Trigger avait été puni par Noâ, et je n'avais pu empêcher ma sœur de lui infliger la punition la plus humiliante du clan des Jaguars : la Marque au visage. Et je m'en voulais un peu de ne pas avoir pu la raisonner. Mais elle n'avait rien voulu entendre : il avait déclenché un conflit entre les clans à l'exception de celui des Dragons, et pour elle il méritait ce qu'elle lui avait infligé. Il était jeune, et quand on avait cet âge-là on commettait plus facilement des erreurs. Comme tout le monde.

Ce soir-là, Trigger était assigné au poste de surveillance et devait faire la vigie aux abords de nos frontières. J'avais gardé pour lui un morceau de pain, et je demandai aux cuisiniers un peu de soupe en plus (en disant que j'avais encore un peu faim). Ils me la donnèrent volontiers. Je me mis alors en route assez discrètement, de façon à ce que Noâ n'apprenne que j'étais allée le rejoindre et le distraire un peu avant la longue nuit qui l'attendait.

Lorsque j'arrivai près de lui, il était assis, concentré sur l'extérieur, le regard dans le vide. Je m'approchai tout doucement et me plaçai debout à côté de lui, regardant dans la même direction.

« Tu as l'air de bien t'amuser ici, dis donc ! »

Il leva les yeux vers moi, surpris de me voir ici. Il se leva d'un bond et fit tomber son arme par la même occasion. Confus, il baissa les yeux et marmonna des excuses.

« Désolé Jude, je... je ne t'avais pas entendue arriver. »

Il ramassa son arme d'un air gêné.

« Je suis vraiment trop maladroit » ajouta-t-il devant mon regard amusé.

« Ne t'en fais pas pour ça. En plus, c'est de ma faute, c'est moi qui t'ai fait peur. »

Je lui offris un sourire.

« Je peux m'asseoir ? »

Il hocha très vite la tête et me présenta le siège sur lequel il était depuis tout à l'heure. Je m'y installai tandis qu'il s'asseyait par terre, face à moi. Je contemplai malgré moi ces trois cicatrices provoquées par ma petite sœur et qui ornaient à présent le visage du jeune homme. Après ce court moment de silence, il parla.

« Je ne savais pas que tu viendrais me voir ce soir... »

« Je t'ai apporté quelque chose. J'ai pensé que tu aurais faim si tu devais rester ici toute la nuit. » lui dis-je en sortant le morceau de pain et le bol (fermé hermétiquement) de mon sac. Je les lui tendis. « J'espère que la soupe est encore chaude ! »

Il prit la nourriture et me remercia, encore tout gêné. La plupart des Membres avaient le même comportement, mais en moins amplifié. Ce qui m'avait toujours fasciné chez le jeune homme, c’était cette capacité à décupler ses émotions en ma présence. Tout ça parce que j'étais la sœur de la chef, et du coup tout le clan avait un peu peur de moi. Mais j'aimais bien Trigger, il était gentil.

Il commença à manger et finit très rapidement le tout : il avait faim ! Il me remercia encore avant de reprendre :

« Tu ne devrais pas rester ici trop longtemps, Noâ ne sera pas très contente si elle l'apprend. »

Je haussai les épaules. Elle m'en voudrait un peu, mais pas beaucoup. Je ne risquais pas grand chose.

« Ne t'en fais pas pour moi. Je viens juste te tenir un peu compagnie. »

Il baissa les yeux.

« Merci. »

Alors que le silence retombait, on entendit quelqu'un sonner l'alerte : des Libres s'étaient infiltrés sur le territoire. Trigger pesta et reprit son poste aussitôt. Il reconnut Ryder, un ancien Membre. Des Libres apparurent et commencèrent à nous tirer dessus.

« Baisse-toi, vite ! » me cria-t-il.

J'obéis aussitôt et me baissai derrière le petit muret, me bouchant les oreilles tellement le bruit des balles était fort. Trigger s'en voulait de ne pas avoir été assez vigilant. Mais il avait surtout peur pour ma vie, alors il lui fallait être fort. Regonflé à bloc, il visa un des Libres qui attaquaient Ryder et le tua d'un coup porté en pleine tête. Il n'y avait pas à dire, il était très doué.

