Et encore une journée de cours. Vivement les vacances… parce que les cours en ce moment, ce n’est pas trop la joie. Enfin, puisqu’il faut bien y aller, allons-y.

C’est avec une tête d’enterrement que je fis mon entrée dans le hall du lycée. J’étais seul cette fois, à ma demande express. Les autres n’avaient posés de questions sur coup, mais je savais que ça viendrait. Il faisait beau dehors, et je n’avais qu’une envie, monter sur le toit pour dormir au soleil. Pourtant, je n’en fis rien. Je me dirigeais vers la salle de cours d’un pas lent après un rapide passage à mon casier et m’installais au fond de la classe, côté de fenêtre. Je dus somnoler un peu, car lorsqu’un professeur fit enfin son entrée dans la classe, l’heure de début des cours était passée depuis 10 minutes déjà sans que je ne m’en sois rendu compte. Notre prof était absent, nous avions donc étude. Miracle, du temps libre pendant deux heures, ou presque. Je me levais d’un bond et donnais comme excuse que je voulais me rendre à la bibliothèque pour bosser sur un exposé. Comme nous étions en étude, le prof surveillant n’aurait pas pu m’en empêcher, qu’il le veuille ou non. C’est donc avec un grand sourire satisfait et soulagé que je quittais les lieux et me dirigeais vers les jardins de l’école. Pas le toit non, pas aujourd’hui, j’avais besoin de changer un peu d’air.

Il n’y avait personne dehors, tout le monde étant en cours. Après avoir marché un peu, j’allais m’allonger sur un banc, utilisant mon sac comme oreiller. Que du bonheur, juste ne penser à rien… ou du moins essayer. J’allais m’endormir lorsqu’une ombre vint envahir mon espace. Sentant le soleil disparaitre soudain, j’ouvris les yeux et les fixait sur l’intrus. A contrejour, je ne réussis pas à l’identifier, mais tant pis.

« Tu m’empêche de bronzer là, y assez bancs libres pourtant, non ? »

Pas très sympathique comme accueil, mais je n’étais pas d’humeur à être sympa non plus…

Elle les rendait tous fous, Rian. Les garçons, les filles. Elle les rendait fous mais pas à la manière dont on le pense. Non, ils ne tombaient pas amoureux d'elle au premier regard. Non, ils n'enviaient pas sa vie. Ce n'était pas ce genre de sentiments qu'elle faisait naître chez les autres...ou alors il fallait vraiment avoir une passion débordante pour l'inaccessible et être accessoirement l'être le plus inconséquent et inconscient de la planète. Parce que Rian, elle avait toujours un été un ovni. Située quelque part entre la garce blasée, la désintéressée et le garçon manqué. Mais toujours imprévisible, sauvage et indomptée. Mais à l'âge ingrat qu'était l'adolescence, il n'y avait pas assez de nuance pour la décrire, alors elle se retrouvait cataloguée tantôt dans le groupe des originaux, ceux que l'on s'amusait à appeler les hipster tantôt dans celui des rebelles qui refusaient de se plier aux règles et à la hiérarchie du lycée. Ah ça, jamais ! Plutôt crever que de courber l'échine face à un sportif prétentieux ou à une cheerleader imbue d'elle-même. Elle n'avait rien à leur envier ! Elle était sportive et, si son désintérêt pour la vie scolaire ne lui collait pas autant à la peau, elle ferait partie des têtes de classement sans le moindre mal. De fait, elle n'intégrait jamais un club sportif de l'école (bien qu'elle mettait un point d'honneur à terminer première au cross du lycée) et évitait celui des cheerleaders comme on évitait la peste...de peur d'être contaminée par les effluves d'idioties qui flottaient constamment au-dessus de leurs silhouettes. Non, elle faisait partie du club de cinéma, de musique et écrivait des articles ravageurs mais très appréciés pour le journal du lycée...bien sûr, elle signait sous un pseudonyme. Saruman.

