pas vers elle alors qu’elle marquait une pause, prenant la parole à mon tour en parlant entre mes dents.

« En quoi cela me concerne ? Ca ne répond pas à ma question ! »

Imperturbable, elle continua pourtant sur sa lancée. Me souvenir de quelque chose ? Cette question m’arracha un sourire amer.

« Tu es beaucoup trop curieuse… et tu vas beaucoup trop loin… »

De quel droit me posait-elle ces questions ? De quel droit enfonçait-elle une lame chauffée à blanc là où j’avais toujours fait en sorte de rester de marbre ? Avançant d’un nouveau pas, le canon pointé sur sa tête, je ravalais une boule qui m’enserrait la gorge avec difficulté et repris d’une voix plus tremblante que je ne l’aurais voulu.

« Je ne sais pas pour qui tu me prend exactement, mais si tu ne m’explique pas tout de suite d’où tu tiens tes infos je te jure que je t’éclate la tête… »

Je me sentais trembler, revoyant des images du calvaire que j’avais enduré pendant des semaines après été retrouvé à moitié mort, si pas plus. Je n’avais jamais voulus me rappeler ce qui c’était passé. Je ne voulais pas le savoir. Pour moi, seul le présent comptait, et voilà que cette Vipère venait tout chambouler, faisant remonter à la surface des choses qu’elle aurait mieux fait de laisser là où elles étaient… Et si elle espérait que j’allais répondre à ses questions, elle pouvait toujours rêver. Attrapant la crosse à deux-mains pour me stabiliser, et éviter de tiquer une nouvelle fois, je lui fis face en essayant de garder contenance. Elle était maintenant à bout portant, je n’avais qu’à tirer… Mais j’en étais incapable…

« Tu es qui bordel ?! »

Point de vue de Dalia

Il n'avait pas l'air de vouloir l'écouter. Il n'y comprenait rien. Et même si Dalia avait l'air de comprendre ce qu'elle faisait à ses yeux, ce n'était pas entièrement le cas. Qui le pourrait, d'ailleurs ? Il se rapprochait en la visant toujours de son canon, alors qu'elle n'avait même pas dégainé. Elle était désarmée, mais il semblait bien décidé à tirer. Elle le voyait bien, il ne parvenait pas à rester calme, alors qu'elle le faisait malgré tout. Il ne fallait pas qu'elle perde son sang froid. Il voulait qu'elle lui explique tout de suite d'où elle tenait ses informations, sinon il allait tirer.

- Calme-toi et baisse ton arme. Nous sommes en territoire neutre. Tu risques de regretter ton geste si tu tires...

C'était la première chose à faire : le calmer. Elle aurait préféré avoir une discussion calme avec lui, même si la situation ne le permettait pas vraiment. La situation, et ce qu'elle pensait découvrir. Mais il fallait qu'elle en sache plus. Elle ne voulait pas parler à la légère, ce n'était pas son genre. Mais elle sentait qu'il fallait qu'elle parle, et maintenant... Il voulait savoir qui j'étais ? J'allais le lui dire.

- Je suis Dalia, ancienne Libre, Vipère depuis trois ans, Tireuse d'élite depuis deux. Je n'ai plus aucune famille si ce n'est mon clan, et je haïs par dessus tout les Dragons du Nord, qui nous ont attaqué mon frère et moi il y a quatre ans.

Elle marqua une pause, réfléchissant à la façon d'aborder le sujet.

- Je n'ai aucune information sur toi. Je sais juste que... que tu ressembles étrangement à mon frère. Je ne m'en étais pas rendue compte avant. Mais tu as ce... ce tic, avec ton ongle. Il faisait exactement la même chose quand il était énervé ou perdu. Ce n'est pas commun. Et tu t'appelles Jérémy, mon frère s'appelait Jérémya. En plus, tu as 18 ans, exactement l'âge que mon frère aurait dû avoir aujourd’hui...

Elle laissa planer un silence, reprenant chaque élément un à un comme dans ma description.

