La vie de Membre était encore une chose très étrange pour Raym. Avant de faire route vers ces ruines, elle vivait librement, au rythme du temps qui passait. La plupart de ses journées était utilisée pour la recherche d'eau, de nourritures et d'un abri pour la nuit. Elle ne se fiait à personne, n'était dépendante de personne, mais ne connaissait personne du coup. C'était la solitude et l'envie de découvrir la vie en communauté qui l'avait faite venir ici. Et autant dire qu'elle avait été servie en entrant dans un clan. Enfin d'une certaine façon. Car si elle vivait à côté des Vipères, elle ne vivait pas vraiment avec elles. Elle avait bien du mal à tisser des liens et n'échangeait que quelques mots avec les personnes avec lesquelles elle devait travailler. A part ça, c'était le calme plat. Elle ne savait pas trop comment faire pour se faire apprécier, c'était diablement plus difficile que d'apprendre à maîtriser une arme ou chercher des denrées comestibles.

Aussi, une fois son travail du jour terminé, elle avait décidé d'aller faire un tour à l'extérieur. Elle n'avait quasiment pas quitté le camp des Vipères depuis son arrivée ici - à l'exception de ses voyages dans la zone industrielle pour le ravitaillement - et songeait donc qu'il était temps de découvrir le reste de la ville. Elle prévenu donc qu'elle partait se promener et se mit en route, uniquement armée de sa dague qu'elle avait accrochée à sa ceinture. Au bout d'un moment, elle atterrit sur une vaste étendue vide de tout bâtiment où paraissait quelques personnes. Il n'y avait que quelques brins d'herbes morts au sol, le reste se résumant à de la terre sèche et poussiéreuse. Drôle d'endroit pour se reposer. Elle en fit pourtant de même, songeant qu'elle comprendrait peut-être des choses ici.

Raym n'était pas assise depuis très longtemps quand elle sentit un regard se poser sur elle. Du coin de l’œil, elle avisa le grand noir qui l'observait et se détourna immédiatement. Pourquoi cet homme la regardait-il ? Il ne paraissait pas hostile et c'était bien ce qui la dérangeait le plus. Est-ce qu'il la regardait comme un animal toise une cible qu'il juge sans intérêt ? Non, c'était plus compliqué que ça.

Et puis, il s'approcha. Sur ses gardes, la jeune femme glissa la main vers sa lame, prête à dégainer. Il s'arrêta pourtant et lui parla. Fronçant les sourcils, elle ne comprit pas vraiment ce qu'il voulait. Avoir son attention quelques minutes ? Et puis, comment savait-il qu'elle était une Vipère ? Ce n'était pourtant pas marqué sur son front...

Qu'est-ce que tu me veux ?

Elle n'aimait pas les hommes, alors devoir parler à l'un d'eux ne lui plaisait pas vraiment, mais une chose avait attisée sa curiosité. Il l'avait accostée avec une étrange facilité et cela provoquait son étonnement. Donc, elle ferait au moins l'effort de l'écouter, peut-être qu'elle pourrait apprendre certaines choses grâce à cette discussion.

La curiosité, c'était bien la seule chose qui empêchait Raym de partir en vrille. L'homme dégageait quelque chose de particulier, son comportement en lui-même était incompréhensible pour elle. Pourquoi avait-il ressenti l'envie de lui adresser la parole ? Et quelle était cette façon étrange de parler d'ailleurs ? Lorsqu'il se plaça à côté d'elle, la ténébreuse se raidit. Décidément, elle n'aimait pas savoir un mâle aussi proche d'elle. Il ne ressemblait en rien à ceux qu'elle avait rencontré jusqu'ici, mais cela ne changeait pas cette vérité générale, il restait un homme. Il s'adressa une nouvelle fois à elle, ses paroles l'interpellant encore plus. Elle lâcha d'ailleurs une remarque, notant ce qui la perturbait depuis le début.

Pourquoi tu me parles comme si j'étais plusieurs ?

Sceptique, elle scruta sa réaction avant de répondre à ses questions, ne tenant pas à geler la conversation avant d'en avoir appris plus. Sur ce temps là, elle avait dégagé la main de sa dague, la posant sur sa cuisse.

Raym.

Il avait dit s'appeler Wiyghan et être un Jaguar. Annabella n'aimait pas beaucoup les Jaguars. Comme tous les autres clans en réalité, maintenant qu'elle y pensait. Elle-même n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer une personne venant de ce territoire depuis son arrivée à Paris. Et encore moins une personne s'exprimant de cette façon et lui parlant de banalités du genre.

C'est difficile à croire. Cet endroit est complètement mort.

Un signe de politesse ? Une marque de respect ? Mais pourquoi la respectait-il alors qu'il ne connaissait absolument rien d'elle ? Pour Raym, le respect s’acquérait à force d'actes forts et de volonté, ce n'était pas une chose qui vous tombait tout cuit dans la bouche. Son explication était étrange, mais elle l'accepta silencieusement. Chacun son trip, après tout. Le plus déroutant était qu'il continuait à la...comment avait-il dit déjà ? Ah oui "vouvoie". Bref, le plus déroutant était qu'il reste dans le même registre. Ne comptait-il jamais s'adapter au mode vie actuel ? La suite fut tout aussi étrange pour la Vipère qui ne saisit pas vraiment le but du compliment qu'il avait fait sur son prénom. Elle ne l'avait pas choisi après tout. Néanmoins, les paroles de l'homme lui firent un drôle d'effet et elle fut surprise de sentir monter en elle un certain contentement qu'elle jugea de façon critique.

Si elle fronça les sourcils, la jeune femme fit un effort pour essayer de visualiser ce dont il lui parlait. L'herbe n'était pas difficile à imaginer, après tout, il ne faisait pas si sec là d'où elle venait. Pour les enfants et les "jeux" ce fut un peu plus dur par contre, mais elle voyait plus ou moins où il voulait en venir. Elle allait enfin prendre la parole lorsqu'elle sentit une pression sur son épaule. La main de l'homme y était posée. Son sang ne fit qu'un tour et elle esquissa un geste pour la chasser, mais il l'avait déjà ôtée et s'excusait. Appréciant peu une telle proximité, Raym se releva et fit un pas en arrière pour mettre un peu de distance entre eux.

Ne refait plus jamais ça.

Sa voix était sèche, mais elle fit un effort pour ne pas le planter là. Il n'était pas désintéressant, il s'imposait juste un peu trop dans son espace vital.

Je ne suis pas d'ici, je suis arrivée un peu avant la saison...Aride, c'est ça ?

Elle avait encore du mal avec les spécificités de la ville.

Nous ne sommes pas faits pour vivre en harmonie. Qu'importe les conditions, les Hommes se battent, alors le système des clans n'est qu'un détail. Sans eux, cette ville n'existerait pas. Bien sûr, je n'adhère pas à toutes leurs règles, mais il faut quand même avouer qu'ils aident à faire vivre des gens.

Raym n'avait jamais eu de scrupules à tuer d'autres êtres humains, elle vivait pour survivre et pour ce faire, il fallait tuer. Alors l'entendre parler de nervosité lui donnait envie de rire. Ce qu'elle ne fit pourtant pas.

Alors pourquoi est-ce que tu tues ? On a toujours le choix, il suffit juste d'accepter les sacrifices.