De nouveaux Libres arrivaient d'on ne sait où. Il en tua encore deux autres avant de m'adresser à nouveau la parole, gardant cependant les yeux en direction du combat.

« Jude, dès que la voie sera dégagée, tu rentreras au QG. Je te couvrirai, donc tu n'as pas à t'inquiéter. Prépare toi à courir quand je te le dirai. »

« D'accord. Mais et toi ? Tu ne vas pas rester tout seul ici ? »

« Ne t'en fais pas pour moi, il ne m'arriva rien. »

Cela sonnait comme du déjà vu dans ma tête. La voie ne se libérait pas pour autant, et Trigger avait à présent affaire à un tireur assez doué qui était caché derrière des ruines. Celui-là allait être plus coriace, et Trigger rata son coup deux fois de suite.

« Fais chier ! »

Il se recula pour recharger son magnum tandis qu'une nouvelle salve de balles arrivaient sur nous. Il était temps que les autres arrivent en renfort. Trigger était certes un tireur d'élite particulièrement doué, il ne pouvait pas bloquer tous ceux qui déferlaient à présent à nos pieds.

Les choses n’avaient pas été de tout repos depuis la fameuse Fête des Orages. Le clan était en ébullition, et j’avais entendu dire que la seconde, Alessandra, avait été destituée de ses fonctions et bannie. Je me souvenais l’avoir vue à la Fête, et on ne peut pas dire qu’elle m’avait très bonne impression… mais sa punition semblait troubler plus d’un soumis, et les rumeurs allaient bon train quand à un problème plus sérieux se tramant dans l’ombre. Pour ma part, je me contentais d’écouter et d’essayer de faire le tri dans tout ce que j’entendais. Cela avait au moins l’avantage de l’occuper…

La Fête était passée depuis une dizaine de jours, et mon estomac gargouillait déjà, réclament les bienfaits auxquels il avait brièvement eu droit durant cette journée. Je n’avais jamais aussi bien mangé de ma vie, et malheureusement je m’étais très vite habitué au gout de la viande, aussi avais-je gardé comme objectif futur de m’en procurer plus souvent. Mais dans l’immédiat, je me contentais de somnoler sur le pas de la porte de mes « tuteurs ». J’avais besoin d’air.

Je commençais à sombrer lorsqu’un coup retentissant me fit sursauter. Celui-ci fût rapidement suivi par d’autres coups, que j’identifiais sans trop de mal comme des coups de feu. Plusieurs têtes apparurent à la sortie des habitations, mais personne n’osa dépasser leurs portes. Personne, hormis une jeune femme qui s’élança sans hésiter vers l’endroit d’où provenaient les tirs. Bousculant mes tuteurs pour rentrer, j’attrapais rapidement un couteau de boucher, seul la lame qu’ils possédaient, et partit en courant derrière la femme, ignorant les cris de « ma mère adoptive » pour que je revienne. Enfin de l’action, je n’allais pas rater ça. Je savais me faire discrète, je voulais juste voir ce qu’il se passait. Et puis cela devrait surement être vite réglé, mes deux soumis d’accueil n’allaient surement pas devoir m’attendre longtemps…

La femme courait vite, mais je réussi sans trop de mal à la suivre malgré la nuit, guidée également par les coups de feu qui ne cessaient pas. Nous atterrirent ainsi près d’un post de surveillance, où il semblait y avoir une sacrée agitation. La femme que j’avais suivie se dissimula derrière un mur, évaluant la situation. J’en fis de même, un peu derrière elle. Un jeune homme se battait contre deux autres personnes, tandis qu’une sentinelle tirait sur une troisième cacher dans les ruines et ripostant avec rapidité. Plusieurs autres personnes sortaient de nulle part pour encercler la tour de garde. La femme ne bougeait pas tant que maintenant, réfléchissant surement au meilleur moyen d’intervenir. Pour ma part, je ne pouvais m’empêcher d’afficher un grand sourire devant cette action qui se déroulait sous mes yeux. Moi qui m’ennuyais, j’étais maintenant servie.