- Et puis, on est tous les deux Tireurs d'élite. Ça fait beaucoup de coïncidences... Alors excuse-moi si je te pose des questions que tu ne veux pas entendre, mais j'aimerais comprendre ! Si tu es Jérémya – et je dis bien « si » –, ça voudrait dire que mon frère, que j'ai vu être torturé par les Dragons et mourir devant mes yeux, n'est en réalité pas mort, mais qu'il est là devant moi, et qu'il hésite à me tirer dessus pour m'achever...

Dalia n'aimait pas revenir sur ces souvenirs noirs, mais elle n'avait pas le choix. Et il l'y avait obligée avec son tic et tout le reste ! Elle ne pouvait plus revenir en arrière.

La Vipère ne répondit pas tout de suite, m’intimant d’abord de ma calmer et de baisser mon arme. Mais territoire neutre ou pas, je n’avais pas l’intention de ranger bien sagement mon revolver pour le moment. Au bout de quelques secondes, elle finit enfin par répondre. Dalia, ce nom me fit remonter un frisson dans le dos, et je portais à nouveau mon pouce à ma bouche, me mordant l’ongle au point de presque me l’arracher. Elle parla à nouveau de son frère disparu avant de m’apprendre qu’apparemment je lui ressemblais fortement. Lorsqu’elle aborda mon tic, je me stoppais aussitôt, reportant ma main à mon arme qui s’était remise à trembler. Les similitudes qu’elle abordait étaient plausibles, mais rien ne me prouvait que ce fût la vérité. Pourtant, tout dans mon comportement allait dans son sens : le fait que je n’arrive pas à tirer, mon trouble grandissant, la façon dont elle abordait des éléments gênants et remuait de vielles blessures oubliées… Et puis elle semblait sincère… ou alors elle jouait extrêmement bien la comédie… Je voulus répliquer à plusieurs reprises, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. Je bloquais presque ma respiration pour essayer de calmer les sentiments qui m’envahissaient. A sa dernière phrase, un flash me baisser soudainement mon arme et détourner les yeux. Une ancienne douleur… Portant une main à mon front, comme si cela pouvait stopper le flot de pensées qui tourbillonnait dans ma tête, je pris la parole d’une voix à peine audible.

« Tu mens ! Je n’ai pas de famille… »

Je ne m’étais jamais vraiment posé la question de mon amnésie. Je n’avais jamais cherché à savoir ce qui m’était arrivé, ce qui avait bien faillit me tuer. Je ne voulais pas savoir qui j’étais avant alors que ce que j’étais devenu me convenait parfaitement. Je m’étais déjà posé une fois ou deux la question de savoir si j’avais une famille, mais ma conclusion avait été que si c’était le cas, ils auraient dû me chercher et me retrouver… j’étais donc seul. Une nouvelle douleur me traversa, vestige du temps passé où j’essayais de me rétablir avec une volonté tombée du ciel. Je tournais aussitôt le dos à la Vipère pour lui dissimuler la grimace qui déforma mes traits, et repris sur le même ton.

« Est-ce que tu te rends seulement compte de ce que tu me dis là ? Je le saurais si j’avais une sœur, tu ne crois pas ? »

Je lui tournais toujours le dos, et mes paroles étaient plus pour me convaincre qu’autre chose, même si je connaissais déjà la réponse : non, je ne pouvais pas savoir si j’avais une sœur, parce que je ne savais rien de moi avant ce jour… mais ça, elle ne pouvait pas le savoir…

Point de vue de Dalia

Ce que Dalia venait de lui dire lui avait fait de l'effet. Il était troublé, bien plus encore que tout à l'heure. Est-ce qu'il se souvenait de quelque chose ? Il l'accusa de mentir, ajoutant qu'il n'avait pas de famille. Dalia non plus n'en avait plus. Elle ne dit rien, ayant déjà tout avoué. C'était à lui de décider s'il la croyait ou non. Et cela semblait le perturber. Ce qui était aussi le cas de la Vipère. Bientôt, il lui tourna le dos, comme pour se cacher d'elle. Et il reprit la parole, lui demandant si elle se rendait compte de ce qu'elle disait. Bien sûr que oui, sinon elle ne l'aurait pas dit, elle l'aurait gardé pour elle ! Mais, au final, il devait avoir raison...

- Je m'en rends compte. Mais en effet, tu le saurais si ça avait été le cas... Je crois qu'il vaut mieux stopper la discussion, je me suis sans doute trompée.