La jeune femme jouissait d'une popularité des plus capricieuse. On avait que son nom à la bouche un jour, et on ignorait qui elle était le suivant. Peut-être cela était-il du à son comportement si versatile, à sa manie de sécher les cours quand bon lui semblait, à celle de s'effacer au fond de la classe ? Ou plus simplement au fait qu'elle terminait toujours première de sa promotion alors même qu'elle figurait au bas de la liste des élèves l'année durant. Elle finissait toujours par apparaître là où on ne l'attendait pas. Ce n'était pas ce cher Kim qui allait dire le contraire. Se tenant droite comme un i, elle s'appliquait à gâcher la petite pause inopinée d'un garçon qu'elle ne tarda pas à identifier comme Kim, capitaine de l'équipe de foot, d'un an son aîné...Lui barrant tout l'éclairage que pouvait lui procurer le soleil, elle attendit sa réaction qui ne tarda pas à arriver. Elle leva les yeux au ciel, pouffant de mépris face à sa piètre répartie. Comment pouvait-on être si...sûr de soi ? Et par-dessus tout, si cliché ! C'était exactement le comportement que l'on s'attendait à voir de la part d'un sportif prétentieux...Mais Rian n'était pas l'une de ces midinettes qui disaient amen aux moindres pets de sa majesté. Loin de là...d'ailleurs, elle pouffa une seconde fois, croisant les bras sur sa poitrine, son sac sur les épaules et sa bouteille d'eau en main. Oui, il y avait une tonne d'autres bancs disponibles ! Sauf qu'il avait eu le malheur de s'étaler sur le sien...elle devrait penser à le faire désinfecter.

C'est exactement ce que j'allais te dire. C'est mon banc, je te prierais de décoller ton fessier légendaire pour que je puisse roupiller en paix, répondit-elle sur le même ton qu'avait employé le jeune homme. Oh, et au cas où tu serais tenté de me sortir la réplique ô combien puérile du "y a pas ton nom dessus", je prends les devants. Mon nom est marqué sur ce banc, juste là, là, ici, là, là et encore là continua-t-elle en pointant plusieurs inscriptions "propriété de Rian" qui figuraient bel et bien gravées profondément sur le reposoir en long et en large. Il fallait croire que la jeune femme avait, elle, l'esprit assez enfantin que pour oser dégrader un bien scolaire de façon si puérile.

Une voix féminine résonna à mes oreilles, réponant qu’elle allait justement me poser la même question et m’enjoignant de dégager de son banc. Je me redressais légèrement alors qu’elle continuait sur sa lancée – a se demander s’il y avait un bouton stop sur ce truc – en me montrant divers endroit où son nom était gravé. Rian… ce nom me disait vaguement quelque chose. Je me remis en position assise tout en passant de la fille aux gravures à plusieurs reprises.

« Sérieusement… ? »

Elle avait vraiment gravé son nom sur le banc pour en faire sa propriété ? Si je n’avais pas la preuve sous les yeux, je ne l’aurai pas cru. Mais ce n’est pas ça qui allait me faire bouger pour autant, bien au contraire. Relevant à nouveau les yeux vers la dénommée Rian, dont je n’arrivais toujours pas à déterminer exactement les traits sans plisser les yeux, je m’étallais de tout mon long contre l’appuie, un bras de chaque côté et l’air bien décidé à ne pas bouger.

« Désolé, j’ai pas l’intention de bouger, et encore moins parce qu’une gamine à voulut jouer les malignes. »

Les yeux fixés sur la silhouette du capitaine, la jeune femme se demandait s'il allait faire preuve de bon sens et gentiment changer de place. Parce qu'il fallait être raisonnable, seuls les plus inconscients ou les plus fous osaient résister aux caprices de la demoiselle qui passait plus de temps en retenu qu'en cours. Elle n'était pas dangereuse à proprement parlé mais elle pouvait se montrer réellement imbuvable quand l'envie lui venait. On ne la provoquait que rarement et elle ne cédait d'ailleurs jamais...mais faire de l'ombre au capitaine, c'était bien trop alléchant pour qu'elle se retienne. Et ce cher Kim, fidèle à lui-même, optait pour la voie la plus difficile. Il choisissait l'affrontement. Quoi de plus logique ? Après tout, même si Rian avait gravé son nom, ce serait honteux qu'une personnalité du lycée comme lui s'abaisse à obéir à une gamine comme il se plaisait à l'appeler. Ce sobriquet la fit ricaner.