Suite à notre petite altercation avec les Libres quelques jours plus tôt, Annabella m'avait enfin réintégrée en tant que Messagère assignée aux Jaguars. Et ce soir-là, elle m'envoya justement en mission afin de mettre Noâ en garde. Je n'aimais pas tellement ce genre de messages, mais c'était malheureusement les plus courants. Et je n'avais pas le choix. Elle m'avait réintégrée au lieu de me démettre complètement de mes fonctions, je devais déjà m'estimer heureuse de mon sort.

Hélène fut chargée de m'accompagner en cas de mauvaise rencontre. J'avais déjà travaillé quelques fois avec elle, mais je n'arrivais pas trop à la cerner. Elle était très bavarde mais ne disait jamais vraiment rien d'intéressant. C'était toujours des broutilles. Enfin, au moins j'avais de la compagnie, et elle n'était pas méchante.

- On va passer par le centre neutre et s'annoncer à la sentinelle, lui dis-je alors qu'on approchait de nos frontières.

- Ok, Ludi. Ça va être chouette ! J'aime bien me balader le soir un peu partout. Et regarder les étoiles. Puis manger un fruit ou un légume. Et toi, tu fais quoi le soir ?

Ca y était, ça commençait. Et j'eus droit à ce genre de répliques tout le long du chemin. Arrivés à proximité des frontières des Jaguars, il y eut plusieurs coups de feu et beaucoup d'agitation. Hélène se tut et nous nous cachâmes derrière un bâtiment pour observer la scène. Nous étions trop loin pour dire de voir quelque chose, mais on entendait très bien : c'était le début d'un combat. Qui pouvait bien attaquer les Jaguars en pleine nuit ? Enfin il y avait sûrement des dizaines, voire des centaines de personnes dans Paris qui avaient une dent contre Noâ, moi la première, mais la situation me paraissait tout de même fort étrange.

- Il faut qu'on se rapproche. Je vais partir en éclaireur sur la gauche, ils n'ont pas l'air de s'occuper beaucoup de l'extérieur. C'est vraiment bizarre, on dirait que l'attaque vient de l'intérieur. Ils ont sûrement déjà dû passer la sentinelle ! Couvre-moi quand même.

- T'en fais pas Ludivine, j'assure ! Tu peux y aller tranquille. Fais-moi un signe quand je pourrai te rejoindre.

Je hochai la tête et partis en courant, restant baissée et cachée au maximum. Mais le terrain était fort dégagé. Tant que la vigie ne me prenait pas pour un des attaquants, ça devrait aller. Je m'arrêtai presque au pied de la tour, me dissimulant derrière un gros bloc de pierre. De là, j'avais une vue d'ensemble sur les alentours. Personne ne m'avait encore remarqué jusqu'ici. Il y avait déjà trois Libres au sol, sûrement morts. Un ancien Membre des Jaguars se battait contre un autre, tandis que la sentinelle tirait sur une cible que je n'arrivais pas à apercevoir. D'autres Libres arrivèrent très vite pour se battre, mais aussi d'autres Jaguars. C'était vraiment la pagaille ici !

- Mais bon sang, c'est quoi ce carnage ?

Je me retournai dans un sursaut mais me calmai en apercevant Hélène qui venait de me rejoindre. Elle n'avait pas attendu mon signal pour se rapprocher du combat. Je lui adressai un regard de reproche, mais bon maintenant elle était là et c'était tant mieux. Je n'avais pas pris d'arme à feu avec moi : je n'avais que mon sabre et cinq grenades. Mais les jeter en plein milieu de la mêlée était loin d'être une bonne idée. Je blesserais les deux clans, et dans l'immédiat je ne savais pas encore auquel je devais prêter main forte. La logique aurait sans doute voulu que je défende le clan contre les Libres, mais d'un autre côté Annabella ne me pardonnerait peut-être pas d'avoir aidé les Jaguars...