Dalia n'avait plus envie que d'une chose : pouvoir aller s'enfermer chez elle et ignorer les autres. Elle y avait cru, et il lui avait jeté en pleine figure ce qu'elle aurait dû deviner depuis le début : pourquoi ne se souviendrait-il pas d'elle s'il était vraiment son frère ? Non, son frère était bel et bien mort quatre ans plus tôt, tué par les Dragons.

- Je ne t'importunerai plus avec ça. Mais la prochaine fois qu'on se verra, tu paieras pour Annabella ! Je ne suis pas dupe, je sais que c'est toi qui lui as tiré dessus...

Elle ne ferait pas de quartier, lui qui l'avait vue dans cet état, si démunie et désarmée. Mais elle ne se sentait pas la force de le tuer à l'instant.

Dalia fini par laisser tomber, disant qu’elle ne m’importunerait plus avec cette histoire. Elle ajouta également que la prochaine fois elle me ferait payer pour Annabella. Rangeant enfin mon arme, je me tournais lentement vers elle après avoir essayé de reprendre un minimum contenance et fixais mon regard dans le sien.

« Si c’était vraiment moi qui lui avait tiré dessus, elle serait déjà morte à l’heure qu’il est. Tout ce que je sais, c’est qu’elle était sur le point de tuer Kim, et ça ni moi, ni les Aigles, ne le pardonneront jamais. Quant à cette histoire de frère… il vaut mieux en rester là oui… »

Je détournais les yeux sur mes dernières paroles et me dirigeais vers le centre hospitalier, allant m’asseoir contre le mur en attendant que quelqu’un puisse me donner des nouvelles du chef. Les genoux plier contre mon torse, j’appuyais mes avant-bras dessus et laissais aller ma tête en arrière en soupirant. Une boule me nouait la gorge, résultat non seulement du fait que notre chef de clan était au bord de la mort, mais surtout du fait que cette Vipère avait ouvert une brèche en moi par laquelle se bousculaient des miettes de souvenirs incohérents qui me retournaient le cerveau. Voyant la blonde sur le point de partir, je ravalais avec difficulté les larmes que je retenaient pour crier après elle.

« Ton frère… c’était qui ? »

Je ne sais pourquoi je lui ai posé cette question, et je doutais même qu’elle y répondrait, mais quelques chose en moi avait agi sans que je ne m’en rendre vraiment compte. Mon passé semblait vouloir me sauter à la gorge, il fallait que je calme le flot, et étrangement en apprendre en plus sur cette histoire me semblait être une bonne idée sur le coup,… ou une très mauvaise…

Point de vue de Dalia

Jérémy répliqua que si c'était effectivement lui qui avait tiré sur Annabella, elle serait morte à l'heure qu'il était. Apparemment, la chef des Vipères était sur le point de tuer le chef des Aigles. Bon débarras, pensa Dalia. Elle aurait préféré que sa chef parvienne à ses fins au lieu de se faire mettre hors service par le clan adversaire. Car malgré les dires du jeune homme et malgré la connaissance de ses capacités, Dalia était persuadée qu'il avait aidé à la mettre dans cet état.

- Nous ne pardonnerons jamais non plus ce que tu as fait à Annabella...

L'Aigle alla s'asseoir contre le mur un peu plus loin, liquidé par toute cette histoire. Dalia soupira, il voulait également en rester là. Elle s'était fait de faux espoirs, et pour une fois la Vipère froide et quasi insensible ressentait des émotions. Émotions qu'elle aurait préféré ne jamais ressentir. De la déception dues aux faux espoirs, de la nostalgie, et, le pire, de la tristesse au souvenir de son frère. Elle devait s'éloigner de celui qui avait provoqué ces émotions qu'elle tentait de chasser à tout prix. Quel crédit s'accorderait-elle encore si jamais on se rendait compte de son moment de faiblesse ? Aucun. Mais alors qu'elle se décidait à partir, Jérémy lui posa une question surprenante au vu de la situation. Elle hésita, mais finit par répondre, sans pour autant regarder l'Aigle. Non, son regard était fixé sur le passé, sur le visage de son frère, sur ce qui s'était passé...