Ce serait gênant que tu attrapes la grippe. Quel grand malheur ce serait pour l'équipe du lycée ! Sans parler de tes nombreuses admiratrices.

Se tenant toujours devant lui, continuant à le cacher de la chaleur du soleil, elle ne comptait pas bouger elle non plus. S'il n'avait pas saisi son allusion quant à la grippe, elle, savait parfaitement ce qu'elle allait faire. En effet, le ciel était dégagé, il n'y avait pas l'ombre d'un nuage. Si la fulgurance d'une averse n'était jamais à éloigner, le bleu azure de la voûte céleste n'en demeurait pas moins imperturbable. Et il faisait chaud. Elle l'oublierait presque...et cela lui donna envie de boire. Ainsi, elle s'abreuve de l'eau dans sa bouteille, toujours sans lâcher Kim des yeux. Quand elle estima ne plus avoir soif, elle reprit plusieurs gorgées d'eau, faisant gonfler ses joues...et puis...Elle leva le visage vers le ciel...et une fontaine, voire une pluie d'eau se déversa sur le pauvre capitaine de l'équipe de foot.

Tu devrais te lever. Il pleut souvent au-dessus de ce banc...Ou peut-être que tu as besoin de ta bande de pots-de-colle pour t'aider à soulever ton ego surdimensionné ??

Tout comme j’étais décidé à ne pas bouger, la fille campa sur ses positions également. Elle faisait en sorte de bien dissimuler le soleil, ce qui me fit soupirer entre mes dents. Elle fit alors une allusion au fait que ce serait dommage si j’attrapais la grippe, et je la fixais d’un air étonné, les yeux plissés par la clarté dans son dos. Mais avant que je n’ai eu le temps de poser une quelconque question, elle cracha une fontaine d’eau qui m’éclaboussa. Je me poussais jusqu’au bout du banc dans un sursaut et pestant.

« Bordel, c’est une manie chez les filles de jouer avec l’eau pour faire chier leur monde ? »

La fontaine humaine enchaîna sur le conseil qu’il valait mieux que je bouge, à moins que je n’ai besoin de mes… pots-de-colle ? Levant les yeux aux ciel, je frottais mes paupières closes du bout des doigts en soupirant. Tenir une réputation pouvait parfois être très lourd…

Me levant, j’allais me camper face à elle tout en essuyant les quelques gouttes qui restaient accrochées à ma peau. Tout sourire, je pris la parole avant de me rasseoir sur le banc en fermant les yeux, signifiant ainsi que j’en avais fini avec elle, même si je savais quelle-même n’en avait pas fini avec moi…

« Comme tu vois, je sais encore bouger mon ego tout seul, mais je te remercie de t’en inquiéter, d’une certaine façon. »

Une manie de jouer avec l'eau ? S'il savait le pauvre ! L'eau n'était même pas le début de ses problèmes. Elle espérait tout de même qu'il ait l'intelligence de ne pas la pousser à jouer vraiment. Non pas qu'elle ait peur ; elle désirait simplement pouvoir profiter de son banc le plus rapidement possible. Et elle savait aussi par expérience qu'elle avait énormément de mal à s'arrêter dès lors qu'elle commençait à jouer...et que généralement tout finissait dans un joyeux foutoir. Elle ne put s'empêcher de se demander pourquoi il faisait une généralisation de la gente féminine et du fait de jouer avec l'eau. Peut-être quelqu'un d'autre s'était-il rendu compte qu'il était un grand empêcheur de tourner en rond et l'avait également arroser...Elle devrait se renseigner au journal du lycée. S'il y avait quelque chose à apprendre, elle l'apprendrait de là même si demander des informations sur Kim lui écorcherait les lèvres...