- Je n'en sais rien, mais ça craint. Qu'est-ce qu'on est censés faire ?

Elle haussa les épaules : elle non plus n'en avait aucune idée.

- Attendons de voir s'ils peuvent régler ça touts seuls comme des grands. Après, on avisera. On n'est pas là pour se battre, tu dois juste remettre un message à Noâ, après tout...

J'acquiesçai et me remis à surveiller la scène qui se déroulait devant mes yeux. En effet, il valait mieux attendre un peu pour l'instant. De plus, deux Vipères ne pourraient pas faire grand chose si les deux camps se retournaient contre nous en même temps...

Ryder se battait contre les rebelles au bas de la vigie. Il remercia Trigger de lui avoir sauvé la vie. Ce dernier essayait toujours de toucher celui qui le visait. Mais bientôt, celui-ci ne tira plus. Il devait être à court de balles. Trigger rechargea son arme puis visa d'autres Libres et en toucha un au niveau de l'épaule.

« J'ai pas l'impression que ça soit terminé, on dirait que ça commence à peine. Jude, sans te mettre en danger, est-ce que tu sais surveiller l'autre côté s'il te plaît ? Et si tu vois Morganne ou Stanley, fais leur signe de venir de nous aider ! Je sais pas ce qu'ils foutent ceux-là, mais ils devraient déjà être là en renfort. »

« D'accord, je fais attention. »

Je me penchai du côté de l'échelle et aperçus plusieurs personnes qui s'en rapprochaient. Les coups de feu s'intensifiaient dans notre direction, et Trigger était occupé à essayer de descendre ceux qui se cachaient pour tirer. Il en dégomma un qui s'effondra la tête éclatée.

« Il y en a trois qui commencent à monter ! Qu'est-ce que je peux faire ? »

« Ça s'annonce pas bien du tout ça... Balance-leur tout ce que tu peux pour gagner du temps. »

Il quitta son poste quelques secondes pour chercher après le revolver de secours planqué dans la tour. Mais il n'était plus à sa place. Une nouvelle salve nous parvint d'en bas et il retrouva son magnum pour les faire taire.

Je cherchais des yeux ce que je pourrais lancer à ceux escaladant l'échelle. Je leur jetai le bol vide en me penchant un peu et touchai le premier de la file. Il lâcha une main pour se frotter la tête, une petite tâche de sang y apparaissant. Il leva les yeux vers moi et dégaina son revolver. J'eus juste le temps de me mettre à l'abri avant qu'il ne tire un coup dans ma direction. J'avais eu chaud ! Ils montaient toujours.

Paniquée, j'essayais de reprendre mon sang froid quand je repensai aux bouts de verre amassés pendant la journée et que j'avais toujours au fond de mon sac. Ceux-là ne serviraient pas pour mon mobile... Je les pris en main et les jetai par poignées, non sans me faire quelques égratignures au passage dans ma hâte. Ça eut plus d'effet que le bol : le premier se les ramassa en plein dans les yeux et hurla de douleur. Il lâcha complètement l'échelle et tomba. Ses deux comparses l'évitèrent et continuèrent de grimper. Je n'avais plus rien à balancer...

« Ils continuent de monter, Trigger ! J'ai fait ce que j'ai pu, mais je n'ai réussi qu'à en arrêter un. » lançai-je en le rejoignant.

Alors que je parlais, un coup de feu retentit et une balle vint se loger dans le bras du premier : c'était Morganne qui arrivait, suivie de Stanley. Ils étaient tous les deux essoufflés mais venaient enfin en renfort ! Stanley, muni de ses deux sabres, vint se placer aux côtés de Ryder pour l'aider à repousser les assaillants, tandis que Morganne tirait rapidement sur ceux qui montaient vers nous...

« C'est pas trop tôt les gars ! » murmura Trigger tout en restant concentré sur ses cibles mouvantes. Bientôt, il n'aurait plus de munitions...

