What is... this little shadow ? ft. Emy

What is... this little shadow ?

Shiloh & Emy

Année 41, première saison tempérée, quelques jours après la fête des Orages.
Encore un entraînement des Aspirants. Après celui du matin, j’étais épuisée mais j’étais encore motivée. En plus, mon père m’avait toujours dit qu’il fallait pousser ses limites, les dépasser à chaque fois. Ce qui expliquait mon acharnement à chaque entraînement. S’il y avait bien une personne avec qui je n’accrochais pas le moins du monde dans la petite bande, c’était Sawyer. Je ne me mêlais jamais au petit duo qu’elles formaient elle et Maxine. D’ailleurs, j’avais bien du mal à cerner Maxine. Pourquoi traînait-elle avec une non-native ? Fille d’un ancien Chef, elle gâchait ses possibilités. En fait, lors d’entraînement comme celui-ci, je participais soit seule soit avec Jackson quand je n’étais pas d’humeur grincheuse. Elle traînait elle aussi avec Kaiden et en plus elle visait les Tireurs d’Elite. Nous avions pas mal de choses en commun et elle n’avait rien d’une faible. Une fille qui n’avait rien d’une chouineuse. Elle faisait partie du golden quarter en plus.

L’entraînement fut on ne peut plus normal ce jour-là. Rien d’extraordinaire. J’avais été drôlement violente et impitoyable, oubliant l’espace d’un instant que ceux qui me faisaient face n’étaient pas à proprement parler mes ennemis. Il faut dire que l’un d’eux avait osé douter de mes capacités et de ma ruse. « Les filles sont plus vite épuisées que les mecs, de toute façon. » Cet abruti m’avait cherché. J’étais en droit de lui en coller une jusqu’à ce qu’il retienne la leçon. Ce n’était pas un non-natif, heureusement, mais c’était un garçon stupide et orgueilleux. Ni une ni deux, je lui réglai son compte à coups de poing. L’arme n’aurait servi à rien pour lui prouver ma résistance et ma force que j’avais entraînés depuis toute petite avec l’aide de mon père et lors des entraînements forcément. Je m’étais plus particulièrement déchaînée sur ses côtes dans un premier temps, enchaînant les droites à un rythme incroyable et j’aurais aimé continuer plus longtemps au niveau de son visage mais on m’arrêta. Il fallait être moins violents, plus solidaires. La solidarité, je veux bien, mais il ne faut pas pousser non plus. J’avais plutôt bien sali son visage. Il saignait légèrement et il avait même tâché mon t-shirt. Au moins, ça avait eu le don de me calmer un tant soit peu. « Il l’a cherché. » L’entraînement achevé, je partis de mon côté. J’avais besoin de bouger, même si j’étais clairement transpirante, fatiguée et mes poings me rappelaient que j’avais tapé dans un humain et non un objet.

Je sentis une présence derrière moi alors que je prenais le chemin du retour jusqu’à la maison où m’attendait sûrement mon père. Cette présence me poursuivait. Ce n’était pas juste une idée. Je n’étais pas folle. Et j’avais plutôt horreur qu’on me suivre à la trace. « Dépêche-toi de te montrer. » J’avais été directe. Mes mots claquaient tel un fouet en direction de la petite présence néanmoins cachée à ce moment précis.

Saywer était impressionnante à voir, au combat. Non pas parce qu’elle était une brute de guerre, mais parce qu’elle encaissait comme personne d’autres. Elle attirait les coups comme une flamme attirait les insectes, mais elle ne s'éteignait pas ni même ne vacillait. Même si Sawyer m’impressionnait, c'était Shiloh qui attirait mon attention ce matin-là. La voir s'engager jusqu'à se perdre contre ses adversaires était fascinant, je l’avais su depuis son test d’admission. J’avais réussi à me faufiler comme par miracle afin d’assister à quelques tests, l’an dernier, et le sien m’avait inspirée et motivée à poursuivre mes entraînements matin et soir. À ne pas terminer perdante et subir le châtiment cruel mais juste de Samuel. Depuis, j’avais l’habitude de laisser traîner mon regard sur les aspirants et les gradés, lorsque je pouvais accompagner Mads à son entraînement général, le matin. Je me plantais là, en retrait, sans pouvoir détacher mes yeux du spectacle qu’ils m’offraient. Aujourd'hui je m'étais laissée distraire, la tête perdue dans ce que serait ma vie, après le test d’admission. Ma tâche de nettoyage aurait dû débuter depuis quelque temps, déjà, lorsqu’ils ont terminé l'entraînement des aspirants. J'étais en retard. Pas de beaucoup, mais il valait mieux ne pas traîner plus longtemps. De toutes façons, on ne me remarquait pas vraiment, là où j’allais.

