Tout se passait trop vite. J'avais l'impression d'être pris dans un tourbillon de nouvelles toutes aussi improbables les unes que les autres. Et j'aimais ça. J'aimais l'inconnu, le jeu, le danger. J'aimais l'imprévu et j'avais choisi le clan parfait. Avec un chef comme Samuel, les choses ne pouvaient qu'aller dans mon sens, vers le chaos. Il avait refusé d'écouter son second et résultat, il n'en avait plus. Il devait s'en mordre les doigts parce que Chad était probablement la seule personne en qui il pouvait avoir entièrement confiance, jamais il ne l'aurait trahi. J'avais de quoi être euphorique mais je ne l'étais pas, j'étais même plutôt énervé. Chad n'était plus sur ma route, c'était un fait mais il n'empêche que j'aurais voulu le faire tomber de son piédestal moi-même. Mourir de la sorte m'ôtait tout mérite, je n'avais plus qu'à tendre les bras pour avoir ce que je désirais. J'appréciais un minimum de difficulté, de challenge sur le chemin que nous nous tracions Loukas et moi.

Soupirant, j'essayai de profiter des faits. J'étais Second à présent. L'annonce publique n'avait pas encore été faite mais bientôt je pourrai me pavaner devant Violette sans qu'elle ne tente de m'arracher la langue. Peut-être même qu'elle allait se mettre à me faire des avances maintenant que j'étais monté d'un grade. Rien que l'idée me donna des sueurs froides. Elle avait beau être jolie, cette fille ne m'inspirait pas confiance ni la moindre d'envie de la savoir quelque part près de mois dans un lit. Je devrai d'ailleurs m'assurer qu'elle ne tenterait pas de s'infiltrer chez moi...il ne manquerait plus que ça, qu'elle tombe sur ma sœur et qu'elle foute tout en l'air. Cette montée de niveau me donnait également plus de responsabilités mais je devais également assurer mes arrières. J'avais beau être quelqu'un d'extrêmement apprécié au sein du clan, je devais toujours rester sur mes gardes, cacher ma petite-sœur allait de fait être plus difficile, il fallait que je trouve un moyen de l'installer quelque part en sécurité et que personne ne se doute de notre lien de parenté. Tant de choses à penser, si peu de temps avant l'annonce officielle.

Agité, je passai nerveusement une main dans mes cheveux, me décoiffant volontairement au passage. Je comptais rentrer chez moi, annoncer la nouvelle à Jo' et prendre un peu de repos avant de voir le corps de Chad brûler et n'être plus que cendres. Seulement alors que je m'avançais vers ma destination, j'eus la désagréable impression d'être suivi. Ne prenant pas le risque de faire savoir au potentiel espion que j'avais des doutes, je me contentai d'emprunter un chemin différent, m'éloignant de mon domicile, je m'enfonçai dans un quartier du territoire que je savais en majorité désert. Je pressai le pas, certain qu'on me suivait à présent. Il fallait dire que cette personne ferait un piètre espion...et je ne parlais pas de Loukas. Je ressentais la présence de Loukas différemment de toutes les autres, j'étais certain qu'il ne s'agissait pas d'elle.

Et j'en eu la confirmation quand je surpris cette personne, la plaquant violemment contre le mur alors qu'elle tournait à son tour dans la ruelle. L'avant-bras bloquant sa gorge, je la soulevai presque de terre. Mon regard était froid. Je n'étais vraiment pas d'humeur à jouer, surtout pas s'il était déjà question d'espionnage. Mais je reconnus la jeune femme, il s'agissait de la tireur d'élite qui avait été envoyée avec nous en mission. Shayan, si je me souvenais bien. Raison de plus, je comptai pas défaire mon emprise sur sa gorge. Que voulait-elle ? Personne ne l'avait recroisé depuis le retour de mission et l'annonce du matin et elle se pointait comme une fleur, en me suivant alors même que nous nous étions jamais parlés.

Je suis pas vraiment d'humeur à jouer alors tu vas me dire tout de suite pourquoi tu me suivais, sans mentir de préférence, je déteste qu'on me prenne pour un idiot.

Je finis par m'apercevoir que je lui coupai la respiration et la relâchai, allant m'appuyer contre le mur qui lui faisait face. Je n'avais pas peur d'elle. Elle avait beau être une spécialiste, je l'étais aussi et elle était spécialisée dans les attaques à distance, elle était donc désavantagée dans cette ruelle étroite, jonchée de débris. Je la fixai froidement, les bras croisés sur mon torse. Cela ne me ressemblait pas mais je n'avais pas le choix ni l'envie de faire des efforts.

Je l'observai reprenant son souffle. C'était à croire que je n'y avais pas été de mains mortes...je devais être tellement nerveux que je ne m'en étais pas rendu compte. Tant pis, elle était une membre, elle devait savoir résister à pire que ça. J'aurais presque pu avoir de la peine pour elle si tant de choses ne m'occupaient pas déjà l'esprit. Alors je me contentai de la fixer sans manquer sa gêne. Elle n'osait pas me regarder dans les yeux. Ce qu'elle annonça ensuite eu l'effet de me surprendre. Besoin de mon aide ? Pourquoi moi ? Pourquoi pas Hunter ? Je n'étais même pas dans son équipe, je ne lui avais jamais adressé la parole de ma vie. Et elle ne pouvait définitivement pas être au courant de ma montée en grade, impossible. Et puis de toute façon, que croyait-elle ? Que j'étais un génie de la lampe ? Qu'au moindre problème on pouvait m'invoquer ? J'étais peut-être aimable mais pas altruiste et dans ce monde rien n'était gratuit. Si elle ne l'avait pas encore compris, je n'allais pas tarder à le lui apprendre et à la faire redescendre sur Terre.