La femme se fit rapidement rejoindre par un beau jeune homme, et je tendis l’oreille pour essayer de comprendre ce qu’ils se disaient malgré le vacarme des tirs. Un troisième Membre arriva et faillis se faire égorger par l’homme, mais ils semblèrent bien vite s’organiser. La fille, qui s’appelait apparemment Anya, semblait soulagée d’avoir des renforts, et elle remercia vivement le plus jeune lorsqu’il lui tendit un pistolet. Pour ma part, je me mis en tête de les aider en fouillant les ruines pour débusquer les éventuels ennemis caché, jeu qui promettait d’être amusant. Malheureusement pour moi, à peine avais-je fais volte-face que je tombais nez-à-nez avec ce que j’identifiais comme un ennemi justement… Les trois autres étaient sur le point d’attaquer, aussi hésitais-je sur la marche à suivre. Le mec me demanda si j’étais perdue, et il n’eut pour seul réponse qu’un regard noir et un couteau de boucher brandit devant de moi en position d’attaque. Mais au lieu d’attaquer, je tapais soudain la lame contre le mur derrière moi, provoquant ainsi un bruit que j’espérais suffisant pour couvrir celui des tirs et alerter le trio.

Pendant ce temps, Anya était bel et bien soulagée d’avoir de l’aide, car armé d’une simple lame courte, elle ne savait pas trop comment faire pour aider la vigie. Heureusement, Zayne était plus réfléchi sur le coup, et il proposa de s’attaquer aux ennemis embusqués. Anya approuva d’un simple « ok », et s’apprêtait à sa lancer lorsque Charly apparu à son tour. Après un accueil chaleureux de la part de Zayne, il se proposa de les accompagner et tendis un pistolet à la jeune femme qui le remercia avec soulagement. Ce n’était pas son arme favorite, mais elle lui serait déjà plus utile qu’un simple couteau. De nouveau, elle se prépara à attaquer quand un bruit se fit entendre derrière eux. D’un signe de tête, elle indiqua aux deux autres qu’elle allait voir ce qu’il se passait. Un coup de feu plus proche se fit alors entendre et une balle lui siffla à l’oreille. D’un bond, elle sauta à l’abri d’un mur et se retrouva face à une gamine et un jeune homme au sourire peu enjôleur… Sans réfléchir, elle tira droit dans sa poitrine, attrapa la gamine, arracha l’arme des mains du rebelle qui restait pétrifier de surprise, si s’en était un…, et vérifia rapidement où étaient les deux autres. Apparemment, ils avaient été repéré, et leur attaque éclaire était tombée à l’eau. Avec la fille sur les bras, elle était limitée dans ses mouvements. Pestant, l’attira dans une bâtisse un peu moins amochée et lui enjoignis de ne pas bouger avant de repartir aussitôt.

Je restais immobile un moment, essayant de rassembler mes idées et de me rendre compte de ce qu’il venait de se passer. Je n’avais jamais vu un mort d’aussi près… enfin il n’était pas encore mort en soi, mais ça ne saurait tarder. La femme qui m’avait emmenée avait été d’une telle rapidité que je n’avais pas eu le temps de comprendre ce qu’il se passait. J’étais maintenant dans une veille maison, avec l’ordre de ne pas bouger. Non mais et puis quoi encore ?! Respirant profondément, je tendis à nouveau l’oreille pour écouter les alentours. Le tout était de séparer les différents bruits et de les classer : tirs, pas, bagarres,… approches. Quelqu’un approchait. Serrant mon couteau, je m’appuyais contre un des murs et attendis, un sourire aux lèvres.

Le conflit ne semblait pas vouloir s'arrêter pour l'instant. Au contraire, de nouvelles ombres apparaissaient aux portes du clan des Jaguars. La vigie était visée tout particulièrement, ce qui était normal.

- Restons prudentes, ça s'annonce mal.

Hélène hocha la tête. Mais, comme des bleus, nous avions déjà été repérées... Un ancien Membre des Jaguars s'approcha de nous et nous menaça avec un sourire sur les lèvres. Il avait entre ses mains un fusil de chasse qu'il n'avait apparemment pas encore utilisé : il était entièrement chargé, dans ce cas.