L'espoir naquit à nouveau quand il se leva mais disparut aussi vite quand il reprit place sur son banc. Pas intimidée pour un sous, Rian resta sur place. Elle n'avait aucune crainte de se faire arroser. Partant du principe que celui qui tirait devait être prêt à se faire tirer dessus également, elle était toujours prête à essuyer les contre-attaques de ces adversaires. Sauf quand elle écrivait de sa plume assassine pour le journal du lycée car après tout, tout le monde ignorait qui était Saruman. Certains avaient leur gossip girl, mais ce lycée avait pire. Saruman. Elle. Et même s'il l'ignorait, c'était à ça que le capitaine allait faire face.

Tu n'as pas bougé ton ego tout seul. J'ai fait bouger ton ego en faisant pleuvoir le ciel. Tu peux me remercier. Ah, j'oubliais, les gens comme vous ne connaissent pas la gratitude.

Alors qu'elle lui répondait, elle n'avait toujours pas bouger de sa place, fouillant dans son sac pour en sortir un paquet de pistaches. Elle l'ouvrit distraitement sans lâcher l'adolescent des yeux...se demandant comment il pouvait être aussi apprécié.

Dis, tu penses que je pourrais faire partie d'un club de sport ?, lui demanda-t-elle le plus innocemment possible.

Elle ne cherchait pas de réponse à cette question. Elle pouvait faire partie d'un club. Sauf que le travail d'équipe n'était pas son fort. Elle avait les capacités, et elle devait bien être la plus rapide du lycée mais elle avait posé la question avec un tout autre dessein dans la tête. Prenant plusieurs pistaches, elle en dégusta quelques-unes avant de torpiller celui qui avait pris son banc en otage. Force était de constater qu'elle visait plutôt bien. Si une discipline 'lancer de pistaches" existait aux jeux olympiques, elle pourrait aisément briguer la médaille d'or.

La fille avait de la répartie, et un sacré égo également… Elle se prenait pour Dieu ma parole ?! Sa pique sur « les gens comme moi » me laissa de glace. Je connaissais la gratitude, mais cette fille ne la méritait absolument pas, contrairement à ce qu’elle s’imaginait.

« Je ne sais pas où tu as vu que tu méritais ma gratitude. A mon avis il n’y a pas que le ciel que tu fais pleuvoir, ton cerveau doit-être inondé lui aussi. »

Oui bon, d’un point de vue scientifique le cerveau baigne dans le liquide céphalorachidien, mais dans son cas, son liquide devait surement plus s’apparenter à de l’eau qu’autre chose… et son cerveau à une cacahuète en fait. Ou à une pistache, puisqu’elle semblait apprécier ce petit fruit à coque. Alors qu’elle venait d’ouvrir un paquet, elle me demanda si elle pouvait entrer dans un club de sport. Levant à nouveau les yeux vers elle, mettant une main en visière pour cacher un peu le soleil, je lui lançais un regard interrogateur. Je ne cherchais pas à lui répondre, ne voyant pas trop où elle voulait en venir, et même si je l’avais voulut elle ne m’en laissa pas le temps. Voilà qu’elle me crachait des pistache dessus maintenant ! Me levant d’un bon pour éviter les projectiles, je la fusillait du regard.

« T’es vraiment pas net comme fille ma parole… Pas net, et fatigante. Mais franchement, ça me ferait mal de te laisser ce putain de banc, tu devras te montrer plus ingénieuse encore. »

Balayant les restes de pistaches de la main, je me rassis une nouvelle fois en soupirant, ne lâchant pas la folle des yeux mais affichant à nouveau un petit sourire. Elle n’allait pas me faire craquer si facilement, même avec des pistaches dégoutantes ayant baigner dans sa bouche.

