Let it all go

Icare & Maxine

Depuis la veille, le clan est particulièrement étrange. Voilà que Samuel se balade sur le territoire et participe même à un entraînement. Je n’avais jamais vu ça depuis que je suis devenu Membre. Et même si je ne le déteste pas, je préférais rester sur mes gardes. Oui, j’étais sceptique parce que je n’y comprenais rien. Samuel n’était pas ce genre de Chef. Il ne se mélangeait habituellement pas à ses Membres. En temps normal, on voyait Chad. Mais Chad n’est plus. Aurait-il pris le flambeau de son défunt ami ? Quelque part, j’étais beaucoup plus à l’aise avec Jayden parce que Jayden, je le connaissais et qu’il n’y avait aucune haine entre nous deux. Au lieu de me faire remarquer, comme certains le faisaient – et certainement pour se faire bien voir – je restais toujours sur le côté. Au-delà de ça, je restais on ne peut plus sérieux, je restais aussi concentré qu’à l’habitude. Je ne tenais vraiment pas à ce qu’il vienne vers moi. Peut-être parce que je n’étais pas à l’aise en général avec les gradés. Entre notre Lieutenant qui ne sert à rien, celui qui m’a « remarqué » et m’a fait devenir ce que je suis… Franchement, je préfère qu’on m’oublie. Tout ça pour dire que cette journée avait été particulièrement intensive.

Une fois l’entraînement fini, je traînai. Il n’y avait pas Louise dans les parages. Elle devait être occupée avec sa tâche ou en train de flâner. J’espérais sincèrement qu’elle avait des nouvelles de ses amis Jaguars. Je savais à quel point c’était important pour elle. Et pour moi, c’était la voir sourire qui importait. S’il y en avait bien une qui ne souriait pas, c’était Maxine. Je l’avais rarement vue dans un tel état. Sa moue, son attitude, sa posture… Son corps entier criait son malaise. Et il n’était pas possible qu’elle ne m’ait pas vu. Tout comme il était impossible de faire comme si de rien était. En plus, ce n’était pas mon genre. Je ne passais pas mon chemin, pas aussi facilement. Surtout pas quand il s’agissait de personnes que j’appréciais. Ce n’était pas un monstre, cette Aspirante. Et Martin ne m’avait jamais empêché de l’approcher, jusqu’à preuve du contraire. « Max ? » Je cherchais son regard alors qu’elle semblait éviter celui de tous ceux qui l’entouraient. « Si je peux t’appeler comme ça. » J’avais l’art de m’embêter avec de bêtes détails. « Je ne veux pas t’embêter mais c’est difficile de faire comme si ça n’allait pas. Tu veux parler ? » Je lui indiquais évidemment un coin tranquille, un coin reculé de la « circulation ». On ne parlait jamais de ses problèmes devant tout le monde, comme ça. « Sinon, on peut parler d’autre chose. Tant que tu souris. » Je n’étais peut-être pas le confident qu’elle attendait, alors je pouvais comprendre qu’elle ne veuille pas parler. Je n’insistais jamais. Jamais.

Let it all go

Icare & Maxine

J’avais donc vu juste, Maxine n’était pas en forme. Au départ, elle ne semblait pas vouloir en parler. C’est pour ça d’ailleurs que je lui avais proposé de parler d’autre chose. Après tout, je n’étais pas son confident habituel et elle n’était peut-être pas à l’aise d’en parler avec n’importe qui. Et pour le moment, je devais être n’importe qui, une personne de la masse, une personne parmi tant d’autres pour l’Aspirante. Si nous étions relativement similaires – il n’y avait qu’à voir la façon dont nous avions fonctionné lors de l’entraînement commun organisé par Jayden – nous n’avions jamais vraiment eu l’occasion d’échanger. Pour toutes ces raisons, je ne voulais pas la mettre mal à l’aise. Et pourtant, c’était déjà raté. J’avais bien remarqué qu’elle se mordillait la lèvre. Le silence qui s’installait entre nous n’arrangeait rien, à mon goût. Qu’est-ce que je me sentais con… Je n’étais même pas capable de réconforter comme il se doit une fille qui n’avait sûrement besoin que d’une chose : se changer les idées. Le seul détail qui me rassura ce fut de la voir se bouger et me suivre, toujours en silence, mais elle me suivait tout de même. Elle avait beau être Max, une fille qui n’est pas foncièrement cruelle ni méchante, elle aurait pu refuser de bouger. C’était déjà un premier pas, dans ce cas. Je tâchais de le voir comme ça, du moins. Ce qu’elle avait l’air pitoyable. C’était déchirant de voir un petit chiot aussi triste.