Je n'eus même pas le temps de répliquer, elle sembla se raviser toute seule. Je la fixai droit dans les yeux et je crus y déceler un changement. Un fin sourire naquit au coin de mes lèvres. J'appréciais ces instants où le vent tournait ou les personnalités se dévoilaient...et c'était un beau spécimen qui se tenait devant moi. Je pus lire toute la détermination du monde dans ses yeux noirs, c'était comme si le poids qu'elle semblait toujours porter s'était évaporé, comme si elle s'était en quelque sorte délivrée ou qu'elle avait pris conscience de l'ampleur des événements dont elle assumait pleinement la portée.

Mais encore fallait-il qu'elle aille jusqu'au bout et qu'elle ne s'effondre pas sous ses apparences assurées. Je laissai un sourire carnassier s'emparer de mes lèvres, me donnant intentionnellement un air menaçant voire vicieux et m'approchant d'elle à pas feutrés, je réduisis considérablement la distance qui nous séparait. Elle avait dit "n'importe quoi", je comptai bien tester ses limites, la pousser à bout. Je tenais absolument à savoir l'emprise que je pouvais avoir sur elle et jusqu'à où elle était réellement prête à aller pour que je lui offre mon aide. Je me trouvai si près d'elle que je pouvais discerner le moindre détail de sa peau, je sentais la chaleur qui s'émanait de son corps alors qu'elle m'avait toujours paru de glace et que nos corps se frôlaient. Je la sentis aussi se raidir mais je n'en tins pas rigueur, continuant mon jeu, je glissai une main sous son menton, lui relevant le visage afin qu'elle ne puisse plus fuir mon regard tandis que la seconde jouait avec le bas de sa...robe ? Portait-elle réellement une robe ? Je fus surpris mais ne le montrai pas.

T'es plutôt mignonne, en fait. Je n'avais jamais fait attention, tu devrais porter des robes plus souvent.

J'approchai mes lèvres des siennes, sachant pertinemment que si elle voulait fuir, elle n'aurait qu'une seule solution, me repousser...et si elle me repoussait, je pourrais en déduire qu'elle n'était pas prête à tout et que son allégeance à ma cause pouvait fondre comme neige au soleil. Dans tous les cas, je ne comptais pas aller jusqu'au bout. Je n'avais jamais eu besoin de la force pour attirer les femmes qui me plaisaient et je n'allais pas commencer maintenant. Tout ceci n'était qu'un simple test. Un test qui déterminerait si oui ou non nous pouvions passer un contrat sur de bonnes bases.

Nos visages se touchaient presque. Nous étions si proches que je pouvais remarquer la moindre imperfection sur sa peau de poupée. De la poussière aux hématomes. Et bien sûr, il y avait ses yeux. Ses prunelles sombres me fascinaient par la palette d'émotions qui je pouvais y lire. Ils étaient la preuve que finalement cette fille n'était pas qu'un corps sans âme. Tour à tour, je pus y déceler la crainte, le doute, le dégoût et puis la colère. A l'instant, je devais être la personne qu'elle détestait le plus au monde mais elle restait sur sa position, elle ne fuyait pas ; elle devait réellement avoir besoin de mon aide.

J'éclatai de rire alors que je m'éloignai brusquement non sans lui avoir ébouriffé les cheveux. Cette fille avait l'air pleine de ressources. Son sursaut d'orgueil, son éruption de colère me le prouvaient. Au moment où je pensais qu'elle ne valait pas grand chose, qu'elle ne représentait plus aucun intérêt pour moi, elle parvenait toujours à attiser à nouveau ma curiosité. Je ne la connaissais pas. Elle devait être particulièrement discrète. Je n'avais jamais entendu d'elle, elle ne faisait pas de remous, aucune rumeur ou exploit suffisant pour lui coller une étiquette. C'était une page vide. Il y avait donc quelque chose d'excitant à la faire sortir de ses gongs, à voir jusqu'où elle pouvait aller. La perspective d'en savoir plus me mit étonnement de bonne humeur. Je me décalai donc jusqu'au mur qui lui faisait face, m'adossant à nouveau, les mains dans les poches, lui prouvant bien que pas une seconde je ne m'étais senti menacé.

Tu devrais penser à faire un truc pour ce vilain coup que tu as reçu au visage, lâchai-je moqueur.

Je me plaisais à laisser planer le doute. Elle n'avait aucun moyen de savoir si j'allais accéder à sa demande. Car rien n'était gagné à ce sujet, j'ignorai l'ampleur de sa requête. Quand bien même je pouvais me vanter d'avoir un minimum d'influence au sein du clan, je ne restais pourtant qu'un spécialiste. Elle semblait ne pas le savoir pourtant, j'avais donc encore toutes les cartes en main et je pouvais aisément lui faire miroiter mon aide. Même si dans le fond, je ne comprenais toujours pas pourquoi elle s'était tournée vers moi, je pouvais au moins en profiter pour arranger mes affaires.

Donc. Comment puis-je t'être utile ?