- C'était un garçon qui respirait la joie de vivre. Il était très sage, il écoutait toujours ce que je lui disais. Parfois, il était triste, quand il pensait à nos parents. Pourtant, il ne les avait presque pas connus. Enfin, il avait un peu côtoyé notre mère avant qu'elle ne soit tuée lors d'une bagarre avec un autre groupe de Libres. Il était toujours le premier à fondre en larmes, parce que la vie était importante pour lui. C'était stupide... Il ne faut penser qu'à soi, qu'à sa propre vie dans ce monde. Mais Jérémya avait un cœur beaucoup trop grand... Lorsque les Dragons nous ont encerclés, il a essayé d'être gentil avec eux. Mais ça n'a pas fonctionné... Et il est mort à présent.

Dalia avait mal en se rappelant tout cela. Son cœur la faisait souffrir, elle aurait voulu garder toute cette histoire enfouie en elle. Mais il avait ranimé ces souvenirs. Et elle lui en parlait. Pourquoi ? Ses paroles pouvaient paraître floues, il n'y comprendrait sûrement rien. La Vipère ne pouvait pas aller plus loin, une boule dans sa gorge l'empêchait de le faire. Comment cela était-il possible ? Dalia était une dure, elle avait vécu avec ce passé qui l'avait endurcie jusqu'à ne plus rien ressentir. Et elle ressentait à nouveau... C'était douloureux, bien plus qu'une plaie causée par une lame ou que des coups reçus lors d'un combat au corps à corps. Alors pourquoi lui en parlait-elle ?

La Vipère ne démordit pas du fait que j’avais à voir avec l’état d’Annabella, mais je ne réagis pas à sa nouvelle menace. Elle avait raison après tout, et si elle croyait me faire peur, elle se mettait le doigt dans l’œil. Un long silence plana après ma dernière question, et j’allais conclure qu’elle ne me répondrait pas lorsqu’elle finit par prendre la parole. Elle parlait en gardant le regard porté au loin, et moi je l’écoutais, les yeux fermés. On sentait de la nostalgie dans ses paroles, et étrangement je sentis les larmes me monter à nouveau aux yeux au fur et à mesure qu’elle décrivait son frère. Ce garçon, je me sentais à la fois proche de lui et en totale opposition. Je repensais alors à toutes ses coïncidences qu’elle avait évoqué un peu plus tôt : la ressemblance, le tic, le nom, l’âge,…

Lorsqu’elle eut fini de parler, je poussais un long et essuyais mes yeux humides d’un revers de la main avant de les rouvrir. Cette histoire ne me semblait pas inconnue, ce Jérémya dont elle parlait me semblait familier sans que je ne puisse dire pourquoi. Et les circonstances de sa mort…

En tout cas, cette histoire semblait la perturber autant que moi. Etant donné les circonstances, ce n’était pourtant pas le moment de fléchir face au passer.
C’est alors qu’une idée me vint. Ce n’était peut-être pas une très bonne idée, et je risquais moi-même d’en souffrir, mais si cela pouvait renverser cette situation précaire à mon avantage, je pouvais toujours tenter le coup, non ? Me relevant en prenant appuie contre le mur, je décidais donc de la jouer franc jeu. Prenant plusieurs inspirations profondes pour calmer les battements affolés de mon cœur et ravaler les larmes qui menaçaient d’apparaitre à tout instant, je m’avançais d’un pas lent vers la blonde et pris la parole après m’être assuré que ma voix ne fléchirait pas.

« Je t’ai traité de menteuse tout à l’heure, mais c’est moi qui n’ai pas été tout à fait honnête avec toi… Je t’ai dit ne pas avoir de famille… c’est faux. La vérité est que je ne connais pas ma famille et que je ne suis même pas sûr d’en avoir une ou non. Je ne sais rien de moi avant mes 14 ans… et encore même mon âge je n’en suis pas certain. Je ne sais pas si je suis ce Jérémya que tu décris, tout ce que je sais c’est qu’aujourd’hui je suis Jéremy. Qui j’étais avant, c’est un mystère sur lequel je n’ai jamais voulus me pencher. »