« Vas-y, montre moi ce que tu as dans le ventre puisque tu tiens tant à ce banc. On verra lequel de nous deux est le plus tenace. »

Je pouvais me montrer très patient quand je voulais, et si cette fille me fatiguait, au moins cela avait-il pour effet que je n’avais vraiment pas envie de bouger de là…

Rian n'était pas étonnée de ne pas entendre un seul mot de remerciement. Elle savait qu'il en était physiquement incapable et elle n'allait pas perdre de temps à lui apprendre la politesse. Elle aurait d'ailleurs été une bien piètre professeur elle-même. Elle pouffa tout de même, se retenant de lever les yeux au ciel. Il fallait vraiment que les sportifs laissent le sarcasme et l'ironie à ceux qui savaient l'utiliser. Il y avait une raison si on cantonnait les joueurs de foot...au foot, il y avait probablement une histoire de manque de neurones là-dessous.

Peut-être mais au moins j'ai un cerveau, moi, contrairement à toi.

Quand il se releva d'un bond pour éviter ses projectiles, elle ne put s'empêcher de rire comme une gamine. Un grand costaud comme lui, effrayé par de simples pistaches. Elle aurait du filmer la scène, cela aurait fait un terrible reportage pour le journal de l'école. Mais le moment était déjà passé et il ne servait à rien de se focaliser sur le passé...surtout quand elle était certaine d'avoir l'occasion de l'y reprendre.

C'est tellement mature, exactement le genre de comportement que j'attendais du capitaine de l'équipe du lycée. Dire que c'est un type comme lui qui représente notre établissement à l'extérieur ! On se demande pourquoi notre lycée se traîne cette réputation exécrable, monologua-t-elle sur un ton des plus tragique, tout en trifouillant dans son sac-à-dos.

Elle trouva bien vite ce qu'elle cherchait. Un petit caméscope tout ce qu'il y a de plus simple, l'un de ces appareils que l'on accordait au club de cinéma. Elle alluma l'engin et se mit à filmer le pauvre Kim, assis sur un banc qui ne lui appartenait pas.

Bonjour, ici Rabastan, le reporter spécial. Je me trouve devant le célèbre Kim Dong-Yul, capitaine de l'équipe de football. Vous noterez qu'il profite actuellement de ses heures d'étude pour brutaliser une étudiante d'un an sa cadette et qui est, en l'occurrence, votre très fidèle reporter. Oh et surtout, détail beaucoup moins glamour...il s'est fait pipi dessus, regardez cette tâche énorme sur son pantalon ! Je m'adresse à vous Madame Greyson ! Voilà ce que fait ce cher Kim lorsqu'il prétend aller à l'infirmerie ! Comment ose-t-il sécher vos cours pourtant si intéressants !?

Tout en parlant de la manière la plus audible possible, Rian bougeait sa caméra, fixant tantôt le visage de Kim tantôt les tâches que l'eau avait laissées sur ses vêtements, tantôt le bâtiment de l'école sur lequel une horloge géante était accrochée et indiquait ainsi l'heure. Pour ce qui était du passage concernant la professeur d'histoire, Rian s'était servie d'une information que nul n'ignorait...la femme ne supportait guère les sportifs et si elle pouvait lui donner une raison de plus de douter et de détester Kim, elle n'allait pas se gêner...car elle comptait bien faire publier cette vidéo.

Je ne serais pas étonnée d'apprendre que monsieur Yul se drogue car son urine dégage une odeur des plus horrible. Alors, cher capitaine, qu'avez-vous à dire pour votre défense ?

La fille continuait sur sa lancée, répondant qu’elle au moins avait un cerveau. Réplique puéril et à peine recherchée. Je ne pris même pas la peine de réagir. Par contre, je la fusillais du regard alors qu’elle riait au éclat à mon sursaut pour éviter ses pistaches. Alors que je me rasseyais, je laissais aller ma tête en arrière en soupirant et fermais les yeux, tout ça disant « Cause toujours, tu m’intéresse », la fille monologuant sur mon comportement et le fait que je représente notre lycée, en donnant une image exécrable selon ses dires. Mais qu’est-ce qu’elle pouvait être chiante. Elle attendait quoi, que je m’énerve ? Elle me donnait plutôt envie de dormir là. Toutes ses pseudos affirmations me passaient bien au-dessus de la tête. Qu’elle s’invente ce qu’elle veut, ma réputation voulait que ma parole pèse plus que la sienne dans la balance.

