Cela faisait plusieurs jours qu'elle avait ce mauvais pressentiment, cette boule au fond du ventre qui lui intimait que quelque chose de mauvais allait arriver. Elle traînait cette impression bien avant la rébellion et elle ne s'était pas évaporée après. C'était même pire. Elle se réveillait la nuit, en sursaut. A plusieurs reprises. Parfois ses ongles étaient si profondément enfoncés dans la paume de ses mains qu'elle pouvait sentir le sang chaud glisser entre ses doigts. Mais ce n'était pas des séquelles de l'attaque. Elle était hantée par ces cauchemars avant et ils n'allaient qu'en s'amplifiant. Et ce n'était pas la rébellion, elle en était certaine. C'était pire. C'était quelque chose qu'elle ne pouvait contrôler. Dans ces moments, l'étau de ces visions nocturnes, et depuis peu diurnes, se resserrait si fort autour d'elle qu'elle en perdait le souffle. Elle haletait, son corps était parcouru de frissons, secoué par des sanglots silencieux. Et pendant ces interminables secondes, elle n'était capable de rien. Et cela n'avait rien à voir avec la rébellion. C'était à cause d'une pair d'yeux. Des yeux bleus, froids et tranchants. Des yeux qu'elle saurait reconnaître entre mille, si semblables aux siens. Elle avait pourtant cru que toute cette histoire était derrière elle, profondément enfouie dans les méandres de son esprit mais elle avait tort. Même Aiden commençait à la questionner sur son sommeil agité. Depuis elle évitait de passer la nuit à ses côtés. Et elle ne pouvait en parler à personne. Qu'iraient-ils raconter à son sujet ? Que la bleue faisaient des cauchemars la nuit. Qu'elle avait peur du noir. Que la perte de son amie lui pesait. Mais ils auraient tort, Asha n'en avait rien à faire de Killua comme de tous les autres morts cette nuit-là alors elle se taisait. Ce n'était pas les yeux bleus de la blonde qui la fixaient, c'était ses yeux accusateurs à lui, l'autre. La jaguar savait que sa réaction était disproportionnée ; elle s'en voulait de réagir de la sorte. Et elle bénissait le peu d'heures de sommeil qui avait accompagné la rébellion. Elle avait évité de fermer les yeux, ne s'autorisant que quelques minutes pour se reposer. Mais il finissait toujours par revenir la hanter, même en plein jour. La moindre ressemblance, le moindre laisser-aller la replongeait dans ces mauvais rêves. De fait, la jeune femme essayait toujours d'être occupée et d'empêcher que son esprit ne vagabonde dans les fléaux de son subconscient. Les résultats étaient néanmoins loin d'être concluants. Cette situation n'allait plus, elle avait besoin de se défouler un bon coup, se fichant de la rébellion qui s'était déroulée il y a trois jours de ça, se fichant des morts entassés, des larmes versées, des conséquences irrévocables. Elle avait besoin d'un rush d'adrénaline et elle savait exactement où le trouver...si elle cherchait bien. Elle se dégagea vivement de ses draps, enfila rapidement des vêtements trouvés à terre et attrapa les deux sabres qu'elle n'avait pas quittés depuis la nuit de l'attaque. Si elle avait pensé rejoindre le quartier des jeux dans un premier temps, elle chassa rapidement cette idée. Elle ne voulait pas prendre le risque de croiser quelqu'un, elle voulait de l'aventure, de l'adrénaline, elle voulait se consumer de l'intérieur et puis exploser. Se mordillant nerveusement la lèvre, elle savait qu'elle risquait de prendre cher si elle allait au bout de son idée, si elle se faisait attraper tout du moins. Le niveau de sécurité sur le territoire n'avait pas été revu à la baisse et passer la frontière sans explication, même en pleine nuit, allait être un vrai calvaire. Aussi, Asha se fit le plus discrète possible, optant pour un passage rapide et prudent. Elle allait rejoindre l'extérieur de la ville, ce lieu de non-droit total. Elle pensait avoir réussi son coup quand la voix d'une sentinelle résonna derrière elle. Mentir. Elle n'avait pas d'autres choix. Décidée à aller jusqu'au bout de son plan, la jaguar baratina allégrement le jeune homme qui lui faisait face, lui offrant sourire et regard doux afin qu'il baisse la garde. Après plusieurs minutes de discussion, il sembla baisser la garde. La colère ne put que gronder en elle quand une seconde sentinelle le rejoignit et ce dernier semblait bien moins arrangeant que son ami. Et même dans le noir, la jeune femme pouvait aisément contempler le bleu de ses yeux. La mâchoire serrée, prise par une pulsion incontrôlable, elle écrasa son poing en plein dans le nez de l'empêcheur de tourner en rond avant de lui sauter dessus pour le rouer de coups. S'il ne voulait pas qu'elle se défoule contre des Libres, il n'avait plus qu'à assumer et il serait bien chanceux qu'elle ne lui arrache pas les yeux dans son hystérie passagère. Ce n'est pas un idiot comme toi qui vas m'empêcher de faire ce que je veux. Sa voix était posée, glaciale pourtant elle pouvait sentir le tremblement de ses mains et un malaise étrange prendre possession de son être.