Personne ne savait cela hormis mes parents adoptifs. Pourquoi alors le racontais-je à une ennemie ? Et bien tout simplement parce que je comptais jouer sur sa faiblesse comme elle l’avait fait avec la mienne, même si cela signifiais lui dévoiler entièrement cette faiblesse. Mais il n’y avait pas que ça… Au fond, un sentiment étrange me poussait à lui parler comme elle-même se livrait, sans doute sans savoir pourquoi non plus. Comme si elle pourrait l’apprendre des choses sur mon passé, ce passé qu’elle avait remué sans même s’en rendre compte. Cette fille jouait avec moi, apparemment sans le vouloir, c’était maintenant à mon tour…

Point de vue de Dalia

Alors qu'elle pensait qu'il allait encore l'envoyer balader, Dalia eut la surprise de le voir se rapprocher tout en avouant qu'il n'avait pas été honnête avec elle. Il lui avait dit qu'il n'avait pas de famille, mais il démentait cette information à présent. Il ne connaissait pas sa famille, il ne savait rien de lui avant ses quatorze ans. Il en avait dix-huit à présent, non ? Enfin, il n'en était pas certain. Il avouait même ne pas savoir s'il était Jérémya... S'il ne connaissait pas son passé, si tous ces éléments corrélaient vers une même conclusion, Dalia était-elle en train de parler à ce petit frère qu'elle avait cru mort pendant quatre longues années ? Le fixant droit dans les yeux, elle lui répondit en tentant de rester calme, histoire de ne pas se faire à nouveau de faux espoirs. Même si c'était un peu le cas.

- Alors tu pourrais être Jérémya ?! Mais comment serait-ce possible ? Je l'ai vu mourir devant mes yeux... Ou alors... les Dragons ne l'auraient pas tué, ils l'auraient laissé pour mort !

Ce n'était pas impossible. Même si elle était persuadée qu'il ne respirait plus quand elle s'était enfuie, laissant son corps inerte derrière elle.

- Est-ce que les Aigles savent d'où tu viens ?

Dalia ne perdit pas de temps pour répondre, me demandant si je pouvais être Jérémya, et si oui, comment cela pourrait être possible. En effet, elle était persuadée que son frère était mort, tué sous ses yeux. Je gardais le silence un moment, et elle me demanda si les Aigles savaient d’où je venais. Je secouais la tête négativement.

« Si je suis Jérémya… ou si je peux l’être… à toi de me le dire… Quand à ta deuxième question, personne n’est au courant à part mes… parents adoptifs. »

Prenant une grande inspiration, je repartis dans mon récit, fouillant les recoins de la mémoire qu’il me restait tout en essayant de ne pas laisser transparaitre la douleur que cela provoquait, et gardant les yeux baissés.

« De ce qu’on m’a raconté, j’ai été trouvé et recueilli par des Soumis des Aigles qui m’ont sauvé la vie. Selon eux, je suis un miraculé… ni eux ni moi ne savons comment j’ai pu survivre à mes blessures. J’aurais dû être mort… mais au lieu de ça je me suis rétablit, lentement, mais surement. Ils m’ont nommé Jéremy sur base de délires provoqués par la fièvre. Apparemment, je parlais dans mon sommeil. Une fois remis sur pieds, soit plusieurs mois après m’avoir trouvé, comme je n’avais aucune marques, ils m’ont proposé de rester sur le territoire est. C’est tout ce que je sais de cette époque. A partir de mon marquage en tant que Soumis, j’ai décidé de ne plus me poser de questions sur ce qui m’avait amené là à moitié mort... »

Par réflexe, je tiquais de nouveau, ravalant une nouvelle boule qui m’obstruait la gorge. En racontant mon histoire, je me rendis compte que tout collait avec le récit de la Vipère, et cela n’en fit qu’ajouter à mon trouble déjà grand. J’étais en train de perdre pied, il fallait que je me reprenne et que je chasse les images et les sentiments remués. Relevant les yeux vers elle, je lui lançais un regard dur et lourd de sens.