Elle parla enfin. Le temps m’avait semblé aussi long que l’éternité jusqu’à ce qu’elle ne prononce ces mots. Soudain, tout me semblait plus léger. Presque, en tout cas. Je comprenais au moins ce qui la tracassait. Un malaise avec un ou une amie. Et je pensais directement à Sawyer. Elles traînaient constamment ensemble, alors, je faisais un raccourci peut-être faux mais raccourci quand même. Cette question me renvoya automatiquement à Thalia. Évidemment que je connaissais cette situation délicate. Je la vivais depuis belle lurette avec ma sœur. « Je connais, oui. » A ce stade, j’étais blasé quand j’en parlais. Je n’avais plus beaucoup d’espoir. Et les questions qu’elle se posait, je me les étais posées cent fois, que dis-je, mille fois. Je m’étais rongé comme elle le faisait. J’étais peut-être bien tombé, finalement. Est-ce qu’on parle de hasard ou de destin dans ce genre de cas ? Je ne saurais le dire. Je n’avais pas eu son courage. J’avais tu toutes ces inquiétudes. Je ne voyais pas à qui en parler chez les Dragons. « En théorie, c’est exact. On ne blesse pas les gens qu’on aime. Mais ça, c’est en théorie. » Je ne voulais pas paraître pessimiste mais je savais que ce n’était pas aussi évident et beau que ça, la réalité. « Parfois, la rancune s’installe parce qu’on râle sur soi ou sur l’autre. Les gens disent des choses, les rumeurs circulent et celle qui se tait finit par croire tout ça et par réagir en fonction de ces hypothèses. Elle a peut-être eu peur de te parler de quelque chose et de ce que je sais, elle n’est pas très bavarde. » Tout comme Thalia. Thalia n’avait jamais été bavarde. « Ça te semble plausible ? »

Let it all go

Icare & Maxine

J’avais véritablement l’impression que ce qui se déroulait entre Sawyer et Maxine ressemblait à ce que j’avais vécu et vivais toujours avec Thalia. Forcément, du coup, je m’inquiétais pour Maxine qui se rendait malade autant que je l’avais fait au sujet de ma sœur quand nous avions commencé à se séparer. Je ne lui souhaitais pas ça, pas le moins du monde. L’Aspirante était beaucoup trop souriante, beaucoup trop vivante et bonne vivante pour perdre de sa superbe et son optimisme. Ce ne serait plus Max. Pour le moment, je lui parlais mais au-delà de ça, qu’est-ce que je pouvais bien faire ? Me sentir aussi impuissant me rendait malade. Encore une fois, je ne servais pas à grand-chose. Il fallait que je pense autrement. Il ne fallait pas être pessimiste, ni fataliste. Elles avaient une chance. « Il ne faut pas perdre espoir. Si tu lâches les bras maintenant, tu vas avoir de plus en plus de mal. Tu dois essayer de lui faire cracher le morceau sans la brusquer. C’est pas évident mais ne pas réagir, ne pas répondre et la laisser trop longtemps sans lui demander ce qui se passe pourrait être pire encore. » J’étais convaincu par ce que je disais. J’avais laissé Thalia respirer trop longtemps quand elle avait commencé à prendre ses distances et ça nous avait menés là. Je n’avais pas envie de l’inquiéter plus encore mais je voulais au moins lui exposer ma vision des choses, lui donner un conseil. Je m’en voudrais si elle laissait passer sa chance.

La question qu’elle venait de me poser par la suite ne me surprit pas tellement après le commentaire que j’avais fait au sujet de Sawyer. Le fait qu’elle se pose une telle question n’était pas étonnant non plus. Après tout, c’était connu, elle traînait avec une non-native en tant que native du golden quarter malgré tout ce qu’on disait au sujet de son amie. Elle passait au-dessus des rumeurs et de tout ce que ceux qui étaient contre cette amitié pouvaient dire. Elle ne devait donc pas savoir grand-chose à propos de ces racontars. De mon côté, je ne connaissais pas bien Sawyer alors, de toute façon, je ne pouvais que lui transmettre ce que j’entendais. C’était ce qu’elle souhaitait entendre après tout, n’est-ce pas ? Je pris donc mon courage à deux mains, espérant en toute sincérité que ça l’aiderait d’une manière ou d’une autre. Je détestais ne servir à rien. « Je ne la connais pas bien, alors, ce que je vais te dire n’est que ce que les autres chuchotent… On dit qu’elle est silencieuse, qu’elle reste toujours dans son coin et qu’elle devrait arrêter de traîner avec toi. Elle ne se défend jamais et n’a aucune fierté. » C’était cruel mais c’était la vérité. Peut-être que ça vaudrait mieux que des gentillesses pendant encore des heures. « Sois plus forte que moi, trouve le moyen de l’empêcher de s’isoler. Tu tiens à elle, ça se voit. » J’insistais parce que j’imaginais que Sawyer avait dû subir des menaces à cause de leur amitié. Alors, il fallait qu’elles se rabibochent. Surtout quand on voyait dans quel état ça mettait Max.