Tu prends une longue inspiration. L'attente te ronge littéralement. Assis à même le sol, tu scrutes le visage impassible d'Alessandra. Depuis son réveil deux jours plus tôt, elle n'a plus émergé. Tu ne sais pas trop quoi penser de cet état et malgré les mots rassurants de Charly, tu t'inquiètes. Une part de toi à peur qu'elle ne se réveille jamais. Tu es même terrorisé à l'idée que son cauchemar finisse par engloutir sa raison. Tu l'as déjà perdu il y a bien des années et tu ne supporterais pas qu'elle t'échappe une nouvelle fois, tu serres donc plus fort ses doigts pour lui signifier ta présence. Tu espères qu'ainsi elle sentira qu'elle n'est pas seule et qu'elle peut compter sur ton soutien. Dès que tu as une minute à toi, tu viens dans sa chambre et tu y restes enfermé jusqu'à ce que l'on vienne t'y chercher. Souvent c'est Aria qui s'en charge. Elle ne sait plus trop quoi faire avec toi et évite désormais tout commentaire ou plaisanterie susceptible de te faire flancher. Elle a compris que tu étais sur la corde raide, dangereusement penché vers le vide et que le moindre souffle de vent te conduira directement dans l'abysse. Le temps que tu ne passes pas au côté de ta sœur, tu le passes au final à tenter de conserver ton calme en attendant de pouvoir la retrouver. Autant dire que tu ne te montres pas particulièrement efficace lors de tes heures de service. Tu n'es pas le seul, des âmes errantes, il y en a beaucoup sur le territoire depuis la rébellion. Nombreux sont ceux qui ont bien trop perdus pour rester sain d'esprit. Dans ton cas, la folie te guette purement et simplement. Tu es un barge en devenir, seul le destin d'Alessandra saura dicter ton comportement futur.

Il fait nuit noire lorsque tu te retrouves finalement dehors. Tu ne travailles plus aux champs pour le moment mais tu continues à faire le guet en tant que sentinelle. Ta tâche t'a aujourd'hui beaucoup éloignée du quartier général et cela ne te réussit pas. Tu ne peux t'empêcher d'imaginer la panique dans son regard si jamais elle venait à se réveiller en ton absence, seule dans cette chambre souillée de cauchemars. D'une main maladroite, tu te saisis de la gourde à ta ceinture et tu avales une rasade d'alcool bien camouflé pour effacer tes mauvaises pensées. Tu es plus alcoolisé que de raison, la fatigue et la peur te rendent plus prompt à succomber aux effets néfastes de la boisson. En plus de ternir ta vision, ils t'approchent plus encore du fossé qui s'est creusé juste au bord de tes chaussures. Si quelqu'un te voit dans cet état, tu te feras sérieusement sermonné mais tu t'en moques. Qu'on ose te faire une remarque et tu éclateras. Il n'est déjà pas bon de te titiller en temps normal mais cette fois, c'est pire. Tu es une bombe à retardement qui se balade au détour des ruines dans l'espoir d'exploser. Au fond de toi, tu le sais : faire un massacre, tu en rêves. Tu as la sensation qu'en faisant couler le sang, tu pourras peut-être te reprendre. Tu veux te battre. Tu veux cogner. Tu veux serrer les poings et détruire ce qui t'entoure avant que l'espoir ne te glisse entre les doigts. Tes muscles sont trop tendus alors tu prends une nouvelle gorgée en espérant que la tension disparaisse. Grossière erreur. Le goût de l'alcool de chou s'insinue dans ta bouche et descend comme une traînée brûlante dans ta trachée alors que tu avales de travers. Tu tousses et recraches le tout, ta main prenant appui contre un mur. Ta respiration est haletante et ton cœur bat trop fort suite à la frousse que tu as eu. Durant un millième de seconde, tu t'es vu étouffant. Cela ne te ramène que trop vite à cette nuit au lac et ton esprit te force à ressentir cette sensation angoissante que tu n'as pourtant pas vécu. Ce n'était pas toi dans l'eau. Malheureusement. Ton poing s'écrase mollement contre la pierre et tu siffles entre tes dents. Tu ne te supportes plus. Il faut que cela cesse et tu ne connais qu'une seule façon d'évacuer les sentiments ardents qui t'animent. Dès que le sang cesse de pulser à tes tempes, tu te redresses et tu te mets en chasse. Tu frôles les frontières précaires des Jaguars en espérant voir venir quelqu'un. Un Libre, un Membre, n'importe quoi. Tu te fiches qu'il ne soit pas un ennemi, tu veux juste croiser la route d'une personne qui te permettra d'assouvir tes pulsions.

Dans ton malheur, il faut croire que la chance est aussi un peu avec toi. Au loin, tu discernes quelques silhouettes. Ta vision floutée et l'obscurité t'empêche de mettre un nombre sur elles mais en t'approchant, tu finis par en compter trois. Non une. Deux d'entre elles ont soudain disparues et tu te demandes un instant si tu n'hallucines pas complètement. Tu passes la main sur ta peau brûlante pour te remettre les idées en place et tu constates en comblant de plus en plus la distance que l'une d'elle est ramassée sur l'autre. Ton cœur manque un battement alors que ton cerveau déchiffre tant bien que mal la scène qui se déroule sous tes yeux. Des gens sont en train de se battre. L'idée fait fleurir un sourire sur tes lèvres et tu presses le pas. Ce mirage te paraît trop beau pour être vrai mais tu souhaites tenter ta chance. Déjà, tes doigts prennent possession de ton poinçon qui tourne lentement hors de ta manche. Tu brûles de le lancer. L'homme qui est encore debout fait une cible divine. Refrénant ton envie, tu continues ton approche jusqu'à pouvoir mettre une appartenance sur ses corps. Aucun doute, ce sont des Jaguars. Le type campé sur ses deux pieds paraît en proie au doute alors qu'une furie brune se déchaîne sur un pauvre bougre. Au moment où il se décide à passer à l'action, sûrement pour aider son compagnon, tu aperçois l'éclat d'un œil bleu au milieu de cette crinière qui danse dans la nuit au rythme de sa fureur.

