Save Me

Louane & Yvanna
An 40 - ST1 - Nuitée

Il n’y avait pas si longtemps que Ricine était entrée dans sa vie. Quelques saisons avant son épreuve d'intégration chez les Vipères, tout au plus. L’adolescente avait aidé l’animal à se dégager d’un amas de pierre lorsqu’une ruine s’était effondrée. Elle lui avait donnée son reste de ration, de la viande plus ou moins séchée, premier pas vers une amitié profonde ou plutôt vers la domestication d’un chien errant et perdu. C'était sa taille qui l’avait d'abord charmée, c'était la nourriture de la rouquine qui l’avait amadouée. De repas en repas, Ricine avait accepté que cette humaine l’approche, puis la câline, puis partage son quotidien avant de lui laisser cette chance incroyable de lui apprendre des tours. À chaque matin, quelques restes de nourriture attendait l’animal, à chaque matin, Ricine venait visiter sa maîtresse pour l’accompagner jusqu’au laboratoire ou au centre neutre, selon les escapades.  Puis le jour fatidique arriva et l’adolescente avait été catapultée hors du territoire pour une épreuve cruelle, rude et difficile. Ricine l’avait recherchée de longues journées, en dépit de la faim, de la soif, de la fatigue et du mal à ses pattes. Où était la gamine qui lui prodiguait milles attentions? Elle avait reniflé longuement avant de retrouver sa petite silhouette poussiéreuse, fiévreuse mais muée par une fierté toute vibrante. À l’instar de sa maîtresse, Ricine avait refusé de retrouver la ville et ses nombreuses ombres si agréables. C'était là que leur amitié avait emprunté un chemin sinueux à mi-chemin entre la dépendance l’une de l’autre et la liberté qu’elles s’accordaient.

Mais lorsque Ricine était revenue au milieu de la nuit et avait gémit à la porte de sa demeure, Louane avait tout quitté malgré l’incompréhension parentale. Son petit short avait été enfilé à la va-vite, la cadette s’était couverte d’une chemise qui ne lui appartenait pas sans l’ombre d’un regret: son chien saignait de sa patte lacérée. Il ne lui avait fallu qu’une inspection à la lueur d’une lampe retenue par son aînée pour comprendre qu’un imbécile avait posé des pièges trop près du territoire de l’Ouest. Ricine était un brave chien, elle ne rôdait jamais loin. Forcément, il y avait eu un petit drame. Tremblante sous le poids de l’inquiétude, la rouquine avait traversé le centre neutre en pleine nuit pour rejoindre l’infirmerie. Tout le trajet, elle s’efforçait d’encourager son chien afin qu’il avance de quelques pas supplémentaires. De temps à autre, la vipère glissait une main à ses reins, s’assurant que sa dague soit toujours bien présente, toute prompte à réagir en cas d’ennui. Mais il n’y avait rien eu, ce soir-là. Il n’y avait eu que Ricine, ses gémissements déchirants et une trainée de sang, derrière eux.

À bout de force, l’animal s’était posé au sol, sur le flanc, le regard suppliant sur Louane. La petite avait senti son coeur se déchirer tout à fait. Agenouillée auprès de son chien, elle l’avait câlinée un moment pour l'apaiser.

- Ricine… S’il te plaît, il nous reste plus très long.

Rien. Sa langue toute gluante de bave lapait la plaie et le sang mollement. Mais Ricine ne bougeait pas ni ne se relevait, toute affairée à reprendre des forces. Et puis, vraiment, qui aurait accepté de soigner un chien alors que les ressources manquaient? Le laboratoire des Vipères était trop bien protégé pour aller gratter des mixtures ou des bandages, d’autant plus qu’elle était nouvellement membre et qu’on ne la laissait pas encore aller à sa guise. Il ne lui restait qu’à attirer une infirmière aussi jeune qu’elle hors des murs et espérer qu’elle accepte malgré tout de soigner l’animal.

Les mains barbouillées de sang, le teint pâle sous l’inquiétude, la jeune fille avait franchi les portes du centre de soins d’un pas léger, presque éthéré. Ses prunelles claires fouillèrent l’espace, survolant les mâles et les plus âgés sans les voir. On la questionna du regard, mais on ne l’approcha pas. Pas encore, pas tout de suite. Elle ne semblait pas blessée, après tout. Puis il y avait cette fille, la blonde, une vipère. Louane se souvenait l’avoir vu traîner non loin du laboratoire, de temps à autre. Ou peut-être même au laboratoire…? Était-elle l’un de ces petits rats sur qui on testait parfois des venins? Non..! Non. Elle nettoyait peut-être sa surface de travail. Son esprit était trop chargé d’émotions et d’angoisses pour chercher à comprendre où ce minois lui était apparu, initialement. Instinctivement, la rouquine alla à sa rencontre et l’entraina un peu en retrait, un peu méfiante, pour lui faire part du problème.

- Est-ce que tu peux m’aider? J’ai… J’ai mon amie, dehors, qui est blessée. Moins de cinq cents mètres. Elle a besoin d’aide mais… Elle est peureuse. Il faudrait que tu viennes. S’il te plaît.

Ça aurait pu sentir le piège. Mais les grands yeux tristes de Louane et  son petit air innocent la mettaient habituellement hors de tout soupçon, côté magouille. Elle lançait un regard vers les portes d’entrée, comme si son soi-disant ami allait surgir à tout moment.