Over and over again wishing that this all would end
année 41 - jour 9 (nuit)


Cette nuit n'en finira jamais. L'obscurité continue de s'étendre, rampant un peu plus loin sur le territoire au passage des filets nuageux cachant la clarté de la lune. Le jour botte tout simplement en touche. Tu es en route depuis des heures. C'était le zénith quand tu as quitté le territoire, il y avait de l'agitation partout et maintenant tout est calme. Il n'y a que quelques sentinelles pour te voir passer et c'est à peine si tu perçois le flot de leur conversation. Tu es ailleurs et si tu marches c'est uniquement pour te tuer la cœur. Te focaliser sur la brûlure de tes muscles est tout ce qui te permet de rester relativement calme. C'est facile, c'est habituel. Tu as toujours combattu les émotions de cette façon. Quand quelque chose te dérangeait ou te faisait mal, tu t'entraînais plus dur. C'est comme ça que tu es arrivée si haut, parce que c'est la seule technique que tu connais pour gérer et que tu as transformé tout ça en force. Mais là, tu penses que ton système ne va pas gérer. Il est arrivé au bout de ses capacités, c'est beaucoup trop gros pour lui. L’entièreté de la situation a pris bien trop d'ampleur. Tu aurais dû savoir que cette relation était condamnée à l'échec mais tu as voulu y croire. Tu t'es laissé coulée dedans bien trop profondément et maintenant tu n'es pas bien sûr de savoir comment tu vas bien pouvoir sortir. Tu te sens perdue dans cette obscurité qui finit par ramper à l'intérieur de toi. Et soudainement, elle est insupportable. Tu as déjà passé ton quartier, incapable de te résoudre à l'idée d'aller t'enfermer dans ta maison où il y aura quatre murs et un toit pour enfermer tes pensées. Marcher ne suffit même plus. Il te faut plus. Et il faut que tu sortes de cette ombre que tu as toujours détestée. La lumière, tu as toujours voulu la lumière. L'atteindre, y baigner, en irradier. Seulement, il n'y a plus de lumière à atteindre. Ça fait longtemps qu'elle s'est éteinte et que tu ne fais plus que courir vers un stupide mirage. Jusqu'ici il y avait Chad pour détourner un peu ton attention de cette vérité trop insupportable. A sa mort, tu avais commencé à effleurer le voile de mensonge qui couvrait ta vie et puis il y avait eu Yulia. Yulia qui était une lumière douce mais obsédante et qui maintenant n'était plus là. Il n'y a plus rien pour te leurrer. Tu as l'angoissante obligation de regarder droit dans les yeux de tes erreurs pour faire un constat. Mais tu n'es pas prête. C'est trop en un coup et tu étouffes. Alors tu vas tester encore et encore tes vieux mécanismes jusqu'à ce qu'ils rompent. Ou que toi, tu rompes.

C'est ce qui te conduit dans l'une des salles d'entraînement du quartier général à cette heure trop avancée. Tu as abusé de ta position pour entrer. Ou peut-être que c'est ta réputation qui a fait son effet ? Tu n'es pas certaine et dans les faits, tu t'en fous. L'important c'est qu'on te fiche la paix. Peu soucieuse des détails - les détails étant la fatigue, tes blessures, la sueur qui dégouline déjà dans ton dos, les larmes qui peut-être s'échappent de tes yeux -, tu ramasses un bâton d'entraînement et tu t'acharnes sur un poteau. Tu enchaines les frappes en y concentrant toute ta force, peu soucieuse de la forme ou de l'efficacité qu'elles auraient sur un adversaire réel. Contrairement à d'habitude, il n'y a aucun combat qui se déroule dans ta tête. Tu frappes juste pour frapper, pour sentir les vibrations des chocs remonter dans tes bras et venir tirailler encore et encore les douleurs et blessures. Ton poignet est le premier à hurler sous l'effort et c'est sur lui que tu te concentres car la plus forte des douleurs sera celle qui aura le plus de chance de tuer les battements de ton cœur. Puisque personne n'en veut, cette fois, c'est toi ou lui.