KAHLAN – Asha.

Tu murmures à peine son prénom. Tu le fais pour toi, pour personne d'autre. Ta voix est déjà morte dans l'air depuis longtemps lorsque tu lances. C'est plus fort que toi. Ton arme va se ficher dans la cuisse de la sentinelle qui hurle autant sous le mal que sous la surprise. Visiblement, personne ne s'est rendu compte de ta présence jusqu'à cet instant fatidique. Tu ne sais pas exactement pourquoi tu es passé à l'attaque. Probablement car les sentiments qui animent la fille font écho avec ceux qui t'enserrent douloureusement le cœur.

Lorsque tu arrives à proximité de lui, le Jaguar blessé affiche un regard horrifié. Il te connaît et ne comprends pas cette action sournoise. Il peine à rester debout, sa main n'osant pas toucher l'arme qui lui a percé la jambe. Son immobilisme t’écœure, tu arraches brutalement ton projectile et un rictus mauvais s'imprime sur ton visage.

KAHLAN – Désolé mec, j't'ai pris pour un Libre.

Cette excuse ne bernera personne mais tu te contrefiches des conséquences. Tu n'agis pas non plus pour protéger la fille, elle sait très bien se défendre toute seule. Durant un instant, tu ne penses plus à rien. Il y a juste le sang qui colore ta main et le poids léger de ton arme entre tes doigts.

Ses poings s'abattaient encore et encore sur le visage de la sentinelle, dans une pluie de rage et de douleur. Ses doigts s'égratignaient sur l'arrête de son nez, sur ses pommettes saillantes, sur sa mâchoire carrée mais Asha ne les sentait plus, Asha ne sentait plus rien. Elle avait soif, sa conduite était dictée par ce besoin viscérale de faire couler le sang, de sentir son cœur battre dans sa poitrine. A chaque coup porté, elle sentait son esprit s'évader, plus loin toujours plus loin et doucement l'étau relâchait son étreinte autour de son corps tremblant. Sa sanité d'esprit ne tenait plus qu'à un fil, toute trace de lucidité la quittant à mesure que ses poings s'écrasaient sur le visage désormais méconnaissable du jaguar. Elle repensait à lui. Comment parvenait-il encore à la mettre dans un état pareil sans le lever le petit doigt ? Il n'était pas là. Près de dix ans séparait leur dernière journée ensemble. Finalement, Asha n'était qu'une idiote naïve. Finalement, elle s'était pensée plus forte que les autres, elle s'était persuadée qu'elle réussirait à vivre sans la moitié de son âme, qu'elle n'aurait qu'à poser un voile sur dix années de vie pour ne plus jamais y penser. Mais il lui suffisait de fermer les yeux et son visage se dessinait dans le noir, sa peau pâle, ses yeux bleus, son sourire presque niais. Elle refoulait ces moments où son esprit s'égarait, où prise de manque, noyée dans la nostalgie d'être à nouveau complète, elle l'imaginait à ses côtés. Dans ces instants perdus, elle peignait les traits harmonieux de son visage, sans parvenir à restituer l'air innocent et enfantin qui l'avait, à ses yeux, toujours caractérisé. Parfois, elle prononçait son prénom à voix basse, comme si elle voulait le ramener, le faire vivre à nouveau, comme si elle s'attendait à ce qu'il lui réponde, dans un écho. Elan, murmurait-elle et sa voix mourrait dans un silence de plomb. Il lui fallait alors toute la force du monde pour s'arracher à ces souvenirs ou à ce futur sur lequel elle avait fait une croix. Elle savait qu'il n'était pas mort, elle l'aurait senti. Elle aurait pourtant tout donné pour se persuader du contraire, pour ne plus être hantée par sa silhouette qui la chassait trop souvent ces dernières nuits. Pour oublier cette absence qui la poussait à agir comme ce qu'elle devait être au fond : une sauvage. Une sans cœur, privée de la moindre empathie pour son prochain. Incapable de préserver la moindre relation saine. Tout ce qui était bon, elle le rejetait avec force et cruauté.

Sans en prendre conscience, Asha avait fini de frapper et dans le silence de la nuit, elle n'entendait plus que les pleurs de sa victime. Des râles de douleur qui faisaient écho aux larmes qui ne coulaient plus depuis si longtemps sur les joues creuses de l'adolescente. Les sanglots la ramenèrent brutalement à la réalité. Elle avait les mains souillées par le sang, les doigts égratignés et un goût ferreux sur la langue. Fixant ce visage enlaidi, elle ne mesurait pas pleinement la gravité de son acte. Pire, elle n'éprouvait pas une once de culpabilité, son visage ne quittant pas une seconde cet air faussement détaché qui la caractérisait tant. Elle se releva doucement, prête à quitter les lieux d'un crime pour lequel elle paierait probablement. Fermant et ouvrant le poing pour dégourdir ses doigts, le décor reprenait lentement sa place autour d'elle. Tout s'abattit sur elle en même temps ; l'air froid de la nuit vint lui glacer les os tandis que l'autre sentinelle se rappelait à elle. Elle se tourna vivement vers lui. Guettant la moindre réaction sur son visage horrifié, son visage déformé par la douleur et la crainte la laissa perplexe. Ils étaient deux, ils auraient du reprendre le dessus sur elle. Dardant un regard observateur vers lui, ses yeux s'arrêtèrent sur une plaie ouverte au niveau de la cuisse. Et il lui suffit de suivre la direction de son regard pour découvrir la source de cette blessure. Kahlan. Kahlan l'avait couverte. Ce fut pourtant à Aiden qu'elle pensa alors qu'elle plongeait son regard dans celui du jaguar. Elle pensa à sa réaction quand il apprendrait ce qu'elle avait fait. Et puis, elle l'oublia, elle remit son ton accusateur dans un coin de son esprit. A l'instant présent, elle n'avait pas besoin qu'on lui fasse la morale, qu'on lui rabatte les oreilles avec des choses dont elle se fichait, elle avait besoin qu'on lui fiche la paix, qu'on ne lui pose pas de questions. Elle n'avait pas besoin d'Aiden, elle préférait la présence du brun à celui du blond.