« Mais qu'avons-nous là ? Bonsoir, mes jolies. »

Je pointai mon sabre dans sa direction tandis qu'Hélène faisait de même avec son revolver. Il devait faire partie des attaquants, car sa tête ne me disait pas grand chose, et je connaissais assez le clan des Jaguars. Les Membres, du moins. Il n'avait pas l'air très accueillant. J'essayai cependant de lui parler avant d'en venir aux mains.

- Je suis Ludivine, messagère des Vipères de l'Ouest assignée au Jaguars du Sud. Je viens porter un message à Noâ et je ne souhaite pas entrer dans ce conflit, tentai-je en espérant qu'il m'écoute. Hélène était prête à tirer à tout moment, mais cela nous exposait à la vue de tous. Nous avions déjà été découvertes, donc ceux qui l'accompagnaient n'auraient aucun mal à rappliquer.

- Ce conflit ne nous concerne pas, ajouta Hélène sur un ton confiant pour appuyer mes paroles.

Heureusement que Morganne était arrivée, elle nous avait tirés d'affaire pour quelques temps en abattant les assaillants qui grimpaient à l'échelle. Mais malgré tout, nous n'étions pas dans une position très enviable, car Trigger rechargeait pour la dernière fois son magnum : il n'avait plus aucune munition avec lui.

« Jude, tu peux fouiller la vigie de fond en comble, peut-être qu'il reste quelques balles dans un coin ! » me demanda-t-il dans un dernier élan d'espoir.

J'acquiesçai et passai de l'autre côté tout en inspectant attentivement les coins. Mais il n'y avait rien, il avait déjà tout utilisé. Jusqu'à ce qu'une flèche vienne se planter sur un poteau à un mètre de moi. Un petit sac y était attaché. Je m'en approchai, prudente, et le détachai. En l'ouvrant, j'y découvris des munitions envoyées par un allié.

« J'en ai trouvé ! À croire que nous avons un ange gardien, Trigger » dis-je en voulant me montrer un peu plus rassurée par la situation.

« Lance-les moi. »

Je refermai le sac et lui envoyai. Je ne visais pas trop mal et il le réceptionna parfaitement. Il vida les cartouches au sol et rechargea son magnum. Il tira et abattit un rebelle d'une balle en pleine tête, revigoré par ce cadeau venu du ciel.

Stanley, aux côtés de Ryder, fut vite pris à parti par Dorian, un ancien Soumis. Ce dernier tenta de lui asséner un coup avec l'une de ses deux barres de fer. Stanley n'eut aucun mal à parer l'attaque à l'aide de son sabre, mais eut la désagréable surprise de mesurer une grande force physique chez son adversaire. Lui-même était assez costaud, mais il misait généralement plus sur l'habileté que sur la force. Peu importe, il ne se laisserait pas battre par un Soumis ! Il n'attendit pas une seconde pour riposter d'un coup de sabre, gardant l'autre pour se protéger en cas de riposte de l'adversaire. On n'était jamais trop prudent, et c'était l'une de ses plus grandes qualités.

Morganne, quant à elle, venait de dégommer le dernier grimpeur lorsqu'elle sentit une balle frôler son visage, la blessant à peine. Elle se décala aussitôt et une seconde balle vint se ficher dans son avant bras droit, au lieu de la toucher en plein dos. Heureusement, elle était gauchère. Elle se planqua derrière un muret et en profita pour recharger son revolver et inspecter d'un bref regard son bras. Elle savait encore le bouger, et s'il lui permettait encore de recharger – ce qui était le cas –, elle ferait avec. Elle analysa l'impact des balles et détermina l'emplacement du tireur. Elle longea le muret et s'arrêta à son extrémité. Elle se redressa et tira en direction de Julian, qui venait de se découvrir pour la viser à nouveau. Elle était persuadée qu'il ne lui faudrait pas longtemps pour l'achever, il n'avait pas l'air bien dégourdi. Puis, il l'avait ratée une fois, donc il n'était pas un aussi bon tireur qu'elle, avait-elle déduit.