« Si tu racontes cette histoire à qui que ce soit, sœur ou pas, je t’achèverai moi-même, compris ? »

Point de vue de Dalia

L'Aigle garda le silence pendant un certain temps après les questions de Dalia. Enfin, il lui dit que s'il était Jérémya, c'était à elle de le lui dire. Seuls ses parents adoptifs savaient d'où il venait, apparemment les autres Aigles l'ignoraient. Et lui aussi, si Dalia avait bien compris. Gardant les yeux baissés, il continua en racontant à la Vipère son histoire, ou en tout cas ce dont il se souvenait. Alors qu'il parlait, Dalia ne put s'empêcher de faire le rapprochement avec l'état dans lequel elle avait laissé son frère. Si Jérémy était un miraculé secouru par les Aigles, c'était tout à fait possible qu'il soit celui qu'elle croyait voir en lui... Son état, son nom prononcé dans un délire,... tout pouvait indiquer qu'il était son frère ! Après son marquage chez les Aigles, il ne s'était plus posé de questions. Et n'avait pas cherché à savoir qui il était, du coup. Il tiqua à nouveau alors que Dalia réfléchissait sur ses paroles. Puis il releva les yeux vers la Vipère, la menaçant si elle racontait cette histoire à qui que ce soit. Dalia hocha la tête, elle ne pouvait en parler à personne. Si c'était faux, elle aurait l'air d'une idiote pour y avoir cru ; si c'était vrai, ça voulait dire que son frère était un Aigle, et Annabella n'apprécierait pas cette nouvelle. Pour l'instant, elle ne pouvait rien dire à personne, c'était bien mieux ainsi.

- Ne t'en fais pas, je n'en parlerai pas. On aurait trop à perdre, toi comme moi. lui répliqua-t-elle avant de continuer. Mais tout ce que tu me dis me trouble. Tous les éléments semblent coller. Tu es peut-être Jérémya... Si tu es un miraculé qu'on a retrouvé presque mort, si tu ne sais plus d'où tu viens, si tu criais ton prénom dans ton sommeil, si tu fais ce même tique et que tu as le même âge,... tu peux être Jérémya...

Le fait d'énumérer ces différents éléments faisait battre le cœur de Dalia à cent à l'heure, elle qui restait d'habitude de marbre devant n'importe quel évènement.

La Vipère assura qu’elle ne parlerait de cette histoire à personne, ayant autant à perdre que moi. Elle avoua ensuite être troublée par mon histoire et énuméra une nouvelle fois les différents éléments qui faisaient pencher la balance vers ce qui semblait être ma véritable identitée. Détournant à nouveau les yeux, je passais une main dans ma nuque en pinçant les lèvres, ne sachant quoi dire. Comment est-on sencer réagir lorsque l’on apprend qu’on a une sœur ? Que pouvait-elle m’apprendre sur mon passé ? Qu’allait-il se passer maintenant ? Trop de questions qui se bousculaient dans ma tête et provoquais un tremblement presqu’incontrable qui sevouait chacun de mes membres. Je me mis à faire les cents pas afin de dissimuler se manque de contrôle, les bras croisés sur ma poitrine et la respiration trop saccadée. J’essyais de me concentrer sur les informations fournies, et un éléments me revint, qu’elle avait répété plusieurs fois. M’éclaircissant la voix dans un raclement de gorge, j’osais une question à peine audible.

« Ce jour là… le jour où il… où… que c’est-il passé avec les Dragons ? »

J’avais du mal à formuler ma question, ne sachant quels termes utiliser. Je ne pouvais pas reconnaitre que j’étais bien Jérémya sans en avoir de souvenir précis… mais était-ce seulement possible de retrouver la mémoire après avoir enfuit si profondément des souvenirs dont on ne veut pas se souvenir… ?

Point de vue de Dalia

Jérémy faisait les cents pas devant Dalia, qui ne savait plus vraiment comment réagir. Dalia le fixait sans rien ajouter. Il finit par s'éclaircir la voix avant de poser La question qu'elle redoutait. Le fait de devoir raconter ce qu'il s'était passé lui faisait du mal, parce qu'en plus de perdre son frère, sa seule famille, elle avait souffert. Souffert à cause des Dragons. Et elle avait continué de souffrir longtemps après, ne serait-ce que par la perte de son frère. Cet évènement avait marqué sa vie à jamais. Elle resta silencieuse. Ne lui avait-elle pas déjà révélé le principal ? Ne lui avait-elle déjà pas assez expliqué ce qui s'était déroulé ce jour-là ?