Son visage se fendit d'un sourire franc, ses yeux pétillèrent de malice. Elle voulait qu'il la comprenne, qu'il se joigne à elle dans sa quête insensée de l'adrénaline. Elle voulait qu'il l'aide à se sentir en vie, à tromper l'ennuie pour une nuit, à oublier la hantise du regard trop bleu qui la torturait à chaque fois qu'elle gardait les paupières closes. Un pas après l'autre, son hésitation laissa place à la détermination. Elle était résolue à s'oublier. A mi-chemin entre la silhouette athlétique du brun et le corps de la sentinelle, elle s'adressa à l'autre d'une voix calme, dénuée de tous sentiments. Tu ferais mieux d'accompagner ton ami chez Charly, vous avez besoin d'arranger ça. Elle se tut un instant et son regard s'anima d'un feu brûlant. Tu lui diras que des Libres s'en sont pris à vous, d'accord ? Mais elle ne lui demandait pas son avis, elle lui présentait des faits inébranlables lui laissant comprendre qu'il regretterait tout audace vertueuse. Et puis sans même lui accorder un dernier regard, elle combla la distance qui la séparait de Kahlan. Dardant un regard ardent dans le sien, elle se glissa prêt de lui sur la pointe des pieds, entrelaçant ses doigts aux siens d'une main, attrapant un pan de son t-shirt de l'autre. Il n'y avait presque plus rien pour séparer leurs deux corps. Je veux jouer, laissa-t-elle échapper dans un murmure qui ne s'adressait qu'à lui, si étouffé que lui-même aurait du mal à le comprendre. Elle voulait, elle espérait qu'il saisisse l'ampleur de ce qu'elle lui demandait. Elle ne voulait pas juste se perdre dans l'alcool. Elle voulait se sentir vivre, se consumer de l'intérieur si fort, si intensément qu'elle ne l'oublierait jamais. Elle voulait parier sur la vie, frôler l'irréparable. Elle voulait jouer. Et joueuse, elle se haussa sur la pointe des pieds, réduisant dangereusement la distance qui éloignait leurs visages au point où elle pouvait sentir son souffle sur ses joues. Elle pouvait noter le moindre détail de sa figure mais elle se contentait pourtant de le fixer dans les yeux. Longuement, laissant s'égrener les secondes. Puis, finalement, elle vint mordiller sa lèvre inférieure, un sourire en coin étirant la commissure de ses lèvres. Et elle s'éloigna soudainement, quelques pas de plus vers la frontière du territoire, desserrant son emprise sur le tissu souple de son t-shirt mais ne brisant pas l'étreinte de leurs doigts souillés de sang. Alors, partant ?

L'obscurité ambiante est salvatrice. Il t'est plus facile de rester debout entre les ombres créées par la lune qu'en plein soleil. La nuit est ton univers, tu y trouves mieux ta place que parmi les monstres diurnes. Sous les rayons argentés, les masques se perdent et jouer la comédie devient inutile. Tu peux évoluer comme bon te semble et laisser jaillir ce loup féroce qui sommeille en toi. Ce loup dont tu as si honte une fois que l'aube point à l'horizon mais qui t'offre un frisson d'adrénaline si délicieux dans les ténèbres nocturnes. Malgré ton attachement pour ton clan et l'importance que les Jaguars ont pour toi, tu ne peux t'empêcher parfois de penser que tu n'es pas à ta place parmi eux. Tu partages leur goût de la fête mais pas leur exubérance. Tu protèges ta famille, tes frères d'arme mais tu peux aussi les détruire avec une facilité déconcertante. Tu n'es entier que lorsqu'il s'agit d'Alessandra. Tu la chéris comme un précieux trésor. Elle est un oisillon tombé du nid que tu tentes de protéger des chats sans réellement y arriver car elle ne t'en laisse pas le droit. Car pour elle, tu n'es qu'un inconnu. Alors que tu fixes Asha, tu songes que tu n'es peut-être plus si entier que ça. Ses liens avec ta sœur sont plus que conflictuels, tu devrais la détester et désirer ardemment la démolir pour tout ce qu'elle lui a dit mais tu en es incapable. Elle n'est pas comme les autres et tu as la sensation qu'elle ne le sera jamais. Tout ça à cause de ce séisme qu'elle fait vibrer dans ton corps. En elle aussi sommeille une bête féroce, tu en as la certitude. Elle fait écho à ta propre bête qui réclame à son tour sa part de sang et d'adrénaline. Elle la veut. Tu la veux. Depuis votre rencontre, elle t'attire. Et pourtant, tu as bien essayé de résister à son charme dévastateur mais même pour Al tu ne parviens pas à faire disparaître cette envie. Aujourd'hui plus qu'un autre jour, tu souhaites ardemment céder à la tentation. Au fond de ton esprit, une petite voix te susurre que c'est de sa faute à Elle et tu ne peux pas lui donner complètement tort. Son inconscience te rend fiévreux et fait gronder la fureur dans ton cœur. Tu dois céder pour ne pas te consumer.