Des morceaux de briques éclatées nous tombaient dessus à chaque fois qu'une balle venait s'y loger. Restant bien à l'abri derrière les remparts de la vigie, je priais pour que tout ceci s'arrête rapidement.  Qu'il n'y ait pas plus de mort. Et surtout, que tous les Jaguars restent en vie. Cette attaque, dont je ne comprenais pas les tenants et aboutissants, me faisait plus peur pour eux que pour moi. Et j'espérais également que Noâ et Nuka allaient bien...

Une deuxième flèche vint se planter dans un autre poteau de la vigie alors que je pensais à la sécurité de ma sœur. En un rien de temps elle embrasa le bois et le feu se répandit à toute allure. Je poussai un cri lorsque je vis cela.

« Mais qu'est-ce que... »

Trigger venait de se retourner en sentant l'odeur de brûlé et en entendant mon cri. Il écarquilla les yeux et quitta un instant son poste en me tendant la main.

« Jude, viens de ce côté ! Il faut qu'on descende, et tout de suite ! »

Je le rejoignis en évitant les flammes qui se répandaient rapidement autour de nous. L'échelle était encore accessible, mais les coups de feu ne diminuaient pas en bas.

« Écoute-moi bien : tu vas descendre la première, je te couvrirai. Fais aussi vite que tu peux et va te cacher dans le bâtiment à la porte bleue. Je t'y rejoindrai plus tard. Je veux que tu n'en sortes sous aucun prétexte. Et surtout, fais attention à toi... »

Il me tendit le couteau qu'il avait à sa ceinture.

« Prends-le, il pourrait t'être utile. »

Un instant, je voulus refuser de l'abandonner comme ça alors que la vigie était déjà à moitié noyée sous les flammes et qu'elle ne tarderait pas à s'embraser entièrement. Mais je me retins en me disant que ça ne servirait à rien. Et plus je traînais à me décider, plus il était en danger et risquait de rester coincé ici. Je pris le couteau qu'il me tendait.

« D'accord. »

« Prends soin de toi... »

Nous avions parlé en même temps. Je le pris rapidement dans mes bras pour appuyer mes paroles. Je me dirigeai ensuite vers l'échelle tandis qu'il reprenait son poste, tout émoustillé par cette accolade. Il se sentait encore plus fort, surtout maintenant qu'il devait protéger ma retraite. Je descendis l'échelle sans trop d'encombres. J'enjambai les corps jusqu'au petit muret, réprimant un haut le cœur. La mort ne m'attirait toujours pas. Je longeai prudemment le muret, le cœur battant à cent à l'heure. Je jetai un œil à la vigie où se trouvait toujours Trigger, tirant sur nos assaillants. Je m'éloignai ensuite pour rejoindre le point de rendez-vous. En contournant avec prudence les principaux lieux de l'action, j'y parvins sans encombre, soulagée de n'avoir croisé personne sur mon chemin. Je me planquai dans un coin, derrière les restes de meubles, serrant toujours le couteau comme si ma vie en dépendait – ce qui était un peu le cas, en fait.

Lorsque Trigger me vit disparaître sans dommages, il entreprit de descendre à son tour pour venir me rejoindre. Il valait mieux que quelqu'un se charge de la protection de la sœur aînée de la chef, surtout vu l'état de la situation qui ne faisait qu'empirer. En descendant l'échelle, il gardait son attention aux alentours et était prêt à tirer pour se défendre. Mais il semblait avoir abattu les principaux tireurs, les autres rebelles étant aux prises avec des Membres défendant leur clan. Enfin, c'est ce qui lui avait paru avant qu'il ne se fasse manquer de peu par une balle qui fit un bruit fracassant contre le métal de l'échelle. Il lâcha l'échelle et se réceptionna assez mal au sol. Un instant sonné, il se redressa bien vite, remarquant que sa cheville le faisait affreusement souffrir. Il pesta et se mit à l'abri. Pour l'instant, sa mission principale était de me rejoindre, alors il ne riposta pas et resta à couvert tout le trajet. Il avait du mal à avancer, mais il faisait abstraction de la douleur comme il le pouvait, restant sur ses gardes.