La fille sortit alors un caméscope et commença à me filmer. Je rouvris les yeux et écoutais ses paroles en fronçant les sourcilles. Une fois qu’elle eu terminer de déblatérer ses bêtises, elle me donna la parole. Je la fixais un moment, étonné qu’elle ai eu le culot d’aller jusqu’à essayer de me discrédité par vidéo. Prenant une grande inspiration, je fini par lui répondre sur un ton grave.

« De nous deux, ce serait plutôt moi qui devrait me plaindre d’être tombé sur emmerdeuse pareille. Et ta plaisanterie sur la pisse et la drogue tu la garde pour des gamins de ton âge l’arroseuse. Pour ce qui est de cette chère Madame Greyson, elle ne me laisse pas aller à l’infirmerie quand je le lui demande, désolé de te décevoir mais j’assiste avec bonheur à tous ses cours. »

Ou pas. Mes dernières paroles étaient emplies de sarcasmes, le tout accompagné d’un sourire mielleux à souhait qui s’effaça aussitôt ma réponse terminée. Il fallait être débile pour croire que les tâches d’eau était de la pisse, où alors assez intelligent pour m’expliquer comment j’avais réussi à pisser sur mon t-shirt aussi. Je repris en me levant pour détourner la caméra d’un geste du bras.

« Revois tes infos avant de raconter des conneries, ce n’est pas comme ça que tu vas réussir à bousiller ma réputation. »

Si elle diffusait cette vidéo et que quelqu’un avait le malheur, ou plutôt était assez con pour la croire, il aurait vite fait de le regretter.

Les sportifs se pensaient tellement hors du lot qu'ils ignoraient que la moindre broutille pouvait détruire leur réputation. Car c'était ainsi que les choses fonctionnaient. Plus vous étiez populaires, plus il était facile de vous faire tomber. Le temps qu'il mettait à répondre après qu'elle lui eut offert la parole n'allait que plus l'aider à le discréditer, appuyant l'idée qu'on ne pouvait pas être sportif et intelligent. Quand il prit enfin la parole, il parla longuement, essayant de contrer les propos de la jeune asiatique. Plus elle le filmait, plus elle avait envie de présenter un documentaire sur les sportifs à son examen de fin d'année au club de cinéma.

Voilà encore une belle preuve de la vulgarité de nos cher sportif. Je rends l'antenne, à vous les studios !

Quand il se releva, elle continua de filmer mais éloigna vivement l'objectif du lycéen. Elle ne tenait pas à ce que cette brute sans cervelle lui casse son précieux instrument de travail. Elle devait faire attention à conserver son shooting à tout prix pour pouvoir ensuite le modifier à sa guise, le monter et lui faire dire ce que bon lui semblait...et ainsi répandre la rumeur à travers Saruman, son alter-ego.

Rassure-toi tant que tu le peux.

Parce que Rian pouvait être très appliquée quand il s'agissait de pourrir la journée d'une personne. Cela serait bien cher payé pour une simple place sur un simple banc. La reporter en herbe avait plus d'un tour dans son sac, et elle était bel et bien prête à mettre son talent de peste à l'oeuvre pour parvenir à ses fins...Davantage encore désormais qu'elle avait une nouvelle perspective à creuser.

Mon banc contre la sécurité que je n'envoie pas cette vidéo au journal du lycée.

Je levais les yeux au ciel à sa remarque sur la vulgarité des sportifs. La fille recula de façon à mettre la caméra hors de ma portée. Comme si j’allais lui exploser dans la figure… Même si l’envie ne manquait pas en fait.

