Seth ferma les yeux. Au milieu de cette bâtisse abandonnée qui abritait ses entraînements, il se sentait toujours tendu. Aux aguets, tous les sens en alerte, il prit conscience des choses qui l'entouraient. Il connaissait l'endroit par cœur, la vue ne lui étant plus d'aucune utilité pour se déplacer en ces lieux. Un souffle léger quitta ses lèvres alors que son corps à moitié nu frémissait. Il n'avait pas froid, bien au contraire. Au dehors, les températures étaient élevées et il ne lui faudrait que quelques exercices pour être en sueur. Son souffle se ferait lui aussi plus rauque, le taux d'oxygène dans l'air n'étant guère favorable à ce genre de pratique. Cela faisait néanmoins partie du jeu, il le savait. De plus, faire des efforts dans des conditions pareilles décuplaient les effets de l'entraînement. Sa musculature en ressortirait plus fortifiée encore et il gagnerait en endurance. Que pouvait-il demander de plus ? Innocemment, Seth songea à toutes les choses qu'il désirait, un visage s'imposant naturellement dans son esprit. Un sourire vint fleurir ses lèvres alors que dans sa tête il retraçait déjà les contours du visage de la jaguar que son cœur chérissait. Un léger craquement brisa pourtant sa rêverie, ses yeux s'ouvrant par réflexe. A quelques mètres de lui, il vu un rat d'une belle taille qui se déplaçait avec lourdeur, l'estomac visiblement repu. Il trouva étrange de voir un animal mieux nourrit qu'un homme, mais une réponse lui apparu rapidement. Le rongeur avait probablement dut se servir sur le cadavre pourrissant d'un libre mort dans les environs.

D'un geste lent et maîtrisé, il souleva le sabre qui suivit avec fluidité les mouvements imposés par son bras. Il en apprécia le poids, exécutant quelques mouvements pour en vérifier l'équilibre. C'était la première fois qu'il empruntait cette arme à l'armurerie, mais il se sentit tout de suite en phase avec elle. Il n'avait pas l'audace de dire qu'elle était faite pour elle, mais une part de lui pensa à ce détail. Seulement, la vérité le rattrapa comme toujours. Cette lame ne serait jamais sienne. Il était d'ailleurs étrange que l’armurier suspicieux continue de lui prêter de façon presque journalière un sabre. Il avait bien essayé d'en savoir plus, sans succès. Sur ce sujet là, Seth se montrait aussi muet qu'une tombe.

Après avoir enchaînés quelques frappes pour chauffer ses muscles, Seth se lança à l'attaque. Depuis l'apparition du rat, il avait gardé les yeux fixés sur lui et l'avait tout naturellement désigné comme adversaire. Malgré la grosseur de son ventre, le rongeur se déplaçait vite et avec bien plus de souplesse qu'il ne l'aurait cru. Il galopait en couinant sur le sol, cherchant une sortie à la façon d'un pitoyable couard.

— Tu ne peux plus fuir.

Un rictus déformant ses lèvres, il faucha la bête en plein saut. Le corps retomba à terre en deux morceaux, la vie le quittant avec empressement. Un instant plus tard, Seth retrouva sa place initiale. Il haletait, sa peau luisante de transpiration brillant sous un rayon de soleil perçant par le toit. Un nouveau bruit vint déranger le calme de son entraînement, mais cette fois il émanait sans doute aucun d'un homme. Avec précipitation, l'aigle se saisit de son t-shirt et s'essuya le visage avant de l'enfiler. Il cacha maladroitement le sabre derrière les débris et se tourna vivement vers le nouvel arrivant. Ses traits se décomposèrent bien vite lorsqu'il constata que l'armurier venait de faire son apparition.

— Alors c'était ça. L'homme alla chercher l'arme, essuyant au passage le sang sur sa lame. Pourquoi te caches-tu ? Il n'y a aucune honte à s'entraîner pour devenir plus fort.

Seul le silence de Seth lui répondit. L'idée que quelqu'un ait pu le voir l'insupportait au plus au point, mais il craignait surtout que l'histoire s'ébruite. Certes, il n'y avait aucune honte à cela, mais il n'était qu'un débutant. Et à son sens, un débutant n'avait pas à montrer ses piètres performances aux autres. Quand il s'agissait de la voie du sabre, l'aigle n'avait aucune confiance en lui. Pourtant, il poursuivait le rêve de devenir comme son chef depuis des années. Il l'observait d'ailleurs dès qu'il le pouvait, répétant ses mouvements jusqu'à les faire siens.

— Soit, je garderais ton secret. Tu as tes raisons et je n'ai pas le droit de les juger. Néanmoins, n'oublie pas que la perfection n'existe pas. Tu te briseras avant de l'atteindre et personne ne connaîtra jamais tes efforts. C'est vraiment ce que tu veux ?
— Merci. Il avait parlé sèchement. Je vous laisse le sabre.

Entendre cet homme lui parler de la sorte mettait à mal son ego. Le visage fermé, il fit volte-face et sortit de la maison avec une certaine précipitation. Savoir l'armurier dans la confidence ne le rassurait pas, mais il ne pouvait que lui faire confiance en espérant qu'il sache tenir sa langue. Et si jamais le pire devait se produire, il lui apprendrait à tenir sa bouche fermée.