Lorsque Asha constate ta présence, elle t'adresse un sourire auquel tu réponds naturellement. Tu es grisé mais l'alcool est étranger à cet effet. Ton intervention semble avoir fait disparaître les vapeurs alcoolisés qui couvraient ton esprit. C'est un peu comme si le sang qui coule de la cuisse du Membre aspire avec lui l'alcool que tu as ingurgité. Il t'aide à dessaouler et te rend plus sensible à ce qu'il t'entoure. Tu te tiens droit désormais et la faiblesse désagréable venue avec la boisson laisse progressivement place à une force pure. A l'instant, tu te sens puissant et tu as l'impression que rien ne pourra te résister. Comme si pas un obstacle ne pourrait se mettre sur ta route.

ASHA – Tu ferais mieux d'accompagner ton ami chez Charly, vous avez besoin d'arranger ça. Tu lui diras que des Libres s'en sont pris à vous, d'accord ?

Tu l'observes d'un regard appréciateur. Elle t'apparaît plus irrésistible encore dans cette démarche féroce et autoritaire. Les sentinelles seraient bien bêtes de refuser cette chance de survie qu'elle leur offre. Tu n'es pas exactement sûr de ce que tu aurais fait si jamais elle n'avait pas pris les devants. Les tuer aurait été si facile. Trop facile. Sa présence chaude et sa proximité te font rapidement oublier leurs minables existences. Les Jaguars disparaissent littéralement lorsque vos peaux se touchent enfin. Ce simple contact te paraît bien maigre en comparaison de ce que tu désires mais ce fin fil qui se tisse entre vous est lui aussi délicieux. Le visage bas, tu la fixes avec intensité. Tes yeux verts sont plus lumineux qu'à l'accoutumé, ils s'animent en réponse aux flammes qui dansent dans les orbes bleues d'Asha.

ASHA – Je veux jouer.

Tu hésites. Ses mots n'ont été que des murmures et tu n'es pas sûr d'avoir bien entendu. N'est-ce pas simplement ton esprit qui te joue des tours ? Tout est trop beau pour être vrai. Tu crains de reprendre conscience dans une ruelle miteuse après un rêve troublant provoqué par l'alcool qui t'aurait fait mordre la poussière. Pourtant, son souffle est sûrement la chose la plus réelle que tu as ressentie jusqu'ici. Le mordillement léger au niveau de ta lèvre termine de te convaincre qu'elle n'est pas un mirage et t'arrache un frémissement qui traverse ton corps comme un courant électrique. Tu en veux plus. Une moue boudeuse anime tes traits lorsqu'elle s'éloigne et te prive de sa chaleur.

ASHA – Alors, partant ?

Sa voix suffit à ranimer ton sourire et tu serres un peu plus ses doigts. Même si la chasse est alléchante, tu ne veux pas la laisser s'échapper. Et puis, l'idée de trouver avec un gibier à traquer te paraît des plus tentants. L'idée de refuser sa proposition ne te vient même pas. Demain, tu regretteras peut-être mais ce sera demain. Tu ne vois de toute façon rien qui pourra te faire renier cette délicieuse fuite hors des frontières. Les conséquences t'importent peu, tu n'as de toute façon rien de tangible à perdre.

KAHLAN – Fais nous vivre.

Si tu as plus ou moins saisi l'ampleur de sa demande, tu n'es pas certain de savoir ce qu'elle recherche réellement. D'instinct, tu peux pourtant faire des suppositions. Si elle est comme toi, elle souhaite sûrement oublier quelque chose qui englue son esprit pour vivre l'instant présent. Elle veut s'offrir un pur shoot d'adrénaline pour chasser tout le reste. N'être que dans la seconde fatidique durant laquelle tout peut basculer.

Kahlan avait accepté sa demande et l'espace d'un instant, Asha fut soulagée. Elle continua de sourire alors qu'elle se détournait déjà des frontières. Elle ne savait pas vraiment où elle les entraînait. Mais plus ils avançaient, plus la distance qu'ils mettaient entre le territoire et eux augmentait moins les bribes moralisatrices chantées par la voix de sa conscience lui parvenaient. Les appels à la prudence sonnaient de plus en plus creux, de moins en moins audibles. Il n'y avait plus de "ne fais pas ça", "c'est idiot", ou encore l'inévitable "vous ne gagnerez rien à provoquer la mort". Mais ils avaient tout à gagner au contraire et ils n'étaient que deux à le comprendre. Bientôt, il n'y aurait plus que le silence. Et elle l'entendrait à nouveau. Sa voix de petite fille, celle qui vivait à l'instinct, qui avait toujours su éclairer les traversées monotones de sa vie. Dans les ruines plus qu'ailleurs, elle la guiderait. Elle saurait la mener là où se terrait le danger. Parce qu'elle avait vécu ici par le passé. Elle garda le silence longtemps, ses doigts toujours étroitement liés à ceux du jeune homme. Son instinct ne lui disait pas de le fuir ou de le chasser. Non, la petite voix devait savoir qu'au fond, ils étaient les mêmes, ils cherchaient la même chose. Peut-être était-ce la raison d'une entente si cordiale entre eux. Il ne la questionnait pas, elle en faisait de même. Contrairement à Andrew ou à Aiden, il n'essayait pas non plus de la calmer, il la laissait faire ce qui lui passait par la tête et elle appréciait son détachement. Elle ne le connaissait pas depuis longtemps mais elle lui faisait relativement confiance malgré certains ragots qu'elle avait pu entendre de la bouche de certaines soumises. Des jeunes femmes au cœur brisé et à qui il n'avait visiblement accordé que très peu de considération l'avait plus ou moins mise en garde contre le membre. Une bonne intention que la femme se pressa de rejeter avec mépris. Elle ne comprenait pas qu'on puisse rêver de passer sa vie aux côtés d'une seule et unique personne. C'était se tirer une balle dans le pied, se priver de tellement de choses. Pourquoi tenter si désespérément d'enchaîner quelqu'un, de saboter les rares plaisirs qu'offrait leur vie ? Quant aux griefs que les soumises tenaient à l'encontre du jeune homme,  Asha estimait qu'elle ne pouvait s'en prendre qu'à elles-mêmes. Si la sentinelle avait une réputation de tombeur, elles n'avaient qu'à ne pas l'approcher. Mais ces idiotes pensaient probablement toujours qu'elles seraient la femme capable de le faire changer ou des bêtises du genre. Elle comprenait leur attirance. Kahlan était un homme séduisant, à l'humour piquant. Elle ne doutait pas qu'il arrivait à faire succomber les demoiselles d'un seul sourire mais son palmarès ne l'intéressait pas et elle se recentra sur son objectif de la nuit.


