Micah s'était présenté chez-moi de bonne heure. J'étais seule, comme souvent, et je venais seulement de sortir d’entre les draps tièdes et protecteurs de mon lit. Mes cheveux indisciplinés, mes yeux emplis de sommeil, le repos rappelait avec insistance chaque parcelle de mon être. Je me suis adossée contre le cadre de la porte, le laissant entrer mais pas tout à fait. Juste assez pour qu’il doive m’effleurer au passage et ressentir le parfum particulier que la fatigue laissait sur moi.

- Tu vas te secouer un peu, Ayana. Mon amie me manque.

Il avait repris précisément les mots que je lui avais offerts, quelques années auparavant, lorsqu’il n'était plus lui-même. Sa main sur mon épaule, Micah me souriait avec gentillesse et bienveillance. Il devait avoir pris soin d'étudier mon emploi du temps jusqu'à être certain qu’aucune tâche ne m’incombe, ce matin-là. Il avait mené son enquête jusque dans les moindres détails. Il avait fait des efforts. Pour moi. Mon espion barbu. Le meilleur que le clan avait connu. Mon cœur explosa ou se liquéfia et en quelques instants, seulement, mes bras enserrèrent ses épaules dans une accolade chaleureuse mais tenace. Je sentais les larmes me monter aux yeux, je sentais toute l'angoisse accumulée des derniers jours chercher à se relâcher contre un Micah si réceptif. Je m’étais inquiétée pour tout le monde, pour le clan, pour mes proches, pour les hommes, pour le ciel qui brûlait, et en un seul sourire, mon ami me rappelait que personne ne s’était soucié de moi. Il était le seul. Un éclat d’humeur ne me ressemblait pas; je reniflai avec le plus de subtilité possible avant de relâcher mon étreinte. Micah ne devait pas être là par hasard. Il avait sans doute un plan d’intervention pour m’extirper de mes angoisses chroniques qui perduraient depuis près de deux semaines.

Pour avoir un plan, il en avait un. Affublée d’un short court et d’un chandail deux fois trop grand pour moi, je me pavanais devant l’ancien espion sans orgueil ni panache. Seule ma plume, suspendue à mon cou, prouvait que j’étais Ayana du peuple des Aigles. Plus de robe. Plus de jupe qui ondulait à chaque mouvement. Seulement mes jambes nues, et le pari à peine murmuré que je ne pourrais pas courir trois cent mètre sans mourir au bout de mon souffle. Micah m’avait jadis offert quelques cours d’auto-défense. J’avais pratiquement tout oublié du noble art qu’était l'aïkido, mais ces leçons m’avaient au moins insufflé beaucoup de courage. À présent, il désirait me faire courir pour aider mon esprit à se calmer. J’avais cru que seule la méditation pouvait m’aider; il tenait à me prouver que l’épuisement physique avait du bon. Seulement, dans mon cas, l’épuisement se produirait au bout de la rue. Il riait. Je suis donc partie à la course.

Pliée en deux, le souffle plus brûlant qu’un dragon et le coeur affolé, je cherchais à reprendre un peu de contenance. Je percevais enfin ce que pouvait ressentir un non-initié lors d’une séance de méditation: la confusion, la crainte et la conviction profonde de ne pas être à sa place.

Toujours accroupie, je balayai la rue du regard avec l’impression qu'on m’observait mourir.