Basile n'était pas un homme prétentieux. Il était bien dans sa peau et avait toujours eu les pieds sur terre. Il fallait dire qu'il avait vite appris avec ses trois grands frères - tous d'anciens Membres - qu'il valait mieux se connaitre et ne pas laisser l'orgueil prendre le dessus. En tant qu'Aigle, il faisait pâle figure en comparaison de leurs propres parcours, mais cela ne voulait pas dire non plus qu'il n'était rien. Ainsi, il n'avait jamais été mis en face de sa propre erreur de jugement. Lorsque Kim Dong-Yul lui avait annoncé la punition, il avait songé que cela ne serait sûrement pas si difficile de vivre sans rations. Pourtant, la vérité avait été toute autre. Maintenant qu'il vivait comme eux, il éprouvait bien plus de respect pour ces Libres qui se débrouillaient pour trouver le nécessaire vital. Sa charge de travail doublée n'arrangeait rien et au bout du cinquième jours, il prit son tour de garde avec beaucoup de difficultés. Il n'avait rien avalé depuis une éternité et sa dernière gorgée d'eau remontait à la veille. La sentinelle qui l'avait relayée avait eu pitié de lui et avait bravé l'interdiction en lui faisant boire le fond de sa gourde. En plus, la faim et la soif le torturaient tellement durant la nuit qu'il dormait à peine et s'épuisait donc à vue d’œil. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, à peine plus vivant qu'un cadavre. Si jamais un intrus s'était présenté, il l'aurait certainement mis à terre d'une simple poussée. Quelle décadence !

La journée était déjà bien avancée lorsqu'il entama sa ronde le long de la frontière séparant l'Est du Sud. Malgré la chaleur, il frissonnait sous l'effet d'une poussée de fièvre et peinait à marcher droit. Sans s'en rendre compte, il quitta la zone réservée des Aigles et se retrouva sur la route de traverse considérée comme neutre. Ses pas étaient lourds, ses chaussures raclant le sol menaçaient même de le faire chuter. Il voulait juste s'affaler à l'ombre pour s'endormir jusqu'à la fin de cette punition qu'il jugeait de plus en plus cruelle au fur à mesure qu'elle avançait. D'ailleurs, c'est ce qu'il finit par faire. Ou plutôt il s'écroula sur le chemin poussiéreux, le visage collant de sueur. Bientôt, il ne ressentit même plus les lancements de ses muscles, ni les gargouillements de son ventre affamé. Il était bien, perdu dans le brouillard d'une inconscience bien plus douce que la réalité.