Les minutes passèrent en silence alors qu'ils avaient très nettement dépassé les frontières de leur territoire. Ils étaient désormais en territoire hostiles à la merci des sauvages qui survivaient encore à l'écart de l'hégémonie des clans. L'air se faisait plus frais encore et Asha inspira longuement. L'endroit était lugubre pourtant la jaguar se sentait comme chez elle entre toutes ces ruines. Il s'agissait en quelque sorte d'un retour aux sources. Là où tout avait commencé pour elle. Elle lâcha la main de Kahlan pour s'éloigner et chercher l'endroit parfait pour attirer leurs proies. Il fallait quelque chose de relativement découvert pour qu'ils puissent les voir arriver. Elle ne tarda pas à trouver l'endroit parfait, seuls les restes d'un mur s'érigeaient en paravent. Asha était persuadée que ce soir les rôdeurs lui feraient l'honneur de leur présence. Si elle n'essayait nullement de se cacher, elle savait qu'il fallait plus pour les attirer. Elle entreprit donc de ramasser des débris inflammables. Tu m'aides ? J'aurais besoin de tout ce qui prendre feu, lui demanda-t-elle. Rien de mieux qu'un feu pour trahir sa présence. C'était ce qu'avait toujours répété son père. Le jour de l'attaque, ils n'avaient pas fait de feu pourtant les cannibales les avaient tout de même trouvés. Asha avait toujours pensé que c'était étrange mais encore une fois, elle n'était pas là pour se poser des questions. Quand elle estima avoir assez de matière, elle se mit à l'ouvrage. Il lui fallut plusieurs essaies pour faire prendre le feu mais ce dernier finit par illuminer les alentours. Se redressant victorieuse, la jaguar alla rejoindre son acolyte, un sourire malicieux grandit sur ses lèvres. Et maintenant...dit-elle en l'entraînant vers la chaleur procurée par les flammes. On attend, continua-t-elle en se rapprochant toujours plus du jeune homme, venant passer ses bras autour de sa nuque. Se haussant sur la pointe des pieds, la malice dansant dans le fond de ses yeux, elle approcha dangereusement son visage de celui du jaguar. Le fixant droit dans les yeux, un sourire refusant de quitter ses lèvres, elle ajouta tout bas. Et on s'amuse. Et puis elle posa ses lèvres sur les siennes dans un long baiser. Derrière elle dansaient les ombres ennemis ignorant qu'elle les attendait de pieds fermes.

Suivre Asha est une mauvaise idée. Tu le sais. Tu ne diras pas pour autant qu'elle a une mauvaise influence sur toi. Tu es bien assez grand pour être ta propre mauvaise influence. Puisque tu es le plus vieux tu devrais aussi sûrement agir avec maturité. Mais jouer le Membre à un an de la retraite avec de la bouteille qui va conseiller la nouvelle pour lui éviter de se brûler les ailes ce n'est pas son truc. Tu es plutôt partisan de l'enseignement par l'expérience. Il faut se prendre un mur pour savoir que ça fait mal. En cet instant tu n'es pourtant pas en mesure de penser à tout ça. Tu ne la laisses pas faire parce que tu veux qu'elle apprenne mais juste parce que tu veux te changer les idées. Et peut-être qu'au fond ce sont tes ailes que tu veux brûler de façon à t'écraser sur le sol pour prendre enfin un repos que tu ne parviens plus à t'offrir depuis trois longs jours. Tu ne sais pas pourquoi Asha agit comme elle le fait. Tu ne lui demanderas pas car ce ne sont pas tes affaires. Elle n'attends pas de toi que tu joues les confidents de toute façon, elle veut que tu t'amuses avec elle. Tu ne connais pas bien la brune, tu ne saurais donc pas dire si son attitude est normal mais tu es presque certain qu'elle agit de la sorte parce qu'elle a aussi besoin d'enterrer quelque chose profondément en elle. Donc tu ne brises pas cet accord tacite entre vous. Tu seras juste son compagnon de jeu d'une nuit, rien de plus. Tu ne parles pas car ce n'est pas nécessaire. La seule chose nécessaire c'est sa main dans la tienne qui te guide vers l'aventure. Le territoire s'éloigne et c'est une délivrance. Tu ne t'étais même pas rendu compte que cet endroit que tu appelles la maison était devenu si lourd mais désormais tu le sais. Les Jaguars ont pesés un peu trop lourds sur tes épaules depuis la rébellion. On t'a demandé d'être un aîné sérieux et efficace plutôt que le jeune homme sauvage et fêtard que tu avais été. Qui plus est on t'empêchait d'être autant que tu le souhaitais au chevet d'Alessandra. Au milieu de tout ça tu ne savais plus trop qui tu étais. Ce fait aurait du t'inquiéter mais pour l'heure tu t'en fichais. Tu avais le cerveau trop pris pour penser à tout ça et la nuit - cette nuit du moins - tu t'appliquais à ne plus penser du tout. Tu vivais sur le moment à te concentrer sur tes sensations plutôt que sur le bouillonnement de ton esprit. Distraitement tu observais donc la nuit pendant que vous marchiez en appréciant la chaleur de la peau de la brune. Quand elle te lâche la main tu ne protestes pas. Tu te contentes de laisser retomber ton bras le long de ton corps et tu la regardes en essayant de comprendre ce qu'elle fait. Vous êtes au milieu de nulle part mais elle cherche quelque chose.