Let it all go

Icare & Maxine

Comme je l’avais ressenti dès le début – sans parler des bruits qui circulaient régulièrement à leur sujet parce que c’était une Dragonne, une vraie, qui traînait avec une moins que rien, une non native – Maxine tenait énormément à Sawyer. C’était mignon. C’était adorable. C’était beau. Ça me touchait vraiment. Ce n’était pas surprenant qu’elle réagisse au quart de tour comme elle venait de le faire. C’était bien la preuve qu’elle aimait Sawyer comme une véritable amie. Si elle s’en moquait, elle ne l’aurait pas défendue aussi spontanément. Je ne savais pas comment elle réagissait en présence de Sawyer mais j’espérais malgré tout qu’elle la laissait se défendre. Dans le cas contraire, ce serait donner toujours plus de raison aux extrémistes de massacrer Sawyer. Je savais bien de quoi je parlais. Les autres n’ont jamais été tendres. Ils ont été éduqués comme ça. Dans un cas comme celui-ci, par contre, je comprenais tout à fait qu’elle la défende comme elle le faisait. Après tout, elle ne risquait rien avec moi et c’était légitime pouvoir parler pour l’absent, surtout quand on le connaît autant qu’elle la connaît. Je souris, ne bronchant pas, la laissant s’exprimer, au contraire. Elle avait le droit de parler comme tout le monde, et plus encore à ce moment, alors qu’elle était perdue, déboussolée. Ne pas lui laisser de place dans cette discussion serait complètement stupide et contreproductif. Pendant ce temps, je m’effaçais. Je n’avais franchement pas l’habitude de me mettre en avant mais là, c’était encore plus important. Plus que jamais.

Ses remarques, ses questions et ses réflexions étaient légitimes. Elle avait le droit de ne pas être d’accord et de l’exprimer aussi ouvertement. Seulement, ce ne serait utile qu’à son niveau, qu’à vider son sac. Au-delà de ça, ce serait certainement peine perdue. Personne ne l’écouterait. A moins de changer radicalement la politique du clan et ses opinions concernant le sang, ça ne changerait rien. Peut-être que si tout le monde se soulevait. Non, c’était impossible. Ça faisait trop longtemps que le clan fonctionnait comme ça. Je n’étais pas en phase avec celui-ci, que ce soit à cause de ça ou d’autres éléments, mais j’étais trop lâche pour m’insurger comme elle le faisait, alors m’insurger auprès des gradés ? Jamais. « Tu as raison. Tu as raison sur toute la ligne mais malheureusement, c’est la réalité du clan. On nous apprend à penser comme ça. Les non natifs n’ont pas les mêmes chances que les autres. Comment pourrions-nous espérer que ça change un jour si on nous éduque comme ça ? » Défaitiste ? Peut-être bien. J’étais surtout impuissant. « Mais je comprends que ça te révolte. Et tu as le droit de le dire. » Parce que oui, j’étais d’accord avec elle et je comptais le lui dire. Parfois, le simple fait de savoir qu’on n’était pas seul, pas seul à penser quelque chose, ça faisait déjà la différence.

J’aurais préféré qu’elle en reste à ce sujet, à son problème. Si je n’aidais pas par intérêt, ça m’aidait en tout cas à oublier le problème qui nous concernait, Thalia et moi. Quand elle décida d’en parler, j’eus un pincement au cœur. Elle était brusque mais ça, ce n’était pas grand-chose, dans le fond. Le plus douloureux était le sujet en lui-même. Comment prêcher l’action, la proaction et la réaction quand on ne le fait pas ? Parce que je savais ce que c’était de s’accrocher dès le début et jusqu’au bout. Peut-être aussi parce que je n’avais pas pu tenir très longtemps parce que, en plus de cette bataille, j’avais dû me battre contre la politique de mon clan qui m’avait poussé à prendre une place que je n’avais jamais désirée. Et que quand j’avais remarqué que nous nous étions éloignés, c’était trop tard. Mais le fait qu’elle me pousse à ce sujet me rappelait cette phrase que je répétais dès que je le pouvais aux autres. Ça me rappelait ce pourquoi je n’avais jamais lâché jusque-là. « Je ne sais pas. Peut-être parce que je fatigue. Peut-être parce que je ne suis pas aussi fort que je l’aurais voulu. Et son regard, quand elle me regarde. » Son regard me faisait froid dans le dos. Je n’aurais jamais cru qu’un jour ma sœur me détesterait à ce point, au point de me foudroyer du regard à la moindre occasion, quand elle ne m’ignorait pas. C’était un tout qui expliquait qu’on en était là. Nous avions été proches et nous ne sommes plus que des étrangers. Tant qu’elle détestait ouvertement, c’était blessant. Depuis qu’elle m’ignorait, c’était indescriptible. C’était pire qu’une blessure. C’était mon cœur qui s’effaçait petit à petit, mon cœur qui mourait.