A son ultimatum, je ne pus m’empêcher de rire. C’est qu’elle était sérieuse, elle comptait vraiment envoyer ces conneries au journal. Passant une main dans mes cheveux en riant toujours, je pris quelques inspirations avant de lui répondre.

« Waw, quelle menace, je suis mort de peur. Pitié, n’envoie pas cette vidéo au journal pour qu’ils en fassent un montage idiot. Tellement de gens y croirons, et surtout ils ne risquent tellement rien en s’attaquant à moi. Oh mais au fait, t’es pas censé être en cours toi ? »

J’avais parlé sur un ton emplis de sarcasme, faussement effrayé et à peine lourd de sens. Sauf sur la fin, où j’avais repris tout mon sérieux. Bien sûr si cette vidéo était bel et bien publiée ça allait me causer quelques problèmes, mais j’avais suffisamment de relations et d’influence pour retourner la situation en ma faveur. Et puis les membres du journal savaient ce qu’ils risquaient en s’attaquant à moi, contrairement à cette fille.

Fatigué, je me rassis une nouvelle fois en soupirant.

« Vas voir ailleurs si je n’y suis pas. Quant à ta vidéo, tu risques de pourrir la vie de beaucoup de gens en la postant, mais surement pas la mienne, alors fais ce que tu veux. »

Alors qu'il éclatait de rire, Rian s'empressa de se remettre à le filmer, s'assurant toujours de garder ses distances. Elle ne rata donc rien de son sarcasme et de ses menaces à peine voilées. Seulement le sportif ignorait une chose. Rian n'avait peur de rien. Enfin, elle avait peur de beaucoup de choses mais le capitaine de l'équipe de foot ne faisait pas du tout partie de sa liste de phobies. Voilà pourquoi elle estimait qu'elle ferait une bonne journaliste et reporter. Elle ne craignait pas les représailles ni le chantage. Son empathie frôlait le zéro et elle se fichait donc bien des dégâts collatéraux que pouvaient amener ses investigations. Tout ce qui comptait, c'était de dénoncer encore et toujours. Ses lèvres se retroussèrent en un sourire moqueur.

Hé, le sportif, laisse le sarcasme aux personnes intelligentes, ça ne te va vraiment pas, lâcha-t-elle en levant les yeux au ciel. Mais c'est vraiment sympa de ta part de m'offrir tes menaces comme ça. Elle retourna alors la caméra vers elle, entrant à nouveau dans son rôle de reporter sur le terrain. Je suis toujours en compagnie de Kim, le capitaine de l'équipe. Et je vous apprends que non seulement il martyrise une innocente élève mais qu'en plus de cela, il se pense tellement au-dessus de vous mes chers camarades qu'il se permet de vous menacer ouvertement ! Que croit-il ? Pense-t-il vivre dans une dictature de laquelle il serait le chef ? Je vous laisse méditer à ce sujet ! A vous les studios !

Elle fit encore quelques pas en arrière, réajustant la lanière de son sac à dos sur son épaule. Elle haussa ces dernières quant à la question qu'il avait posée en pensant lui poser une colle. Il aurait pu la piéger oui. Mais elle était en possession de sa caméra et de plus, il y avait une explication logique à sa présence sur les lieux. Elle avait pris un cours de cuisine comme option en plus de celui de mécanique. Elle était beaucoup plus douée pour l'un que pour l'autre. Et après avoir failli ébouillanter le professeur, après avoir brûlé trois casseroles et cinq tabliers, on lui avait gentiment demandé de quitter la classe et plus vite que ça.

Le prof m'a virée du cours si tu veux savoir. Et je pensais pouvoir me reposer sur mon banc, je ne m'attendais pas à y trouver un crétin.

Voyant qu'il reprenait place sur son banc, Rian lui cracha une nouvelle fois dessus.

Continue à te rassurer si ça peut te faire plaisir.