ASHA – Tu m'aides ? J'aurais besoin de tout ce qui prendre feu.

Elle veut faire un feu et tu ne te demandes pas pourquoi. Tu murmures juste en réponse et tu commences à entasser dans ton bras tous les débris susceptibles de s'enflammer dans le périmètre avant de revenir vers elle pour déposer ton tas à côté du sien. Tu n'as ni briquet, ni pierres à feu avec toi et tu es bien incapable d'en démarrer un sans ça donc tu recules simplement pour la laisser à son ouvrage. Elle semble plus à l'aise avec la survie que toi et si tu te demandes quand même durant une seconde où elle a appris à faire ça tu ne poses pas la question. Ce serait un rappel trop soudain à cette réalité que tu cherches à éviter. Donc tu attends juste et il y a un sourire léger sur tes lèvres quand la fumée s'élève. Elle a réussi son coup et même si tu ne comprends toujours pas la raison de tout ça tu es satisfait.

ASHA – Et maintenant...

Elle est debout et t'entraîne vers son feu. Tu suis docilement comme tout à l'heure et tu ne comptes actuellement pas changer d'attitude à part si elle le souhaite. Tu ne ressens pas le besoin d'être toujours en contrôle, il est aussi plaisant pour toi de juste te laisser manœuvrer par une jolie fille sauvage et intrépide.

ASHA – On attend et on s'amuse.

Tu ajoutes allumeuse à ta description car bon dieu cette fille sait ce qu'elle fait. Elle est comme du soufre et toi tu es une allumette qu'on contre gratterait tout contre elle. Tu souris et alors que ses bras passent autour de ta nuque tu poses tes mains sur ses hanches. Elle t'embrasse et tu ne peux t'empêcher de penser enfin car tu brûlais de prendre feu. Tes doigts se pressent un peu plus durement sur sa peau alors que tu la tires plus proche de toi. Tu te contrefiches du fait que vous êtes au milieu des ruines. En fait vous pourriez être n'importe où ça ne t'empêcherait pas de l'embrasser fiévreusement avec la farouche volonté de la débarrasser de ses fringues. L'alcool dans ton sang aide bien sûr même si tu n'as jamais été particulièrement prude. C'est une perte de temps. Tu te sépares d'elle le temps d'ôter ton t-shirt qui tombe presque sans un bruit sur le sol et c'est là que tu les vois. Comme si de rien n'était tu te penches à l'oreille de Asha que tu mordilles légèrement avant de murmurer.

KAHLAN – On a de la visite...

Ton souffle s'égare un instant sur son cou alors que tu jettes un coup d’œil aux silhouettes qui s'approchent. Tout d'un coup tu comprends mieux la raison de ce feu.

Kahlan ne mit pas de temps à réagir son baiser, rapprochant leurs corps plus étroitement encore. Satisfaite de son effet, la brune ne retint pas un sourire. Elle appréciait leur proximité, sentir la pression de ses doigts sur sa peau. Leurs lèvres s'écrasaient impatiemment les unes contre les autres et Asha passa sa main dans la chevelure du brun. Ce dernier ne tarda pas à retirer son t-shirt, ravissant la jeune femme qui ne pouvait que plus profiter du contact de sa peau. Elle ne s'était pas préparée  à ce qu'ils arrivent si tôt. Passer un peu plus de temps seule et tout contre Kahlan aurait été loin de lui déplaire. Elle s'était rapidement habituée à sa chaleur, à ses mains sur ses hanches. Vraiment, elle n'aurait pas été réticente à ce que le jeu continue quelques minutes de plus. Mais Kahlan venait de le lui annoncer et elle grogna par principe. Elle les avait cherchés, provoqués et désormais elle comptait aussi leur faire payer pour cette nouvelle frustration. Sans lancer de regard derrière elle, elle ne bougea pas. Elle préférait les laisser s'approcher davantage. Elle s'attaqua donc au cou du brun, y déposant plusieurs baisers, à peine des effleurements, jamais assez pour laisser une trace. Quand les bruits derrière elle se firent plus oppressants, elle fit glisser une main jusqu'à l'un des sabres. Les libres appréciaient trop de lui gâcher la vie. Frustrée, elle arracha un dernier baiser à Kahlan avant de se tourner vers la menace. A vue d’œil, elle en comptait six. Par expérience, elle les savait plus nombreux. Les autres devaient se terrer plus loin. Les Libres étaient désorganisés mais même dans leur désorganisation, un schème se répétait sans cesse. Ils devaient probablement être une dizaine, pensa-t-elle. Et pour tout dire, elle n'était même pas contre une partie de cache-cache. A présent que les rôles étaient inversés, qu'elle n'éprouvait plus aucune crainte à l'idée de tomber nez-à-nez sur une bande de cannibale, elle pouvait pousser le vice le plus loin possible. Elle avait une certitude. A la fin, ils crèveraient et elle se serait amusée, défoulée et probablement calmée aussi. Ils seraient morts et elle vivrait. Il ne serait plus question de fuite, juste d'une revanche, d'une soif de sang sauvagement assouvie. S'écartant de Kahlan, elle dégaina le second sabre. J'suis sûre que c'est ton corps de rêve qui leur a donné si faim, lui lança-t-elle en faisant allusion à son t-shirt abandonné au sol. Fais attention, ça griffe ces choses-là, continua-t-elle en les désignant d'un signe du menton. Les six Libres s'étaient dispersés, les contournant pour leur bloquer toutes issues. Cette stratégie la fit presque rire. Elle se contenta de grimacer, des mauvais souvenirs se frayant un chemin dans ses pensées. Seulement, elle était là pour les oublier, pour les enfouir. C'était bien ce qu'elle comptait faire en massacrant ces charognards.