- Jérémya et moi étions en train de chercher de la nourriture dans les décombres. Nous étions peut-être trop près du territoire des Dragons, je ne sais plus. Je me souviens seulement que Jérémya s'est éloigné de moi. Quand je me suis retournée, il n'était plus là. Je l'ai appelé mais il ne me répondait pas. Alors j'ai suivi ses traces de pas. Il y en a eu d'autres, plusieurs traces. J'ai commencé à me méfier et à avoir peur. Que lui était-il arrivé ? Où était-il ? À qui appartenaient ces traces ? Je les ai suivies, peu importait le danger : je devais retrouver et protéger mon frère. Je l'ai retrouvé seul, sur le sol. Il était assommé mais vivant. Je me suis précipitée vers lui pour le vérifier, sans réfléchir. Avant que j'ai pu le toucher, ils se sont jetés sur moi et m'ont empêché de l'approcher. Ils étaient cinq, des Membres sans aucun doute. J'ai crié pour qu'ils me lâchent. Jérémya s'est réveillé, il a regardé autour de lui. Il s'est levé et leur a demandé avec toute sa gentillesse de nous laisser partir. Nous n'avions rien fait de mal, et il était certain que c'était un malentendu. Il ne leur en voulait pas de l'avoir frappé. Les Dragons se sont moqués de lui, ils l'ont insulté en me bâillonnant la bouche pour que je ne puisse pas le défendre...

Dalia s'arrêta, la boule dans sa gorge l'empêchait de continuer. La Vipère inflexible devait retenir ses larmes au souvenir de cet évènement. Il lui faisait toujours aussi mal. Elle revoyait la scène devant ses yeux, c'était comme si elle la vivait à nouveau en direct. Tout ça s'était passé il y a quatre ans, et pourtant elle le racontait comme si c'était hier. Elle se calma un peu pour continuer. Elle regardait Jérémy mais ne le voyait pas. Elle ne le voyait plus, elle était dans le passé.

- Ils ont d'abord commencé par le pousser. Jérémya est tombé plusieurs fois, mais à chaque fois il se relevait. Il leur disait que ça ne servait à rien de faire ça, que nous n'étions pas agressifs. Que nous voulions bien les suivre s'il le fallait. Mais j'ai tout de suite vu que ce n'était pas ce qu'ils voulaient. Ils ne nous traquaient pas, ils voulaient simplement s'amuser... Ils me retenaient alors qu'ils frappaient Jérémya et m'obligeaient à regarder. Ils lui donnaient des coups de pieds, le relevaient pour le frapper avec leurs poings, et mes cris étouffés n'y faisaient rien. J'étais impuissante... Jérémya était si gentil, si fragile, il n'avait rien fait de mal... Mais les Dragons s'en fichaient. Ils l'ont frappé jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Et ils ont continué après, parce que ça les amusait de jouer avec lui. Ils m'ont frappé aussi, mais ils ne voulaient pas me tuer. Ils ont fait d'autres choses... Et ensuite ils m'ont abandonnée à l'autre bout de la ville. Je ne leur pardonnerai jamais ce qu'ils ont fait...

Elle se stoppa et, surprise, elle passa ses doigts sur ses joues humides. Depuis combien de temps n'avait-elle pas pleurer ? Un très long moment. Elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où elle avait versé une larme. Elle essuya ces larmes avec fougue, elle s'en voulait d'avoir flanché après si longtemps. Elle regarda à nouveau Jérémy : s'il s'avérait au final qu'il n'était pas son frère, elle devrait le tuer, parce qu'il en savait trop. Beaucoup trop.

La Vipère resta silencieuse un long moment avant de commencer son récit. Au fur et à mesure que les mots franchissaient ses lèvres, mon esprit s’embrumait. J’étais immobile, perdu dans des souvenirs inexistants. Le silence ce fit de nouveau, mais je n’y fit même pas attention. C’est dans un sursaut que je revint à la réalité. Un sursaut provoqué par un coup de poing invisible qui me fit presque flancher. J’étais essoufflé alors que je n’avais pas couru, et une fatigue soudaine m’assaillit. Je voulu bouger, me mettre en mouvement, mais mon corps ne semblait plus vouloir m’obéir. Alors je restais là, debout sur des jambes flageolantes, à fixer le vide alors que mon esprit flottait je ne sais où. Des sensations m’agressaient, mais une épaisse fumée était apparue en même temps que toutes ces révélations, comme si je ne devais pas me souvenir.