La fille continua son manège d'enregistrement après m'avoir lancé une pique sur mon sarcasme. Elle ne connaissait tellement rien de moi, tout comme l'ensemble du lycée en fait. Je laissais échapper un soupire lasse, non pas à cause de cette chieuse qui ne voulait pas me lâcher les basks, mais bien a cause de rôle que j'avais hâte de quitté une fois l'école finie.

A ma question sur ses cours, elle haussa les épaules en répondant que le prof l'avait virée. Cette idée m'arracha un sourire. Virée du cours, rien que ça. Si seulement mes professeurs pouvaient en faire autant, mais ils avaient vite devinés que cela me faisait plus plaisir qu'autre chose, et ils préféraient donc me supporter à leur cours plutôt que de me mettre dehors. Des profs intelligents, quelle horreur.

Alors que je reprenais place, la fille me cracha une nouvelle fois dessus. Cette fois s'en était trop. Me passant les mains sur le visage en rageant, je tournais lentement les yeux vers elle et lui lançais un sourire noir.

« T'es vraiment chiante comme fille. Et tu sais quoi, fait ce que tu veux. De toute façon, les cours vont reprendre, alors vas-y, fait toi plaisir les cinq minutes qui reste. Tiens, je te rend ton banc chéri. »

Sur ces mots, je me levais et reculais en direction des bâtiments. L'heure de pause était finie, il était grand temps de changer d'air. Lui lançant un dernier salut de la main, je me retournais en serrant les poings. Autant dire qu'elle m'avais mis de mauvais poils, et que cette histoire de vidéo allait certainement poser problème, ce qui n’arrangeait rien à mon humeur. Le reste de la journée allait être laborieux...

HJ:

Rian sourit. Kim venait de lui dire qu'elle était chiante. Elle ne s'en offusqua pas, on lui avait dit tellement de fois qu'elle avait fini par prendre l'insulte comme un compliment. Le jeune homme n'avait pas tort, les cours reprendraient bientôt mais elle s'en fichait. Finalement, elle avait gagné. La justice triomphait toujours. Personne ne résistait à la technique dite du "lama". En fait, elle avait eu de la chance. Si ce Kim n'avait pas été une personne calme, elle aurait certainement pris une nouvelle raclée...enfin s'il était parvenu à l'attraper et ça, ce n'était pas dit. Quoiqu'il en soit, le capitaine de l'équipe avait fait preuve d'un self contrôle admirable mais Rian ne le lui fit pas remarquer, elle passa carrément au-dessus. Trop fière de son exploit, elle avait entamé une dance de la victoire, affichant avec joie un énorme sourire. Une fois sa dance arrêtée, elle remit avec soin son appareil dans son sac, sac qu'elle referma par précaution. Kim était déjà à quelques pas du banc quand elle s'en approcha. Plaçant ses mains en porte voix, elle comptait bien le remercier...quand son regard tomba sur les fameuses gravures qui ornaient le banc. Elle fronça les sourcils...elle s'était trompée de banc ! Enfin, en quelque sorte. Le banc que Kim occupait était celui de l'année dernière. Elle en avait gravé un nouveau le jour précédent mais était revenue vers celui-ci par habitude. Choquée de son erreur, Rian se pinça la joue. Elle avait attaqué un innocent, elle avait utilisé la technique du Lama sur un innocent. Gênée, la jeune femme poussa un couinement aiguë. Hé Kim. Je suis désolée, hurla-t-elle presque paniquée. Sans rancune ? Pas parce qu'elle craignait des représailles du capitaine (il devait probablement être trop mature pour ça) mais parce qu'elle craignait bien le retour en force du Karma. Apeurée, Rian s'écarta du banc comme s'il était en feu. Elle passa nerveusement une main dans ses cheveux non sans grommeler des insultes à son encontre. Elle n'avait pas intérêt à rester sur les lieux du crime. De toute façon, elle n'avait pas le temps. Découragée, elle fonça droit vers les toilettes des filles, elle espérait pouvoir s'y cacher le temps que le Karma l'oublie.