La première attaque vint du côté de Kahlan. Un homme à la carrure sèche, l'allure sale, s'était jeté sur lui, donnant le plus de coups possibles pour optimiser ses chances de toucher son adversaire tandis qu'un second le visait de loin à l'aide d'un lance-pierre grossièrement fabriqué. Tu vois, je te l'avais dit. T'as du succès, se moqua-t-elle. Un peu trop sûre d'elle, elle évita de justesse un coup porté à son visage mais eu moins de chance quand elle sentit sa chair s'entailler au niveau du bras. Un crétin venait de l'attaquer tesson de verre. D'un coup de boule, elle le repoussa. Elle donna un nouveau coup de sabre pour le garder à distance. Elle n'avait pas encore l'habitude des deux lames, habituée à se battre avec son couteau. Mais cet affrontement au même titre que la rébellion lui servirait d'entrainement et elle n'hésita pas une seconde à s'avancer à son tour, prédateur derrière sa proie, tous crocs dehors.

Ces rôdeurs sont apparus bien trop tôt. Tu aurais bien envie de leur dire de repasser plus tard mais tu n'es pas certain que cela servirait à quelque chose. Pas sûr qu'ils soient réceptifs à la raison. Asha ne semble pas prête de leur donner l'attention qu'ils ne recherchent justement pas. Sûrement ne les voit-elle pas comme de vrais menaces. Et tu ne peux pas t'empêcher de suivre son exemple, présentant ta gorge sans l'ombre d'un remord. Ressentir ses lèvres est excitant car plus que quiconque la sauvage Asha peut enfoncer ses crocs dans cette zone vitale. C'est le goût du danger que tu as sur la langue maintenant quand tu l'embrasses. Et pourtant c'est à peine si elle effleurait ta peau, le contraste se faisant encore plus brutal et délicieux. Un dernier baiser et elle s'écarte finalement, la lame de son sabre brillant dans la nuit. Un grognement t'échappe mais tu portes toi aussi la main à ton arme. « J'suis sûre que c'est ton corps de rêve qui leur a donné si faim. » Tu ricanes. « Dommage pour eux, je ne suis pas un garçon facile. » Et pourtant tu ne ramasses pas ton t-shirt. Le sang est une vrai plaie à nettoyer, il sera plus facile de récurer ta peau. « Fais attention, ça griffe ces choses-là. » « J'crois que mes griffes seront plus efficaces. Ce ne sont même pas des chatons. » Sous-estimer des adversaires n'est pas la chose la plus intelligente à faire mais tu as de l'alcool et trop d'adrénaline dans le sang. En plus ce ne sont que des charognards affamés. Un détail qui devrait te faire tiquer. Ton père t'a appris qu'on était plus dangereux quand on a faim et qu'on est désespéré. Mais tu te sens invincible en ce moment. Tu vas les détruire. Une première attaque vient de façon directe. Les coups pleuvent et plutôt que d'esquiver, tu décides d'encaisser, bien protégé derrière ta garde. Où croit-il aller celui-là ? « Tu vois, je te l'avais dit. T'as du succès. » Tu rigolerais bien mais une putain de pierre te heurte à l'épaule. Le cogneur en profite pour te décocher un crochet dans la mâchoire qui se révèle douloureux mais ne te fait pas vaciller. Il en faudra plus. Tu rends directement le coup en frappant du pied le torse du Libre qui décolle en arrière. Ton poinçon va aussi se ficher dans le torse de celui au lance-pierre. Personne n'a besoin de savoir que c'était la gorge que tu visais et que ton ébriété t'a fait perdre de ta précision. « Sexy comme t'es, je me serais attendu à ce que tu attires plus les foules. Faut croire qu'il te manque un truc entre les jambes. » Tu as profité du répit mais le combat ne fait que commencer. Le cogneur se rétablit déjà et revient pour te faire ta fête mais cette fois tu es prêt. Tu l'accueilles d'une droite percutante qui provoque un sale craquement au niveau de son nez et le conduit au sol en chouinant, les mains portées à son visage ensanglanté. Celui-là tu n'attends pour le mettre hors d'état de nuire d'un coup de pied sur le côté du crâne. « On joue pas assez avec les Libres. Les entraînements seraient tellement plus intéressants. »