J’enfilais mes gants tout en longeant les murs. Je gardais la tête basse, la capuche enfoncée sur ma tête et les épaules légèrement voutées, comme si d’instinct mon corps voulait qu'on l’oublie, qu’on ne le voit pas. Qu’on me fiche la paix. Surtout ça. Ils étaient tous compliqués, beaucoup trop pour que je cherche à les comprendre. Malgré la chaleur, j'endurais sans peine ma veste à capuche et mes gants noirs: mes meilleurs alliés d’une séance de nettoyage dans le seul quartier qui avait de la gueule, au Nord. Là où maman habitait, quand elle était gamine. Là où nous aurions dû vivre, Mads et moi, si elle n’avait pas été aussi inutile. Je serrai la mâchoire tout en reflechissant aux fautes que maman avait commises, que ce soit son choix d'être demeurée soumise ou celui de miser tout ce qu’elle possédait -et meme ce qu’elle ne possédait pas- sur l'ascension de Mads pour nous sortir de là. C'était sur moi, désormais, que Mads misait. Et je ne comptais pas le décevoir.
- Dépêche-toi de te montrer.
Je haussais un unique sourcil tout en m’extirpant de mes pensées. Elle me faisait quoi, comme scène, l'autre? Il m’a fallu quelques secondes avant de comprendre que l'autre, c'était Shiloh. Et que Shiloh, elle s'adressait à moi. Avec un ton qui claquait comme un fouet. Ça sentait les embrouilles et ça sentait aussi les complications pour fuir ou battre en retrait. Je me suis donc éloignée de ma flaque d’ombre pour rejoindre le centre de la ruelle afin d'être bien vue par l’aspirante. J'ai hésité à lui demander si elle préférait que je change d'itinéraire pour être seule. En fait, je la fixai un moment plutôt long sans savoir si elle méritait ou non que je m’écrase à ce point devant elle. La rue ne lui appartenait sans doute pas, il était vrai, mais je n’étais vraiment rien pour une membre. Et moins que rien pour une aspirante. Elle semblait vindicative et toute prête à me passer un savon alors que je n’avais rien fait. Mais d’un autre côté, il s’agissait d'une aspirante, justement. Douée. Vraiment douée. Après quelques seconde, le moment était passé de toutes façons pour une telle proposition. Tant pis.
- Je suis affectée au nettoyage de ton quartier depuis un moment. On emprunte la même route. Souvent.
Je ne comprenais pas trop ce qu’elle voulait, à me faire face comme ça. J’ignorais si elle m’avait vu aux entraînements. J’ignorais encore plus si je devais spécifier que je traînais parfois aux entraînements.
- Je traîne parfois aux entraînements.
Au moins, c’était dit.

What is... this little shadow ?

Shiloh & Emy

Je n’avais pas vu les choses sous cet angle. Cette fille devait avoir raison, dans le fond. Elle ne faisait que suivre ce chemin parce que c’était sa tâche qui le demandait. Elle devait nettoyer la partie du clan la plus sympathique : le golden quarter. Etais-je devenue paranoïaque ? Disons simplement que je détestais être suivie et c’était l’impression qu’elle m’avait donnée de prime abord. Je pris donc sur moi, même si je ne connaissais cette fille de nulle part. Il fallait bien que je me rende à l’évidence, elle ne me suivait pas particulièrement. Et elle était honnête en avouant qu’elle espionnait, pour dire ça comme ça, quelque fois les entraînements. De cette manière, je comprenais que je n’étais pas juste folle mais que cette ombre me suivait depuis un moment. Si elle avait ce genre de passe-temps, ça la regardait. A ce niveau-là, je n’avais rien à dire. Au pire, ceux qui surveillaient qu’elle fasse sa tâche s’en mêleraient si elle était en retard. Je haussai donc les épaules, déjà beaucoup plus sereine et souple. « Tu veux devenir Membre ? Parce qu’ils sont pas nombreux les Soumis qui observent sans raison valable. Surtout s’ils peuvent se faire taper dessus pour leur retard. » Allez savoir pourquoi je lui demandais ça, ça ne me regardait sans doute pas et elle n’avait peut-être plus envie de me répondre vu ma sympathie. Pas que je m’en souciais, hein. J’étais comme ça, il fallait faire avec ce détail ou passer son chemin. Je ne me prenais jamais trop la tête quand il était question de faire des efforts pour plaire.

Malgré tout, imaginer qu’elle vienne souvent observer les entraînements me fit sourire. Elle devait être déterminée et acharnée pour le faire. Et c’était des qualités que j’appréciais particulièrement chez les plus jeunes. Après tout, c’était de cette façon que mon père m’avait éduquée. « Est-ce qu’ils te servent à quelque chose, au moins, ces entraînements ? Tu as pu remarquer quelque chose qui te plaît ? Et tu t’entraînes de ton côté ? » J’étais rarement aussi bavarde, sans être muette pour autant. Mais là, j’avais vraiment l’impression de retrouver mon ambition. Je l’observais alors de haut en bas, ne voyant pas grand-chose si ce n’est un petit corps caché sous une capuche, des gants et tout le reste. Un camouflage digne de ce nom.