Finalement, ce fût un soigneur qui me sortit de ma torpeur. Un nouveau sursaut, le cœur qui s’affole, et une sueur froide qui me coule le long de la colonne. Je tremble toujours, et c’est avec le regard vide et une oreille distraite que je tourne le peu d’attention qu’il me reste vers le soigneur. Je ne saisit pas tout ce qu’il dit, mais je comprend que c’est important. Mécaniquement, je hoche la tête alors que je ne suis même pas sûr de dont il parle. Je crois qu’il m’a demandé si ça allait, et il me semble avoir hocher la tête à cette question aussi. Il fini par s’éloigner avec un air suspicieux, et je me tourne de nouveau vers Dalia. Ma voix me parait lointaine…

« Je dois… Je crois qu’on devrait y aller… »

Encore fallait-il que mon cerveau se remette en route. Il s’était comme déconnecté après son histoire, sans que je ne sache pourquoi. Mais j’étais sûr d’une chose au moins, si toute cette histoire était vraie, je n’avais pas fini de souffrir… car retrouver des souvenirs, ça fait mal, voilà pourquoi j’avais enfuie les miens profondément…

Point de vue de Dalia

Jéremy avait un comportement étrange. Était-il en train de se souvenir de quelque chose ? Peut-être que l'histoire contée par Dalia lui avait rappelé un détail. Mais elle n'en était pas sûre. Elle attendait, silencieuse, alors qu'il ne semblait pas au meilleur de sa forme. Cela pouvait également s'expliquer par les combats qui avaient eu lieu récemment. Elle aussi était fatiguée, mais elle ne le montrait pas. Non, elle avait juste montré son côté humain, ce qui était bien pire à ses yeux. Sauf s'il s'avérait que Jéremy était bel et bien son frère. Mais comment être sûre ? À présent qu'il savait tout, il pourrait tout aussi bien simuler...

Un soigneur vint demander au jeune Aigle s'il allait bien. Celui-ci répondit que oui et finit par s'adresser à nouveau à la Vipère. Au lieu de poser une énième question ou de confirmer ce que Dalia espérait vrai, il donna le signe du départ. Mais peut-être était-ce mieux ainsi finalement...

- On devrait, oui.

Elle ne bougea pourtant pas, attendant qu'il fasse le premier pas.

Le soigneur n’était pas partit, juste écarté, et il semblait m’attendre. Dalia affirma à son tour qu’il valait mieux y aller, mais elle ne bougea pas non plus. Serrant les points afin de retrouver un semblant de sensibilité, je pris quelques inspiration avant de reprendre, hésitant.

« Ecoute, je ne sais pas… je ne peux pas t’affirmer qui je suis… Laisse moi un peu… laisse moi un peu de temps… Je trouverais un moyen de te contacter si quelque chose me reviens… »

Sur ses mots, je me retournais mécaniquement et me dirigeais vers le soigneur. J’avais la gorge serrée, les oreilles bourdonnantes et des larmes au bord de yeux, mais maintenant que je tournais le dos à la Vipère pour face à l’homme qui m’attendais, surement pour m’en apprendre plus sur l’état de Kim, je fis de mon mieux pour afficher un visage impassible. Cette histoire était loin d’être finie, et les prochains jours promettaient d’être terribles…

Point de vue de Dalia

Jérémy finit par répondre. Il était très hésitant, et n'arrivait pas à trouver ses mots. Il demandait à la Vipère de lui laisser un peu de temps. Si quelque chose lui revenait, il trouverait un moyen de la contacter. Elle hocha simplement la tête avant d'ajouter :

- Tu sais où me trouver.

Il s'éloigna avec le soigneur tandis que Dalia restait encore quelques minutes à l'extérieur. Ensuite, lorsqu'elle eut repris contenance et qu'elle se fut assurée qu'il était hors de portée, elle alla prendre des nouvelles d'Annabella, attendant que Katarina ait fait son boulot.