« Jude, tu es là ? » demanda-t-il lorsqu'il eut refermé la porte derrière lui.


« Oui ! » répondis-je en sortant de ma cachette, ayant reconnu sa voix. Il s'en était sorti, j'étais rassurée.

« Tant mieux, je suis rassuré. On va rester ici jusqu'à ce que ça se calme dehors, tu seras plus en sécurité. »

Ne voulant pas me montrer la douleur qui le faisait grimacer à chaque pas, il prit une chaise et s'installa en faisant face à la porte et à la fenêtre barricadée. Je m'approchai de lui pour m'asseoir à ses côtés, mais il ne m'en laissa pas le temps.

« Reste cachée, c'est plus prudent. Je fais le guet, ne t'en fais pas. »

Je hochai la tête et rejoignis mon coin, gardant le couteau avec moi.

« Merci, Trigger » dis-je simplement, pour le remercier de tout ce qu'il faisait pour moi. Il n'hésitait pas à risquer sa vie pour sauver la mienne, et ça c'était  beaucoup...

Les pas se rapprochaient lentement, accompagnés d’une respiration saccadée. Une silhouette apparue enfin, et l’homme qui m’avait abordé apparu, grimaçant de douleur. Immobile, j’hésitais un instant sur la marche à suivre. Aurais-je le cran de l’achever ? D’accord, je pouvais faire preuve d’un certain sadisme à l’occasion, mais je n’avais encore jamais tué personne… Bon, il fallait dire aussi que ma vie n’en avait encore dépendu…

Le blessé me remarqua rapidement malgré mon silence de mort. En même temps, j’étais bien visible appuyée contre le mur à côté de l’entrée d’où il arrivait. Sans plus réfléchir, je frappais en tenant mon couteau fermement. Mais même blessé, le mec para mon coup sans trop de difficulté. Il avait une arme à feu, mais ne s’en servis pas. J’en conclu donc qu’il n’était armé que de son couteau, son chargeur étant surement vide. Reculant un peu, je me mis en position d’attaque et pris la parole en espérant gagner du temps.

« Pour info, la demoiselle n’est pas perdue. Toi par contre, tu sembles mal barré. Pauvre petit choux, laisse-moi mettre fin à tes souffrances ! »

Sur ces mots, j’attaquais de nouveau, frappant de toutes mes forces vers sa tête. Il évitait difficilement mes coups désordonnés, mais il réussit malgré tout à percer ma garde inexistante et m’affligea une estafilade ensanglantée à l’avant-bras droit. Je reculais aussitôt.

« Mais aïeuh, salopard ! »

C’est à ce moment-là que je regrettais de ne pas avoir suivis les entrainements dans la troupe. Faute d’y avoir participé, au moins pouvais-je essayer de me rappeler les mouvements que j’avais observés. Gardant ainsi une certaine distance avec l’homme, de plus en plus mal en point, et restant aux aguets du moindre mouvement de sa part, je réfléchis à une façon de l’achever, ou de faire en sorte qu’il s’achève tout seul…

Du côté d’Anya, les choses n’allaient pas beaucoup mieux. Elle avait voulus rejoindre les deux autres, mais voyant que Zayne se défoulait avec hargne, elle n’osa pas intervenir. C’est alors qu’elle aperçut le début d’incendie au sommet d la vigie. Si c’était une manœuvre voulue ou pas, elle n’en savait rien, mais elle savait par contre qu’il y avait quelqu’un là-haut qui devait descendre, et ce n’était pas avec tous les tirs qui venaient de tous les côtés que ça pourrait se faire. Elle se lança donc pour couvrir la sentinelle, visant au mieux en direction des tireurs tout en se camouflant au possible. Elle n’était pas une tireuse hors pair, mais à sa grande surprise elle vit un corps s’effondrer sous l’un de ses tirs. Rassurée, elle continua sur sa lancée en espérant que la sentinelle comprendrait la manouvre et ne trainerait pas…